La normalisation de la situation au Nord-Mali passe par la résolution de la crise politique au Sud-Mali (3/4)
jeudi 21 juin 2012
|
On ne sait rien encore de la genèse du MNLA et de cette tentation, à laquelle ses leaders ont succombé, de se prononcer pour l’indépendance de l’Azawad. Mais alors que le Mali, du Sud comme du Nord, est livré au chaos, que le chef de l’Etat élu a pris la fuite sans demander son reste et que la nouvelle équipe en place a des allures de zombie, le MNLA apparait comme le seul mouvement qui ait entrepris, depuis cinq mois, de se structurer, de s’organiser, de communiquer et de… négocier.
Le 7 juin 2012, un Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad (CTEA) a été mis en place sous la présidence de Bilal Ag Acherif. 28 membres dont la mission est « la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat de l’Azawad en matière de développement, de la défense, de la sécurité, de la politique extérieure, de l’éducation, de la cohésion sociale et de la gestion du territoire ». Organe issu du MNLA, le CTEA souligne cependant qu’il « reste ouvert à l’ensemble des composantes sociales et compétences de l’Azawad en vue de contribuer à la construction de l’Etat de l’Azawad ».
Tout cela ressemble à un gouvernement provisoire azawadi – « le premier depuis plus d’un siècle » a souligné son président lors de la cérémonie d’investiture des membres du conseil – dont les principes sont clairs : « autodétermination non négociable afin de s’autogérer » ; le Coran et la Sunna (la « tradition » basée sur les hadiths qui sont en fait des commentaires, érigés en principe de conduite, sur la façon d’être de Mahomet et de ses compagnons) comme sources de la législation ; refus de tout intervention militaire sur le territoire de l’Azawad (les appels en faveur d’une intervention militaire sont présentés comme une « attitude irresponsable vu l’évaluation des problèmes dans la zone »). On notera que cette déclaration n’est guère explicite quant à la relation entre l’Azawad et le Mali si ce n’est « qu’à travers le CTEA, le MNLA réaffirme sa disponibilité pour entamer des négociations avec le représentant légitime du Mali sur les problèmes qui entravent les deux Etats » ; reste à savoir quelle peut être la caractérisation des « problèmes » et ce que peuvent être les « négociations » auxquelles il est fait référence.
Dans un document en date du 31 mai 2012 intitulé « Contribution du MNLA dans le cadre de la résolution du problème de l’Azawad », on trouve cependant quelques pistes qui permettent de comprendre la démarche du MNLA et son positionnement géopolitique. Il s’agit, d’abord, de déplorer l’indifférence de la « communauté internationale » à l’égard de la situation faite aux populations du Nord (« massacres et génocide des années 60, 80, 90…, sécheresse des années 70, marginalisation permanente… »).
Et alors que les populations ne cessent d’alerter la « communauté internationale » sur leur situation et les connexions entre le régime d’ATT et les « groupes islamo-narco trafiquants », la seule réponse à l’appel au secours des populations du Nord du Mali est la menace d’une intervention armée. Dans ce document, le MNLA s’explique également sur le « protocole d’entente » établi avec « Ansar Eddine » le samedi 26 mai 2012. Pour le MNLA, il s’agissait de « réaliser la cohésion sociale dans l’Azawad et l’unité des combattants touaregs mais aussi maures, songhaïs et peuls évoluant au sein de formations islamistes et qui n’auraient aucun lien avec le terrorisme, d’assurer une gestion pertinente du territoire à travers une sécurisation efficace des personnes et des biens ».
Le MNLA affirme également vouloir « se démarquer catégoriquement du terrorisme, de toutes les formes d’intolérance et éradiquer les trafics mafieux et illicites, exiger la libération de tous les otages détenus sur le territoire de l’Azawad, exiger le départ définitif du territoire de toutes les organisations terroristes ainsi que la fin de toutes les prises d’otages dans la zone, intégrer tous les groupes armés isolés dans une dynamique mieux organisée et plus responsable ». Bien évidemment, aucun de ces points n’ont été pris en considération par « Ansar Eddine » et la direction du MNLA aurait été désavouée par la « société civile » azawadie et certains responsables du mouvement dont la « coordination des cadres de l’Azawad ». « Ils ont, souligne le document, exigé des responsables politiques du MNLA de revenir à sa ligne politique originelle. De nombreux membres du bureau politique du MNLA s’en démarquent et appellent urgemment à la tenue d’un congrès extraordinaire pour une rectification salutaire et coller aux attentes des populations qui ne se reconnaissent ni dans l’option islamique d’un Etat, ni dans la charia et encore moins dans le jihadisme ».
Ce document – dont le caractère politique tranche avec l’amateurisme des discours des uns et des autres au Mali – rappelle que Bamako a été « armé, financé et formé militairement » pour lutter contre le terrorisme dans le « corridor sahélo-saharien ». Or, souligne-t-il, si la Mauritanie et, « dans une moindre mesure », le Niger se sont engagés contre ce « fléau », le Mali et d’autres « pays du champ » ont fait « preuve d’une certaine passivité ». Le MNLA, selon ce texte, se présente ainsi comme « une alternative objectivement incontournable » et il conviendrait que la « communauté internationale » lui donne les moyens « de jouer pleinement ce rôle et d’assumer une responsabilité légitime dans la sécurité et la paix dans la sous-région ». Le raisonnement est simple : ce que la « communauté internationale » a consenti au Mali d’ATT sans résultats, il faut le consentir au MNLA qui souscrit, quant à lui, à plusieurs engagements : « respect des principes fondamentaux du droit international ; démarcation catégorique avec tous groupes islamistes et narco-trafiquants ; ouverture au dialogue politique pour un règlement durable de la question de l’Azawad ; création de conditions pour un cadre propice à des négociations inclusives conformément aux appels de la communauté internationale ; contribution effective et active à la lutte contre toutes les formes de terrorisme et de fondamentalisme ».
En contrepartie, le MNLA réclame « une reconnaissance de la légitimité de la lutte du MNLA, notamment de l’Azawad en tant qu’entité sociale et culturelle différente, afin de le mettre dans une situation politique pour contribuer auprès des autres nations à la lutte contre le terrorisme ». Il dit « privilégier le dialogue par rapport aux solutions militaires qui sont le plus souvent sans issues et aux conséquences généralement dramatiques » mais réclame un « appui humanitaire multiforme et conséquent aux populations locales restées dans l’Azawad et réfugiées à l’extérieur », le « soutien à la constitution d’une médiation inclusive afin d’aboutir à un règlement de paix durable », dit encore « exiger [du] Mali la cessation des exactions extrajudiciaires à l’instar du MNLA qui sécurise les citoyens maliens fréquentant quotidiennement les localités de l’Azawad » et « demander aux autorités maliennes de s’abstenir de tous discours haineux et belliqueux de nature à détériorer davantage le climat de paix précaire ».
C’est géopolitiquement cohérent dans l’état de totale déliquescence où se trouvent le Sud-Mali et le Nord-Mali actuellement. La question qui se pose immédiatement est de savoir si le MNLA a, effectivement, les moyens de sa politique. La « coordination des cadres de l’Azawad » répondra nécessairement que le MNLA les aura quand la « communauté internationale » les lui aura donnés. Mais les questions en suspens sont également nombreuses : quid de l’unité du Mali dès lors que l’on fait état de deux Etats ? Quid des soutiens régionaux et internationaux au MNLA ? Mais l’objection que la « communauté internationale » va soulever sera de savoir quelle confiance on peut accorder à un mouvement qui affirme s’engager au « respect des principes fondamentaux du droit international » après avoir décrété la « guerre » à un président élu et pris les armes pour soutenir ses revendications dont la première est, justement, la partition d’un Etat membre des Nations unies.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Tout cela ressemble à un gouvernement provisoire azawadi – « le premier depuis plus d’un siècle » a souligné son président lors de la cérémonie d’investiture des membres du conseil – dont les principes sont clairs : « autodétermination non négociable afin de s’autogérer » ; le Coran et la Sunna (la « tradition » basée sur les hadiths qui sont en fait des commentaires, érigés en principe de conduite, sur la façon d’être de Mahomet et de ses compagnons) comme sources de la législation ; refus de tout intervention militaire sur le territoire de l’Azawad (les appels en faveur d’une intervention militaire sont présentés comme une « attitude irresponsable vu l’évaluation des problèmes dans la zone »). On notera que cette déclaration n’est guère explicite quant à la relation entre l’Azawad et le Mali si ce n’est « qu’à travers le CTEA, le MNLA réaffirme sa disponibilité pour entamer des négociations avec le représentant légitime du Mali sur les problèmes qui entravent les deux Etats » ; reste à savoir quelle peut être la caractérisation des « problèmes » et ce que peuvent être les « négociations » auxquelles il est fait référence.
Dans un document en date du 31 mai 2012 intitulé « Contribution du MNLA dans le cadre de la résolution du problème de l’Azawad », on trouve cependant quelques pistes qui permettent de comprendre la démarche du MNLA et son positionnement géopolitique. Il s’agit, d’abord, de déplorer l’indifférence de la « communauté internationale » à l’égard de la situation faite aux populations du Nord (« massacres et génocide des années 60, 80, 90…, sécheresse des années 70, marginalisation permanente… »).
Et alors que les populations ne cessent d’alerter la « communauté internationale » sur leur situation et les connexions entre le régime d’ATT et les « groupes islamo-narco trafiquants », la seule réponse à l’appel au secours des populations du Nord du Mali est la menace d’une intervention armée. Dans ce document, le MNLA s’explique également sur le « protocole d’entente » établi avec « Ansar Eddine » le samedi 26 mai 2012. Pour le MNLA, il s’agissait de « réaliser la cohésion sociale dans l’Azawad et l’unité des combattants touaregs mais aussi maures, songhaïs et peuls évoluant au sein de formations islamistes et qui n’auraient aucun lien avec le terrorisme, d’assurer une gestion pertinente du territoire à travers une sécurisation efficace des personnes et des biens ».
Le MNLA affirme également vouloir « se démarquer catégoriquement du terrorisme, de toutes les formes d’intolérance et éradiquer les trafics mafieux et illicites, exiger la libération de tous les otages détenus sur le territoire de l’Azawad, exiger le départ définitif du territoire de toutes les organisations terroristes ainsi que la fin de toutes les prises d’otages dans la zone, intégrer tous les groupes armés isolés dans une dynamique mieux organisée et plus responsable ». Bien évidemment, aucun de ces points n’ont été pris en considération par « Ansar Eddine » et la direction du MNLA aurait été désavouée par la « société civile » azawadie et certains responsables du mouvement dont la « coordination des cadres de l’Azawad ». « Ils ont, souligne le document, exigé des responsables politiques du MNLA de revenir à sa ligne politique originelle. De nombreux membres du bureau politique du MNLA s’en démarquent et appellent urgemment à la tenue d’un congrès extraordinaire pour une rectification salutaire et coller aux attentes des populations qui ne se reconnaissent ni dans l’option islamique d’un Etat, ni dans la charia et encore moins dans le jihadisme ».
Ce document – dont le caractère politique tranche avec l’amateurisme des discours des uns et des autres au Mali – rappelle que Bamako a été « armé, financé et formé militairement » pour lutter contre le terrorisme dans le « corridor sahélo-saharien ». Or, souligne-t-il, si la Mauritanie et, « dans une moindre mesure », le Niger se sont engagés contre ce « fléau », le Mali et d’autres « pays du champ » ont fait « preuve d’une certaine passivité ». Le MNLA, selon ce texte, se présente ainsi comme « une alternative objectivement incontournable » et il conviendrait que la « communauté internationale » lui donne les moyens « de jouer pleinement ce rôle et d’assumer une responsabilité légitime dans la sécurité et la paix dans la sous-région ». Le raisonnement est simple : ce que la « communauté internationale » a consenti au Mali d’ATT sans résultats, il faut le consentir au MNLA qui souscrit, quant à lui, à plusieurs engagements : « respect des principes fondamentaux du droit international ; démarcation catégorique avec tous groupes islamistes et narco-trafiquants ; ouverture au dialogue politique pour un règlement durable de la question de l’Azawad ; création de conditions pour un cadre propice à des négociations inclusives conformément aux appels de la communauté internationale ; contribution effective et active à la lutte contre toutes les formes de terrorisme et de fondamentalisme ».
En contrepartie, le MNLA réclame « une reconnaissance de la légitimité de la lutte du MNLA, notamment de l’Azawad en tant qu’entité sociale et culturelle différente, afin de le mettre dans une situation politique pour contribuer auprès des autres nations à la lutte contre le terrorisme ». Il dit « privilégier le dialogue par rapport aux solutions militaires qui sont le plus souvent sans issues et aux conséquences généralement dramatiques » mais réclame un « appui humanitaire multiforme et conséquent aux populations locales restées dans l’Azawad et réfugiées à l’extérieur », le « soutien à la constitution d’une médiation inclusive afin d’aboutir à un règlement de paix durable », dit encore « exiger [du] Mali la cessation des exactions extrajudiciaires à l’instar du MNLA qui sécurise les citoyens maliens fréquentant quotidiennement les localités de l’Azawad » et « demander aux autorités maliennes de s’abstenir de tous discours haineux et belliqueux de nature à détériorer davantage le climat de paix précaire ».
C’est géopolitiquement cohérent dans l’état de totale déliquescence où se trouvent le Sud-Mali et le Nord-Mali actuellement. La question qui se pose immédiatement est de savoir si le MNLA a, effectivement, les moyens de sa politique. La « coordination des cadres de l’Azawad » répondra nécessairement que le MNLA les aura quand la « communauté internationale » les lui aura donnés. Mais les questions en suspens sont également nombreuses : quid de l’unité du Mali dès lors que l’on fait état de deux Etats ? Quid des soutiens régionaux et internationaux au MNLA ? Mais l’objection que la « communauté internationale » va soulever sera de savoir quelle confiance on peut accorder à un mouvement qui affirme s’engager au « respect des principes fondamentaux du droit international » après avoir décrété la « guerre » à un président élu et pris les armes pour soutenir ses revendications dont la première est, justement, la partition d’un Etat membre des Nations unies.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
La normalisation de la situation au Nord-Mali passe par la résolution de la crise politique au Sud-Mali (4/4)
jeudi 21 juin 2012
|
« Le choix de la guerre est […] forcément le pire car il est celui qui laisse peu de chances d’échapper à ce monde, à sa réalité et au questionnement de cette réalité dans ce qu’elle représente de pire : « Ce monde est constitué comme il doit l’être pour subsister péniblement ; s’il était un peu plus mal fait, il ne pourrait se perpétuer […] parmi tous les mondes possibles, ce monde est donc le pire ». Et pourtant il nous faut ne pas désespérer de l’améliorer ».
En appelant à la rescousse le philosophe allemand Arthur Schopenhauer tout en combattant son pessimisme, Louis Gautier, dans « Face à la guerre » (éditions La Table ronde – Paris, 2006), nous donne une des clés de la situation qui prévaut au Mali : il convient de se « questionner » sur ce qui se passe dans ce pays avant que d’entamer la vielle antienne : tout agresseur doit être à son tour agressé pour rétablir l’équilibre et donc « l’ordre » des choses ! On notera d’ailleurs que les réflexions menées par les cadres du MNLA le sont sous les auspices de HD Centre – Centre pour le dialogue humanitaire –, organisation genevoise qui s’efforce « d’améliorer la réponse apportée par la communauté internationale aux conflits armés » ; quant à leur financement, il est assuré par le Danemark dont on sait quelle est la présence… au Burkina Faso.
Or, en ce qui concerne le Mali, c’est au Burkina Faso et nulle part ailleurs que tout se passe. Le statut de médiateur officiel de Blaise Compaoré, l’onction accordée par la Cédéao, le savoir faire des Burkinabè en la matière… font que Ouaga est un passage obligé. La meilleure preuve en est qu’aujourd’hui, vendredi 15 juin 2012, débarque dans la capitale du « pays des hommes intègres » une délégation de cinq membres d’Ansar Dine (que le MNLA écrit « Ansar Eddine ») menée par Iyad Ag Ghali ; un entretien avec le président du Faso est prévu à une date non encore déterminée. Une rencontre qui se fait, semble-t-il, avec l’accord tacite du MNLA.
C’est un événement majeur qui, après la réception du MNLA par le chef de l’Etat burkinabè, voici une semaine, permet à sa diplomatie d’être présente sur tous les fronts : au Sud et au Nord du Mali, à New York et à Paris. C’est dire que la guerre est en perte de vitesse et que Ouaga s’efforce de nouer le dialogue avec tous les acteurs de la « crise malo-malienne » (mais aussi avec les capitales d’Afrique de l’Ouest – qui ne peut, désormais, qu’inclure l’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye – concernées par la multiplication des zones grises dans le « corridor sahélo-saharien »). Ce qui ne signifie pas que la menace d’une intervention armée doive être levée. Mais elle ne pourrait être qu’une action de stabilisation, de reprise de contrôle de villes emblématiques ; pas d’éradication de groupes armés autonomes qui n’ont rien à perdre et dont la finalité n’est pas de gagner la « guerre » mais de sécuriser les réseaux permettant leurs trafics.
Paris, qui n’a rien à gagner à un affrontement armé sur le terrain, joue le jeu de la temporisation et du soutien à une médiation burkinabè qui prendrait en compte les revendications du MNLA. Djibrill Y. Bassolé a été reçu par Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Qui a reçu, par la suite, le président intérimaire malien Dioncounda Traoré puis son premier ministre, Cheikh Modibo Diarra. François Hollande a, quant à lui, reçu le président du Niger, Mahamadou Issoufou, et s’est entretenu au téléphone avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, les deux chefs d’Etat les plus « va-t-en guerre ».
Il y a quelques mois, fin mars 2012, la Cédéao venait de se réunir à Abidjan pour se pencher sur trois mots qui caractérisaient le Mali et gâtait le sommet des chefs d’Etat des pays membres : junte, ATT et rébellion. Nul ne savait ce qu’il fallait faire. Et Thomas Boni Yayi, président du Bénin et président de l’Union africaine, avait trouvé la formule magique : « Avec notre cher doyen, Blaise Compaoré, nous allons pouvoir trouver une solution appropriée à cette situation ». Autrement dit, Blaise va se « démerder » de tout cela comme il a réussi à se « démerder » des autres crises ouest-africaines.
A Ouaga, et tout particulièrement à Kosyam, on était moins formels et on jugeait déjà, avant même la chute et la fuite d’ATT, que la question qui se posait était de savoir sur quel fil tirer pour démêler la pelote malienne. Trop d’interlocuteurs ; pas assez d’interlocuteurs crédibles. Plus encore, beaucoup d’interférences « étrangères ». Et une finalité des actions menées qui était particulièrement floue. Depuis, la situation sur le terrain a quelque peu évolué, au Sud comme au Nord du Mali, mais il n’y a pas d’acquis dans les avancées. Et il n’y en aura pas tant qu’on n’aura pas réfléchi avant d’agir (c’est ce qui a manqué à l’interventionnisme de Sarkozy en Afrique du Nord ; mais les Bush-Men lui avaient montré le chemin en Irak et en Afghanistan*).
Il est évident, aujourd’hui, qu’au Mali, on ne reviendra pas à la case départ. Et que ce pays devra tourner une page de son histoire qui est d’ailleurs, essentiellement, une histoire post-coloniale. Les Tamasheq, eux aussi, devront réfléchir, plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent, à la façon dont ils doivent s’insérer dans le monde contemporain. L’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, dans son Histoire de l’Afrique noire (éditions Hatier – Paris, 1978), évoquant la « grandeur du Mali » quand le Soudan occidental régnait sur l’Afrique de l’Ouest, a écrit : « Il est probable que la mise au point d’un système politique aussi souple, le seul logique dans un grand pays sans bureaucratie généralisée, ait été l’un des secrets de la réussite du Mali. Il s’agissait d’une sorte d’indirect rule sur les provinces périphériques. Il faut y ajouter la tolérance religieuse, le prosélytisme s’exerçant uniquement par l’infiltration pacifique des marchands mandé. Aucun roi malien n’a fait de guerre sainte. Pendant plus d’un siècle, au cours de sa belle époque, le Mali a réalisé un modèle d’intégration politique où des peuples aussi variés que les Touareg, les Wolof, les Malinké et Bambara, les Songhaï, les Peul et Toucouleur, les Dialonké, etc. reconnaissaient un seul souverain ».
Il ne s’agit pas de réinventer l’empire du Mali mais de réinventer le « vivre ensemble » qu’il avait su promouvoir parce qu’on ne gagne jamais à exclure. Il s’agit surtout de ne pas perdre de vue que la situation au Nord du Mali a été créée par la faillite du mode de production politique à Bamako et la mainmise sur les instances dirigeantes d’une mafia politico-affairiste qu’il faut éradiquer. C’est dire qu’il y a un préalable absolu à la recherche d’une solution durable au Nord.
Et Blaise Compaoré l’a rappelé aujourd’hui même – vendredi 15 juin 2012 – à l’issue de son séjour en Allemagne : « Nous attendons que les institutions maliennes se remettent en place et puissent assumer leurs responsabilités dans le processus engagé. Et ce, d’autant plus que dans les discussions engagées par la médiation, il faut bien qu’il y ait, à Bamako, des institutions qui vont prendre leur place dans le dialogue politique en cours avec les mouvements islamistes et indépendantistes ».
* Louis Gautier (cf. supra) dit à ce sujet : « On assiste à la banalisation du recours à la force après la fin de la guerre froide, sous couvert d’interposition et d’ingérence. Le premier conflit du Golfe, la Somalie, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, la liste est longue des affrontements qui ont servi politiquement et militairement d’introduction à la situation actuelle en Irak. Les Européens, sans en avoir une claire conscience, ont ainsi préparé le chemin de la guerre. Considérant ces conflits sans réelle importance ni signification (en dehors du scandale de la violence au Rwanda, en Bosnie, au Liberia…), considérant que la guerre appartenait à la préhistoire de leur Union en phase d’achèvement, ils ont accepté « pour la bonne cause » de donner forme à un nouveau laisser-faire militaire dans le monde. Croyant avoir disqualifié la guerre, ils l’ont au plus déqualifiée. Ils sont effrayés aujourd’hui de ne pas avoir su se préserver d’un éventuel retour de bâton ».
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Or, en ce qui concerne le Mali, c’est au Burkina Faso et nulle part ailleurs que tout se passe. Le statut de médiateur officiel de Blaise Compaoré, l’onction accordée par la Cédéao, le savoir faire des Burkinabè en la matière… font que Ouaga est un passage obligé. La meilleure preuve en est qu’aujourd’hui, vendredi 15 juin 2012, débarque dans la capitale du « pays des hommes intègres » une délégation de cinq membres d’Ansar Dine (que le MNLA écrit « Ansar Eddine ») menée par Iyad Ag Ghali ; un entretien avec le président du Faso est prévu à une date non encore déterminée. Une rencontre qui se fait, semble-t-il, avec l’accord tacite du MNLA.
C’est un événement majeur qui, après la réception du MNLA par le chef de l’Etat burkinabè, voici une semaine, permet à sa diplomatie d’être présente sur tous les fronts : au Sud et au Nord du Mali, à New York et à Paris. C’est dire que la guerre est en perte de vitesse et que Ouaga s’efforce de nouer le dialogue avec tous les acteurs de la « crise malo-malienne » (mais aussi avec les capitales d’Afrique de l’Ouest – qui ne peut, désormais, qu’inclure l’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye – concernées par la multiplication des zones grises dans le « corridor sahélo-saharien »). Ce qui ne signifie pas que la menace d’une intervention armée doive être levée. Mais elle ne pourrait être qu’une action de stabilisation, de reprise de contrôle de villes emblématiques ; pas d’éradication de groupes armés autonomes qui n’ont rien à perdre et dont la finalité n’est pas de gagner la « guerre » mais de sécuriser les réseaux permettant leurs trafics.
Paris, qui n’a rien à gagner à un affrontement armé sur le terrain, joue le jeu de la temporisation et du soutien à une médiation burkinabè qui prendrait en compte les revendications du MNLA. Djibrill Y. Bassolé a été reçu par Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Qui a reçu, par la suite, le président intérimaire malien Dioncounda Traoré puis son premier ministre, Cheikh Modibo Diarra. François Hollande a, quant à lui, reçu le président du Niger, Mahamadou Issoufou, et s’est entretenu au téléphone avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, les deux chefs d’Etat les plus « va-t-en guerre ».
Il y a quelques mois, fin mars 2012, la Cédéao venait de se réunir à Abidjan pour se pencher sur trois mots qui caractérisaient le Mali et gâtait le sommet des chefs d’Etat des pays membres : junte, ATT et rébellion. Nul ne savait ce qu’il fallait faire. Et Thomas Boni Yayi, président du Bénin et président de l’Union africaine, avait trouvé la formule magique : « Avec notre cher doyen, Blaise Compaoré, nous allons pouvoir trouver une solution appropriée à cette situation ». Autrement dit, Blaise va se « démerder » de tout cela comme il a réussi à se « démerder » des autres crises ouest-africaines.
A Ouaga, et tout particulièrement à Kosyam, on était moins formels et on jugeait déjà, avant même la chute et la fuite d’ATT, que la question qui se posait était de savoir sur quel fil tirer pour démêler la pelote malienne. Trop d’interlocuteurs ; pas assez d’interlocuteurs crédibles. Plus encore, beaucoup d’interférences « étrangères ». Et une finalité des actions menées qui était particulièrement floue. Depuis, la situation sur le terrain a quelque peu évolué, au Sud comme au Nord du Mali, mais il n’y a pas d’acquis dans les avancées. Et il n’y en aura pas tant qu’on n’aura pas réfléchi avant d’agir (c’est ce qui a manqué à l’interventionnisme de Sarkozy en Afrique du Nord ; mais les Bush-Men lui avaient montré le chemin en Irak et en Afghanistan*).
Il est évident, aujourd’hui, qu’au Mali, on ne reviendra pas à la case départ. Et que ce pays devra tourner une page de son histoire qui est d’ailleurs, essentiellement, une histoire post-coloniale. Les Tamasheq, eux aussi, devront réfléchir, plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent, à la façon dont ils doivent s’insérer dans le monde contemporain. L’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, dans son Histoire de l’Afrique noire (éditions Hatier – Paris, 1978), évoquant la « grandeur du Mali » quand le Soudan occidental régnait sur l’Afrique de l’Ouest, a écrit : « Il est probable que la mise au point d’un système politique aussi souple, le seul logique dans un grand pays sans bureaucratie généralisée, ait été l’un des secrets de la réussite du Mali. Il s’agissait d’une sorte d’indirect rule sur les provinces périphériques. Il faut y ajouter la tolérance religieuse, le prosélytisme s’exerçant uniquement par l’infiltration pacifique des marchands mandé. Aucun roi malien n’a fait de guerre sainte. Pendant plus d’un siècle, au cours de sa belle époque, le Mali a réalisé un modèle d’intégration politique où des peuples aussi variés que les Touareg, les Wolof, les Malinké et Bambara, les Songhaï, les Peul et Toucouleur, les Dialonké, etc. reconnaissaient un seul souverain ».
Il ne s’agit pas de réinventer l’empire du Mali mais de réinventer le « vivre ensemble » qu’il avait su promouvoir parce qu’on ne gagne jamais à exclure. Il s’agit surtout de ne pas perdre de vue que la situation au Nord du Mali a été créée par la faillite du mode de production politique à Bamako et la mainmise sur les instances dirigeantes d’une mafia politico-affairiste qu’il faut éradiquer. C’est dire qu’il y a un préalable absolu à la recherche d’une solution durable au Nord.
Et Blaise Compaoré l’a rappelé aujourd’hui même – vendredi 15 juin 2012 – à l’issue de son séjour en Allemagne : « Nous attendons que les institutions maliennes se remettent en place et puissent assumer leurs responsabilités dans le processus engagé. Et ce, d’autant plus que dans les discussions engagées par la médiation, il faut bien qu’il y ait, à Bamako, des institutions qui vont prendre leur place dans le dialogue politique en cours avec les mouvements islamistes et indépendantistes ».
* Louis Gautier (cf. supra) dit à ce sujet : « On assiste à la banalisation du recours à la force après la fin de la guerre froide, sous couvert d’interposition et d’ingérence. Le premier conflit du Golfe, la Somalie, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, la liste est longue des affrontements qui ont servi politiquement et militairement d’introduction à la situation actuelle en Irak. Les Européens, sans en avoir une claire conscience, ont ainsi préparé le chemin de la guerre. Considérant ces conflits sans réelle importance ni signification (en dehors du scandale de la violence au Rwanda, en Bosnie, au Liberia…), considérant que la guerre appartenait à la préhistoire de leur Union en phase d’achèvement, ils ont accepté « pour la bonne cause » de donner forme à un nouveau laisser-faire militaire dans le monde. Croyant avoir disqualifié la guerre, ils l’ont au plus déqualifiée. Ils sont effrayés aujourd’hui de ne pas avoir su se préserver d’un éventuel retour de bâton ».
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique