mercredi 11 janvier 2017

Tribune libre : Ma réponse à l'article de Libération Jade MIETTON est lyonnaise, réalisatrice de documentaires et organisatrice de soirées sahariennes.


Tribune libre : Ma réponse à l'article de Libération
Jade MIETTON est lyonnaise, réalisatrice de documentaires et organisatrice de soirées sahariennes. Après de nombreux voyages dans le Sahara et un premier film : Loin du désert, qui retrace le parcours de quatre touareg en France, la jeune femme décide de partir un mois au Niger en décembre à la découverte du pays.
Cet article ne sera pas publié dans de "grands" journaux ou magasines, mais je tiens à relater mon expérience à Agadez, où j ai passé 3 semaines en décembre, en réponse à l’article de Libération du 4 janvier 2017 intitulé: Agadez, «porte du désert» coupée du monde par un cordon sécuritaire.
Désolée, je ne vais pas vous sortir ici l’habituelle rengaine misérabiliste et sécuritaire de l’Afrique. Non, je ne vous parlerai pas de migrants, de présence djihadiste, d’insécurité, de zone rouge... les seules couleurs que je pourrai évoquer ici sont celles des tenues des femmes, arc en ciel éclatant sur peau noire.
Étant relativement peu intéressée par les défilés militaires, les cérémonies officielles de décoration des ronds-points... je suis partie à Agadez pour rencontrer les agadeziens.
Une semaine ne m’offrant pas assez de temps, je décide de m’immerger un mois. Après un train, un bus et deux avions, j'arrive à Niamey, le 1er décembre. Le voyage n’est pas terminé, 1000 km en voiture à travers le pays pour rejoindre la capitale de l’Aïr. On m'avait prévenu de l’état de la route... on ne peut s’en rendre compte sans l’avoir emprunté. Une honte pour un axe principal...
Agadez
Dès la sortie du 4X4, l’air plus frais qu’à Niamey me caresse le visage. Après 18h sur cette "route" éprouvante, mon corps semble sortir tout droit d’une machine à laver après essorage. Je suis fatiguée. Mais bizarrement, j’ai aimé cette traversée.
Elle est à l’image du pays, difficile mais belle, variée, changeante, colorée... et je garde le souvenir d’un excellent mouton mangé à Abalak lors de la pause repas!
Ça y est, je suis à Agadez ! Dans cette zone, pardon, cette région qui alimente mes rêves depuis des années! Pas de comité d’accueil en grande pompe, pas d’officiels ni de tapis rouge mais une famille m attend. Rabi, la maman, accompagnée de sa ribambelle d’enfants plus beaux les uns que les autres. Leurs yeux brillent de générosité, de simplicité et de bons sentiments.
Ils ne parlent pas français, il n y a pas de douche, pas d’eau chaude, pas de "conjoncture", tous dépendent des coupures d’électricité.... qu’importe !
Je voyage aussi et surtout pour ne pas retrouver ce que j ai à portée de main à la maison. Sans même me connaitre, ils m' intègrent immédiatement. Sauf peut-être la petite dernière : Naïma, qui a très peur de moi... me trouve-t-elle trop pâle, malade ? Ça n’a pas duré. On est vite devenu copines et j’ai bronzé un peu !
Au rythme de leur quotidien, nous partageons chambre, repas, corvées, jeux... nous vivons ensemble et créons très rapidement des liens aussi serrés que les tresses touareg que Rabi me fait sur la tête.
Dans cette ville aux murs ocre, au centre d’une carte, point de départ des plus belles excursions sahariennes, je me sens bien...
Dans le dédale de ses rues poussiéreuses, j’aperçois la mosquée, mythique, je retrouve des amis touaregs croisés en France, surréaliste ! Moment de joies intenses, larmes d’émotions dissimulées par nos accolades.
Les journées sont ponctuées de belles rencontres, de retrouvailles, de grandes discussions autour du thé ou d’un Oriba. On parle économie, politique, éducation, environnement, tourisme, élevage, agriculture. ... On se pose des questions mutuellement. Très simplement, très franchement! Tous très ouverts, très curieux. Comme un soir à Azzel, à 15 km d Agadez, où j' ai eu une grande conversation sur les relations hommes-femmes avec Tchimba, 67 ans et ses amis du village.
- « Chez vous les Blancs, c’est très différent d’ici » conclut-il.
Sans jamais tomber dans le jugement, nous prenons le temps d’apprendre les uns des autres.
En ville, certains me prennent à parti, ils ont des messages à faire passer, à leur gouvernement, à l’Occident, au monde. A l instar de Hamza, forgeron, qui souhaite s’exprimer. Le commerçant résume : plus de touristes, plus de clients, plus d’argent...Il s'étonne de l’image de son pays en France quand il constate le nombre d'attentats perpétrés sur notre sol et chez nos proches voisins... Il me demande de leur faire une bonne publicité "pour que les amis reviennent"! Je le laisse témoigner face caméra.Il a toute l’énergie de l espoir.
Sorties de route
N’ayant pas attendu dans une salle climatisée qu’on me lise mes droits, je décide de quitter la ville pour partir en brousse, à 120 km d Agadez. Curieuse d’autres points de vue, d autres histoires. Même accueil chaleureux dans ce petit campement Peulh. De nouveaux regards scintillants comme autant d'étoiles dans le ciel ce soir-là. Nuit dehors, fraîcheur ambiante tempérée par la chaleur des attentions de mes nouveaux amis et du feu crépitant. Alors qu’ « ils n’ont pas assez de tout », ils me partagent l’essentiel, un bout de leur vie: dattes, fromage, riz et problèmes quotidiens.
Devant la caméra, les revendications pleuvent de la part de Doula, chef de groupement: manque d’accès à l’éducation, aux soins, sentiment d’être laissé pour compte...
Le plus choquant pour moi : l’accès à l’eau potable, pourtant indispensable aux hommes.
Indispensable aussi pour les troupeaux, ressource principale, bien le plus précieux qui conditionne la vie des Peulhs en brousse.
 Je vais chercher l’eau du puits moi-même. Liquide gris, parsemé de mouches et d’excréments de chauve souris. Infâme. Vital.
Oui, le Niger à beaucoup à faire pour son peuple...
Oui, le peuple est composé de Nigériens motivés, optimistes, pleins de projets et d’initiatives.
Comme mon ami Agdal Waissan avec son « Grand Marathon du Ténéré » à qui j’ai fait la surprise de ma visite.
Même si la mise en place est difficile, il ne lâche rien, il ne se pose pas en victime blasée par le manque d’engagement concret de son gouvernement. Malgré le travail et l’énergie que ça lui coûte, malgré le fait qu’il n’en récolte rien, il continue de transpirer pour cette noble cause : Courir pour la paix au Sahel.
Apres avoir travaillé à ses côtés en France, je suis très fière de courir le GMT, aux côtés de Nigériens, de Togolais, de Béninois....... et bien d’autres. Je souhaite à Agdal - mais je n’en doute pas - que cet évènement se pérennise, que tous les athlètes africains viennent tenter l’expérience! Un jour peut-être, les athlètes du monde entier! Qu’il contribue à véhiculer pour sa région, une belle image de dynamisme et d’espoir.
Je retrouve un autre ami, Mawli Dayak, connu à Paris, de retour chez lui à Agadez. Déjà bien occupé par sa société Temet Evenements, engagée dans l’organisation de manifestations culturelles, touristiques, et la promotion du Niger ; il vient de lancer une ONG, la fondation Mano Dayak. Autre ambition qui promet de beaux projets pour l’avenir de cette région. Mawli et Agdal font partie de ceux qui ne voient pas uniquement leur intérêt personnel et immédiat. Ils pensent au long terme, ils pensent pour toute une communauté.
Ces deux hommes d’exception, après leur séjour en France, auraient pu mettre un terme à leur investissement au Niger. Mais ce passage, cette expérience enrichissante leur a permis de se concentrer sur l’essentiel : des projets à accomplir chez eux. Je suis admirative de leur volonté, leur personnalité et leur faculté d’adaptation...
Toutes ces initiatives sont à suivre et à encourager. Elles reflètent les envies, l’énergie d’une jeunesse qui n’attend pas grand chose du gouvernement et des interventions étrangères mais qui prend elle-même ses décisions et son avenir en main.
La fête ! Et après…. ?
Le vol Paris-Agadez se pose sur l’aéroport international Mano Dayak. En ville, je retrouve bon nombre d’amis français, fidèles du Niger, venus profiter de cette trop courte semaine. Chaque jour comporte son lot d’événements, cérémonies officielles, défilés militaires, GMT, intronisation du sultan, fantasia, FIMA, concerts… Le président lui-même fait le déplacement pour la fête de l’Indépendance.
-Un vent du tonnerre ce jour-là… comme s’il voulait nous dire quelque chose...-
 Les militaires sont nombreux, quoi de plus normal dans un tel contexte ! Quand Hollande se déplace à Lyon, le dispositif est comparable.
 Pendant que certains font la fête, je passe du temps chez mes amis forgerons au pied de la mosquée. Hamza sourit, je le devine très clairement sous son taguelmoust ! Une aubaine l’arrivée de cette centaine de touristes. Il me demande combien de personnes arriveront lors du prochain charter. Je lui explique que ce n’est pas prévu, que c’est un vol exceptionnel, juste pour les festivités. Surpris, ses pommettes retombent :
- « Il n’y aura qu’un seul avion ? ».
Je lis la déception dans son regard.
- « Pour l’instant Hamza, pour l’instant… Il y en aura d’autres ! Inch’Allah ! Et on va tout faire pour ! Le tourisme ne sera peut-être plus comme avant mais il peut revenir différemment. On peut encore espérer, on peut encore agir ! ». Nous partageons un thé dans sa boutique.
Des mètres cubes de béton, des kilomètres de macadam, un feu d’artifice et quelques dizaines de millions de Francs CFA plus tard, quels bénéfices durables et quotidiens pour les Agadeziens ? Dans quoi vont être investis les 107 millions d’euros d’aide attribuée par Bruxelles au président Mahamadou Issoufou ? J’aurai bien quelques idées…
« Théâtre de rébellions », « zone interdite et oubliée », Agadez est pour moi un merveilleux carrefour de rencontres et d’échanges. Il est temps de partir, rejoindre Niamey et reprendre l’avion, les miens m’attendent pour Noël. Les au revoir sont sobres et rapides. Une poignée de main, une accolade, un regard qui ne s’attarde pas. J’ai du mal à retenir mes émotions, je sers les enfants dans mes bras, je les embrasse ! Eux sont graves, ne me montrent rien et filent dans la maison. On me presse, le 4x4 m’attend… 1000 km dans l’autre sens. Dans le rétroviseur, le portail rouge s’éloigne, dernière traversée de la ville. Je sais qu’ils pleurent et j’ai moi-même beaucoup de larmes dans les yeux.
Le Quai d Orsay conseille d’ordinaire aux occidentaux de limiter à 48h leur présence à Agadez. J en ai cumulé 480.
J ai eu de la chance me direz-vous! Et je vous répondrais : Ha ça oui ! J en ai eu de la chance! Je viens de passer un mois très enrichissant! Mon insouciance n’était peut-être qu’un mirage mais ce fut une illusion magnifique faite de moments inoubliables !
Effectivement, je garde en mémoire ces visages souriants d’hommes et de femmes, les regards et les rires des enfants.
Ils accumulent beaucoup de contraintes, que ce soit dans la capitale, en ville ou en brousse. Mais chacun tente de s’en sortir, à joindre les deux bouts. Malgré cette vie difficile, ils gardent les valeurs simples et essentielles d’accueil, de sympathie, de générosité. Et certains ne font pas que rêver d’un avenir meilleur, ils sont en train de le construire.
Est-ce qu’Agadez est à nouveau fréquentable ? Pour ma part, j’ai hâte de la retrouver.
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37 commentaires
Commentaires
Giacomo Zandonini une bonne réponse, merci Air Info Aïr-Info Agadez
Ahmata Ahmata Bianou L'ironie est levé...
Mohamed Bahi Issihaka Aïr Info agadez niger
Jade Mietton Merci Ibrahim d avoir partagé mon article! Merci de relayer !!! N hésitez pas à me suivre sur ma page perso, la page Facebook "loin du desert" et mon site internet www.jademietton.com
ACTUALITES
JADEMIETTON.COM
Eva Gretzmacher Merci Air-Info pour avoir partagé cette article! Oui, oui Jade Mietton je reconnais Agadez dans votre article. Très touchante raconte!
Jouannaiest Andre Il faut vraiment que le gouvernement prenne conscience que le tourisme est très important dans un pays comme le Niger pourquoi ne pas le mettre sur les rails je me souviens plus jeune de ces milliers de touristes qui allaient et venaient sans aucun problème.
Jacqueline Garnier Vous avez raison!
Souleymane Bicka Une randonnée constructive.allons seulement.
Mahamane Elh Souleymane Anastafidet Vous êtes notre porte parole et témoins de ce que vous avez vu et vécu pendant ce séjours d'un mois vous et Thomas fréquentable Agadez ou non vous êtes bien placé pour le dire...
Sidi Ag Baye Tres interessant. ..mais le documentaire se limite seulement aux aspects du développement en lien à la vie des nomades, il aurait pu parler des conditions politiques,de la rebellion,des relations etat du Niger et Touareg. ..
Almoustapha Agastan Agadez la capitale de l'aïr, une zone historique, un air pure du dessert. Mr Jade pr la découverte et à l'aïr info
Aboubacar Magagi Tout comme Jade Mietton nous étions à Agadez et pas dans totalement dans les festivités de la fête nationale. Nous sommes allés à Timia à 250km d'Agadez sur des plateaux et des montagnes dont le mont Baghezan. On nous avait dit qu'il fallait être esc...Voir plus
Sahara Attri Agadez Merci air info
Alimane Mohamed Merci à air info pour cette belle illustration d humanisme et de partage de valeur entre peuples.voila un écrit ou disons un témoignage vivant pour tous ceux qui tiennent à la région d Agadez. Nous voudrions juste vous dire que notre région est une terre des hommes et des femmes ou l hospitalité est une valeur sacrée que nous cherchons à préserver jusqu à l ultime sacrifice!
Abdoulkarim Agali Issa Ouf je lit juska fatigué je ne pa pu terminer
Saleck Aboubakar Un très bon commentaire plein de sens. En tant qu'agadezien je souhaite le meilleur pour ma région !!!
Thierry Ghabidine Tillet Merci Jade. Suis actuellement dans notre famille Kounta...
Almouctar Aghali Qu'elle magnifique histoire
Mohamed Silimane Formidable ! Beau témoignage sincère, provenant du cœur
Mohamed Silimane Un vrai hymne- plaidoyer pour une région trop longtemps meurtrie...
Jean Bino J'en suis ému aux larmes. Çà c'est une amie sincère.
Marcela Campian Moi et mon amie Laura, nous étions aussi à Agadez du 13 au 20, aussi plutôt pas pour les festivités mais pour découvrir, pas autant pour la ville que les grands espaces... Comme Jade, et pas seulement, nous sommes évadé de la ville pour 2 jours... Oh,...Voir plus
Ghoumour Sadeck Magnifique
Lia Welet une seule question: est que les Touaregs ne doivent que travailler dans le tourisme? Ne peuvent-ils aspirer à quelque chose comme être médecin, avocat, ingénieur, juge? Pourquoi n'ouvrir pas une antenne de l'Université de Niamey à Agadez pour inviter des professeurs et former des cadres en lieu d'inviter des touristes?
Hamouka Dagara Tu dois épouser un touareg de ton choix et agrandir notre famille
Félicie Lemercier Que de souvenirs...
Félicie Lemercier Nous reviendrons, inch'allah!
Denise Guimard j'ai fait les mêmes découvertes que toi il y a quelques années , j y ai vécu les mêmes émotions si fortes que je me devais d y revenir pour les revivre !mon engagement est tellement fort envers le la population
Denise Guimard Suite ; Que j ai créé une association pour aider les femmes à nourir leur famille et les jeunes filles pourqu elles réussissent leurs études! bien sur c''est un grain de sable dans ce désert! alors comme toi j 'ai été tres fière de soutenir Agdal Wais...Voir plus
Ahmed Atteifoc Artisane Merci jade tu tout explique s'est une belle rencontre.
Issouf Aghali Article très vivant de la réalité quotidienne de nos populations et c est qui est poignant dans cet article c est surtout ce témoignage d engagement de Maouli et Agdale pour faire aboutir leurs rêves pour la région de Agadez
Zoubeirou Kada Gao vraiment c'est admirable; et bien rediger par une personne bien instruit et conscient.
Zoubeirou Kada Gao vraiment c'est admirable; et bien rediger par une personne bien instruit et conscient.
Nicole Morais Pour avoir vécu longtemps à Agadez, je ne peux que partager l'article de Jade; une belle sensibilité qui a su percevoir l'âme agadézienne. On ne nous interdit pas Paris, Munich, pourquoi Agadez alors?