mardi 28 octobre 2014


Les femmes victimes de Boko Haram racontent leur calvaire


         
© AFP | Des lycéennes ayant réussi à échapper à Boko Haram se rendent dans la ville de Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, le 2 juin 2014
Texte par FRANCE 24
Dernière modification : 28/10/2014

Dans un rapport inédit de l’ONG Human Rights Watch, des dizaines de femmes et de jeunes filles nigérianes, ex-otages de la secte islamiste Boko Haram, ont raconté leurs souffrances au sein des camps de la secte islamiste.

Le titre du rapport laisse présager de l’horreur de son contenu : "Ces semaines terribles passées dans leur camp : les violences de Boko Haram contre les femmes dans le nord-est du Nigeria". Dans un document de 64 pages, publié lundi 27 octobre, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a méthodiquement compilé les témoignages inédits de 46 femmes nigérianes, jeunes et moins jeunes, toutes victimes de la secte islamiste.
Pendant trois mois, entre juin et août 2014, l’ONG a recueilli les récits de 30 ex-otages enfermés dans les camps de Boko Haram, quelque part dans la forêt de Sambisa et dans les montagnes de Gwoza, dans le nord-est du pays. L’association a également enregistré les dépositions de 16 témoins ayant assisté aux assauts de la secte islamiste contre leurs villages. Depuis 2009, Boko Haram est suspecté d’avoir enlevé plus de 500 femmes et filles dans le pays. Le groupe a intensifié ses enlèvementsdepuis mai 2013, période à laquelle le Nigeria a imposé un état d’urgence dans les zones où la secte islamiste est particulièrement active.
Le rapport de HWR est d’autant plus édifiant que toutes ces victimes ont pour la première fois accepté de briser la culture du silence entourant ces enlèvements au Nigeria. Il est aussi le premier à donner une idée du quotidien auprès de ces combattants fanatisés. Pour filmer les victimes, HRW a dû protéger l’identité de ces suppliciées, l’ONG a donc flouté leurs visages et plongé leur silhouette dans l’obscurité.
LES TÉMOIGNAGES EN VIDÉO

Le viol comme arme de guerre
Les ex-otages qui ont passé entre deux jours et trois mois aux mains de leurs ravisseurs, ont dit avoir été emmenées dans huit camps différents. Partout, le quotidien est le même. Leurs mots sont durs, leurs récits souvent insupportables. Ils racontent pêle-mêle les sévices psychologiques, les séquelles physiques, les conversions, les mariages forcés et les agressions sexuelles. Le viol est légion dans les rangs de Boko Haram. "L'un des hommes m'a violée, je l'ai supplié de m'épargner parce que j'avais mon bébé mais il m'a ordonné de le poser par terre", raconte l’une d’elles.
Pour les femmes mariées de force, le calvaire est double : elles sont quotidiennement agressées sexuellement par leur "mari". "Après m’avoir épousé, mon mari m’a ordonné de vivre avec lui. Je faisais tout pour l’éviter. Mais un jour, il m’a menacé avec un couteau. Il m’a dit qu’il me tuerait si je n’avais pas de rapports sexuels avec lui. Alors, il a commencé à me violer toutes les nuits", témoigne une jeune femme, âgée de 18 ans lors des faits.
"On m’a demandé de porter les munitions"
La mort guette aussi celles qui refusent de se convertir à l’islam. L’une d’elles raconte avoir été menacée de mort, une corde autour du cou, jusqu’à ce qu’elle accepte de renier sa religion. "Ils ont dit : 'Si vous continuez à refuser [de vous convertir à l'islam], nous vous tuerons et nous jetterons vos cadavres dans la rivière'", se souvient la victime. Les combattants sont parfois passés à l’acte et assassinent les plus récalcitrantes, racontent plusieurs témoins.
Réduites à l’état d’esclaves, forcées de faire la cuisine et de nettoyer le camp, certaines subissent, peut-être, un sort plus funeste encore : elles sont envoyées en première ligne des combats. Elles servent tantôt de bouclier humain, tantôt d’aide de camp. "On m'a demandé de porter les munitions et de m'allonger dans l'herbe pendant qu'ils se battaient. Ils venaient s'approvisionner en munitions, au cours de la journée, alors que les combats se poursuivaient", raconte une victime.
"C’était la femme d’un chef. Elle m’a regardé me faire violer"
Le rapport met également en exergue une autre catégorie de femmes, plus méconnue du grand public : les insurgées. Les témoignages des victimes font souvent référence à la violence de ces combattantes de Boko Haram qui, quand elles n’égorgent pas des prisonniers, tabassent les otages ou approuvent leurs viols.
Une Nigériane raconte comment sa grand-mère, enlevée en même temps qu’elle, a été passée à tabac. "La seule erreur de ma grand-mère est d’avoir répondu un peu durement à une femme de Boko Haram. Mais comment pouvait-elle savoir qu’elle était avec eux ? Quand elle a commencé à la frapper, j’ai hurlé mais ils m’ont emmenée plus loin", explique une autre femme. Une autre raconte comment ces femmes aident les hommes à violer les otages. "Un combattant est venu, un jour. Un chef l’avait choisi pour être mon époux. La femme de ce chef était là, elle a bloqué la porte et elle m’a regardé me faire violer".
Le manque de soutien des autorités
Reste qu’il est difficile de savoir si toutes ces insurgées ont rejoint les rangs de la secte de leur plein gré. Rien ne permet de prouver, pour l’instant, que ces femmes se sont engagées volontairement, précise HRW. En juillet, "une enfant de 10 ans a été interceptée par les autorités nigérianes avec une ceinture d’explosifs autour de sa taille, écrit l’ONG. Les combattants de Boko Haram utilisent les jeunes filles pour mener des attaques, elles passent plus facilement les contrôles et les check points."
Au-delà des entretiens, HRW dénonce enfin le manque d’implication des autorités nigérianes dans le suivi psychologiques des anciens otages. Toutes ces femmes, livrées à elles-mêmes avec de graves traumatismes psychologiques, vivent dans la peur d’être kidnappées à nouveau. Aucune disposition médicale n’existe pour les aider à se reconstruire. "Je n’arrive plus à dormir. Je fais des cauchemars. Mon père me dit de tout oublier. Je n’y arrive pas", confie une adolescente de 17 ans qui, depuis son retour à la maison, frotte continuellement ses jambes avec la paume de ses mains. "J’ai constamment peur. Je pense tout le temps à la mort…"
Une autre se souvient de la mise en garde des combattants : "Vous êtes les filles à la tête dure qui s’entêtent à aller à l’école alors que nous avons dit que ‘boko’ est ‘haram’ ["L’éducation" est un "péché", NDLR]. Nous allons vous tuer ici, aujourd’hui". Aucune des victimes interrogées par Human Rights Watch n’a été capable de retourner à l’école.
Première publication : 28/10/2014
http://www.france24.com/fr/20141028-nigeria-femmes-boko-haram-otages-viols-mariages-rapport-human-right-watch-victimes/?ns_campaign=reseaux_sociaux&ns_source=FB&ns_mchannel=social&ns_linkname=editorial&aef_campaign_ref=partage_aef&aef_campaign_date=2014-10-28

ABDELHAKIM BELHADJ, LE PARRAIN INCONTOURNABLE DE LA LIBYE

Le parcours d’Abdelhakim Belhadj, ancien émir du GICL - groupe islamique combattant en Libye - est semblable à celui de tant d’islamistes de sa génération : Afghanistan, Soudan, Turquie, geôles libyennes. Il prend part à l’insurrection libyenne en 2011 et profite du soutien du Qatar et d’"Al Jazeera" pour se positionner comme l’un des hommes forts de Libye. Mais sans véritable base populaire, sa véritable influence repose largement sur ses réseaux qui vont de Washington à Paris et à Istanbul, en passant par la Tunisie, sa véritable base arrière.
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Crédit photo: Tous droits réservés d.r.
Quand l’envoyé spécial en Libye, Bernardino Leon, veut trouver un consensus politique il va voir Abdelhakim Belhadj, personnalité sans mandat officiel ni rang institutionnel. Homme de réseaux cet islamiste est aujourd'hui l’un des personnages les plus puissants du pays. Autrefois honni et traqué, il est aujourd’hui incontournable. Après avoir été financé et soutenu par le Qatar à la veille de la révolution, il multiplie depuis les déplacements à l’étranger pour consolider sa position de force à l’intérieur du pays et laisse entendre qu'il s'est éloigné de Doha, qui est soupçonné de financer l'Etat islamique.
Très proche du président turc Recep Tayyip Erdogan et des islamistes de Tunisie, notamment de Ghannouchi, le chef d'Ennahdha, l'ami Belhadj a surtout ses entrées à Washington. Mais ce fin politique sait ne pas être prisonnier de ses allainces. Plus récemment, le chef des islamistes libyens a même été reçu par des hauts responsables algériens et par Jacob Zuma, le président d’Afrique du Sud. Alger et Pretoria comptent sur lui pour contrôler, voire réprimer, les jihadistes libyens violents et rétablir un semblant d’ordre dans le chaos. Retournement de situation étonnant quand on connait le curriculum d’Abdelhakim Belhadj.
Belhadj, le jihadiste
Nous sommes en 1984. A seulement 22 ans, Abdelhakim s’expatrie dans le Peshawar, au nord du Pakistan, où il suit l’entraînement militaire et spirituel qu’organisent Abdallah Youssef Azzam et Oussama Ben Laden, les deux créateurs d'Al-Qaida. Au début des années 1990, alors que le front afghano-pakistanais du jihad international se referme et que la première guerre d’Irak a changé la donne, lui et ses camarades libyens s’installent au Soudan, où Ben Laden a obtenu les faveurs de l’autocrate Omar el-Béchir. Sans être intégrés à l’organigramme d’Al-Qaeda, les islamistes libyens profitent de ses bonnes grâces et créent l’embryon de ce qui deviendra le Groupe islamique en Libye (GICL). Dans ce pays frontalier de la Libye, Abdelhakim effectue de nombreuses incursions pour organiser des opérations contre le pouvoir. Il gravit vite les échelons du groupe de résistance et est désigné émir lors de la création officielle du groupe en 1995.
Les premières arrestations et tortures de militants du GICL permettent à Mouammar Kadhafi d’identifier l’islamiste qui ose le défier. Dans le même temps, le président soudanais craint trop son voisin pour continuer à couvrir les résistants libyens et commence à collaborer avec les services libyens. Abdelhakim est aux abois, il quitte le Soudan et s’installe en Turquie en 1996. Commence alors une longue période d’exil où il tentera jusqu’au bout de nouer des liens avec des Etats pour parrainer sa lutte.
Belahdj, l'ennemi des Américains
L’attentat du 11 septembre complique ses plans. Les Nations Unies placent le GICL dans la liste des organisations proches d’Al Qaeda. La « guerre contre la terreur » de l’administration Bush l’oblige à tenter sa chance en Iran où il est emprisonné, puis en Irak à la veille de l’intervention américaine. Il décide finalement de s’expatrier en Chine. Jusqu'au jour où les autorités chinoises comprennent qu’il s’agit d’un des hommes les plus recherchés au monde. En transit en Malaisie début 2004, il est arrêté par des agents des services britanniques, le MI6, avant d’être récupéré par la CIA qui le place dans une prison secrète à Bangkok avec sa femme.
Après l'avoir torturé et humilié, les espions américains le livrent au tristement célèbre Abdallah Senoussi, chef des renseignements libyens. Washington voit en effet dans la Libye un allié possible contre les différents groupes islamistes, comme l'ont confirmé plus tard les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks. Incarcéré avec les cadres du GICL, il est invité fermement à négocier. Le fils préféré de l’autocrate libyen, Seif el Islam, est chargé des négociations. Les islamistes signent un document, « études correctrices », où ils se démarquent d’Al Qaeda. Belahdj sera libéré le 23 mars 2010.
Belhadj, le Qatari
Entre sa libération et la révolution libyenne de 2011, Belhadj disparaît un peu des radars et est placé sous surveillance par le régime. Un homme d’affaires proche des institutions libyennes post Kadhafi raconte qu’ « on l’a vu débarquer avec Al Jazeera au moment de la prise de Tripoli ». Son prestige a beau avoir été largement écorné par le parjure de l’année précédente, il se retrouve malgré tout au cœur du mouvement de contestation. Par l’intermédiaire d'une journaliste du « Monde », Isabelle Mandraud, qui lui a consacré une biographie autorisée -"Du jihad aux urnes"-, il prétend que sa légitimité lui vient des militants. En réalité, c'est le Qatar qui le propulse à nouveau sur le devant de la scène. « Sa puissance vient du soutien du financement qatari », commente un consultant impliqué dans le dossier libyen. « Et s’il n’est effectivement pas le seul à toucher de l’argent, c’est un des plus anciens bénéficiaires », ajoute-t-il.
A quel moment Abdelhakim Belhadj s’est rapproché du Qatar ? La cheville ouvrière de ce lien aura été Ali Mohamed al-Salibi. Ce très proche de Belhadj a été identifié par le « Wall Street Journal » comme le principal relais entre Doha et les insurgés libyens. Rappelons qu’à l’époque, l’émirat « menait une politique de deux fers au feu », comme l’a déclaré au journal « Al Hayat », l’ex Premier ministre de transition, Mahmoud Jibril. Pour ce dernier, « le premier était une alliance sous le drapeau de l’Otan, l’autre était le soutien au courant de l’islam politique ».
Fin aout 2011, Abdelhakim Belhadj se présente comme gouverneur militaire de la capitale, flanqué d’Al Jazeera qui lui accorde soudainement le titre de noblesse « Cheikh ». Le Conseil national de transition (CNT), devant le fait accompli, validera sa position quelques jours plus tard.
Belhadj, le démocrate
Fin 2011, la nouvelle Libye tente laborieusement d’opérer une transition politique. A ce jeu, l’islamiste s’avère peu doué. Au moment de la réunion de Doha le 26 octobre, il agace ses rivaux politiques du CNT lorsqu’il est invité par ses parrains à prendre la parole au nom de la rébellion libyenne. Quelques mois plus tard, il n’est même pas invité en Turquie pour une réunion des islamistes libyens en préparation des élections de 2012. Le 7 juillet 2012, quelques mois après avoir lâché son poste de gouverneur militaire, il est battu par un candidat de la mouvance des Frères musulmans. Son parti, El Watan, n’obtient qu’un seul siège au Congrès national. C’est l’échec de la transition par les urnes.
La politique ne réussit pas à l’ancien émir du GICL. Heureusement pour lui et ses 5000 hommes, les armes ont encore leur mot à dire en Libye. « Il peut s’appuyer sur ses oncles et proches, qu’il a réussi à placer dans des institutions et ministères clés », confie un ancien haut responsable du Conseil National de transition. En plus du soutien des fidèles parrains qatari et turc, « il déclare entre dix et vingt mille hommes que l’Etat paye et finance en repas et munition », poursuit l’homme politique libyen. Par l’intermédiaire de Doha, mais aussi de ses anciennes relations nouées en Afghanistan, il peut également s’appuyer sur de nombreux relais dans les pays voisins et en Occident, Washington en tête.
Belhadj, le tunisien
En Tunisie, Belahdj est très proche de Rached Ghannouchi, chef du mouvement islamiste Ennahda, qu’il a connu en Afghanistan. D’après des sources bien informées, ce serait d’ailleurs l’islamiste tunisien qui aurait rendu possible la rencontre entre Belhadj et la présidence algérienne le mois dernier. Notamment grâce au soutien de l’homme d’affaires Chafiq Jaraya, le pays est devenu la base arrière de Belhadj qui s’y rend très régulièrement. Officiellement interdit de séjour, il est de notoriété publique qu’il traverse la frontière avec des faux papiers. Sur place, il ne prend même pas la peine de se cacher. A l’image d’une réunion organisée en septembre 2012 par Ghannouchi. A l'époque, l'islamiste tunisien peine à contrôler ses jeunes troupes qui veulent passer à l'action après que la publication de la vidéo insultant l'Islam, Innocence of muslims, et l'attentat contre l'ambassade américaine de Tripoli exaltent les jeunes d'Ennahdah. Débordé donc, Ghannouchi convainc son ami libyen qui accepte de faire le déplacement et trouve les mots pour apaiser les esprits.
En France aussi, Belhadj peut s’appuyer sur de solides réseaux. Au lendemain de la révolution, fin août 2011, l'islamiste rencontre le général français Benoit Puga, chef d’état-major particulier de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. En mai dernier il est reçu au Quai d’Orsay, et même si « tout le monde a été invité par le ministère français », comme le confie un proche de l’ex CNT, le symbole est fort.
Un réseau en appelant un autre, il a été identifié par tous comme l’homme à qui parler en Libye. En plus de ses soutiens traditionnels, « il est maintenant au centre de toutes les stratégies des diplomaties étrangères », affirme un diplomate occidental.
Belhadj, le maître-chanteur
Sans véritable base politique, il ne peut véritablement espérer briguer des hauts postes de responsabilité. Mais étant donné l’éclatement des institutions, il sait que ce n’est pas à la présidence ou au gouvernement que se trouve le véritable pouvoir. « Il ne brigue aucun mandat, il n’a plus cette ambition, explique le diplomate. Son statut de tireur de ficelles lui suffit largement ». Pourquoi vouloir être ministre quand on a son mot à dire dans toutes les nominations des plus hauts postes ?
Alors Belhadj s’impose comme le parrain libyen. « Les gens attendent devant son bureau, se souvient le diplomate qui l’a rencontré à plusieurs reprises. Il connait tout le monde, il est craint par ses visiteurs  tout en gardant des dehors courtois et affables ». A Tripoli il contrôle depuis la révolution l’aéroport militaire de Mitiga, surnommé aéroport Belhadj, et depuis cet été tient aussi le second aéroport par le biais de milices islamistes alliées. Dans la très sensible affaire des financements de campagne, il sait aussi qu’il peut rouler des mécaniques puisque se sont ses hommes qui gèrent les prisons où sont enfermés des anciens hauts responsables libyens, notamment Senoussi. Quand le diplomate l’interroge sur sa volonté de faire des révélations dans ce dossier, Belhadj lui rétorque «  mais pourquoi voulez-vous que nous prenions l’initiative ? Proposer des hypothèses et nous nous ferons un plaisir de les vérifier avec ceux qui sont dans nos prisons. »
Fin stratège, il affirme désormais qu’il a coupé les liens avec le Qatar pour s’assurer le soutien du président sud-africain, Jacob Zuma ; ancien allié de Kadhafi et ami de Moscou. « Belhadj rencontre Zuma et à son retour on apprend que des mercenaires russes, bulgares et ukrainiens ont été libérés alors que l’on sait que ce genre de décision ne peut pas être prise sans lui, c’est pour le moins curieux » souligne le diplomate. En parallèle, il continue à entretenir des liens avec l’ambassadrice américaine Deborah Jones, qui consulte l’islamiste régulièrement. Pour un fin observateur de la Libye, « il est clair que toutes les chancelleries le consultent. » Entouré de nouveaux lobbyistes il a même obtenu une interview à « CNN » à son retour de Pretoria, signe que du chemin a été parcouru depuis 2011. A l’époque, face aux journalistes il devait se justifier des liens qu’il avait avec Al-Qaeda, aujourd’hui CNN le laisse expliquer comment il peut être l’homme providentiel que la Libye attendait.
Pour autant, explique un expert du pays, « Belhadj ne doit pas être considéré comme omnipotent ». Il parle avec tout le monde et fait partie de la très petite liste des personnalités à consulter avant de prendre une décision mais en dehors de Tripoli, où il demeure de fait le gouverneur militaire, il ne peut imposer ses vues. Depuis peu, il serait même entré en conflit larvé avec les milices de Misrata dont le calendrier politique a nettement évolué depuis leur montée en puissance. Mais si l’alliance de circonstance qui faisait loi entre Belhadj et les Misratis les a éloignés, Abdelhakim Belhadj sait que son carnet d’adresses et son aéroport finiront bien par leur faire entendre raison.
PUBLIÉ PAR CLEMENT FAYOL
Journaliste indépendant, diplômé en relations internationales à Beyrouth. Pigiste pour différentes publications sur Moyen-Orient, Afrique et Économie. Travaille particulièrement sur les pays d’Afrique centrale et du Sahel.

“LA GUERRE SANS FIN” CONTRE LE TERRORISME, UN ENTRETIEN AVEC BRUNO TERTRAIS

Comme chaque lundi dans le "Café Kafa" de Mondafrique, les journalistes de la rédaction abordent l'actualité internationale avec leur invité. Cette semaine, rencontre avec Bruno Tertrais, spécialiste en géopolitique et maître de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique. Il fut membre de la Commission du Livre blanc sur la Défense nationale de 2012 et vient de publier « la Guerre » aux éditions PUF.
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Crédit photo: Tous droits réservés d.r.
Auteur en 2004 d'un essai intitulé "la Guerre sans fin" sur la stratégie des Etats-Unis contre le terrorisme, Bruno Tertrais décrypte la logique d'engrenage qui, depuis l'intervention américaine en Irak en 2003, a entrainé le Moyen-Orient dans une véritable spirale guerrière. Un mécanisme d'engrenage dont les effets pervers se traduisent aujourd'hui par la montée en puissance de l'Etat Islamique en Irak et en Syrie.
Nuancé, Bruno Tertrais pointe le manque d’accompagnement diplomatique qui a caractérisé la guerre en Irak mais estime que l’interventionnisme, y compris aujourd'hui contre Daech, est un mal nécessaire.
Il revient par ailleurs sur les différents théâtres d'engagement militaire actuels de la France et pointe notamment le manque de forces spécialisées antiterroristes sur le terrain.
PUBLIÉ PAR LA RÉDACTION DE
Biographie en cours de rédaction ...
 

QUAND L’AMBASSADEUR DE FRANCE FAIT LE MÉNAGE DANS LA PRESSE MALIENNE

Un vent de panique souffle sur le cercle rapproché du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Alors que l'équipe au pouvoir est secouée par les affaires financières et peine à trouver une issue à la crise du Nord, plusieurs personnalités politiques se retrouvent éclaboussées ou forcées de quitter leurs fonctions. Le départ de Sambi Touré, l'ex conseiller en communication à la présidence le 2 octobre crée notamment la polémique à Bamako. Selon plusieurs membres de l'opposition, l'ambassade de France aurait contacté la présidence pour demander des comptes au sujet d'un article de presse paru dans le journal où Sambi Touré a longtemps exercé comme directeur de publication. Cette intervention aurait-elle précipité le départ du conseiller ? Critique envers la politique française au Mali, l'article, signé par le politologue sénégalais Babacar Justin N'Diaye, parle notamment de l'ambassadeur actuel comme d'un ancien "officier traitant de certains responsables du MNLA". De quoi rendre furieux le chef de file de la représentation française à Bamako.
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Crédit photo: Tous droits réservés d.r.
Branle bas de combat au palais de Koulouba. Secouée par les affaires financières et fragilisée par une popularité en chute libre, l’équipe qui entourait jusqu’à présent le président malien IBK vacille.
Sidi Kagnassi, chef d'orchestre de l'opaque contrat militaire
Après la garde à vue de quarante-huit heures imposée à l’ancien ministre de la défense Soumeylou Boubèye Maïga par la brigade financière de Nanterre qui enquête notamment sur les circonstances de l’achat de l’avion d’IBK, le conseiller spécial du président, Sidi Mohamed Kagnassi, a remis sa démission début octobre. Patron de la société malienne d’import-export Guo-Star, cet homme d’affaire proche du fils du président Karim Keïta avait acquis la confiance de son père en novembre 2013 après avoir signé un contrat de matériel militaire de 69 milliards de fcs CFA pour le compte de l’armée malienne. Une belle affaire - l’armée malienne étant alors à l’agonie - qui lui valut d’intégrer le cabinet du chef de l’Etat à peine deux mois plus tard mais dont le montage financier attire rapidement l'oeil suspicieux du FMI.
Tout d’abord, le Fonds pointe dès le mois de mai l’utilisation abusive de l’article 8 du code des marchés publics qui permet de ne pas respecter certaines exigences de transparence pour des cas jugés sensibles comme dans le domaine de la défense. Un dispositif qui a permis de justifier des pratiques opaques et qui refait surface aujourd’hui. Signataire du contrat à l’époque, l’ancien ministre de la défense Soumeylou Boubèye Maïga invoque en effet aujourd’hui le « secret défense » pour s’opposer à décision du vérificateur général d’enquêter sur l’achat d’équipement militaire.
Conclu de gré à gré, ce contrat dans lequel Guo-Star ne joue qu’un rôle d’intermédiaire prévoyait l’achat d’équipement et de véhicules militaires aux sociétés françaises, MagForce, Soframa et Acmat. Or, dans son rapport du 9 octobre, la Cour Suprême pointe plusieurs irrégularités. Afin de couvrir les frais, Sidi Kagnassi avait démarché la Banque Atlantique qui avait autorisé un crédit contre une garantie accordée par le ministère des finances à hauteur de 100 milliards de CFA. Garantie jugée illégale. La Cour Suprême précise que « (…) seuls les fournisseurs disposant de capacités techniques et financières adéquates sont autorisés à participer à un appel d'offre ou une consultation restreinte. »
Mody N’Diaye, président d'un groupe parlementaire d’opposition à l’Assemblée nationale commente. « La société de droit malien Guo-Star est l’interlocuteur de l’Etat. Or, les fournisseurs étrangers eux, n’apparaissent à aucun moment dans le contrat. Pour quelle raison avoir eu recours à un intermédiaire et pas directement aux fournisseurs ? » A priori aucune. Si ce n’est de se livrer à des malversations en engageant des surfacturations. Jusqu’à « 15 euros la chaussette de soldat » selon Rfi.
La Cour Suprême précise par également, contrairement aux obligations qui lui incombe, le Contrôle financier n'a jamais visé le contrat qui n'a par ailleurs toujours "pas connu de début d'execution".
Véritable patate chaude, l’affaire brûle les doigts du conseiller spécial Sidi Kagnassi. Ce dernier, dit-on, aurait préféré rendre son tablier avant que les choses ne se corsent davantage. Qu'à cela ne tienne, ce businessman aguerri a plus d'un tour dans son sac. Très introduit en Côte d'Ivoire où il a été représentant de Sagem Sécurité et où son père Cheikhna Kagnassi a fait fortune dans le coton, Sidi Kagnassi est comme chez lui à Abidjan. C'est vers là-bas qu'il se serait d'ailleurs envolé le vendredi 10 octobre, une heure seulement après avoir été reçu par le président IBK à qui il avait au préalable fait parvenir sa lettre de démission. Dans la capitale ivoirienne, l'homme a des vues sur un marché militaire de 300 milliards de CFA. Une bonne porte de sortie pour l'équipement militaire malien si toutefois IBK n'en voulait plus, aurait-il confié à l'un de ses proches.
Un conseiller mal vu de la France
Un autre départ du cercle rapporché d'IBK fait couler de l'encre à Bamako. Celui de Sambi Touré, l'ex conseiller en communication de la présidence, pressé de quitter ses fonctions le 3 octobre dernier. Dans les milieux politiques, on avance plusieurs hypothèses. D'abord celle de tensions doublée de compétition en coulisses avec Mahamadou Camara, le ministre de la communication. Cet ancien de Jeune Afrique proche, lui aussi, de Karim KeÏta, a les faveurs du chef de l'Etat depuis son élection. Oeuvrant tous deux dans le domaine de la communication, Sambi Touré et Camara auraient plusieurs fois vu leurs activités se téléscoper. Le tout plutôt en faveur du ministre.
Du côté de l'opposition on évoque un scénario pour le moins déroutant. Le 2 octobre, une tribune au titre outrecuidant du politologue sénégalais Babacar Justin N'Diaye, "Le Mali au beau milieu du merdier et au seuil de la partition", publiée à l'origine sur le site d'information sénégalais "dakaractu.com" a fait l'objet d'une reprise dans le journal malien "Info-Matin" dont Sambi Touré est l'ancien directeur de publication. On peut y lire que, selon M. Ndiaye, "c’est le lobby militaire qui tient à « son » Kidal et à « ses » Touaregs. L’Azawad est, en effet, la chasse gardée et bien gardée de la DGSE, du COS et de la DRM. De Sarkozy à Hollande, l‘Elysée est à la remorque du Renseignement et des Forces spéciales qui sont les fers de lance de la politique française dans la bande saharo-sahélienne. (...) Le parcours de l’actuel ambassadeur de France à Bamako est éloquent à maints égards. Il a travaillé précédemment dans les services secrets en qualité d’officier traitant de certains responsables du MNLA. L’un d'eux déclara au journal « Le Monde » (numéro de la mi-novembre 2013) avoir reçu de cet ambassadeur très spécial, un téléphone satellitaire. Des agissements peu diplomatiques qui ont débouché sur une vive altercation au Palais de Koulouba, entre le Représentant de la France et le Général Yamoussa Camara, ancien chef d’Etat-major particulier du Président IBK."
Des propos qui, selon plusieurs sources dans l'opposition malienne, auraient provoqué l'ire des diplomates français. Au point de prendre contact avec la présidence malienne pour demander des comptes sur la publication d'"Info Matin", le nom de Sambi Touré figurant toujours dans l'ours du journal. "Ce n'est pas la première foir que les piques anti-françaises venant de l'entourage d'IBK agacent les représentants français" rappelle Mamadou Dabo, journaliste au quotidien "Le Zénith"proche de l'opposition. On se souvient notamment du malaise généré par l'interview donnée par IBK au Monde en décembre 2013, dans laquelle il reprochait à la France de vouloir le forcer à négocier avec les rebelles du Nord. Dans l'entourage de Sambi Touré, beaucoup estiment que l'intervention de la diplomatie française auprès de la présidence a précipité son renvoi. Interrogé sur le sujet, Sambi Touré n'a pas souhaité s'exprimer et invoque "un devoir de réserve".  
PUBLIÉ PAR MONDAFRIQUE
Biographie en cours de rédaction ...

1 COMMENTAIRE

AHMED
Étonnant! L’ article de Boubacar Justin Ndiaye était destiné au public sénégalais et a été piqué par la presse malienne. Pourquoi une personne doit perdre son boulot parce qu ‘un ambassadeur est un ancien barbouze?
Ce-dessous une partie intéressante et juteuse, ainsi que le lien à l’ article. Tout le monde a le droit de savoir ce qui se passe dans les coulisses.
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Dopé par sa victoire du 21 mai 2014 sur les Forces Armées du Mali (FAMA) et son contrôle intégral de Kidal, le MNLA accentue sa montée en puissance avec l‘appui diplomatique et médiatique de la fumiste communauté internationale. Le 9 septembre 2014, le MNLA a inauguré son ambassade à Amsterdam, aux Pays-Bas. Vive colère de Bamako à laquelle succède un démenti nuancé du gouvernement hollandais qui parle de l’ouverture d’un Centre Culturel touareg. Mais selon une note d’information de Moussa Ag Assarid, un des dirigeants du MNLA (note répercutée par les sites touaregs Témoust et Kidal-Infos), il s’agit d’une chancellerie. Affaire trouble. Ce qui est plus clair, c’est que le 18 novembre 2013, l’Azawad a été admis en tant que 13ème membre d’une curieuse officine dénommée « Organization of Emerging African States » ou Organisation des Etats Africains Emergents (OAES) qui prétend, selon sa charte, défendre les intérêts de l’autodétermination en Afrique. Créée en 2010 et basée à Washington DC, l’OAES possède bizarrement un statut d’observateur auprès de l’ONU. Tenez-vous bien, car la liste des pays membres de l’OAES équivaut à un Ebola politique : le Biafra, le Sud-Cameroun, le Cabinda, les Iles Canaries et la Kabylie.
Le Président Macky Sall peut mesurer là, combien, il serait imprudent d’aller négocier avec le Mfdc sur les rives du Potomac, aux USA, siège d’une diabolique officine désireuse de morceler les pays africains.

RENÉ NABA, « L’ALGÉRIE S’EST SUBSTITUÉE À LA FRANCE DANS LA ZONE SAHÉLO SAHARIENNE…»

Grand spécialiste du monde arabo-musulman, René Naba est un fin observateur des ficelles diplomatiques sur le Continent africain. Dans un entretien qu’il a accordé au journal malien « Le relais de Bougouni », il décrypte les enjeux des négociations entre le gouvernement de Bamako et le MNLA à Alger.
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Le Relais de Bougouni : Le Gouvernement malien est en pourparlers avec le MNLA à Alger. Quels sont les atouts du Gouvernement malien dans cette négociation ?
René Naba : Le gouvernement malien dispose de peu d’atouts en ce qu’il est discrédité par une série de scandales, de la ténébreuse relation entre IBK et le casinotier corse Michel Toumi, au Boeing Présidentiel, enfin au scandale de la vente des sujets d’examen. Il traîne une réputation de vénalité et cela est bien dommage. IBK ne sera pas l’homme de l’avenir du Mali, mais l’homme de la perpétuation de ses pratiques passéistes si corrosives.
Le Relais de Bougouni. Quels sont les atouts du Gouvernement malien dans cette négociation ?
R.N. Le gouvernement malien dispose d’un atout en négatif. Avec le développement de Da’ech au Moyen orient et la création d’un Émirat islamique sous la houlette de Boko Haram dans le centre de l’Afrique, les grandes puissances ont le souci de stabiliser la zone sahélo saharienne. Le gouvernement du Mali a le mérite d’exister quoique fortement appuyé sur les béquilles militaires françaises. Il dispose de la signature qui engage l’état. A Alger, il fera office de mandataire de ses parrains occidentaux, particulièrement français. Il faut bien qu’IBK serve à quelque chose, s’il veut bien continuer à exploiter le Mali à son profit et au profit de sa famille.
Le Relais de Bougouni. Quelles sont les erreurs dont le gouvernement doit éviter à tout prix ?
R.N. Le gouvernement malien aurait du commencer par éviter toutes les erreurs qui l’ont conduites cette situation de dépendance. À ce stade, il doit envisager douloureusement de concéder une large autonomie au septentrion malien avec de fortes garanties algériennes, afin d’éviter que l’autonomie, sur le modèle kurde, n’aboutisse par grignotage successif, à la sécession de facto.
Qu’il soit clair, je ne suis pas contre la liberté et l’indépendance des peuples, mais dans un monde en phase de mondialisation, il importe que les groupes d’états se constituent en Fédération afin d’atteindre un seuil critique pour pouvoir disposer d’une force de négociation. L’Europe se dote de l’Union Européenne (vaste conglomérat de 27 pays, une monnaie unique, un marché de cinq cents millions de consommateurs) et s’emploie à maintenir la balkanisation dans son hinterland stratégique (sécession du sud soudan sous l’effet du tandem Bernard Kouchner BHL, interventionnisme fébrile en Afrique au prétexte d’ingérence humanitaire). Les dirigeants africains doivent se cesser de se comporter comme des idiots utiles des stratégies occidentales.
Le Relais de Bougouni. Le régime IBK donne t-il une bonne image du peuple malien à l’extérieur ?
R.N. Non absolument pas. Ni lui, ni son parrain François Hollande, son compère de l’Internationale Socialiste le plus impopulaire des présidents de la Vème République française. Un exploit lorsque l’on songe qui l’a succédé à Nicolas Sarkozy qui avait fait l’objet d’un formidable rejet populaire.
Prenez exemple sur l’Algérie, votre voisin. La grande presse française s’est beaucoup moquée de l’infirmité de son président. Près de 18 mois après Serval, l’Algérie s’est substituée à la France dans la zone sahélo-saharienne en tant que médiateur des conflits trans-régionaux. L’Algérie, dirigée par un président handicapé, se pose désormais en médiateur de tous les conflits de la zone…. de la Libye djihadiste à la Tunisie au Mali.
IBK et François Hollande sont, eux, en bonne santé. Qu’ils fassent donc le quart des réalisations qu’Abdel Aziz Bouteflika a faites pour la stabilité du continent africain, l’histoire leur en sera reconnaissante.
Notons au passage que Bouteflika est une personne à mobilité réduite. Mais quand il est à la manœuvre, il est hautement lucide. Le contraste est affligeant avec le spectacle pathétique offert par le « jeunot » Laurent Fabius roupillant en pleine conférence de presse de son homologue algérien, sous les regards des télévisions du monde entier, alors qu’il était venu relancer la coopération franco algérienne ; ce qui lui a valu le sobriquet de « somnolent des forums internationaux ».

RUÉE VERS L’OR DANS LE NORD DU NIGER

Depuis avril dernier, trois sites d’or découverts dans le nord du Niger provoquent un branle-bas de combat sans précédent dans la région. « Tout Agadez a la fièvre de l’or », commente une habitante. La ville savoure des récits de fortunes vite faites ou de ruines tout aussi subites. Certains ont tout vendu pour partir. D’autres ont gagné beaucoup, échangeant leur or contre des véhicules Hilux de contrebande venus de Libye. Quelques-uns sont morts : de maladie, de chaleur ou de désespoir.
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Les bandits de la capitale caravanière sont partis à la recherche de l’or ou des chercheurs d’or à détrousser. La ville profite de cette accalmie inespérée. A deux pas de la mosquée historique, une boutique propose des détecteurs à bon prix. L’hôtel de l’Aïr est plein d’orpailleurs épuisés, reprenant des forces après l’épreuve et dépensant sans compter avec les filles. Devant le centre artisanal, des rabatteurs alpaguent les orpailleurs pour revendre l’or à des commerçants vêtus de boubous en tissu luxueux venus du Sud. Du Niger ou même de la Côte.
Les Tchadiens aux avant-postes
Au-delà des Touaregs, des Toubous et de quelques Arabes, les populations nomades des sites concernés, l’or attire des Soudanais, des Tchadiens et quelques Libyens.
Le premier site a été découvert dans le Djado, au nord-est du pays, en avril. Au milieu de nulle part, à 400 kilomètres au nord de la ville la plus proche, Dirkou, le site est actuellement officiellement fermé et bouclé par l’armée. Officiellement. Car certains, bien équipés et déterminés, contournent les positions militaires pour poursuivre leur quête. Dans le Djado, l’or est en surface, accessible aux néophytes mais tout le monde reconnaît que les meilleurs pour le trouver, ce sont les Soudanais et les Tchadiens, les mieux équipés et les plus aguerris.
Au plus fort de la ruée, avant le Ramadan, on a compté jusqu’à 30 000 personnes sur place, vivant sur un vaste campement dispersé, organisé dans un juteux commerce d’eau, de carburant, de véhicules, de nourriture et même de films vidéo projetés sous une tente climatisée à prix… d’or.
Toutes les transactions sont opérées en or, le gramme étant échangé à environ 15 000 francs CFA (23 euros). L’eau est la denrée la plus chère, acheminée à partir du premier puits, à 80 km du site, un bidon de 30 litres étant vendu un gramme d’or.
Cent pick-up de l’armée tchadienne, dit-on, conduits par le propre frère d’Idriss Déby, étaient venus, dans le but de chercher de l’or mais aussi de prendre position le long de la frontière algérienne. Les autorités nigériennes se sont inquiétées. Avec la fermeture du site aurifère, début août, les Tchadiens sont rentrés à la maison et ont été  attaqués, sur le chemin du retour, par des compatriotes toubous. Les représailles ont fait plusieurs dizaines de morts.
Depuis, les Tchadiens sont beaucoup plus discrets et font travailler des Soudanais.
Les citoyens contre l'Etat
La fermeture « temporaire » du site avait été annoncée en conseil des ministres en mai dernier mais il a fallu plusieurs mois pour la mettre en œuvre. En effet, les populations locales, notamment les Toubous, qui estiment avoir un droit sur les ressources de leur sous-sol, étaient vent debout contre cette mesure, même si elle était présentée comme nécessaire pour des raisons de sécurité, de santé, d’hygiène, de dégradation de l’environnement etc.
En juillet, une mission officielle conduite par la SOPAMIN (Société du Patrimoine des Mines du Niger) s’est déplacée sur le site et a rencontré l’hostilité des populations locales, qui préconisaient une fermeture sélective pour les étrangers.
Officiellement, il s’agissait par cette mesure de fermeture de réguler l’orpaillage au profit des  citoyens nigériens, en distribuant des permis miniers à petite échelle aux orpailleurs individuels.
« L’orpaillage constitue, à l’heure actuelle, l’unique espoir de ces populations car tous les bras valides (y) sont occupés », écrit la SOPAMIN dans son rapport de mission. Elle évoque encore « la méfiance de la population vis-à-vis de l’Etat, par rapport au respect des engagements (réouverture du site après un mois) » et dénonce, en son nom, « le prélèvement quotidien sur le site d’un gramme d’or par détecteur. »
En effet, la commune du Djado et les forces armées nigériennes déployées sur place prélevaient un impôt informel d’un gramme d’or par jour et par détecteur sur tous les orpailleurs, qu’ils aient ou non trouvé de l’or.  
D’ailleurs, la mission ne dit pas autre chose en insistant, en conclusion, sur « la grande défiance des populations à l’égard des autorités administratives locales et sécuritaires qui perçoivent plusieurs taxes aux différents postes de sécurité, qui ne rentrent ni dans les caisses de l’Etat ni dans celle des collectivités. » 
Un site aux mains des ex rebelles touaregs
Le mandat de la SOPAMIN est ambitieux. Il s’agit pour elle, en principe, d’organiser une exploitation industrielle, de contribuer à l’organisation du site, d’installer un comptoir d’or et d’équiper les orpailleurs. Belle mission ! Malheureusement, la prédation naturelle des institutions et l’insécurité galopante de la région risquent de réduire à néant ce beau projet patriotique.
L’armée déployée sur place, après avoir interdit l’accès aux citernes d’eau pour chasser la foule des orpailleurs, est en train d’exploiter le site nuitamment, avec des manœuvres recrutés sur place par les officiers.  Fermé début août, le site n’était toujours pas rouvert mi-octobre. La fermeture « temporaire » s’installe, au risque de susciter la colère des ressortissants de la région.  
Dans l’intervalle, deux autres sites, encore non réglementés par l’Etat, ont été découverts, à quelques kilomètres seulement de la frontière algérienne, à l’extrême nord de l’Aïr. Le puits le plus proche, à 100km de là, Tchibarakaten, a donné son nom aux deux sites. L’ancienne rébellion touareg, le Mouvement nigérien pour la Justice (MNJ), contrôle les lieux. L’armée nigérienne n’est pas encore déployée. Une mission militaire est venue un jour, de passage, a exigé 100 grammes d’or par véhicule, puis est repartie avec l’argent.
Moussa revient tout juste de Tchibarakaten.
« Je n’avais pas les moyens de contourner l’armée pour aller dans le Djado. Donc j’ai préféré aller à Tchibarakaten. J’ai payé ma place avec deux amis dans un véhicule 4X4 qui nous a emmenés là-bas, pour 140 000 francs CFA par personne. On était 22 personnes dans un 4X4 surchargé conduit par des fraudeurs (contrebandiers qui font la navette à la frontière algérienne). On a roulé pendant six jours à partir d’Agadez », raconte-t-il.
Moussa avait acheté un détecteur d’occasion, à 450 000 francs CFA. Les trois hommes avaient aussi en leur possession un deuxième détecteur prêté par un ami.
Arrivés sur place, ils ont trouvé une base, avec beaucoup de gens. « C’est comme une grande ville. Il n’y a pas de puits. On achète l’eau à des commerçants qui utilisent des citernes algériennes. On trouve tout : des cartes de crédit téléphonique pour téléphones satellite, de l’eau (4 à 5 g d’or les 200 litres d’eau), des moutons, des garages. Les vendeurs sont soit des Algériens soit des commerçants chassés du Djado. »
Soudanais, Tchadiens, Algériens, Libyens. Les gens s’installent par affinités. « Il y a des Arabes barbus qui cherchent l’or aussi mais je ne sais pas d’où ils viennent. »
"Aller un peu voler en Algérie"
Au bout de deux jours, Moussa et ses amis ont compris qu’ils ne trouveraient rien, faute d’équipement. Sur ce site, l’or n’est pas en surface. Il faut creuser des tunnels de 10 à 14 mètres, avec des vérins  et des marteaux et ensuite passer au détecteur la terre et la roche remontées des profondeurs. Chaque groupe travaille dans son tunnel.
Du coup, Moussa a cédé à la proposition d’un de ses amis fraudeur, « d’aller un peu voler en Algérie. » Mais, tout l’or ayant déjà été ramassé à proximité de la frontière, ils se sont enfoncés en territoire algérien, à 57 km de la frontière, au sud-est de Tamanrasset. « On est partis vers 17h00 et on est arrivés vers 21h00.  Le véhicule est reparti se cacher et nous, on a creusé. On avait vu des gens devenir riches comme ça, donc on croyait vraiment qu’on allait trouver de l’or. Mais on n’a rien trouvé. »
Le temps de passer un coup de fil du téléphone satellite à son ami chauffeur, voilà que trois véhicules de l’armée algérienne les interceptent.  « On croyait que c’était notre camarade, donc on lui faisait des signes avec des lampes. Ils roulaient tous feux éteints. Ils ont caché leurs véhicules derrière la colline et ils ont attendu l’arrivée de notre camarade. »
« Ils nous ont bandé les yeux et emmenés à la base militaire voisine. Ils nous ont insultés, traités de voleurs, interrogés et gardés pendant deux semaines, en nous menaçant de la prison. Mais on était bien traités et ils nous donnaient à manger. »
Au bout de deux semaines, les soldats algériens relâchent les trois hommes, confisquent leur véhicule et jettent le propriétaire de la voiture en prison.
« On a fait 58 km à pied pour rentrer jusqu’à la base. On se cachait pour ne pas être surpris. Ils nous ont relâchés le soir et le lendemain matin à 7h00, on était arrivés. On a croisé des voitures calcinées, probablement bombardées par hélicoptère. »
D’après Moussa, l’exploitation est organisée par des patrons, Touaregs et Arabes, souvent ex MNJ, qui font travailler des manœuvres nourris, logés et payés en or. « Les Tchadiens et les Soudanais, qui ne creusent pas, entrent en Algérie. » 
Il existe probablement une contrebande organisée, avec des complicités, dans cette partie aurifère de l’Algérie. Car certains Nigériens très bien informés ont parfois « trouvé » un kg d’or dans la nuit. Mais il existe aussi une pression de plus en plus grande sur les réserves algériennes.  Et l’armée algérienne n’hésite pas à ouvrir le feu, y compris par hélicoptère. Plusieurs récits d’orpailleurs tués sur le territoire algérien circulent dans la région.
Début octobre, l’armée populaire algérienne a annoncé avoir « éliminé cinq criminels et blessé quatre autres dont un de nationalité libyenne », dans un communiqué indiquant que les hommes armés étaient à bord de deux 4X4 et qu’il s’agissait d’une tentative d’infiltration à partir du Niger. Trois jours plus tard, le même ministère de la Défense faisait état de l’arrestation de 20 personnes, 12 Soudanais et 8 Tchadiens, qualifiés de « criminels », dans la même région proche de Tirrin. La même zone, justement, où Moussa a renoncé à son rêve doré.
http://mondafrique.com/lire/economie/2014/10/27/ruees-vers-lor-dans-le-nord-du-niger-enquete
PUBLIÉ PAR MARIE BLARY
Biographie en cours de rédaction