« Chaque semaine, des jeunes partent chercher de l’or »
Ibrahim Tchihma, responsable associatif à Agadez
Mardi 28 avril, à Argenteuil
Agadez, « la perle du désert », a bien du mal à écouler les produits de son artisanat. Les Touaregs sont orfèvres dans le travail de l’argent mais les débouchés sont difficiles à trouver dans cette région du nord du Niger où le terrorisme a fait fuir les touristes.
Depuis plusieurs années, Ibrahim Tchihma vient donc en France pour écouler une partie de la production de son village, Azzel, situé à 15 kilomètres d’Agadez. A Paris, dans les trains de banlieue ou sur les marchés, il ne quitte pas son habit bleu traditionnel. Ce responsable communautaire cherche aussi des financements pour approvisionner une citerne. Le bassin est déjà creusé mais il manque une motopompe, des tuyaux pour le relier au puits qui se trouve un kilomètre, et un couvercle. Le projet permettrait d’alimenter tout le village qui compte 700 personnes en remplissant le bassin trois fois par jour. Outre la consommation courante, il permettrait l’abreuvage du petit bétail.
Son passage est l’occasion de prendre le pouls d’une ville carrefour vers où convergent les chercheurs d’or et les migrants d’Afrique de l’Ouest voulant se rendre en Europe. « Agadez est un centre névralgique où passent beaucoup de monde», explique ce responsable communautaire rencontré dans un domicile. « Elle a une tradition d’accueil. Des ONG y sont présentes, comme Oxfam, MSF, la Croix-Rouge et aussi des organisations d’Église ».
« La fièvre de l’or »
« Depuis plusieurs mois, elle connait la fièvre de l’or car deux sites ont été découverts dans le Ténéré, à plusieurs centaines de kilomètres plus au nord», souligne-t-il. « Chacun attire au moins dix mille personnes, des Soudanais, des Tchadiens, des Nigérians, des Algériens, des Libyens, et aussi des habitants du sud-est du Niger qui ont dû fuir Boko Haram ».
« On creuse avec des pelles et des pioches »
« Il y a un site dans les montagnes du Djado, près de Bilma, à la frontière libyenne », précise la Touareg. « Et un autre à Tchibarakaten, dans l’extrême nord de l’Aïr, tout près de la frontière algérienne. C’est de l’exploitation artisanale. On y creuse avec des pelles et des pioches. Dans le Djado, on dit qu’il suffit de creuser à un ou deux mètres de profondeur pour trouver un filon. A Tchibarakaten, c’est un peu plus profond, il faut faire des tranchées de dix ou vingt mètres de profondeur. Ces régions sont loin de tout, mais elles sont devenues habitables. On y livre l’eau en citernes ».
« Cent grammes d’or, si la chance te sourit »
« Chaque semaine, des jeunes d’Agadez y partent aussi », complète-t-il. « L’un va trouver 4 grammes d’or en une journée, un autre 30 grammes, un troisième 100 grammes, si la chance lui sourit. En deux semaines, un homme peut gagner 500 000 francs CFA, alors que le salaire mensuel d’un fonctionnaire tourne le plus souvent autour de 150 000 francs CFA, l’équivalent de 150 euros».
« La destination finale, c’est Dubaï »
« Bien sûr, certains ne trouvent rien pendant trois mois », tempère Ibrahim Tchihma. « Mais globalement, cet or, c’est un coup de pouce à la jeunesse. Cela réduit le chômage en ville. Celui qui revient avec de l’argent va augmenter ses chances de se marier, d’ouvrir une échoppe. Les intermédiaires se sont installés à Arlit et Agadez. L’or part ensuite à Niamey, Cotonou, ou au Nigeria mais la destination finale, c’est Dubaï ».
« Des écoles privées s’ouvrent »
« Les gens, et notamment les jeunes, ont compris qu’il fallait se débrouiller pour s’en sortir », commente-t-il. « Il ne faut plus compter sur l’État. Même être fonctionnaire, ça ne rapporte pas grand-chose. Avant, beaucoup suivaient des études pour rentrer dans les rouages de l’État. Aujourd’hui, les jeunes savent que l’école publique n’est pas une fin en soi. Y faire des études ne donne pas l’assurance d’avoir un boulot. Du coup, il y a un esprit d’entreprise, pour lancer sa propre affaire. Des écoles privées s’ouvrent, pour apprendre le métier d’infirmière ou d’informaticien».
« Récemment, une touriste belge est restée un mois »
« L’arrêt du tourisme est à ce titre une catastrophe », poursuit le voyageur nigérien. « Avant, il y avait des liaisons directes Paris-Agadez et Marseille-Agadez. Aujourd’hui, c’est arrêté. Il y a en Europe une psychose regrettable depuis
l’affaire d’Arlit. Récemment, une touriste belge est restée un mois. Il ne lui est rien arrivé. Bien sûr, elle était escortée. Cela ferait du bien que cela reprenne. Cela donnerait un coup de pouce aux artisans, aux hôteliers, aux agents touristiques et aux nombreux particuliers qui hébergeaient des gens. Cela nous redonnerait de l’espoir. Un autre coup de pouce serait qu’Areva refasse la route entre Tahoua et Agadez. On l’appelle la route de l’uranium mais elle est en très mauvais état.
Areva s’y est engagé mais on attend les travaux depuis des années ».
« Des djihadistes passent au nord »
« Par rapport aux terroristes, le Niger a pris ses responsabilités pour vraiment les combattre », assure-t-il. « Certes, des djihadistes passent au nord, venant de Libye, du Tchad, du Soudan, et allant vers le Mali. Mais ils ne s’arrêtent pas. C’est une zone surveillée aussi par les Français ».
« Pour un Touareg, ce serait un calvaire de vivre en Europe »
« Malgré cette situation économique difficile, il n’y a pas de courant d’émigration », ajoute Ibrahim Tchihma. « Pour un Touareg, ce serait un calvaire de vivre en Europe. Nous sommes des nomades ! En revanche, on voit passer les ‘côtiers’, qui viennent du Bénin, de Guinée, du Nigeria, du Sénégal. Ils veulent coûte que coûte aller en Europe. Ils arrivent pas bus de Niamey, un voyage qui prend au moins la journée, et il cherchent un bus ou un camion pour aller vers Arlit. Là ils chercheront un 4X4 pour aller soit en Libye, soit en Algérie, clandestinement. Parfois, certains s’arrêtent quelques jours à Agadez pour effectuer des petits boulots et récolter un peu d’argent ou alors pour attendre un envoi ».
« Au sein de la CEDEAO, la libre circulation est en vigueur »
« Les entrées d’Agadez sont contrôlées, les bus et les véhicules peuvent être fouillés, les papiers d’identité demandés, mais c’est par rapport à l’insécurité », explique-t-il. «Au sein de la
CEDEAO, la libre circulation est en vigueur. Les migrants ne sont pas inquiétés, sauf pour des cas de trafics de drogue, mais alors ils sont en général relâchés. Au nord, vers Arlit, il peut y avoir des bandits, des coupeurs de route, mais là aussi l’armée patrouille. En tout cas, il n’y a plus de mouvements armés politiques. Après la deuxième rébellion touarègue, en 2007-2009, ses cadres ont été intégrés à l’État et ils occupent des postes de responsabilité».
« La capacité de Boko Haram à recruter est liée à la misère »
« La plus grande crainte, ces derniers mois au Niger, c’est Boko Haram », ajoute l’habitant d’Agadez. « En début d’année, beaucoup d’habitants de Diffa, une ville du sud-est attaquée par Boko Haram sont arrivés à Agadez. En fait, Boko Haram y avait recruté des jeunes, les avait entrainé au Nigeria, puis ils sont revenus commettre des attentats. Cela a compliqué la tâche de l’armée. Il a fallu mener des enquêtes et susciter des dénonciations pour arriver à les distinguer. Cette capacité de Boko Haram à recruter est liée à la misère et à l’absence de travail. Ils font miroiter de l’argent. Ils s’appuient aussi sur la religion. Des jeunes incultes se laissent embarquer alors que l’islam affirme que le meurtre est le plus grand crime que l’on puisse commettre ».
« Si quelqu’un ne suscite pas la confiance, on alerte la police »
« A Agadez aussi, Boko Haram pourrait recruter, grâce à l’argent, mais nous sommes vigilants » explique-t-il. « Si quelqu’un ne suscite pas la confiance, on alerte la police. Il y a aujourd’hui une réelle compétition entre différents courants de l’islam. Les confréries, les traditionalistes, les intégristes ont chacun leur version de ce qui est licite et illicite. Mais il n’y a pas vraiment une lutte de factions. Il y a une certaine tolérance. Les confréries organisent des cortèges avec des drapeaux dans les cimetières : cela se passe dans le calme ».
« L’islam de mes parents, peut-être était-il dans l’erreur »
« Avant, à Agadez, il n’y avait une grande mosquée pour la prière du vendredi, au centre de la ville », se souvient-il. « Aujourd’hui, il y en a d’autres à l’est, au nord, au sud… Certes, la population a augmenté, mais cela montre bien la diversité. Et en fait, ces controverses, cette dialectique, cela peut permettre aux gens de mieux comprendre ce qu’est l’islam. Des prêcheurs viennent du Nigeria, du Ghana, des États-Unis, d’Égypte, d’Iran… Les différentes interprétations nous éclairent. Avant, il n’y avait qu’une seule interprétation dans toute la ville, mais comment savoir si c’était la plus juste ? L’islam de mes parents, peut-être était-il dans l’erreur ».
« Pas de manifestation anti-chrétiennes »
« A Agadez, contrairement à Zinder ou Niamey, il n’y a pas eu de manifestation anti-chrétiennes après l’affaire Charlie Hebdo », assure Ibrahim Tchihma. « On a toujours vécu là avec toutes les religions du monde. Il y a des religieuses qui parlent le Tamasheq. Des Rwandaises, des Béninoises, des Françaises. Elles sont revenues. Elles habitent tout près de commissariat. Il y a de nombreuses relations d’entraide avec elles ».
Pour aller plus loin
- La présentation par Areva de ses implantations au Niger, au nord d’Agadez, via ses filiales
Cominak ,
Somaïr, et ses projets sur le site d’
Imouraren;