Chez les touaregs la charpente de la société est structurée autour de la femme. Elle est la matrice de cette culture. C’est de la lignée maternelle que se transmettent les pouvoirs qui sont ceux d’une aristocratie guerrière.
Le statut de la femme a, depuis un certain temps constitué un sujet de préoccupations dans le monde, au point qu’une journée internationale lui a été consacrée. Cela se justifie par la place qu’elle occupe dans la société et surtout par le rôle qui est le sien dans le cadre de l’épanouissement de la cellule familiale et de toute la société. Ce statut fait apparaître des spécificités socioculturelles importantes liées aux modes de vie des communautés, à leurs cadres naturels de vie et de certaines contingences exogènes. Son évolution part toujours d’un héritage historique propre à chaque communauté.
Chaque société a eu son propre cheminement et la femme a toujours eu à se battre pour préserver son intégrité et ses droits, garder des acquis, et assurer son avenir au sein d’une société qu’elle voudrait plus égalitaire.
Chez les touaregs la charpente de la société est structurée autour de la femme. Elle est la matrice de cette culture. C’est de la lignée maternelle que se transmettent les pouvoirs qui sont ceux d’une aristocratie guerrière.
Dans l’institution maritale, elle joue le rôle central depuis le mariage, jusqu’à l’éducation des enfants en passant par la gestion du foyer. La femme touarègue a non seulement droit à la propriété, mais tout ce qui matérialise la cellule familiale lui appartient en commençant par la tente et son contenu. En cas de séparation, l’homme n’a droit qu’à son apparat au sens strict du terme. C’est lui qui part du foyer et le laisse intact pour être livré à l’incertitude.
» Sans exagérer, l’homme touareg est perçu ici comme simple géniteur et pourvoyeur des moyens matériels de subsistance. Il affronte les dangers de part sa constitution physique et son penchant naturel et les acquis de sa féroce lutte contre la nature sont confiés à l’intelligence subtile de la femme pour les gérer et les préserver de la déperdition ».
L’apogée de l’histoire maghrébine africaine des touareg a été faite par des reines telles KAHINA (reine de Numidie , actuel Maghreb) et TIN HINANE reine des Kel Ahaggar, des reines qui se sont imposées plusieurs siècles avant l’Islam des rives méditerranéennes aux confins sud du Sahara . Avec elles, le matriarcat qui leur donne droit à tout le pouvoir et à toute prise de décision s’est imposé davantage à la société touarègue. Le résultat de cette prépondérance matriarcale et de cet engagement subtilement féminin, a consacré définitivement le droit du fils de la sœur de l’Aménokal ( chef suprême des Touaregs) à prendre la relève du pouvoir aristocratique. Comme cela on est sûr de préserver l’héritage génétique matriciel. La femme touarègue est aussi le support sur lequel repose toute la vie économique et l’avenir de la communauté. Elle propose les alternatives, gère et encadre le campement à l’absence de l’homme et participe à toutes les décisions en sa présence.
LES ATOUTS CULTURELS DE LA FEMME TOUARÈGUE ET LES CHANGEMENTS SURVENUS
Comme nous le voyons donc, depuis la nuit des temps, la femme touarègue jouit d’une certaine notoriété. En effet, plus que partout ailleurs, elle a pu exercer jusqu’au pouvoir suprême. Les cas de Kahina reine berbère des Aurès ( Algérie) qui a combattu une armée de conquérants arabe et celui de Tin – Hinan ( Celle des tentes )l’illustre parfaitement. Des siècles durant, la société touarègue fut matriarcale, et le pouvoir de commandement se transmettaient par le biais de la parenté matrilinéaire. N’accédait au pouvoir que le neveu utérin du précédent Chef. Ceci reste valable dans toutes les confédérations touarègues, à quelques exceptions près. L’avis de la femme a toujours été sollicité et pris en compte dans les grandes décisions qui ont donné un sens et un contenu à la vie de cette société.
Bien longtemps avant la conférence de Beïjing, la femme touarègue a eu accès à la propriété, à la liberté d’être, d’expression, de choisir son partenaire et d’être à l’abri des sévices corporels. Pour préserver ce fondement culturel de cette société, un code de conduite dénommé « Asshak » a été institué et imposé aux hommes. Dans cette démarche éthique morale, l’homme doit gérer son avantage physique afin de ne pas en abuser sur la femme et les faibles de la société. Cette règle garantie la totalité des droits de la femme et fait d’elle le facteur anoblissant l’homme. L’homme qui déroge à cette règle n’est plus noble et est déchu de ses droits. Il est banni. Ce sont les femmes qui prononcent cette exclusion. Quel est l’homme touareg qui risquerait de ne plus être chanté par ces belles voies à son retour lors des séances musicales d’imzad,que ne fera t’il pour maintenir leur grâce, même s’il lui faut se surpasser.
Aujourd’hui encore, le plus grand sacrilège dans la société touarègue est de porter la main sur une femme et les insultes à son égard sont fortement reprouvées. Aucune atteinte à son intégrité physique, morale et spirituelle n’est tolérable.
(Pour cela et pour une question de pudeur, et certainement plus par respect de la femme, la question de la virginité de la jeune mariée au moment de la consommation du mariage est couverte par un silence explicitement approuvé).
Le jugement de la femme est redouté. Elle est régulatrice du comportement dans la société. Pour ce faire, l’homme a intérêt à apparaître à ses yeux courageux, généreux et infaillible. A cet effet d’ailleurs, devant une situation difficile quelconque, que ce soit sur le champ de bataille ou dans la vie de tous les jours, le jeune touareg ne pensera jamais aux conséquences de son comportement sur sa propre personne, mais plutôt ce que diront les jeunes filles au campement.
Avant de rejoindre son mari, l’épouse touarègue a toujours disposé d’une tente, de meubles et d’animaux de traite selon les capacités de ses parents. Elle rejoint son mari avec un capital qu’il doit préserver voire fructifier en accord avec celle-ci. Il convient de préciser que dans le mariage, c’est le régime de la séparation des biens qui prévaut. Aucun mari ne peut disposer des biens matériels inaliénable nommé ébawel de son épouse sans son consentement. La femme touarègue choisit son mari, ou alors la famille le choisit avec son accord. Sa préférence est prépondérante même si elle doit obéir elle aussi à des critères qui préservent la dignité et l’honneur de la famille, de la tribu ou de la fédération. Sa dot est toujours équivalente à celle qui a été donnée à sa mère et quelques soit le nombre de mariages, elle a droit à la même dot. Contrairement aux autres femmes nigériennes, sa dot ne se déprécie jamais. Dépositaire de la culture et de la tradition, la femme touarègue a en charge entre autres, de transmettre la langue et l’écriture touarègue « Tifinagh » aux générations montantes. Ainsi, la femme touarègue s’occupe de l’éducation des enfants, de la jeune fille en particulier, des travaux domestiques et de la surveillance des animaux.
Bien que musulmane depuis longtemps, la femme touarègue méprise royalement la polygamie. Elle met à profit le statut que lui confère la société pour imposer la monogamie. Pour elle, si l’Islam tolère jusqu’à quatre (4) épouses, il ne contraint par contre aucun mari à être polygame
D’autre part, la femme touarègue est si adulée que la poésie lui est essentiellement dédiée. Elle y est décrétée comme un être chérissable, mystérieux, énigmatique à conquérir. Elle est autant appréciée pour ses qualités spirituelles, pour son intelligence et sa vivacité d’esprit que pour sa grâce féminine. Consciente de son importance et du mythe qui l’entoure, elle a su exploiter en sa faveur les réalités socioculturelles et historiques de son milieu. Elle est par ce fait, en position de force pour exiger et obtenir ce qu’elle veut. Cela est d’autant plus facile car elle dispose d’une certaine autonomie sur le plan économique que lui confère le droit à la propriété.
Cette domination des femmes est souvent source de conflits dans les couples où elle est mal gérée. Cela pourrait expliquer la courbe élevée des divorces chez les touaregs. En effet comme on peut facilement le comprendre, face à l’esprit prédateur des hommes, les femmes opposent une résistance farouche afin de défendre des acquis millénaires. Cette rude bataille n’est pas gagnée d’avance et ces femmes perdent du terrain non pas face aux hommes, mais face à la roue de l’histoire. Le résultat se traduit par des mutations intervenues dans un nouvel environnement social où la femme touarègue est entrain de perdre en quelque sorte son « pouvoir ».
En effet, son rôle dans la société est entamé par plusieurs facteurs endogènes et exogènes. Sur le plan éducatif, l’école et la rue s’occupent désormais de l’éducation des enfants. L’écriture bèrbère « Tifinagh » dont elle était détentrice et qu’elle transmettait aux enfants a été supplantée par d’autres langues, certaines imposées que des vagues de colonisations et d’autres par les politiques nationales. Des comportements contraires au code et à l’éthique « Asshak » deviennent quotidiens et la polygamie commence à rentrer dans les mœurs du fait de la fragilisation de son statut.
Sur le plan économique, la tendance à la sédentarisation qui se dessine chaque jour davantage, lui « ôte » le privilège de la propriété de l’habitat. Les sécheresses successives ont détruit les troupeaux qui constituent son capital économique. Diaspora et exode ont abouti à la transformation de ces sociétés Touarègues qui subissent de plein fouet la modernité, sous la forme d’une « modernisation » brutale qui touche à leur être existentiel, à l’âme de la société, à son imaginaire, à son rapport à l’autre et à l’espace. Et surtout a ce qui faisait sa force et son originalité, son système de parenté matrilinéaire. Mais la situation « sombre » que commence à vivre la femme touarègue du fait de ces bouleversements ne doit pas lui faire oublier sa place dans la société. Elle doit pouvoir s’adapter au nouveau contexte socioéconomique tout en continuer à être la gardienne et la dépositaire de la tradition et des valeurs qui lui donnait toute sa distinction. A cet effet, elle doit prendre conscience de son nouveau rôle qu’elle pourrait mieux jouer en se scolarisant davantage tout en gardant sa personnalité culturelle qui fait d’elle un symbole, une référence. Son héritage culturel énorme peut bien s’accommoder de toute adaptation. Ainsi elle pourrait mieux que par le passé participer au développement de la société avec des méthodes modernes et novatrices, par exemple à travers les associations et en assurant des postes de responsabilités. Cela lui permettrait aussi de mieux s’impliquer dans le combat politique, chose déjà incrustée dans sa culture et son comportement.
LA FEMME TOUARÈGUE FACE AUX NOUVEAUX DEFIS DE LA VIE URBAINE
Les nouveaux défis de la vie urbaine et du développement durable qu’elle implique pour la société touarègue sont de deux ordres : l’évolution du mode de vie nomade vers un mode de vie sédentaire et l’influence du modernisme sur la culture traditionnelle.
L’évolution du nomadisme : sédentarisation et urbanisation
Les cataclysmes naturels tels que les sécheresses et les conséquences qu’ils entraînent, ont eu un effet dévastateur sur les modes de vie des touaregs. Cela implique naturellement des réadaptations qui ont modifié la structure sociale et les rôles assignés à chacun. A ces phénomènes naturels se sont ajoutés d’autres à l’échelle humaine comme les conquêtes coloniales ou culturelles. L’effet conjugué de ces phénomènes, a profondément modifié la charpente social, économique et politique des touaregs. Les parcours traditionnels ont été modifiés. Les modes opératoires de régulation de la société en son sein ont changé, ainsi que les rapports des touaregs avec leur environnement physique.
Une société ainsi aux abois, perd ses repères. Les hommes vaincus par l’adversité naturelle et humaine ne peuvent plus sauvegarder des pans entiers de notre culture. Plus rien ne met la femme touarègue à l’abri de mutations volontaires ou involontaires. Seule sa force intrinsèque va la protéger. Les touaregs appauvris, déstabilisés et désorganisés se rabattent sur les centres urbains tout en gardant des attaches avec leurs terroirs. Ici commence une vie écartelée dont les rênes vont leur échapper. Ce sont les migrations forcées vers les villes. »
« Pendant ces migrations, nous étions obligés de piétiner notre fierté par nécessité. Les femmes sont certainement celles qui vont payer le tribut le plus fort. Les migrations de la sécheresse sont des migrations de la faim et de la misère. Elles peuvent entraîner le départ de tout le groupe à la recherche d’un milieu plus accueillant. Les troupeaux décimés ou morts sont revendus à vil prix (20.000 F la vache à contre 150.000 F en temps normal). Femmes et hommes affrontent ensemble la détresse, l’oisiveté forcée, la désespérance de reconstituer un jour le troupeau et de reprendre l’ancienne vie. »
Les migrations de travail plus anciennes voire traditionnelles, qui poussent seulement les hommes vers les villes pour l’approvisionnement sont modifiées dans leur cycle par la désertification. Ces migrations représentent une hémorragie drastique pour la société avec de lourdes incidences sur l’équilibre socioéconomique.
L’influence du modernisme sur la culture traditionnelle :
Si le sort de ceux qui choisissent l’exode n’est guère enviable, celui de la femme restée seule au village ou campement l’est encore moins. Dans le pire des cas, la femme peut se retrouver seule et chargée de l’entretien de la famille dans les camps vidés par les hommes partis pour une quête incertaine. L’absence du mari est une augmentation de la dépendance morale, financière et des responsabilités. La femme se sent abandonnée seule face à la misère, à la désespérance, à la maladie ou à la mort, à la tristesse, à l’incertitude, à l’angoisse etc.
La survie grâce à l’aide alimentaire, à la mendicité, à la prostitution, sont le lot quotidien de la femme touareg sevrée de tout soutien économique et culturel. Voilà le tableau sombre de l’urbanisation forcée que nous avons subie et le premier contact que les touaregs ont eu avec la modernité. L’exode massif vers les villes a eu des conséquences désastreuses sur les destins individuels et collectifs. Il a entraîné de profondes perturbations sociales qui laisseront de traces indélébiles à la femme. Ces mutations profondes qui touchent toutes les sociétés traditionnelles obligeront à des reconversions difficiles et douloureuses. Ces mutations affectent le tissu social. Les générations de la sécheresse de 1968 et 1988 en est une parfaite illustration de générations sacrifiées. Elles ne sont plus porteuses des attributs essentiels de cette culture millénaire. Par ailleurs les barrières de classes et de statuts constituant la hiérarchie traditionnelle restent néanmoins très fortes, mais on a observe de plus en plus une tendance à l’exogamie qui fragilise la structure de parenté initiale. Les changements économiques et sociaux ont eu un impact qui a permis la transgression en milieu urbain des interdits matrimoniaux. Les femmes qui ont rompu avec la tradition matrilinéaire, en se mariant en dehors du groupe, se retrouvent une fois divorcées ou veuves complètement démunies et fragilisées et amenées parfois à la prostitution. Car rares sont celles qui ont bénéficié d’une scolarité et d’une formation leur permettant de s’assumer et de survivre dans un quotidien difficile. L’Islamisation a également influé sur les règles de parenté strictes, qui ont longtemps permis au Kel Ahaggar (ceux du hoggar) de maintenir une organisation politique et sociale stable et de là une domination. L’endogamie théorique du Touaregs noble subit actuellement des entorses, le système matrilinéaire s’est vue progressivement désagrégé par l’influence de l’Islam mais aussi par des nouvelles conjonctures économiques. Les changements économiques et sociaux ont eu un impact qui a joué sur la nature des nouvelles alliances matrimoniales. . Les premières personnes fragilisées par une certaine forme de déstructuration sociale se trouvent être les femmes. Les femmes étaient propriétaires de la tente, ehen, qui représente l’abri, ainsi que de l’ebawel, biens inaliénables constitués de troupeaux et autres biens qui l’accompagnent. Ces éléments fondamentaux se transmettaient de mère en fille. Les femmes qui ont rompu avec la tradition matrilinéaire, en se mariant en dehors du groupe, se retrouvent une fois divorcées ou veuves complètement démunies et fragilisées. Et rares sont celles qui ont bénéficié d’une scolarité et d’une formation leur permettant de s’assumer et de survivre dans un quotidien difficile. La déstructuration de la société traditionnelle touarègue a amené certaines femmes touarègues de l’Ahaggar souvent elles-mêmes issues de couples mixtes (touareg-arabe) à préférer la ville et à s’ouvrir aux autres en prenant comme compagnon et parfois comme époux un homme en provenance des villes du Nord. Leur liberté agace et dérange le reste de la population résidente de Tamanrasset. Quelques rares unions ont eu lieu entre jeunes gens du Nord et jeunes sahariennes, souvent des militaires prenant comme seconde épouse une femme touarègue pendant que leur première épouse est restée dans sa ville d’origine. L’attrait que ces femmes exercent a un rapport avec leur manière de vivre, leur supposée libération sexuelle. Mais elles vivent souvent très mal de partager un homme, la polygamie n’existant pas chez les Touaregs. Des alliances également vivement critiquées et condamnées par les tenants de l’ancienne aristocratie guerrière, concernent des femmes Touarègues réfugiées issues de tribus nobles et libres originaires du Mali et du Niger. Ces femmes se sont retrouvées seules et abandonnées à Tamanrasset par les hommes qui ont pris le chemin de la teshumara, de la révolte. Certaines de ces femmes délaissées moyennant une prestation matrimoniale élevée, ont alors pris comme époux un akli ou un hartani « affranchi »qui possède un travail, leur permettant ainsi de survivre dans la dignité sans avoir à mendier, ou à se prostituer. Cet état de fait a provoqué un tollé et des émeutes dans certains quartiers de Tamanrasset. Les Ihaggaren voient d’un très mauvais œil ce genre d’alliance qui rompt avec la hiérarchie traditionnelle. Ils reprochent aux autres Touaregs qui sont ces ishumers qui viennent d’autres territoires du Niger et du Mali de bouleverser l’ordre ancien, d’abandonner leurs femmes aux iklan, aux descendants d’esclaves, pendant qu’ils courent partout pour des raisons de rébellion ou de contrebande. Ces ishumers eux même n’ayant pas la stabilité suffisante de prendre épouse se scandalisent du comportement de ces jeunes filles comme vont en témoigner par exemple ces chants . Mon Dieu, mon dieu : les jeunes filles touarègues se déshonorent. Leur comportement me blesse le cœur.
Quelques conséquences de l’urbanisation forcée et du changement du mode de vie
Du fait de l’exode des hommes, le ratio homme/femme a été bouleversé. En brousse il y a plus de femmes que d’hommes. Il en est résulté une grave perturbation des codes et principes directeurs. Les conséquences de ces déstabilisations diffèrent profondément d’un milieu ou d’une ethnie à l’autre. Cette diversité traduit le désarroi dans lequel ces situations sans précédent ont plongé une société qui tente de répondre au coup sur coup. Les règles du mariage ont changé. La perte des troupeaux, les récoltes nulles ou insuffisantes, la raréfaction des produits de cueillettes, l’exode massif ont entraîné la misère des populations nomades et détruit les circuits traditionnels du commerce et d’échange.
La sédentarisation forcée conduit la femme touarègue à s’installer dans un milieu où elle est souvent démunie de tout moyen de subsistance autonome favorisant son appauvrissement. Si les biens familiaux ont été vendus pour assurer la survie du groupe, la femme a été aussi dépouillée de ses biens propres : bétail et bijoux. La perte de bétails s’accompagne de la perte de revenu propre et de sécurité matérielle en cas de divorce, plus d’épargne sur pied en cas de besoin d’argent, plus de viande pour les fêtes ou obligations sociales, plus de lait pour les enfants ou pour la vente.
Poussée par la nécessité, la femme a dû se soumettre à faire des travaux auxquels elle ne participe jamais auparavant. Le rôle socioculturel de la femme s’est trouvé lui aussi par conséquent appauvri. Sa fonction d’éducatrice, de conseillère, de formatrice est grevée par l’accomplissement des tâches quotidiennes. La transmission du savoir à leurs enfants, à leurs filles en particulier, ne peut se faire comme avant.
Face à ces conséquences, la société a développé par instinct de survie de nouvelles méthodes d’approche de son développement. En attendant que ce processus soit pris en compte dans un cadre formel, la femme touarègue ayant pris conscience de la déperdition culturelle et sociale consécutive aux phénomènes détaillés en haut, essaie de s’en sortir. Une nouvelle vague d’espoir voit le jour et encore une fois, ce sont les femmes qui en sont porteuses. Comme par le passé, elles puiseront dans leur courage l’énergie nécessaire pour sauver la société en péril.
La femme touarègue s’étant adaptée au nouveau contexte, inscrit désormais ses actes et comportements dans la pérennité. Consciente non seulement des enjeux de la mondialisation, mais aussi de la précarité des conditions de vie en milieu nomade, elle opte pour des actions de développement durable dans tous les domaines de la vie. La durabilité du développement suppose, le respect de la culture locale, la protection et la valorisation au service des populations autochtones de leurs ressources naturelles et de leur patrimoine culturel, l’autonomie locale dans le domaine de la santé, des écoles, de l’alimentation et enfin l’équité entre tous.
Le rôle d’éducatrice d’antan de la femme se retrouve renforcée aujourd’hui dans l’incitation des jeunes à la scolarisation. Les thématiques autour desquelles elle joue un rôle central sont : la scolarisation de la jeune fille, l’hygiène et l’assainissement, l’alimentation, l’alphabétisation, la protection des ressources naturelles la sensibilisation sur les MST et le Sida en particulier. Ces activités éducatives et formatrice se déroulent dans des cadres structurés et organisés telles que les ONG pour ce qui du Niger et du Mali les associations de développement ou même des droits de l’homme ( en Algérie l’axe du développement est la tâche attribuée aux institutions de l’Etat),.seulement des associations culturelles et de développement voient le jour et face aux besoins accrues des populations, il y a tant à faire dans tous ces domaines (santé, environnement, formation et éducation)
Notre association iman tamedourt (souffle de vie nomade) qui travaille essentiellement avec des acteurs locaux dans la région de Tamanrasset s’inscrit justement dans cette perspective de développement durable
.Dans le domaine économique, la femme touarègue, en plus de son capital bétail quelque peu reconstitué, s’est investie dans des activités valorisant les ressources locales et les arts culturaux génératrices de revenus et de nouveaux liens. C’est le cas de l’artisanat jadis objet de loisir, aujourd’hui exercé à temps plein. Cet artisanat a atteint un tel développement dans certaines régions touarègues qu’il est en ce moment très prisé par la communauté nationale et internationale et il fait office de « carte de visite » du Niger. L’artisane touarègue est spécialisée dans tous les métiers du cuir et autres matières. Elle est réputée dans la confection des objets meublant la tente, des parures d’apparat des chameliers. Elle continu de créer de nouveaux motifs , de nouveaux modèles plus adaptés à un autre style de vie.
Les bijoux eux sont la spécialité des forgerons touaregs, mais des femmes participent à la création de ces bijoux , s’inspirant des modèles anciens.
Les femmes touarègues sont également très douées en matières de médecine traditionnelle et sont détentrices de savoir et savoir faire dans le domaine de la prescription ou de la préparation de médicaments traditionnels. A l’heure actuelle, cette forme de médecine traditionnelle est le premier niveau de recours dans les campements ainsi que dans les villages et suscite intérêt et espoir des scientifiques pour certaines recettes avérées très efficaces. Ces savoirs se perdent malheureusement faute de transmissions des savoirs au niveau des générations. Alors que la bio médecine est valorisée sans qu’elle puisse être accessible à l’ensemble de la société, on observe le danger que court ces femmes à ingurgiter des faux génériques, autres corticoïdes, des substances chimiques achetés au plus bas prix au noir pour se soigner ou pire pour prendre du poids ( critère de beauté chez les femmes touarègues et sahariennes) , c’est ainsi que des maladies déciment progressivement cette population. Sans parler du danger des maladies transmissibles telles que le Sida favorisée par l’absence de prévention, par le manque d’hygiène..etc.
Conclusion
Sans nous étendre davantage sur l’implication de la femme touarègue dans les domaines social, culturel et économique, Les observateurs issus de cette société mêmes soulignent un aspect encourageant dans le statut de la femme touarègue, celui de son combat politique : « A la faveur du vent de la démocratie qui a soufflé sur ces pays dans la décennie 90, la femme touarègue soucieuse de préserver son rôle séculaire dans la gestion des affaires du campement, s’est investie dans la lutte politique. Aujourd’hui, au Niger par exemple elle participe activement dans l’animation et la coordination des activités politiques au sein de partis politiques ou des organisations de la société civile. Ces prédispositions et son degré d’engagement au sein des différentes structures la préparent tout naturellement à briguer des postes pour des mandats électifs ». Cela est loin d’être le cas en Algérie, ou toute activité politique qui n’entre pas dans le cadre de la politique nationale hégémonique est suspectée de subversion et ou toute revendication identitaire portant sur les spécificités culturelles, sur la culture amazigh ( berbère) porté jusque là surtout au créneau par la seule frange kabyle prends des proportions politiques autonomistes.
La prise en compte de ces variables chez la femme touarègue commence à susciter des réactions positives et constructives. La femme touarègue a un potentiel qu’il faudrait apprendre à exploiter au profit de la société et de la communauté berbère répartie dans plusieurs pays. Elle a une prise de conscience des nouvelles données, elle veut savoir ce qu’il faut faire face à un monde en pleine mutation et se donner les moyens pour avancer. Elle s’affirme encore comme partenaire et actrice de développement à part entière. La femme touarègue pourrait être le fer de lance de ce combat de longue haleine dans tous les domaines si on prenait en compte la spécificité de la dynamique féminine : » elle est lucide, présente, résolue, engagée et combattante ». Seulement cela va dépendre non seulement des moyens qui seront mis à sa disposition, mais aussi du respect et de la confiance dont elle va bénéficier au sein des institutions nationales.
Il faut bien prendre conscience que cette marche forcée vers la modernité, si elle n’est pas maîtrisée entraînera la disparition d’une civilisation universelle. Des touaregs qui se sont engagés dans le combat politique pensent que la seule façon de stopper cette descente aux enfers, est de conférer un minimum de pouvoir politique aux touaregs et une certaine liberté d’initiative des populations locales. Ce pouvoir politique leur permettra de décider de l’orientation à donner à leur vie dans un cadre national. Ils affirment qu’ainsi la femme y retrouvera assurément ses marques, car le nouveau système que ces derniers tentent de mettre en place envisage de prendre racine dans le fondement culturel, et cela dans le cadre de l’autonomie locale. L’espoir donc résiderait dans le processus de décentralisation en cours d’application, notamment dans la communalisation, la régionalisation et dans la coopération décentralisée. Faire en sorte que la tentative d’uniformisation du monde ne mettent pas en péril des sociétés nomades proches de la nature et respectueuses de l’environnement, et qui possèdent un art de vivre que beaucoup ont à envier.
Faiza SEDDIK ARKAM
Besançon, 10 octobre 2007
Conférence sur le statut privilégiée de la femme touarègue et son évolution actuelle
Source: Tamoudre.org