Tunisie : mystère autour de l'émergence d'un nouveau mouvement de femmes
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05/11/2011 à 15h:27 Par Camille Dubruelh
Les succès initiaux du mouvement de femmes du 2 novembre laissent les observateurs perplexes. © Reuters
La naissance d'un nouveau mouvement de femmes réclamant l'inscription de leurs droits dans la Constitution a surpris les Tunisiens et suscité des suspicions de manipulation par d'anciens membres du RCD de Ben Ali. Les associations féministes traditionnelles préfèrent ne pas juger ces nouvelles arrivantes, dans l'espoir d'exercer une plus forte pression sur la Constituante.
Elles étaient presque un demi-millier à s’être donné rendez-vous, mercredi 2 novembre, place de la Kasbah à Tunis. Une semaine après les élections de l’Assemblée constituante remportées par le parti islamiste Ennahdha, l'objectif était de lutter contre « les surenchères politiques sur les acquis de la femme », indiquaient leurs pancartes et, surtout, d'« inscrire le code du statut personnel et les droits de la femme dans la Constitution », explique à jeuneafrique.com Leila Chettaoui, propulsée chef de file du mouvement.
Selon les propos de plusieurs manifestantes aux médias tunisiens, la manifestation du 2 novembre était spontanée. Elle fut le fruit d'une « initiative citoyenne et non partisane, qui a vu le jour grâce au bouche-à-oreille, à des messages SMS ou à Facebook ». Encore méconnue, Leila Chettaoui, « coach » de profession, s’est lancée dans le combat après « un simple rêve », dit-elle. « Je me suis levé un matin, il y a trois semaines de cela , en me disant que nous vivions un moment historique et que nous devions tout faire pour éviter que les droits de la femme ne soient bafoués ». Elle appelle alors quelques amies et, de fil en aiguille, le mouvement prend forme.
"Amies d'amies"
À Tunis, dans les milieux associatifs de défense des droits des femmes, on se pose beaucoup de questions sur l’identité de ces femmes, sorties de nulle part en un temps record. « J’ai reçu un flot de message provenant « d’amies d’amies » via Facebook, appelant à manifester devant la Kasbah et priant d’amener 10 personnes », raconte Faiza Skandrani, la présidente de l’association tunisienne Égalité et parité, qui déplore n’avoir pu « identifier le chef de ce groupe. (...) Nous sommes favorables à tout ce qui peut porter le droit des femmes en Tunisie, mais nous voulons une concertation et non l’anonymat », demande-t-elle.
Leila Chettaoui répond qu’elle ne s’attendait pas à voir autant de femmes à la manifestation. Elle dit ne pas connaître l’expéditeur des messages Facebook et des SMS qui les ont aidées à faire irruption sur le devant de la scène féministe. La preuve, selon elle : le groupe n’a même pas eu le temps de penser à un nom. « On nous appelle déjà les "femmes spontanées" », s’amuse-t-elle.
Selon Chettaoui, les femmes du mouvement ne revendiquent aucune autre appartenance, ni associative ni politique. « Nous sommes des mères, des femmes ordinaires », dit-elle, même si plusieurs témoignages les décrivent comme issues d’un milieu social plutôt élevé, selon leur apparence vestimentaire. Ce que confirme Leila Chettaoui. « Nous n’habitons pas des quartiers populaires ». On compterait même parmi elles plusieurs « chefs d’entreprises », assure Faiza Skandrani.
Succès surprenant
Reste qu'en deux jours, les femmes du mouvement ont pu rencontrer plusieurs dirigeants politiques, dont le Premier ministre Béji Caïd Essebsi qui leur a promis que « la ligne rouge » des droits de la femme ne sera pas franchie. Un succès surprenant, là où d’autres associations avaient échoué. Une petite dizaine d’entre elles ont également pu discuter avec Mustapha Ben Jaafar, le leader du parti Ettakattol ou encore Mohamed Abbou, un responsable du Congrès pour la république (CPR) de Moncef Marzouki. Leur revendication principale : offrir des garanties constitutionnelles quant au respect du droit des femmes. Leur prochain objectif : convaincre les dirigeants d’Ennahdha, qui ont accepté l’idée d’une rencontre.
Mais ces rencontres au plus haut niveau politique suscitent de la jalousie, de l'animosité machiste et alimentent de nombreuses rumeurs de manipulation par des membres de l’ex-RCD de Zine el-Abidine Ben Ali. Sans réfuter ces allégations, Faiza Skandrani préfère quant à elle éluder la question. Et refuse d’émettre un jugement, n’entendant pas mettre à l’écart ce nouveau mouvement de femmes.
Multiplication des agressions
« Peu importe leur idéologie si elles n’ont pas participé au système de corruption de l'ancien régime. Nous devons faire bloc pour conserver les droits des femmes, mais aussi pour les promouvoir », dit-elle. Et d’ajouter : « le 2 novembre, elles ont marqué un point car les médias ont parlé de leur action. Même si elles étaient manipulées, elles œuvrent tout de même à la lutte pour l’égalité et la parité ».
« La seule théorie du complot, c’est celle contre les droits des femmes », poursuit Faiza Skandrani, qui évoque les agressions qui se multiplient, comme celles de deux professeurs non voilées à la faculté des lettres et des sciences de Tunis. La militante appelle d’ailleurs ce nouveau groupe de femmes à se joindre à la grande manifestation prévue lors de la première réunion de l’Assemblée constituante, vraisemblablement le 9 novembre, un « stand up » qui regroupera quelque 17 associations en faveur des droits des femmes. « Nous sommes ouvertes à toutes les propositions des associations », répond Leila Chettaoui, ajoutant que toutes parlent « le même langage» et sont « unies pour la même cause ». Affaire à suivre...
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