Etat des lieux d’un génocide
Je n’ai pas lu Sun Tsu et l’art de la guerre est complexe. Pourtant, il me semble que les
atrocités commises actuellement dans le Nord du Mali ne relèvent pas d’actes de guerre mais
bien de la planification de l’extermination de peuples.
En grande partie muselés, les médias français présentent une intervention « Serval »
aseptisé, sans image, sans témoignage direct. Aucun journaliste ne s’est rendu sur le terrain,
dans les villages et les campagnes libérés du joug salafiste. Les quelques très rares présents
restent à Gao où ils se contentent de montrer en boucle des images de bâtiments détruits,
preuve de la violence des combats. Pourquoi la grande muette ne donne-t-elle pas plus
d’informations ? Pourquoi ne laisse-t-elle pas des observateurs extérieurs indépendants
témoigner de la situation ? Qu’a-t-elle donc à cacher ?
Man issalan n akall ? Quelles nouvelles du pays ?
Les nouvelles du front sont pourtant présentent. Les réseaux sociaux et canaux associatifs
publient journellement des témoignages précis, documentés et fiables sur les nombreuses
exécutions commises contre des civils. Le scénario est toujours le même depuis le
déclenchement des massacres à Diabali. Alors que l’on célébrait la reprise de ce point
stratégique, verrou de l’accès vers le nord, des mains de l’ennemi salafiste, un groupe de
génocidaires maliens s’est rendu dans un campement isolé, à quelques kilomètres, a battu,
torturé, volé les habitants et détruits leurs habitations. Ils ont ensuite enlevé des hommes
(jeunes, vieux, malades, peu importe), les ont emmenés dans un endroit isolé, les ont dénudés,
attachés les mains derrière le dos et les ont exécutés. Une vidéo filmée grâce au téléphone
portable d’un génocidaire a été publiée sur le net. Elle montre toutes les étapes de leur
calvaire jusqu’à leur exécution. Les civils assassinés ce jour là étaient tous des bergers de
chèvres et de moutons, installés dans la région depuis plusieurs dizaines d’années.
Ce scénario macabre, n’est du reste pas inconnu. Il est la juste et stricte répétition
d’un mode opératoire déjà largement utilisé lors des exactions commises entre 1992 et 1995
dans le nord du Mali contre des populations civiles. Les milices d’alors, Ganda Koy, étaient
encadrées par des militaires maliens. Milice et militaires opéraient main dans la main dans
un travail systématique d’épuration ethnique. Forts de leurs expériences acquises alors, les
génocidaires maliens (je ne peux me résoudre à appeler ces individus des « militaires » tant
leur comportement est contraire aux règles en vigueur dans l’armée) se livrent depuis le
mois de janvier, début de l’opération « Serval », aux mêmes actes de barbaries contre une
population civile qui ne leur a rien fait.
Dans tout le Gourma, sur la rive sud du fleuve Niger, à près de 1 000 km du massif
des Ifoghas, lieu où se déroule la guerre, la vraie, avec hélicoptères, lance-roquettes, AKA-
47, légionnaires au garde à vous, le doigt sur la couture du pantalon, un second front a été
ouvert. A l’arrière-garde de la poussée française vers le nord, ces Maliens se sont lancés dans
un véritable génocide au sens où l’entend l’article 2 de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide voté par l’ONU en 1948.
Depuis des semaines maintenant, dans une machinerie bien huilée, les
génocidaires se rendent dans des petites localités « libérées », lourdement armés, à plusieurs
dizaines de véhicules blindés (tiens ! Je croyais que l’armée malienne n’avait plus aucun
moyen et que c’est pour cette raison qu’elle n’était pas en première ligne, aux côtés des
Tchadiens et des Nigériens pour libérer son pays…), paradent aux côtés des maires ou des
quelques représentants d’une administration malienne fantoche. D’anciens membres du
MUJAO, leur servent à l’occasion de guide pour rejoindre ces petites communes rurales,
parfois très isolées. Tel a été le cas, où pour rejoindre Tessit, le surnommé « Bastos », voleur
et voyou, un temps membre du MUJAO de Gao, leur a servi de guide. Une fois arrivé dans le
village, ils cherchent des guides et des informations sur la localisation de campements, de
préférence bien isolés. Ils s’y rendent, comme aux environs d’In Tillilt, Inadjatafen, Tessit,
Gossi, Doro… A chaque fois, les habitants des campements dont aucun lien n’est établi avec
un quelconque groupe salafiste ou rebelle sont torturés, volés, violés, exécutés. Les rescapés
terrorisés, fuient à toutes jambes, en ordre dispersé, vers une forêt, une vallée plus éloignée ou
vers un camp de réfugiés s’ils sont suffisamment proches d’une frontière. Dans cet exode en
ordre dispersé, la mère est sans nouvelle de ses enfants, le fils de son père, le frère de sa
sœur…
Interrogé sur ce qui se passe, les autorités françaises ont d’abord feint de ne pas
savoir. Bizarre… Il paraît pourtant que la guerre moderne, c’est surtout du renseignement…
Comment la France peut-elle ne pas savoir ce qui se passe actuellement dans le Gourma et
aux alentours du fleuve, c’est-à-dire dans les zones qu’elle a libérées ? N’a-t-elle donc pas
déployé de drones ? Ne communique-t-elle pas avec l’état major malien sur la position de
ses troupes ? C’est peut-être parce qu’il n’y a plus d’état major malien… Mais alors, s’il n’y
a plus d’état major malien, qui commande ces génocidaires ? Il y a quelque chose qui heurte
ma compréhension. Surtout lorsque des victimes d’exactions, dans leur fuite de Tessit vers le
Burkina, ont observé dimanche 24 mars des hélicoptères qui survolaient la zone. Bizarre.
Par ailleurs, dans de nombreux campements, les puits ont été empoisonnés. Dans
d’autres campements encore, le poison a été déversé dans la marre. La question est bien sûr de
savoir comment les génocidaires se sont procurés ce poison.
Tazawat terza. L’écuelle est brisée.
Simple hasard ou coïncidence ? Dans ce contexte, je crois plus au hasard. Au début du mois
de mars, une délégation d’ « officiels » maliens a souhaité rencontrer au Burkina Faso les
représentants des camps de réfugiés et d’association venant en aide aux personnes déplacées.
Menée par Bajan ag Hamatou et Assarid ag Imberkawen, le message qu’ils avaient à délivrer
était d’inciter les réfugiés à retourner au Mali, assurant que la sécurité de tous était assurée.
A la lecture des lignes qui précèdent, comment comprendre le sens de leur démarche ? Alors
que les réfugiés, victimes d’exactions ne cessent d’affluer, pourquoi inciter ces mêmes
civils à rentrer dans le pays qu’ils ont fuit ? Pour mieux les massacrer ? Pour faire croire que
l’opération « Serval » est une totale réussite ?
Comment des civils, qui n’ont pas pris part au conflit qui a opposé le Mali au MNLA,
victimes des exactions des salafistes, puis victimes d’épuration ethnique peuvent-ils encore
faire confiance à un état qui planifie et met en œuvre un génocide contre elle ? Comment
croire que des réfugiés, traumatisés par ce qui leur est arrivé, vont rentrer alors qu’ils voient
chaque jour des parents, grossir leur camps, victimes des mêmes sévisses qu’eux ? Les
souffrances qu’ils endurent ne forcent-elles pas le respect ?
Je refuse l’idée d’une entreprise machiavélique. Non. Pourtant, je cherche encore le
sens de cette démarche en particulier dans un contexte où la presse malienne, mais aussi des
artistes et intellectuels maliens proches du pouvoir mène depuis des mois une propagande
visant à stigmatiser les Arabes et les Touaregs comme étant à l’origine de l’effondrement de
leur pays.
Au fait, et Amadou Aya Sanogo, alors ? Il n’a causé aucun tors au Mali ? Pourquoi
ce vaillant militaire qui criait haut et fort la fierté nationale malienne n’est-il pas en première
ligne pour libérer son pays ? Pourquoi laisse-t-il des armées étrangères, dont certaines ne
sont même pas membre de la CEDEAO (le Tchad), payer le plus lourd tribu ? La presse
tchadienne parle de carnage dans les rangs de son armée, sans doute chiffré en centaines.
Pourtant, les Maliens n’ont même pas rendu hommage ni à leur courage, ni à leur abnégation.
De plus, pourquoi les génocidaires maliens viennent-ils aussi lourdement armés
dans les campements ? De qui cherchent-ils à se protéger ? De qui ont-ils peur ? Ou, par ce
puéril déploiement de forces, cherchent-ils à rendre leurs opérations d’épuration ethnique
plus efficaces ? Les civils qui parviennent à fuir lors de l’irruption des génocidaires sont
pourchassés, parfois rattrapés. Ils sont alors torturés puis « libérés » entre la vie et la mort.
Pourquoi ne bandent-ils pas leurs muscles devant un adversaire à leur mesure, les groupes
salafistes qui se sont repliés dans l’Adrar des Ifoghas ?
La France présente l’opération « Serval » comme le fruit d’une coordination entre son
armée et les Maliens. Elle serait initialement venue en appui à un pays qui avait besoin d’aide.
Mais quelle guerre mène-t-elle vraiment ? Une lutte contre l’extrémisme religieux ou une
épuration ethnique ?
Wulet Gossi