jeudi 18 décembre 2014

Libye : Idriss Déby accuse

idriss deby
Le 17 décembre 2014
Ces propos peu diplomatiques ont fait faire la grimace aux représentants de la France présents au Forum.
C’est un assez joli pavé qu’Idriss Déby, président de la République du Tchad, a jeté dans la mare consensuelle du premier Forum international pour la paix et la sécurité en Afrique, réuni à Dakar au début de la semaine.
Le parcours et la personne de M. Déby ne sont certes pas irréprochables. Longtemps compagnon de route du sinistre Hissène Habré, aujourd’hui réfugié au Sénégal et toujours sous la menace d’une éventuelle comparution devant la Cour de justice internationale, Idriss Déby fut de ceux qui, avec le soutien de la Libye de Kadhafi, renversèrent Goukouni Oueddei et mirent la main sur le pays en 1980. Dix ans plus tard, c’est avec l’aide de la France et de la Libye que Déby, après avoir échappé de justesse aux tueurs de Habré, détrôna et remplaça son parrain. Il y a maintenant près de vingt-cinq ans qu’il gouverne le Tchad d’une main de fer, et ce n’est que grâce à l’intervention militaire de la France qui, par deux fois, lui a sauvé la mise et mis en déroute les rebelles, comme lui venus de Libye et comme lui armés et télécommandés par Kadhafi, qu’il règne toujours sur N’Djamena.
Tel quel, Idriss Déby est en première ligne, à nos côtés, dans la guerre qui oppose les gouvernements des pays du Sahel aux différents groupes djihadistes qui ont bien failli instituer un État islamique au Mali il y a près de deux ans, et l’armée tchadienne est la seule force africaine sur laquelle peuvent compter et s’appuyer nos soldats dans ce pays.
C’est donc en homme qui connaît le terrain et le sujet que le président tchadien, devant ses collègues sénégalais, mauritanien, malien, et en présence de notre ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, a dénoncé sans prendre de gants la responsabilité occidentale dans la déstabilisation de la Libye et du Sahel. « C’est l’intervention de l’OTAN et la chute de Kadhafi, a-t-il rappelé, qui sont à l’origine du chaos qui a gagné toute la région. La Libye est devenue l’arsenal où se sont approvisionnés et armés tous les groupes salafistes que nous combattons. L’OTAN a assuré le dépannage mais pas le service après-vente. Or, elle dispose seule des moyens qui lui permettraient de finir le travail. C’est ce que nous attendons d’elle. »
Ces propos peu diplomatiques, mais néanmoins irréfutables et applaudis par le public africain, ont fait faire la grimace aux représentants de la France présents au Forum. Mais ce n’était rien à côté de ce qui suivait.« L’intervention de la France et de la Grande-Bretagne, a déclaré le président Déby, avait pour seule raison d’être et pour seul but d’assassiner Kadhafi ». 
Ainsi, à en croire une des personnes les mieux informées sur ce glorieux épisode dont les protagonistes ont depuis quelque temps cessé de se vanter, ce ne serait pas seulement par pure humanité, dans le louable souci de sauver Benghazi et sa population rebelle, ni même pour les beaux yeux de Bernard-Henri Lévy que M. Sarkozy et M. Cameron se seraient ingérés dans l’urgence et par la force dans la guerre civile libyenne.
Connaîtrons-nous un jour la vérité sur cette affaire, si compromettante qu’elle puisse être pour tous ceux, de tous bords et de tous pays, qui y ont été mêlés ? Les paroles de M. Déby sont comme un éclair dans les profondes ténèbres qui entourent à ce jour l’origine, le déroulement, l’issue de l’opération franco-britannique et les circonstances troublantes de la mort de Kadhafi.
http://www.bvoltaire.fr/dominiquejamet/libye-idriss-deby-accuse,146406
18/12/2014 à 08:36
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Nigeria: 32 personnes tuées, des dizaines enlevées par Boko HaramNigeria: 32 personnes tuées, des dizaines enlevées par Boko Haram© AFP
Des membres présumés du groupe islamiste Boko Haram ont tué 32 personnes et en ont enlevé plusieurs dizaines d'autres, dont de nombreuses femmes, dans l'attaque d'un village du nord-est du Nigeria, ont déclaré jeudi un témoin et deux responsables locaux.
Selon les responsables, qui ont requis l'anonymat, on ignore, pour l'instant, combien d'habitants du village de Gumsuri ont été enlevés lors de l'assaut qui s'est déroulé dimanche. Mais ce nombre pourrait dépasser la centaine et comprend des femmes et des enfants.
"Après avoir tué nos jeunes, les insurgés ont emmené nos femmes et nos filles", a dit un habitant, Mukhtar Buba, qui a fui Gumsuri pour se réfugier dans la capitale de l'Etat de Borno, Maiduguri.
Les informations sur cette attaque ont mis quatre jours à émerger, à cause notamment de l'absence quasi-totale de réseau de téléphonie mobile et des routes en mauvais état dans cette région, située à environ 70 km au sud de Maiduguri, fief historique de Boko Haram qui poursuit depuis cinq ans une insurrection meurtrière.
Gumsuri se trouve sur la route qui mène à Chibok, la ville où le groupe a enlevé plus de 200 lycéennes en avril dernier.
Selon un des responsables locaux, le village bénéficie de la protection d'une milice privée anti-islamiste relativement efficace, mais celle-ci a été dépassée par l'attaque de dimanche.
"Depuis un an, les insurgés ont tenté plusieurs fois d'attaquer Gumsuri mais les jeunes du village leur ont résisté", a-t-il déclaré à l'AFP.
Malgré leurs faibles moyens logistiques, les Civilian JTF, ces jeunes réunis au sein de milices pour combattre les islamistes, semblent s'être substitués à l'armée dans plusieurs zones du nord-est, où les attaques de Boko Haram sont quasi quotidiennes.
17/12/2014 à 22:37
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Nigeria: 54 militaires condamnés à mort pour mutinerieNigeria: 54 militaires condamnés à mort pour mutinerie © AFP
Une cour martiale nigériane a condamné à mort, mercredi, 54 soldats accusés de mutinerie pour avoir refusé de participer à une opération contre les islamistes de Boko Haram dans le nord-est du pays, a indiqué leur avocat.
"Ils en ont condamné 54 à mort et acquitté cinq", selon l'avocat des droits de l'homme, Femi Falana, à l'annonce du verdict de ce procès qui a débuté le 15 octobre à huis-clos.
Les responsables militaires n'étaient pas immédiatement disponibles pour commenter mais le verdict a été largement repris dans les médias nigérians.
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Le Mali entre changement et néant

Thomas Cantaloube, journaliste à Mediapart
Le Mali reste un pays sous tutelle où le renouveau politique tant espéré n’a pas encore eu lieu. Il symbolise aussi l’échec d’une vision française très militaire et peu politique
Bamako demeure cette capitale africaine plongée dans la torpeur. La guerre ? Le terrorisme ? Les séparatistes touareg ? Tout cela semble bien loin, là-haut, tout au nord du Mali. Un autre pays, presque. Et les promesses de changement après la prise de contrôle d’une partie du territoire national par des groupes djihadistes en 2012 et l’intervention de l’armée française en janvier 2013 ? Qu’en est-il de ce « Plus jamais comme avant ! » scandé par la classe politique malienne, de sa volonté affichée de reconstruire un pays plus responsable, moins corrompu et à l’écoute des désirs de ses concitoyens ?
Un drapeau malien

Il y a un an et demi, nous publiions dans Mediapart une série d’articles intitulée « Le Mali à reconstruire », puisque le sentiment unanime des élites locales et de leurs partenaires internationaux était que, derrière une façade avenante, le pays s’était effondré, tel un immeuble dont ne resteraient que les murs extérieurs. Tout le monde semblait d’accord : il fallait réformer de fond en comble les institutions, renouveler les dirigeants, re-tisser un lien de confiance avec les populations. Tous nos interlocuteurs de l’époque – intellectuels, élus, diplomates, militants de la société civile – faisaient ce même constat et semblaient optimistes quant à l’alerte qu’avait représentée la crise de 2012-13. Même si personne n’avait repris l’expression mot à mot, tous semblaient convaincus par la maxime de l’ancien conseiller de Barack Obama et actuel maire de Chicago, Rahm Emanuel : « Il ne faut jamais gâcher les opportunités d’une bonne crise. Elle doit permettre de faire des choses jugées impossibles auparavant. »
Un an et demi plus tard, nous sommes donc retournés à Bamako afin d’évaluer la situation politique du Mali. Et la meilleure réponse qui nous a été apportée, celle d’un conseiller malien d’une grande ambassade étrangère, est un condensé d’ironie : « Ça change dans l’immobilisme ! » Autrement dit, et quasiment tout le monde au Mali s’accorde sur ce point, les choses n’ont pas vraiment évolué malgré l’élection d’un nouveau président, malgré la forte présence de la communauté internationale sur place, malgré l’intérêt de la France à capitaliser sur une «success story» malienne.
Que s’est-il donc passé pour que ces promesses de renouveau s’éteignent aussi rapidement, et qu’est-ce que cela dit, en creux, de la politique étrangère interventionniste de François Hollande ?
La crise malienne de 2012-2013 a des causes multiples, proches et lointaines, mais il est clair qu’elle a provoqué l’effondrement d’un régime présidé par Amadou Toumani Touré (ATT) que tout le monde jugeait pourtant solide. Et comme le pays s’apprêtait à tenir des élections qui ont été interrompues par le coup d’État du capitaine Sanogo et l’occupation du Nord, il a été décidé très vite après l’intervention militaire française de début 2013 qu’une élection présidentielle devait se dérouler rapidement. Cette décision était celle de François Hollande et, malgré les nombreux avertissements de ceux qui plaidaient pour la repousser afin de laisser le temps à de nouvelles figures et de nouvelles pratiques politiques d’émerger, elles ont eu lieu en août 2013. Et elles ont produit le résultat escompté : médiocre.
« Au pays des aveugles, les borgnes sont rois. » Voici comment un universitaire malien décrit le président élu en 2013 Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Vétéran de la politique malienne, ce dernier était à mi-chemin entre deux positions : vieux crocodile du système (il a été premier ministre dans les années 1990) et opposant résolu au président sorti en 2012, ATT. Dans une situation d’urgence, il s’est révélé le candidat idoine, à la fois auprès de ses concitoyens, qui ont cru dans son discours de fermeté, que des grandes puissances, dont la France qu’il a courtisée. À cela, il convient d’ajouter deux autres éléments. Le premier, comme le souligne le politologue Mahamadou Diawara, est que « faire de la politique coûte de l’argent au Mali. Or seule la vieille génération, celle de l’arrivée de la démocratie en 1991, en a les moyens car elle occupe le pouvoir depuis deux décennies». Deuxième élément : IBK est un ancien président de l’Internationale socialiste qui a cultivé pendant des années ses liens avec le parti socialiste français, notamment en venant à plusieurs reprises à la Fondation Jean Jaurès.
«En fait, IBK est fragile et il y a des décisions qu’il ne peut pas prendre»
Ibrahim Boubacar Keïta est donc devenu président du Mali sous les applaudissements de 26 chefs d’État qui avaient fait le déplacement pour sa cérémonie d’investiture, dont François Hollande bien sûr. « Tout le monde s’est empressé d’oublier qu’il faisait partie du groupe des « putschistes honteux », de ceux qui ont condamné du bout des lèvres le coup d’État de 2012 tout en fricotant avec la junte de Sanogo », ainsi que le rappelle l’opposant Tiébilé Dramé, candidat au premier tour en 2013 qui a finalement renoncé, estimant que les conditions pour la tenue des élections n’étaient pas réunies, et qui ajoute : « On a oublié ses casseroles et le fait qu’il était porté sur le luxe et le lucre. » De facto, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que deux scandales n’éclatent, qui renvoient aux vieilles pratiques néfastes que les Maliens semblaient vouloir oublier. Le premier concerne plusieurs contrats passés par le ministère de la défense avec des surfacturations à hauteur de 30 milliards de francs CFA (45 millions d’euros). Le second a trait à l’achat d’un nouvel avion présidentiel, un Boeing 737 pour 30 millions d’euros, dont une partie de la facture comprend une commission versée à Michel Tomi, « truand corsogabonais », incarnation de la Françafrique, possesseur de la seule licence de casino à Bamako et grand ami d’IBK…
Le seul aspect positif de ces deux affaires est qu’elles ont été révélées par un Fonds monétaire international (FMI) courroucé, ce qui a conduit à la suspension (temporaire) des prêts du FMI et de la Banque mondiale et à des demandes d’explications. « Le FMI joue le rôle d’une opposition, voire d’une société civile en demandant des comptes au gouvernement », estime l’anthropologue Birama Diakon. C’est à la fois heureux et pathétique que cela se déroule ainsi, soulignant la faiblesse des élites maliennes en même temps que la mise sous tutelle du pays par la communauté internationale.
« On pensait qu’IBK était un homme de poigne », poursuit Birama Diakon. « En fait, il est fragile et il y a des décisions qu’il ne peut pas prendre. Échapper à la corruption au Mali est extrêmement difficile. La pression des réseaux clientélistes est tellement forte qu’on subit une pression permanente, qu’il s’agisse de faire soigner son fils à l’hôpital ou d’avoir une promotion. » Le slogan de la campagne présidentielle d’IBK était « Le Mali d’abord ». Aujourd’hui, pour ses critiques, c’est « la famille d’abord ». Non seulement il a nommé des parents à des postes officiels hauts placés, mais le ministre de la défense, qui a démissionné suite aux accusations de surfacturation, était l’un de ses proches, tout comme Michel Tomi dans l’affaire du Boeing.
Dans les rues encombrées de Bamako, un changeur de monnaie résume le mandat d’IBK à sa manière : « Le gouvernement a mangé nos sous ! » Comme de nombreux Maliens, il faisait partie de ceux qui avaient modérément soutenu le coup d’État du capitaine Sanogo en 2012 parce qu’il représentait un coup de pied dans la fourmilière qui semblait salutaire à toute cette génération de jeunes étudiants et jeunes chômeurs sans perspective. Il avait ensuite changé d’avis quand son frère, un militaire, lui avait racontéla réalité du pouvoir de Sanogo, qui n’était que la dernière incarnation d’un opportuniste désireux de se nourrir sur le bête, c’est-à-dire l’État, ou ce qu’il en restait.
Depuis plus de vingt ans, une même génération, celle qui est descendue dans la rue en 1991 pour sortir le dictateur Moussa Traoré, a monopolisé le pouvoir et ses prébendes. IBK en fait partie et, d’une certaine manière, il perpétue cet état de déliquescence qui éloigne les Maliens de leur gouvernement, celui qui « mange nos sous ».
Pourtant, selon Moumouni Soumano, le directeur du Centre malien pour le dialogue inter-partis et la démocratie (CMDID), « IBK a toutes les cartes en main pour changer. C’est une des premières fois où des affaires de corruption provoquent un tel tapage, et il s’est engagé sur les questions de corruption comme aucun de ces prédécesseurs ne l’avait fait. Il y a également un paradoxe, car ces gros scandales surviennent alors que le premier ministre est issu d’une nouvelle génération ». C’est en effet l’un des aspects positifs de la présidence d’IBK : il a su promouvoir des jeunes politiciens, dont le premier ministre Moussa Mara, qui ont fait de la « bonne gouvernance », leur principal combat politique. Ce dernier, par exemple, avait publié une déclaration d’intérêt quand il était maire d’un quartier de Bamako. « Il essaie d’être transparent », approuve Moumouni Soumano.
«Le Mali ne fait pas la guerre, c’est la France et la Minusma qui s’en chargent»
Parmi les recrues qui tentent d’incarner un autre Mali, on trouve également Ousmane Sy, le ministre de la décentralisation et de la ville, un spécialiste du développement qui a surtout travaillé en dehors des frontières du pays. Pour lui, « nous ne vivons pas une crise de la nation, au sens où, malgré leurs différences, tous les Maliens veulent continuer à vivre ensemble. Nous vivons une crise de l’État. Il faut parvenir à faire de l’État quelque chose que l’on ne combat pas tous les jours. Dans la conscience des Maliens, prendre de l’argent à l’État pour le donner à sa communauté ou à sa famille n’est pas perçu comme de la corruption, c’est même valorisant ! C’est cela qu’il faut réformer ».
Ousmane Sy fait partie des membres du gouvernement qui se rendent régulièrement à Alger pour mener les négociations avec les rebelles armés du Nord. Ces discussions sont jugées cruciales pour ramener une paix durable dans l’ensemble du Mali, mais elles semblent patiner. Contrairement à ce qui avait été décidé lors de la signature des accords de Ouagadougou en juin 2013 entre le gouvernement malien et les groupes armés touareg, ces derniers n’ont pas été cantonnés. Ils constituent donc une force indépendante dans le Nord qui tient l’État malien à distance – on l’a vu en juin 2014 lorsqu’ils ont attaqué la délégation du premier ministre venu à Kidal. Ce qui fait dire à beaucoup de Maliens que Bamako n’est pas souverain sur l’ensemble de son territoire.
Le ministre Ousmane Sy est optimiste sur l’issue des négociations : « Quand nous nous retrouvons autour de la table, nous sommes tous maliens. Ce sont des gens qui ont travaillé côte à côte et qui font parfois partie de la même famille ou de la même tribu qui se font face. Le processus risque d’être long, mais il aboutira. » D’autres sont plus sceptiques : « C’est un jeu politique déconnecté des réalités », estime le chercheur français Charles Grémont, spécialiste du Sahel. « Il y a une coupure entre ce que les gens vivent sur place, qui vivent en quasi-autarcie, et les discussions qui manient de grands mots derrière lesquels personne ne met la même chose : autonomie, fédéralisme, décentralisation… » Mais comme tout le monde a intérêt à un accord, en particulier la France et l’Algérie, il devrait y en avoir un, sans doute au premier trimestre 2015.
« Il y a tout de même un angle mort », avertit Charles Grémont. « C’est la question d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et des autres mouvements djihadistes, qui continuent d’occuper le terrain. » Dans le contexte actuel, et même si des émissaires de ces groupes discutent à Alger, on les voit mal déposer les armes. «Le Mali n’est pas une île. La crise est enracinée chez nous, mais elle est de plus grande envergure », assène Ousmane Sy. C’est une évidence qui pèse désormais sur le Mali.
Si le pays a toujours été appuyé, comme des dizaines d’autres, par des aides financières et techniques internationales, il est difficile de ne pas le percevoir aujourd’hui comme un pays sous tutelle. Comme évoqué précédemment, ce sont le FMI et la Banque mondiale qui jouent à la fois les rôles de financiers et de contrôleurs de dépenses. L’ONU, qui a pris possession du grand hôtel de luxe du centre-ville de la capitale, s’occupe de la sécurité, de l’aide humanitaire et de « l’appui au dialogue national » dans le pays (opération Minusma). L’Union européenne entraîne l’armée malienne sous l’égide de l’opération EUTM. Et les Français sont plus distants depuis que l’opération Serval s’est transformée en mission Barkhane, mais ils gèrent de facto le contrôle des frontières et la lutte contre les djihadistes dans l’extrême nord du pays.
« Le Mali ne fait pas la guerre, c’est la France et la Minusma qui s’en chargent », déplore le politologue Mahamadou Diawara. « De surcroît, la Minusma joue un rôle d’interposition entre les groupes rebelles du Nord et l’armée malienne. Il y a un black-out total sur la ville de Kidal : le reste du Mali n’a aucune information sur ce qui s’y passe. » Dans ces conditions, difficile pour les Maliens de ne pas éprouver un ressentiment à l’égard de la communauté internationale. Et l’on voit mal comment il pourrait y avoir une « désescalade » de cette présence dans un avenir proche. D’autant que lorsque Hervé Ladsous, le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, est passé par Bamako en octobre dernier suite à la mort de neuf casques bleus nigériens, il n’a pas mâché ses mots en expliquant : « Nous ne sommes plus dans une situation de maintien de la paix, mais dans une guerre asymétrique. Les djihadistes ont repris du poil de la bête. »
Une analyse qui contredit les prises de position publiques de la France, en particulier celles du président et du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian qui avaient imprudemment laissé entendre début 2013 que l’intervention tricolore serait de courte durée. Aujourd’hui encore, un proche conseiller de Hollande assure : « J’ai beaucoup d’estime pour Hervé Ladsous, mais je pense qu’il se trompe. » Paris ne veut effectivement pas entendre parler du Mali comme d’un État failli qu’il faudrait porter à bout de bras pendant des années, à la manière de l’Afghanistan, de l’Irak ou de la Somalie, même si ce sont l’ONU et les autres institutions internationales qui s’en chargent.
«Les élections ne font pas la démocratie ni la stabilité »
« Il est évident que la France souhaite se retirer au plus vite et qu’elle entend le faire dans les meilleures conditions. Elle veut une « success story »», affirme Tiébilé Dramé. « C’est pour cela qu’elle a voulu des élections rapides, quitte à soutenir un candidat sans idée, qu’elle souhaite un accord politique avec les groupes rebelles dans le cadre des négociations d’Alger, et que l’opération Barkhane a pris une dimension régionale, laissant la Minusma se colleter la sécurité dans le pays », poursuit un diplomate européen en poste à Bamako. « S’éterniser, c’est prendre des coups. La stratégie de Barkhane est régionale et la France ne s’occupe pas des problèmes domestiques », confirme le journaliste malien Souleymane Drabo, qui dirige le journal gouvernemental L’Essor.
            Mais la France peut-elle s’extraire aussi aisément ?
Depuis 2012 et l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, celui-ci a lancé deux opérations militaires françaises (Mali et Centrafrique), il participe à une troisième, exclusivement aérienne, contre l’État islamique en Irak, et il s’était préparé à une autre qui n’a pas eu lieu quand Barack Obama a reculé (Syrie). Cela fait beaucoup en peu de temps. D’autant plus qu’à chaque fois, si le volet militaire est bien exécuté et remplit ses objectifs, le volet politique semble quasiment absent.
« Les élections ne font pas la démocratie ni la stabilité. » Cette maxime a été apprise sur le terrain par les États-Unis sous George W. Bush, qui pensaient pouvoir intervenir, organiser des élections, soutenir un candidat modéré, dispenser un peu d’aide, faire intervenir l’ONU, et se retirer au bout de quelques mois en se frottant les mains avec le sentiment du devoir accompli. Il n’en a rien été.
L’Irak est aujourd’hui un pays fracturé qui a donné naissance à un nouvel épouvantail terroriste. Quant à l’Afghanistan, personne n’imagine sérieusement que le pays va rester stable longtemps, à moins d’un accord avec les anciens ennemis talibans.
Le Mali aujourd’hui n’est pas encore dans cette situation. Mais comment concilier le discours du «tout va bien, il ne faut pas s’inquiéter, le Mali évolue dans la bonne direction» qui vient de l’exécutif français, avec d’une part les morts de la Minusma (quarante-trois) et l’accroissement du dispositif Barkhane (actuellement 3 000 soldats mais les gradés en réclament davantage), et d’autre part l’inertie des élites maliennes ?
« La France est comme le reste de la communauté internationale : elle a besoin de stabilité pour se concentrer sur son agenda qui est la lutte contre le terrorisme et le narcotrafic », analyse un conseiller malien d’une ambassade occidentale. « Mais dans l’esprit des dirigeants ccidentaux, la stabilité, cela signifie juste moins de violence et des communautés qui restent tranquilles, pour pouvoir se retirer rapidement. C’est antinomique avec une politique de paix sur le long terme. »
Soucieux de ne pas apparaître comme un nouvel avatar du colonialisme façon IIIe et IVe République, ni comme un continuateur de la Françafrique gaullomitterrandiste, François Hollande affecte de penser que la France a accompli sa mission au Mali et qu’elle peut maintenant se retirer. Le « state building » demeure évidemment un gros mot dans le champ politique français. Mais le laisser-faire est tout aussi dévastateur. Laisser croire qu’une intervention militaire suivie d’une rapide élection peut remettre sur pied un pays est une dangereuse illusion.
Presque deux ans après le déclenchement de l’opération Serval, la situation profonde du Mali (c‘est-à-dire son clivage Nord-Sud, la nonchalance de ses élites, l’incompétence de ses forces armées) n’a pas changé. Le pays est désormais sous tutelle multinationale et dépossédé de certaines de ses attributions régaliennes (la sécurisation de ses frontières par exemple), mais cette immixtion étrangère semble moins se soucier des intérêts des Maliens que des siens propres. Faire croire le contraire revient à travestir la réalité.
« Pendant dix ans, ce sont les médiocres qui nous ont dirigés. Aujourd’hui, ce sont les bandits qui font la promotion des médiocres. On va avoir du mal à s’en sortir… », avance Houmou Traoré, une restauratrice qui tente de faire exister son établissement selon des critères de qualité des produits. S’il faut se méfier de la sagesse populaire telle qu’on la rencontre dans les « maquis » africains, elle révèle néanmoins l’état d’esprit d’une population malienne qui est fatiguée de se sentir ballottée et si peu maîtresse de son destin.
http://www.mediapart.fr/journal/international/071214/le-mali-entre-changement-et-neant

Contre le terrorisme, l’Afrique entraînée dans une surenchère sécuritaire

Le Monde.fr |  Nathalie Guibert (Dakar, envoyée spéciale)
Aborder les défis sécuritaires de l’Afrique, c’est approcher deux brasiers : l’anarchie qui règne en Libye, et le califat de Boko Haram, enraciné entre le Nigeria, le Niger, le Cameroun et le Tchad. Durant deux jours, à Dakar, le terrorisme a dominé, lundi 15 et mardi 16 décembre, les échanges du premier Forum international pour la paix et la sécurité, une réunion informelle issue d’une initiative franco-sénégalaise.
A Benghazi, le 30 octobre 2014, après des combats entre les forces de sécurité libyennes et des terroristes islamistes.
Le tableau général est plus sombre que jamais. « La situation au Sahel n’a cessé de se détériorer ces derniers mois du fait de la sécheresse, de la pauvreté, de la fragilisation des régimes politiques, des trafics et de l’afflux d’armes venues de Libye », résume Hiroute Gebre Sélassié, envoyée spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la région.
Un autre expert onusien précise : « Les groupes armés, d’Ansar Al-Charia à Al-Mourabitoun en passant par les Chabab, disent que leur activité s’étend de l’Atlantique jusqu’à la mer Rouge. Ils ont acquis des capacités de mener des guerres conventionnelles. Ils déploient les mêmes stratégies et les mêmes modus operandi, dans un mouvement d’auto-émulation. » De mai à novembre 2013, a indiqué cet expert, 342 « incidents terroristes » recensés par l’ONU ont tué 3 398 personnes en Afrique, dont 2 400 en Afrique du Nord et au Sahel.

« L’Etat islamique recrute aussi des administrateurs »

D’un point de vue militaire, « on est en retard d’une règle pour appréhender ces groupes, estime un haut responsable opérationnel français. Nous sommes face à des entités qui passent d’une action déstabilisatrice, du faible au fort, à la tentation de devenir des puissances. L’Etat islamique recrute aujourd’hui aussi des administrateurs. Un de leurs objectifs est d’acquérir de nouvelles capacités militaires. » Pour ce gradé, les actions sur les causes – l’éducation, le social – ne sont pas à portée. « Nous ne sommes pas sortis de la logique militaire », dit-il.
L’écho de l’Etat islamique (EI) inquiète jusqu’en Afrique de l’Ouest, même si, estiment les services de renseignement, les connexions concrètes n’existent pas encore. EI possède un agenda régional prioritaire en Irak et en Syrie, pour l’heure. Mais « la Libye est en train de cacher une union terroriste considérable derrière la guerre des clans », estime un officiel français, en mentionnant l’implantation de l’EI dans la ville de Derna, au nord de la Libye, une présence relativisée par d’autres sources sécuritaires.
Dans le Sud libyen, les groupes armés djihadistes et leurs chefs se replient, s’approvisionnent. « Tant qu’on n’aura pas résolu le problème du Sud libyen, il n’y aura pas de paix dans nos régions », abonde Ibrahim Boubakar Keita, le président malien.« La source est là-bas », dit-il en évoquant l’arsenal qui circule depuis la chute de Kadhafi. « Pour un convoi d’armes arrêté », comme l’a fait récemment savoir la force française « Barkhane » à la frontière du Niger, « combien ont pu passer sans qu’on le sache ? ». Le président tchadien Idriss Déby a interpellé les Occidentaux : « La solution est entre les mains de l’OTAN qui a créé le désordre » en intervenant contre Kadhafi en 2011, a-t-il lancé en clôture du Forum mardi.
Côté français, après les appels répétés de M. Le Drian à la vigilance, on assure qu’« il n’y a pas d’option » sur la table pour une intervention militaire en Libye. Ce qui peut signifier que les services préparent « toutes les options », dans l’attente d’une décision présidentielle éventuelle : des plus secrètes aux plus ambitieuses, associant des partenaires africains et occidentaux. « Le problème est que si on intervient dans le Sud libyen, la première zone de fuite des groupes armés sera l’Algérie… qui n’a pas envie de voir remonter les méchants », indique une source gouvernementale. Cible prioritaire des militaires français et américains, Mokhtar Belmokhtar, l’auteur de l’attentat spectaculaire du site gazier d’In Amenas (Algérie), aujourd’hui plutôt en perte de visibilité, « est en Libye, on l’a vu à Benghazi, rappelle cette source. Mais on n’a pas de moyens d’intervenir. S’il franchit la passe de Salvador, en revanche, on sera ravis de l’accueillir ».

Nécessité d’unir ses efforts

Pour les pays de la région, l’autre grande préoccupation est Boko Haram. La déliquescence du Nigeria inquiète. La France a néanmoins annoncé à Dakar la mise en place d’un « comité de liaison militaire » avec les quatre pays concernés. Des officiers camerounais, tchadiens, nigérians et nigériens seront présents dans l’état-major de la force « Barkhane ». Objectif : partager du renseignement.
Paris résume sous deux slogans les réactions à bâtir : « Renforcement des capacités africaines » et « Appropriation par l’Afrique de ses propres enjeux de sécurité ». Les experts et chefs de gouvernement présents à Dakar ont tous souligné la nécessité d’unir les efforts.
Mais, de l’Union européenne à l’Union africaine (UA), de l’aide au développement aux opérations militaires, les rivalités politiques et la dispersion dominent. L’on recense pas moins d’une quinzaine de « stratégies Sahel ». Pour quel résultat ? « Au Mali, on verse de l’eau dans le sable, il n’y a aucune volonté des autorités », peste un officiel. Il faut« éviter la multiplication des initiatives », plaide de son côté l’Algérien Smaïl Chergui, commissaire pour la paix et la sécurité de l’Union africaine. Alger, qui a pris seule la direction de la négociation entre les groupes armés touaregs et Bamako, n’a dépêché aucun responsable gouvernemental au Forum.
Dans l’immédiat, chacun tente de colmater les brèches, par tous moyens. Les militaires insistent sur le besoin de « couper les populations de ces groupes armés par des stratégies de contre-insurrection ». Onze Etats d’Afrique centrale ont décidé de mettre en œuvre des programmes contre la radicalisation. Le président tchadien appelle, lui, ses voisins à investir dans leur défense : « Il est important que tous les pays se dotent d’au moins deux ou trois unités opérationnelles. » L’UA assure que sa « capacité de réaction rapide sera sur pied en 2015 », 5 000 soldats mobilisables – mais la promesse de cette force africaine s’enlise depuis des années. Paris propose de changer les règles de l’OCDE qui interdisent de financer des équipements militaires au titre de la formation des armées africaines…

Projets hybrides originaux

Des projets hybrides originaux voient même le jour, ciblant les zones grises frontalières. Entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, dans un cercle de 500 km de rayon, la Direction de la coopération et de la sécurité de défense (DCSD, qui relève du ministère français des affaires étrangères) lance un programme qui relève autant des vieilles « psy ops » de l’armée que du développement durable. « L’idée est de fractionner les zones de trafic, explique l’amiral Marin Gillier, le DCSD. Nous allons commencer par recenser les besoins des populations, leurs peurs, leurs perceptions. Puis nous nous tournerons vers les gouvernements pour qu’ils développent des patrouilles ensemble, et qu’ils organisent les réponses judiciaires pour traiter les trafiquants. Enfin, nous développerons des microprojets dans les communautés pour qu’elles aient des ressources alternatives. » Un appel aux bailleurs internationaux est lancé.
« Nos efforts paient, assure M. Le Drian. Depuis un an, 200 djihadistes ont été neutralisés » par la force française. « “Barkhane” est un dispositif régional de contre-terrorisme inédit. Et dans un proche avenir, les opérations conjointes, à deux ou trois Etats, vont se développer au Sahel. »
Les Etats-Unis ont dépensé 800 millions de dollars (642 millions d’euros) dans les programmes d’aide à la sécurité en Afrique en 2014, a rappelé Amanda J. Dory, sous secrétaire d’Etat à la défense américaine, « et ces sommes sont en augmentation malgré la pression sur les budgets ». De son côté, l’Union européenne a investi 1,2 milliard d’euros dans les opérations de maintien de la paix en Afrique sur les dix dernières années, et 750 millions pour les seules années 2014-2016.
Mais, pour l’heure, la réaction sécuritaire l’emporte, au risque de l’escalade. « Faut-il se réjouir de la militarisation croissante de la région ? » s’interroge Gilles Yabi, expert de Wathi, un nouveau cercle de réflexion de l’Afrique de l’Ouest. Selon lui, « la militarisation a peut-être autant affaibli les Etats de la région que les groupes terroristes ».
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/12/17/contre-le-terrorisme-l-afrique-entrainee-dans-une-surenchere-securitaire-version-web_4542196_3212.html#eiSfKZwZVQfSLZAt.99


ETATS-UNISCUBAMERCOSURDIPLOMATIECRISTINA KIRCHNER

Le Mercosur se réjouit du rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba

mediaLe président bolivien Evo Morales et son homologue argentine Cristina Kirchner ont rendu hommage au pape François pour son rôle dans ce dégel entre Washington et La Havane.REUTERS/Enrique Marcarian
Attendu et réclamé depuis des décennies par l’ensemble de l’Amérique latine, le dégel des relations entre les Etats-Unis et Cuba a été accueilli avec joie par les présidents du Mercosur dont le sommet se tenait hier, mercredi, à Paraná en Argentine.
Avec notre correspondant à Buenos Aires,Jean-Louis Buchet
« Nous saluons avec respect la dignité du peuple et du gouvernement de Cuba qui ont atteint leurs objectifs en respectant leurs idéaux ». C’est en ces termes que Cristina Kirchner, hôte du sommet du Mercosur réuni à Paraná, a réagi à l’annonce du prochain rétablissement des relations diplomatiques entre Washington et La Havane.
La déclaration de la présidente argentine reflétait bien le sentiment de ses pairs sud-américains qui ont accueilli la nouvelle avec joie et satisfaction. Certains ont également salué la lucidité du président américain Barack Obama, décidé à tourner la page d’un embargo dénoncé depuis des décennies par l’ensemble des pays latino-américains.
L’annonce a éclipsé les résultats du sommet, bien maigres par ailleurs, puisque les cinq pays membres du Mercosur – Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela – ont repoussé l’adhésion de la Bolivie au mois de mars 2015.
Lors d’une conférence de presse finale, la présidente argentine et son homologue bolivien Evo Morales ont rendu hommage au pape François, qui a joué un rôle décisif dans le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba, et dont c’était le 78e anniversaire hier, mercredi.

Mouvement de solidarité en faveur de Kamel Daoud

Après les menaces de mort proférées par un salafiste

El Watan le 18.12.14
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 Couverture du livre de Kamel Daoud paru aux éditions Barzakh.<br /><br />
| © D. R.
Couverture du livre de Kamel Daoud paru aux éditions Barzakh.
Pétition, indignation et soutien. Personnalités publiques, partis politiques et citoyens dénoncent unanimement l’appel au meurtre lancé par l’imam salafiste Abdelfattah Hamadache contre le journaliste et écrivain Kamel Daoud. Des partis politiques et des organisations de défense des droits de l’homme ont apporté leur soutien à l’écrivain.
Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), «exprime son entière solidarité à Kamel Daoud et à toute l’élite intellectuelle et tient pour responsables les autorités contre toute atteinte à l’intégrité morale et physique d’un des membres de la corporation journalistique qui a payé un lourd tribut».Il considère que «le précédent est extrêmement grave et confirme la démission de l’Etat et de sa justice, incapables d’assurer la défense des citoyens contre les extrémismes et les injustices». L’ancien président du RCD, Saïd Sadi, qui indique que «le combat de Kamel Daoud nous concerne tous», a affiché sur sa page facebook que sa «solidarité à son endroit est à la fois un devoir envers un compatriote qui n’a jamais baissé la garde ni cédé à la démagogie ambiante et un engagement pour notre pays menacé par des dirigeants qui ont décidé de rejouer la scène morbide du chantage au péril intégriste pour préserver leur intérêts».
Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, a exprimé, sur son compte Twitter, son «soutien à Kamel Daoud après l’outrage de la fatwa qu’il vient de subir».Le mouvement Barakat a dénoncé de son côté cette «menace» contre une plume libre. «L’oligarchie aux affaires ne semble vouloir reculer devant aucune compromission ni trahison pour sauvegarder ses intérêts. Cet appel en est la preuve que le peuple Algérien est laissé à l’abandon», écrit le mouvement sur sa page facebook.
Dépôt de plainte
La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) exprime «ses préoccupations face à la montée de l’intolérance. Elle se solidarise avec Kamel Daoud et condamne toute violence sous quelle que forme qu’elle soit» et «réaffirme le droit a l’expression pour tout citoyen et rappelle l’obligation de l’Etat à assurer la sécurité et la protection des citoyens et leurs biens».
Sur facebook, des journalistes et militants des droits de l’homme ont lancé une pétition appelant les autorités à traduire devant la justice l’auteur de la fatwa. La pétition, signée par des milliers de personnes, appelle les ministres de la Justice et de l’Intérieur à «enclencher des poursuites contre ces appels au meurtre qui nous rappellent les pires moments de l’Algérie face au GIA». «Nous condamnons avec force les appels au meurtre public de Abdelfettah Hamadache, autoproclamé chef salafiste algérien», souligne le texte.
Les éditions Barzakh, qui éditent Kamel Daoud en Algérie, ont annoncé le dépôt d’une plainte devant un tribunal pour «incitation au meurtre». «C’est d’une gravité sans nom. Nous sommes totalement solidaire avec lui», écrit l’éditeur, qui demande «si la justice et l’état de droit existent encore en Algérie ou si la violence – morale, bientôt physique – est devenue la norme». Contacté, le journaliste a confirmé le dépôt d’une plainte auprès du tribunal d’Alger. Il se dit «serein» malgré la gravité de la situation. Côté officiel, aucune institution ne s’est encore prononcée sur le sujet. Et nos tentatives de joindre le ministère de la Justice ont été vaines. Ce large mouvement d’indignation n’a pas mis fin aux agissements de Abdelfattah Hamadache qui a poursuivi, hier encore, ses menaces à travers les chaînes de télévision et sites d’information. Il dit «assumer» ses propos et poursuit ses attaques contre l’écrivain.

Ennahar TV diffuse un appel au meurtre !

Croyant passer un sujet sur l’écrivain Kamel Daoud qui «se compromet contre l’arabe et l’islam», la chaîne de télévision Ennahar a diffusé, en direct, un appel à l’exécution de l’écrivain lancé par l’imam Hamadache. «J’ai lancé un appel aux autorités afin de (le) condamner à mort !», dit le salafiste dans un des journaux de cette chaîne, qui confond ainsi une position à un appel au meurtre. Et pour donner du crédit à cette thèse, la chaîne a fait parler l’écrivain Rachid Boudjedra, qui dénonce le comportement de Kamel Daoud. Ennahar TV ne donne bien sûr pas la parole à l’auteur de Meursault, contre-enquête !  (A. B.)

mercredi 17 décembre 2014

A
u moins, la pelouse est à nouveau tondue depuis la fin des combats à Tripoli. Pour le reste, le siège de la Compagnie nationale du pétrole (NOC), à l’image de la Libye, reste en jachère. Alors que se profile le 27 novembre, une importante réunion de l’organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), l’entreprise étatique ne sait toujours pas qui représentera le pays. Pendant que les jardiniers rafraîchissent le gazon, les cadres se terrent dans leur bureau. Le standardiste, combiné dans une main et café au lait dans l’autre, répond invariablement : «Il n’est pas joignable.» «Vous savez la situation est compliquée, donner un nom ce n’est pas possible», lâche un porte-parole au téléphone.
Depuis septembre, deux pouvoirs se font face : d’une part le «gouvernement de salut national», basé à Tripoli, soutenu par le groupe «Aube libyenne» et leurs alliés islamistes, et composé de révolutionnaires radicaux ; d’autre part le gouvernement installé dans l’est du pays, dans la ville de Tobrouk, et placé sous la protection de la Chambre des représentants, de tendance modérée. Cette dernière a été invalidée par la Cour suprême le 6 novembre… mais est toujours reconnue par l’ONU. Cette crise politique, qui déborde en affrontements militaires, paralyse la Libye depuis cet été. Y compris le marché pétrolier qui représente 90% du revenu du pays, selon un rapport du Bureau d’audit libyen de juin 2013. Les deux exécutifs rivaux s’accordent pour estimer la production actuelle d’or noir à environ 800 000 barils journaliers (993 000 en 2013). Très loin du nombre de 1,8 million visé par les experts au lendemain de la chute de Kadhafi en 2011.
Combats incessants. Sur le terrain, cette sous-production s’explique par des combats incessants pour la possession des champs pétroliers. Ainsi, le site d’al-Fil, géré en joint-venture par la NOC et l’Italien ENI, a été fermé début novembre après que des brigades de la ville de Misrata et de Touaregs - alliés au gouvernement de Tripoli - en ont pris le contrôle au détriment des Toubous et des Zintanis, principaux soutiens du gouvernement de Tobrouk. Avec une production de 130 000 barils par jour, al-Fil est la concession la plus importante du bassin de Mourzouk, situé dans le sud-ouest libyen.
Seuls les plateformes offshore n’ont pas connu de problèmes de production en Libye. Mais c’est à l’Est, dans la région de Cyrénaïque, que les gisements pétroliers sont les plus conséquents. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est là que s’est réfugiée la Chambre des représentants. L’assemblée, élue le 25 juin, garde la main sur les principales infrastructures. Elle devrait se réunir prochainement à Ras Lanouf où se trouve la principale raffinerie du pays. C’est l’un de fief du chef de milice Ibrahim Jedran, qui a été à l’origine d’un long blocage des sites pétroliers de l’est de la Libye entre l’été 2013 et le printemps 2014, et qui a pris fait et cause pour la Chambre des représentants. «Plutôt être enfermé avec Abdullah al-Senoussi [ancien chef du renseignement de Kadhafi, emprisonné à Tripoli, ndlr] que passer un marché avec Aube libyenne», déclare-t-il.
Manne. Le gouvernement de Omar al-Hassi à Tripoli ne se laisse pas faire pour autant. Les nouveaux maîtres de Tripoli ont annexé les ministères. Surtout, ils n’hésitent pas à déplacer leurs pick-up surmontés de mitrailleuses anti-aériennes pour montrer leur force. La compagnie étatique des télécommunications a été investie par une brigade quelques jours avant que le gouvernement de salut national ne décide de renforcer sa surveillance d’Internet. «Le risque qu’ils fassent de même avec la NOC et la Banque centrale n’est pas nul si jamais elles n’allaient pas dans leur sens», s’inquiète un haut fonctionnaire. Contrôler ces deux institutions, c’est s’assurer l’argent issu de la manne pétrolière aux deux bouts de la chaîne. Jusqu’à présent, les deux instances étaient restées neutres dans le conflit. La décision de la Cour suprême et ces intimidations pourraient changer la donne.
Les experts déplorent ce chaos alors que la situation mondiale ne joue pas en faveur de la Libye. «Tout le monde devrait avoir le même intérêt : celui d’obtenir une baisse de la production pour faire augmenter le prix du baril. Il s’agit de notre seule richesse. L’idéal serait que le prix revienne au moins autour de 100 dollars. Avec l’instabilité, les compagnies étrangères ne vont pas revenir avant longtemps pour réaliser de nouvelles explorations. Nous devons obtenir le maximum d’argent jusqu’à ce que la situation se pacifie», explique un ex-cadre de la NOC.
Désinvoltes. Samir Kamal, le représentant libyen auprès de l’Opep, suit le même raisonnement quand il demande aux pays membres de fixer un nouveau plafond de production à 29,5 millions barils par jour. Toutefois, le Libyen insiste : il ne parle au nom d’aucun gouvernement. Et pour cause, aucun ne veut abattre ses cartes avant l’autre. A Tobrouk, c’est silence officiel sur l’envoi d’un émissaire au siège de l’Opep, à Vienne. A Tripoli, le gouvernement joue les (faux) désinvoltes : «Le mieux c’est que le responsable de la NOC [Moustafa Sanallah] et notre ministre du Pétrole [Mashallah al-Zawi] soient présents. Mais la réunion est dans une semaine, on a le temps…»
Mathieu GALTIER De notre correspondant à Tripoli
Liberation.fr