Guerre au Mali : le dessous des cartes
17 AVRIL 2013 LAISSER UN COMMENTAIRE
Il n’y a pas si longtemps, le Pays Dogon, région du Mali, était un paradis pour les marcheurs. On n’y croisait aucune voiture, on avait envie d’y passer toute sa vie. Mais, il y a deux ou trois ans, on a senti que quelque chose était en train de changer. Par exemple, on croisait de plus en plus de femmes voilées de la tête aux pieds, on sentait que ce paradis était condamné à disparaître assez rapidement… Aujourd’hui, la situation est dramatique.
La région où se joue le conflit actuel se nomme l’Azawad. Elle regroupe les zones de Gao, Tombouctou et Kidal, dans le nord du Mali. Elle se situe intégralement dans le Sahara et échappe au contrôle de l’État malien, car désertique et peu densément peuplée.
Le théâtre et les acteurs
Les forces en présence sont multiples. Il y a, d’une part, le gouvernement malien, instable car très récemment formé, en août 2012. Son but est de préserver l’unité du Mali. Et d’autre part, nous trouvons: le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), touareg et laïc qui a pour but de faire de l’Azawad, un nouvel État indépendant; l’organisation terroriste AQMI, bras africain d’Al Quaida qui se bat pour faire appliquer la Charia dans le nord du Mali; Ansar Edine – «défenseurs de l’islam» en langue arabe – qui est un groupe islamiste touareg cherchant également à appliquer la Charia dans la région. Nous trouvons également d’autres groupes armés qui interviennent dans le nord Mali, parmi lesquels les islamistes du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO ) et les autonomistes du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA).
Les racines du conflit
Les velléités indépendantistes des Touaregs X1 ne sont pas récentes. La première rébellion touareg advient en 1963, seulement 3 ans après l’indépendance du Mali, puis est dissoute dans le sang par l’armée. En 1990, de nouveaux soulèvements donnent lieu aux accords de Tamanrasset. En mars 2012, le président Amadou Toumani Toure (appelé familièrement ATT) est renversé par un coup d’État militaire à peine deux mois avant la prochaine élection présidentielle à laquelle il ne se représentait pas. Allié à plusieurs groupes islamistes, le MNLA profite alors de la situation politique confuse pour prendre le contrôle des trois grandes villes du nord. Début avril, il déclare l’indépendance de l’Azawad, qui est immédiatement rejetée par l’Union africaine comme par l’Union européenne. Fin mai, le MNLA et l’Ansar Edine, qui s’étaient alliés, se séparent, ne parvenant pas à trouver un accord au sujet de l’administration de la région. Le MNLA se fait peu à peu écarter du territoire par les différents groupes islamistes.
Une zone clé
Mais pourquoi donc tout le monde s’intéresse au nord du Mali ? Les réserves pétrolières et gazières sont assez importantes. Elle sont pour l’instant inexploitées et convoitées. C’est également une région stratégique, frontalière de la Mauritanie et de l’Algérie, proche de la Libye et de la Tunisie. C’est donc une zone clé pour le contrôle de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel. Par exemple, les armes venues de Libye et passées par le Nord Mali pourraient demain déstabiliser l’Algérie et même, pourquoi pas, le Sénégal. En effet, après l’intervention occidentale les Touaregs, qui se battaient aux côtés de feu Khadafi, ont quitté la Libye et sont revenus dans la région avec des stocks d’armes importants. A ce moment-là, ils proposèrent le deal suivant au président ATT : « On t’assure la paix si tu nous donnes de l’argent. ». Le président a refusé leur proposition et le conflit a débuté.
L’intervention militaire: une solution inadéquate
La poussée islamiste dans la région s’explique par le fait que, pendant dix ans, tout le monde a parlé du miracle de la démocratie malienne, mais ce n’était en réalité qu’une façade. Les hommes politiques achetaient leurs élections. Les pauvres, déçus, faisaient remarquer que la démocratie ne se mange pas, car ils ne voyaient pas d’amélioration dans leurs conditions de vie. Les populations du nord étaient particulièrement déshéritées et elles se sont détournées de la démocratie pour épouser l’islam radical. D’un idéal à un autre, en somme.
L’intervention armée en cours n’est pas la meilleure solution. Paul Collier X2 affirme ainsi que « les données sur les causes de conflit indiquent que les facteurs économiques en sont les principaux moteurs. La combinaison d’importantes exportations de matières premières, d’un bas niveau d’enseignement, d’un pourcentage élevé d’hommes jeunes et d’un déclin économique augmentent énormément les risques. L’inefficacité militaire et politique est révélatrice d’une évolution plus vaste quant aux capacités et à l’organisation des insurrections cherchant à renverser les dirigeants d’États faillis (failed states). Ces insurrections exploitent des ressources – « diamants de guerre », négoces avec des réseaux clandestins, pillages, nouveaux circuits de trafic d’armes – qui contribuent à leur survie. C’est un fait maintenant bien connu, qui a été médiatisé par des campagnes comme celle menée contre les « diamants du sang ».
Ces exemples malheureux ne sont pas très encourageants pour l’avenir, et ceux qui placent leurs espoirs dans les mains des « sauveteurs » français ont bien des chances de perdre rapidement leurs illusions.
X1 : Les Touaregs sont des tribus nomades qui vivent entre cinq (5) pays : l’Algérie, la Libye, le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
X2 : P. Collier, « Doing well out of war : an economic perspective », in M. Berdal et D. Malone, Greed and Grievance. Economic Agendas in Civil Wars, Boulder, Co., Lynne Rienner, 2000, p. 110.
Yembering
Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils