Peu avant la signature du Pacte National du 11 avril 1992, un haut responsable des MFUA (Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad) déclarait :
« La plateforme d’Alger [du 29 octobre 1991] a retenu cinq conditions :
– La première, c’est un système fédéral avec toutes ses conséquences ;
– La deuxième, c’est la démilitarisation complète de l’Azawad ;
– La troisième, c’est la mise en route des programmes économiques de développement pour corriger un retard de trente-deux ans ;
– La quatrième, c’est l’arrestation et le jugement des responsables des massacres des populations civiles et des pillages des biens des populations de l’Azawad ;
– La cinquième, c’est une indemnisation juste et équitable».
La Coordination des Mouvements de l’Azawad parle-t-elle aujourd’hui, 24 ans après d’un langage fondamentalement différent ? Assurément non, car le problème de l’Azawad demeure entier.
Par ailleurs nous rappellerons ici que le Mali a été par le passé un militant acharné du fédéralisme. Ainsi :
– 17 janvier 1959 : Des représentants du Dahomey (actuel Bénin), de la Haute Volta (actuel Burkina Faso), du Sénégal et du Soudan français (actuel Mali) ont voté la constitution de la Fédération du Mali restée Etat membre de la Communauté Franco Africaine jusqu’au 20 juin 1960 ;
– Février 1959 : Des incidents violents éclatent au Dahomey pour aboutir au rejet par ce pays de la Fédération en mars 1959 ;
– Mars 1959 : Par référendum constitutionnel la Haute Volta rejette la Fédération par 1018 936 « non » contre 254 243 « oui ».
– 18 janvier 1960 : débutent à Paris les pourparlers pour l’indépendance de la Fédération du Mali qui ne comprenait plus que le Sénégal et le Soudan français. Cette indépendance ne sera proclamée que le 20 juin 1960.
– 20 août 1960 : Le Sénégal, à son tour, se retire de la Fédération. Le Soudan français restera seul et prendra, le 22 septembre 1960, le nom de « République du Mali ». La Fédération du Mali n’aura vécu qu’un an et demi. Tout en prouvant qu’elle était réalisable, elle a vite permis de saisir les risques liés à la tentative de construire un bel immeuble en le commençant par l’étage. Comment comprendre que l’Etat malien ait recherché si loin un fédéralisme qu’il savait irréaliste, et qu’il rejette aujourd’hui un fédéralisme spécifiquement malien dans l’intérêt d’une construction de l’unité nationale et d’une paix définitive?
Depuis son indépendance, le Mali n’a cessé de parler d’unité nationale. Et si pendant un demi-siècle le thème – importé par la langue du colonisateur – est resté récurrent, c’est que la chose – l’unité nationale – n’existe pas. C’est un baptême avant la naissance. L’unité n’est pas l’unicité. A l’évidence cela n’est pas propre au seul Mali dans l’Afrique post-coloniale. Une nation, c’est « un vouloir-vivre-ensemble collectif ». « Ce n’est pas une création du droit, une institution juridique, mais une réalité sociologique et politique ».
« Phénomène culturel et affectif, elle ne se forme que très lentement, très progressivement, au fil des générations »
C’est dire que, après plus de cinquante ans de dérive délibérée, sans aucune tentative de correctif sincère, le Mali doit rechercher aujourd’hui une formule qui puisse le mettre à l’abri des éternels recommencements qui ont mis à mal et sa stabilité, et son économie, et sa crédibilité. Cette formule dans le contexte actuel est à coup sûr le fédéralisme. Elle est même la meilleure parce qu’étant la moins mauvaise. En effet :
1 – le fédéralisme n’est pas antinomique de l’intégrité territoriale qui est la préoccupation obsessionnelle de l’Etat malien ;
2 – Il permet :
– de faire jouer les particularismes régionaux ;
– aux originalités des diverses populations en présence de se transformer en richesse et d’agir comme un stimulant à l’activité collective ;
– d’éviter d’y voir des obstacles à ce stimulant.
3 – Il aidera à répondre partiellement à cette grande question que devaient se poser tous les pays africains après l’indépendance : « comment faire adhérer toutes les populations à l’Etat et construire peu à peu une grande communauté nationale ? ». C’est d’autant plus urgent qu’aujourd’hui les rivalités ethniques sont plus aiguës que lors de la proclamation de l’indépendance.
4 – Le fédéralisme n’est qu’un prolongement de la décentralisation,
dont il ne diffère que par un degré ;
5 – le fédéralisme répond à la diversité de la nation car il prend en compte l’hétérogénéité du peuple au lieu de la nier ;
6 – Il rapproche les citoyens du pouvoir qui s’exerce en leur nom et à leur profit, et les décisions sont prise sur place par des autorités sur lesquelles la population a une influence plus grande ;
7 – L’adaptation des mesures prises aux besoins locaux est plus aisée dans le fédéralisme ;
Il constitue une excellente école de civisme et de formation aux responsabilités publiques et permet d’éviter la constitution d’une classe dirigeante figée dans ses privilèges ;
8 – Le fédéralisme assouplit l’application des lois nationales mises en œuvre sur le plan local par des autorités issues de la région concernée, ce qui permet de corriger ce que ces lois ont d’incompatible avec les réalités locales ;
9 – A sa manière, le fédéralisme, grâce à la répartition des pouvoirs, permet de d’éviter que le pouvoir central unitaire ne se transforme en pouvoir absolu ;
10 – Le fédéralisme est une bonne expérimentation juridique et politique, les entités fédérées pouvant effectuer chez elles des innovations constitutionnelles ou législatives susceptibles d’extension, étant entendu que la constitution fédérale reste apte à s’opposer à d’éventuels excès menaçant la cohérence de l’ensemble
11 –Différentes frustrations ont été accumulées par les populations de l’Azawad de la proclamation de l’indépendance du Mali à ce jour, notamment nées des crimes suivants commis pour la plupart par l’armée malienne :
– Massacres massifs et successifs de la population civile;
– Destruction du patrimoine économique, notamment par le massacre du bétail ;
– Pollution de l’environnement par empoisonnement des points d’eau, avec intention de donner la mort ;
– Destruction de l’environnement : les gazelles Robert de l’AZAWAD constituaient un important « fret » à chaque vol du cargo de l’armée sur Kidal ou sur Gao pour en garnir les frigos de Bamako et faciliter les promotions ;
– Tentative d’acculturation et d’assimilation en faisant chanter des enfants azawadiens en bambara alors qu’ils le font mieux dans leur langue maternelle ;
– Glorification d’officiers maliens rien que pour avoir été d’impitoyables bourreaux des populations azawadiennes ;
– Tentatives d’élimination physique systématique ethnocentrée, notamment par l’opération « Kokajè » qui signifie « nettoyer proprement » (les corps polluants étant, bien entendu, les azawadiens) ;
– Violation de tous les Accords conclus jusqu’ici ;
– Obstination totale de l’Etat malien à ne faire juger aucun des criminels de son armée.
De ce cumul de frustrations sans aucune réparation est née une très vive tension, une aversion aiguë presque irréversible pour le pouvoir malien. Une solution fédérale est la seule qui puisse donner à ces tensions assez de temps pour s’estomper tout en réglant progressivement et équitablement les problèmes liés à la question « Justice et réconciliation ». Toute solution ayant un relent de retour de ce pouvoir malien viscéralement honni des populations ne peut que sur-raviver ces tensions et nous remettre encore face à la tragédie actuelle.
En conclusion: 50 années durant, le conflit n’a fait que progresser, touchant d’abord Kidal et légèrement Gao, Ansongo et Goundam (1963-1964) ; ensuite trois Régions : Kidal, Gao et Tombouctou (1990-1996) ; puis l’ensemble de l’AZAWAD à partir de 2012 et même d’autres régions dont la capitale malienne. C’est dire que le mal n’a fait que progresser parce qu’il a toujours été mal traité. Cinquante ans sans traitement approprié lui ont largement donné le temps de s’en trouver aggravé. L’absence d’une solution juste et équitable a permis la naissance, et le développement d’une criminalité internationale (trafic de stupéfiants, prise d’otages contre rançons, ancrage de branches terroristes, etc) avec la complicité active de l’Etat malien.
Plus la solution tarde, plus cette criminalité transfrontalière se consolidera. Il est donc urgent et primordiale que l’Etat malien qui tient à sa personnalité, que la Coordination des Mouvements de l’AZAWAD qui tient à la sienne et aux revendications de l’AZAWAD, que la Communauté Internationale qui tient au prestige attaché à son statut, trouvent la synergie appropriée pour régler un problème qui ne pourra jamais être résolu tant qu’on feindra d’ignorer son existence.
Ambeiry Ag Rhissa
Responsable de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA)