Lémine Ould Mohamed Salem, invité Afrique du jour est l'auteur du livre
« Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar ». La tête du jihadiste, traqué par l'armée française, est mise à prix pour 23 millions de dollars par les Nord-Américains. Mais que sait-on de Mokhtar
Belmokhtar, ce chef jihadiste qui a organisé la prise d'otages géante d'In Aménas en 2013 ? Celui qui a contribué à la création d'al-Qaïda au Maghreb islamique avant de fonder le groupe al-Mourabitoune est aujourd'hui introuvable. Le journaliste Lémine Ould Mohamed Salem est parti sur ses traces dans toute la région sahélienne. Il est notamment resté deux mois dans le Nord-Mali pendant l’occupation jihadiste. Propos recueillis par Anthony Lattier.
«Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar» publié aux éditions de La Martinière, est sorti le 16 octobre 2014.
RFI : Bonjour Lémine Ould Mohamed Salem. Vous retracez le parcours de Mokhtar Belmokhtar dans ce livre. D’abord d’où vient-il ?
Lémine Ould Mohamed Salem : Mokhtar Belmokhtar est un citoyen algérien, né le 1er juin 1972 à Ghardaïa, une oasis du sud algérien. Ce n’est pas le fils d’une famille riche, ce n’est pas non plus le fils d’une famille pauvre. Son père était commerçant, tous ses frères et ses sœurs ont eu le Bac. Ils ont poursuivi des études supérieures sauf lui. Mais par contre, c’est un homme qui a toujours été très pieux, ce qui n’est pas une mauvaise chose dans des sociétés sahariennes. C’est plutôt un très bon signe.
Donc Belmokhtar a toujours été très intéressé par la religion. Quand il était adolescent c’était le début de la guerre en Afghanistan, notamment suite à l’invasion soviétique en 1979. Il s’intéressait beaucoup notamment aux jihadistes arabes qui sont partis rejoindre les moudjahiddines, c'est-à-dire les islamistes armés afghans. Et il était fasciné par un certain nombre d’entre eux, notamment le cheick Azzam qui est le théoricien du jihad moderne. La mort d'
Abdallah Azzam va le marquer au point qu’il décide lui-même de partir en Afghanistan pour participer aux combats. Il n’y est pas resté très longtemps, mais ce qui est sûr c’est qu’il a participé à quelques combats sur deux ou trois fronts et il a surtout rencontré certaines très grandes figures de ce qui deviendra plus tard le jihad mondial.
Lui qui est souvent présenté comme un trafiquant a donc aussi une base idéologique ?
Cette idée de trafiquant, je m’y suis beaucoup intéressé personnellement et je n’ai pas trouvé de traces qui me paraissent personnellement crédibles. J’ai beaucoup lu dans la presse ces rumeurs selon lesquelles monsieur Belmokhtar est un trafiquant de cigarettes, de drogue, ainsi de suite.
Ce n’est donc pas vrai ?
Ce n’est pas ma conviction personnelle. Ma conviction personnelle est que Belmokhtar est un jihadiste convaincu qui est persuadé d’avoir raison. Pour emprunter une expression ou un mot un peu plus simple, il faut plutôt le considérer comme étant un jihadiste fanatique.
Mais alors d’où lui vient l’argent qui finance ses actions ?
Lors de la première prise d’otages massive d’Occidentaux dans le sud algérien au début des années 2000, Belmokhtar et ses amis avaient réussi à cette époque-là à obtenir une très importante rançon de 5 millions d’euros. Et sans doute ils ont combiné ces rançons-là avec certainement certains trafics, notamment le trafic de denrées de première nécessité, le carburant aussi, qui coûte à peu près 10 centimes d’euros en Algérie, mais qui peut coûter dix fois plus dans n’importe quel pays de la région !
Il réussit à s’implanter au Nord-Mali, notamment grâce à son mariage. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Belmokhtar, au début des années 2000, finit par choisir de s’installer dans les environs d’un petit village arabe pas très loin de la frontière mauritanienne qui dépend de la circonscription administrative de Tombouctou qui s’appelle Erneb – c'est-à-dire le lièvre en arabe – habité par plusieurs clans tribaux d’arabes du nord du Mali et dont les Brabiches.
Il épouse la fille d’une famille de notables très influents. C’est la famille Hamaa. Et ce mariage va lui permettre non seulement un ancrage social dans le Sahara malien, mais va aussi lui servir à fructifier ses affaires en s’alliant financièrement avec sa belle-famille, mais à se donner aussi une protection tribale. Ce qui est quelque chose de très important dans le désert.
Une base de refuge aussi ?
Absolument ! Je pense que s’il ne bénéficiait pas de forte solidarités ni lui ni les autres n’auraient pu agir pendant très longtemps dans la région !
Où se trouve aujourd’hui Mokhtar Belmokhtar ? On parle du Sud libyen. Est-ce que vous avez des informations à ce sujet ?
Savoir exactement où se trouve aujourd’hui Belmokhtar c’est très difficile. Vu la présence massive aujourd’hui des troupes françaises et alliées dans le nord du Mali, ce qui est le plus logique à mon avis, c’est qu’il ait trouvé refuge chez ses amis libyens qui sont très nombreux et qui étaient très nombreux dans sa katiba. A moins qu’il ne se trouve au fameux Mont Chaambi en Tunisie, [où se développe] aujourd’hui une sorte de début de rébellion islamiste en Tunisie.
Peut-on aujourd’hui évaluer la force de frappe de son groupe d’Al-Morabitoune, un an et demi après le lancement de Serval, remplacé récemment par l’opération Barkhane ?
Belmokhtar est sans doute affaibli. Mais je ne pense pas qu’il ait perdu toute capacité de nuisance. Il est encore capable à mon avis de frapper. La grande question c’est : comment ? Où ? Quand ?
Je pense que c’est une question de temps. Si jamais l’[organisation de] Etat islamique parvient à consolider ses positions, à gagner du terrain, je vois très mal Belmokhtar ou les autres chefs d’al-Qaïda en Afrique ou dans la péninsule arabique, ne pas finir par soit prêter allégeance à l’Etat islamique, soit au moins s’en rapprocher. D’autant plus que le projet est le même.
« Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du djihadiste Mokhtar Belmokhtar » publié aux éditions de La Martinière, est sorti le 16 octobre 2014.