Aliou Hamadoun Yonfo, MAP, MA
La majorité des Etats-nation confrontés à des demandes formulées par les minorités nationales qu’elles soient ethniques, linguistiques ou culturelles ont choisi le fédéralisme pour éviter des souffrances inutiles à leurs populations, une sale guerre aux conséquences désastreuses. De même, plusieurs projets de nation building appuyés par la communauté internationale dans des situations post-crise reposent sur ce concept.
Le fédéralisme permet de tenir compte de nos différences pour négocier des espaces plus grands de liberté et d’action pour le bien de nos populations. Il est propice à la sauvegarde des droits fondamentaux de toutes les minorités à travers le Mali.
Le choix du fédéralisme est une tendance qui suit l’évolution du monde, car plus la mondialisation s’accentue, plus les communautés sentiront le besoin d’affirmer leur singularité, d’afficher leurs différences pour répondre aux aspirations de leurs membres. Il est indéniable que certains y verront une source de fragmentation, de division du Mali. Mais, pour peu qu’ils aient du bon sens, ils sauront qu’à travers celui-ci, nous pouvons tous appartenir à une même nation riche de sa diversité et basée sur une solidarité agissante, la recherche du compromis et du consensus, l’interdépendance et la coopération entre toutes les communautés culturelles.
C’est pourquoi, la solution de la crise actuelle que traverse le Mali devrait s’inscrire dans une logique de refondation nationale en vue de libérer toutes les énergies créatrices des régions. Il faut ramener le pouvoir décisionnel là ou il jouira de la légitimité et de la confiance des citoyens parce que responsable devant eux.
La consécration du pluralisme politico-institutionnel et juridique ne provoquera nullement la fragmentation ou la déconfiture de l’Etat, car elle tiendra compte des nos valeurs culturelles positives, de nos réalités, de nos expériences universalistes et des exigences d’un Etat moderne. C’est un défi pour nos juristes d’inventer une gouvernance de l’Etat qui soit source d’une véritable libération des communautés. Cela requiert a priori un examen de notre conscience collective, une lecture saine de l’histoire loin de toute vision monolithique nourrie par une utopie nationaliste.
La refondation, dont il s’agit, vise un approfondissement de la démocratie, une reconnaissance du pluralisme de nos sociétés, une décentralisation politique (plus profonde) dans une république fédérale. Une nouvelle forme de l’Etat qui nous permettra de renouer avec notre histoire, nos territoires et nos cultures longtemps bafouées par des tentatives d’uniformisation et d’homogénéisation entreprises depuis plus de cinquante ans.
En effet, un constat s’impose de nos jours: l’Etat-nation a échoué presque partout dans la quête d’un développement harmonieux, d’une justice sociale, d’une équité à l’égard de tous ses membres et d’une solidarité agissante envers ses maillons les plus fragiles en vue d’une plus grande inclusion sociale, d’une intégration de toutes ses composantes. A défaut d’être un facteur de paix de stabilité et de progrès pour tous, l’Etat-nation a failli particulièrement en Afrique subsaharienne pour devenir une source de désordre, de violence et d’anarchie ambiante.
Incapable d’assurer la sécurité des personnes et des biens et de surveiller ses frontières; il s’avère une préoccupation constante pour la communauté internationale. L’Etat-nation, par sa malgouvernance, a ruiné les équilibres qui sous-tendent l’interdépendance, la solidarité et la cohésion des communautés nationales. Pourtant dans la ferveur des indépendances, la plupart des pays africains ont adopté des constitutions-programme dans lesquelles, ils consacrent le caractère unitaire de l’Etat pour renforcer l’unité et la cohésion nationale.
En revanche, cette démarche de construction d’une identité nationale a été entreprise au mépris des réalités historiques, ethniques et régionales.
Les dirigeants d’alors avaient opté pour le parti-Etat qui est censé devenir ainsi le creuset de la nation.
Il s’agit d’ériger des remparts contre toutes les velléités sécessionnistes ou indépendantistes de certains groupes membres de la communauté politique nationale. En l’occurrence, ils ont mis sur pied des appareils répressifs à travers un Etat monopolisant la violence de façon illégitime tout en demeurant une entité exogène par rapport aux réalités sociologiques des populations.
Les élites émergentes avaient hâte de s’accaparer du pouvoir vacant au lieu de trouver des formes d’organisation politique qui traduisent la diversité et le pluralisme de nos sociétés sur le plan politique, économique, social et culturel. Pour refléter cette triste réalité, les dirigeants du Mali indépendant avaient rédigé une Constitution qui consacre que <> et stipule que nous formons << Un peuple, un but, une foi>>. De même toutes sortes de symboles ont été conçus pour faire écho à notre passé glorieux : l’empire du Mali. Cela au point de confondre le Mandé à l’Etat-nation du Mali.
Cette vision dogmatique, uniformisante et hégémoniste de l’histoire se sont beaucoup accentuée au fil des décennies. Elle s’est traduite par une entreprise implicite d’homogénéisation culturelle pour asseoir une identité nationale avec des héros mythiques, des légendes comme le Kouroukanfouga dans lesquelles chacun devait se reconnaitre.
L’idéologie socialiste et la propagande nationaliste servaient de carcan destiné à gommer toute la riche diversité culturelle et politique de notre pays. Elles voulaient effacer voire anéantir la mémoire collective des différentes communautés et les repères partagés qui donnent un sens à nos vies. Les rébellions successives ont démontré la fragilité de l’Etat et l’échec de son projet intégrateur de toutes les composantes. La poursuite d’une politique d’assimilation et de marginalisation systématique des régions du Nord ont provoqué une fracture psychologique entre les Touareg et les dirigeants au lendemain de l’indépendance.
La gestion calamiteuse de la rébellion de 1963 avait laissé des cicatrices profondes et entrainé à jamais une crise de confiance entre la minorité touarègue et l’Etat malien.
En réponse à la méfiance grandissante des Touareg, le gouvernement de Modibo Kéita avait transformé le Nord en territoire-garnison, une prison à ciel ouvert avec un verrou sécuritaire afin de réduire toute velléité de révolte contre un Etat central répressif et coupé des réalités. Sous la deuxième république, le parti unique va poursuivre une politique de répression à travers une sédentarisation forcée des fractions nomades. Aussi dans l’ensemble des régions du Nord, le clientélisme et la corruption étaient encouragés par le gouvernement comme mode de participation des populations à la vie politique. Par ces pratiques, l’Etat entendait s’assurer leur allégeance, sans mettre l’accent sur le développement des dites régions.
A travers les biennales artistiques et culturelles, les populations devaient faire les éloges du parti-Etat et de ses dirigeants pour manifester leur adhésion à l’idéologie du parti. Aussi, certains cadres du Nord étaient coptés pour servir de faire-valoir pour un régime qui souffre d’une carence de légitimité.
La troisième république confrontée à la résurgence de la rébellion touarègue avait entamé un dialogue qui a permis de mettre fin aux hostilités. Il s’en est suivi l’intégration de quelques Touareg dans les différents corps de l’Etat. Aussi, l’engagement a été pris de tout mettre en œuvre pour développer les régions du Nord. C’était sans compter avec la mauvaise foi et la cupidité. En effet, des réseaux mafieux au Sud comme au Nord ont vite fait de se livrer aux détournements des fonds débloqués par les bailleurs pour le bénéfice des populations, au marchandage de postes au sein de l’appareil d’Etat. La décentralisation envisagée par le Pacte national a été généralisée à l’ensemble du pays de façon bâclée pour suivre des logiques contraires à l’approfondissement de la démocratie, la redistribution du pouvoir et des ressources au profit du Mali profond. L’élite n’a concédé qu’une coquille vide pour s’accaparer de la rente et la partager sur une base clientéliste.
Le multipartisme pour lequel les fils du Mali se sont sacrifiés en 1991 s’est transformé en un théâtre de boulevard. Il a accouché d’un Etat affairiste dirigé par une élite corrompue et divisé en factions pour le contrôle des ressources au détriment des populations les plus défavorisées du pays.
Le patrimonialisme, le favoritisme, la médiocrité et l’ignorance au carré caractérisent à merveille la gouvernance de l’Etat dans le Mali démocratique. In fine, une crise de confiance s’est instaurée entre cette élite et les populations désabusée par rapport à la classe politique. Une culture de la violence a pris place à tous les niveaux. La corruption politique a eu pour corolaire la délégitimation des institutions et l’effritement de l’Etat se traduisant par des rébellions et des coups d’Etat successifs.
Le Mali profond a beaucoup souffert de cinquante ans de marginalisation de ses populations rurales, de ses aires socioculturelles, de la répression des élites aux commandes à travers un Etat policier. La gestion affairiste de l’Etat par des kleptocrates a fragilisé le tissu social et ruiné les efforts de construction d’une conscience nationale. Le Mali a trop souffert du parti unique et d’une démocratie multipartiste folklorique basée sur le clientélisme, l’affairisme, l’achat des consciences et la prime à la médiocrité. Dans ce contexte, le Nord du Mali, longtemps considéré comme le Mali inutile, n’a connu que le détournement des fonds destinés à son développement, la répression de ses populations et leur marginalisation systématique avec la complicité de certains de ses cadres qui ont choisi de s’enfermer dans un nationalisme de bon aloi. Au fait, ils voulaient préserver leurs intérêts personnels liés sous les différents régimes.
En cinquante ans le Nord ne dispose pas d’infrastructures routières, sanitaires et socio-éducatives dignes de ce nom. En cinquante ans d’indépendance, le Mali n’offre aucune perspective de développement ou de progrès aux populations du Nord, surtout aux jeunes en dehors de l’invasion, de la guerre, de l’occupation, de l’insécurité et de l’exil forcé vers le Sud ou en direction des pays limitrophes.
Bref, tout porte à croire que le Nord n’a point d’avenir dans le Mali tel qu’il est gouverné aujourd’hui. La nécessité s’impose donc de reformer l’Etat, de redistribuer le pouvoir politique pour permettre aux populations de prendre le contrôle des leviers de leur développement, de protéger leurs cultures et leurs identités.
Les Kel Tamasheq comme les Songhay, les Arabes les Peuls partagent ce sentiment d’injustice et d’abandon des régions du Nord avec la complicité des ressortissants des dites régions. Le Nord du Mali a besoin d’une autonomie véritable pour adopter ses propres institutions et réaliser des projets structurants pour l’avenir de ses populations et surtout de sa jeunesse. Dans cette mouvance, la refondation ne se résume pas à une décentralisation administrative mal maîtrisée qui n’a engendré que la multiplication des réseaux clientélistes et affairistes à travers le pays. Une décentralisation qui ne s’est pas accompagnée d’un transfert de compétences et de ressources au profit des collectivités ainsi créées.
Les Touareg bien qu’ils soient une minorité ont des droits comme tous les citoyens du Mali et ceux-ci méritent d’être reconnus, respectés et garantis par une Constitution fédérale. Ceux qui prônent leur extermination du fait qu’ils constituent une minorité dérangeante ignorent le sens de l’histoire.
Au lieu de plonger le pays dans une aventure guerrière, nous devons plutôt chercher à retrouver le vivre-ensemble séculaire. Pour ce faire, nous devons avoir le courage politique de renouveler le pacte fondateur dans le cadre dune république fédérale et démocratique.
Aliou Hamadoun Yonfo, MAP, MA
Diplômé de l’ENAP du Québec
Journaliste et consultant en Communication,
Affaires Publiques et Gouvernance
Enseignant en économie internationale
Doctorant en sciences politiques
yonfo@hotmail.com