En 2015, le Niger figurait en 6ème position dans le classement économique des pays membre de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) avec 2,6 milliards d’euros(de quoi ?) Ce pays sahélien se positionne derrière le Mali, le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Ghana et le Nigéria, qui est toujours en tête du classement du bilan économique de ces pays [1]. Pour autant, l’économie nigérienne, qui repose encore essentiellement sur la production agricole, a connu une croissance ascendante, à en croire les données rendues publiques par la revue African Economic.org [2] : 4,1 % en 2013, 7,1% en 2014 et 6,5 % en 2015. Ces chiffres n’ont d’ailleurs pas manqué de susciter la satisfaction des pouvoirs publics du pays. Les investissements économiques été évalués à 6 238 milliards de FCFA pour ces cinq dernières années. C’est l’un des arguments du pouvoir pour justifier son bilan économique. Mais du côté des experts, les avis sont contrastés.
Pour Abdoul Karim Alpha Gado, directeur à l’institut sahélien de prévention des gestions de crises au Niger, le président sortant se prévaloir de plusieurs réussites majeures sur le plan économique :
«De mon point de vue le point fort du mandat du président Issoufou réside dans le recrutement massif des jeunes dans la fonction publique, gage de stabilité pour de nombreuses familles de pauvres fils et filles du Niger. Issoufou a trouvé soixante milles fonctionnaires et aujourd’hui le chiffre tourne autour de cent quarante milles, ce qui fait plus du double. Normal, me diriez-vous avec les mannes du pétrole et du gaz que les régimes précédents n’ont pas connu… L’impact de cette action sur l’économie de nos ménages est faible car même avec la revalorisation des salaires, la masse salariale concerne une infime minorité de concitoyens. Par contre, les investissements sont considérables dans des infrastructures durables, telles les routes, les ponts et chaussées et surtout les 15 000 classes construites durant ces 5 ans. Au plan scolaire, il faudra noter des réflexes ressuscités comme la dotation en fourniture complet à tous les scolaires du public.
Les deux coups de maître de Issoufou se résument à la rénovation des artères de la capitale, censées être le fief de son plus farouche opposant, et le chemin de fer Niamey DOSSO qui dans ce pays enclavé restait un vieux rêve pour tous les responsables ayant eu en charge ces questions dans notre pays et ce depuis la ligne dite Dakar Niger qui s’est arrêtés à Koulikoro au Mali.»
Ibanakal Tourna, chercheur nigérien spécialiste des questions sécuritaires et politiques du Sahel à l’université Catholique Louvan Laneuve de Bruxelles, est moins enthousiaste. Selon lui, le bilan économique du président nigérien, ami de longue date du président français François Hollande, est plus que mitigé.
«Sur le plan économique, il faut retenir d’abord son manque de leadership lors des négociations avec Areva (la multinationale uranifère de la França-fric). Les nigériens croyaient à tort que ses solides liens avec le locataire de l’Elysée allaient jouer en faveur du Niger afin que le pays profite enfin des retombées de l’exploitation de son uranium. C’est l’inverse qui s’est passé malheureusement.
Areva a non seulement remis aux calendes grecques l’exploitation de la plus grande mine au monde d’uranium nouvellement acquise au Niger : Imouraren. Mais elle a également licencié des milliers de travailleurs nigériens travaillant dans d’autres mines, fonction depuis plus de 50 ans au Niger. Les négociations entre le pouvoir nigérien et Areva ont constitué une immense mise en scène qui n’a rien modifié à l’exploitation abusive et incontrôlée en terme de ressources fragiles de l’environnement saharien, devenu pollué et dangereux pour les nigériens.
Areva continue d’exploiter l’uranium nigérien avec une contrepartie dérisoire aux gouvernants de Niamey. Pire, elle sous traite l’exploitation des mines nigériennes à la Chine, qui agissent comme en terrain conquis, avec des pratiques dignes de l’époque coloniale et cela malgré les multiples renégociations et appels aux respects de la transparence et des lois internationales sur l’extraction des énergies fossiles.
À son arrivée au pouvoir, Issoufou voulait mettre en pratique son programme des 3N (ndlr: les Nigériens Nourrissent les Nigériens) à travers la récupération des terres agricoles et une industrialisation de l’agriculture pour mettre fin aux famines chroniques au Niger. Force est de constater que les nigériens qui y ont crus à un moment ont vite été rattrapés par la réalité : celle de plus de 5 millions de leurs compatriotes qui vivent toujours des famines récurrentes et des plus de deux millions d’enfants malnutris en 2015, malgré l’exploitation conjointe de l’or, du pétrole, de l’uranium et d’une stabilité régionale qu’on pourrait leurs envier.
Le candidat Issoufou a malgré tout quelques points positifs à son actif: premièrement, comme le répète son entourage, le candidat socialiste n’a pas négligé son programme des 3N, ni celui de l’indépendance énergétique, le problème c’est qu’il s’est laissé entrainer par ses amis européens et américains dans leurs guerres. Peut-être lui renverront-ils l’ascenseur à un moment donné pour donner de la vigueur à ses projets et l’aider à répondre aux multiples demandes de sa population. C’est ce qu’il souhaite avec un deuxième mandat dès 2016. Deuxièmement, le socialiste a commencé à construire des routes, des écoles, des échangeurs à Niamey, des usines dans l’intérieur du pays, une ligne ferroviaire entre le Bénin et le Niger. Il aurait certes pu faire encore mieux si l’environnement sahélien et saharien instables lui en avait laissé la possibilité. Mais la realpolitik a aussi ses méandres. Troisièmement, Issoufou essaie de jongler entre conservateurs et laïques pour mettre un terme à la démographie vertigineuse de son pays afin de stabiliser la population et pour que les richesses répondent enfin à la demande existante. Il a créé des milliers d’emplois et essaie de contrer la corruption d’une administration figée et inefficace depuis l’indépendance. Quatrièmement, il continue de croire à son programme et fédère toutes les régions, étant originaire lui-même du centre du pays. Beaucoup d’observateurs et d’experts savent qu’il n’est pas évident de sortir le Niger de l’ornière en 5 ans. C’est pourquoi les attentes sont encore immenses pour le deuxième mandat d’Issoufou, qui va à coup sûr passer avec une large majorité. Une autre évidence est aussi l’environnement politique et sécuritaire de la région qui influera l’avenir des nigériens et de leur politique. Si Issoufou démontre le même courage d’anticipation et met à profit la croissance de son pays et ses solides réseaux internationaux, il peut changer la vie de ses compatriotes dans le bon sens, celui d’un pays émergent et capable de vaincre ses démons, la famine et les coupures intempestives d’électricité. Le Niger est l’un des pays les plus riches au monde, disposant du pétrole, de l’or, de l’uranium, de phosphate, de manganèse, mais aussi riche de son élevage, de son agriculture et de ses ressources touristiques. Avec 18 millions d’âmes et huit cents mille réfugiés nigérians et maliens, il peut se hisser avec une gouvernance visionnaire et éclairée au-devant de la scène internationale. C’est un pays dans lequel il y a d’immenses opportunités à saisir, à construire et à partager pour le bienêtre de tous.»
Le Niger est un pays vu par des experts locaux comme un état émergent grâce à ses ressources minières et agricoles. Mais sa situation géographique, au cœur d’un Sahel très convoité par les puissances occidentales pour ses ressources, entre des pays comme le Mali et le Nigéria où sévissent les groupes jihadistes et les intérêts, le rend très instable.
Par: Mohamed Ag ahmedou
http://lafriqueadulte.com/2016/05/13/le-niger-des-opportunites-emergentes-mais-un-avenir-incertain/