Source: Le Matin DZ/ Le Soir d’Algerie
La situation au Sahel est particulièrement abrasive avec une multitude de groupes de pression et d’acteurs.
Comme un célèbre stratège militaire et géo-politologue aimait à le dire «(…) Un pays a les frontières qu’il peut défendre !».
Après la récente sécession du Sud-Soudan, l’Algérie est devenue le premier pays d’Afrique en superficie, avec quelque 2,3 millions de kilomètres carrés. Nos villes frontalières de Timiawine, Tin Zawatene (ex-Fort Pierre Bordes) et en particulier In-Guezzam, qui se situe sous le 20e parallèle (1), s’enracinent au cœur du continent africain, nous assurant une présence géopolitique et stratégique unique dans le sous-continent africain.
C’est d’ailleurs ce qui a conduit à la création de la 6e Région militaire (2) en 1975, dont le chef-lieu, installé provisoirement à In-Amguel (3), va définitivement se fixer à Tamanrasset (ex-Fort Laperrine), quelques années après. A l’Ouest, la frontière tumultueuse algéro-marocaine s’étend du nord au sud sur quelque 1 230 km et a déjà inscrit à son actif une guerre chaude (4) et une guerre froide depuis l’indépendance de notre pays, et ce, malgré la signature de deux accords frontaliers bilatéraux (celui d’Ifrane et de Tlemcen). L’invasion du Sahara occidental (5) qui comprend trois provinces (le Rio de Oro, la Seguia el- Hamra et de Tarfaya) par le Maroc, après la
«marche verte» de novembre 1975, a plongé les deux pays dans une situation de guerre larvée, suite à la signature des accords de Madrid, la même année, qui partage le Sahara occidental entre le Maroc (il occupe la Seguia el- Hamra, avec Layoune comme capitale) et la Mauritanie (elle s’empare de Tiris el-Gharbia, avec Dakhla comme capitale).
Cette frontière (6) n’a cessé d’être une source de tensions, en fonction de la conjoncture (7). La mobilisation permanente des forces armées opérationnelles des deux pays, tout au long de la frontière et dans des sites stratégiques, depuis plus de 35 ans, n’est qu’une preuve supplémentaire concrète de l’état de guerre qui règne à cette frontière (8). Le summum de cette tension fut l’attaque marocaine contre une colonne sanitaire de l’ANP à Am Gala (point d’eau à la frontière algéro-sahraouie) qui, suivie d’une réplique algérienne, a failli déclencher une seconde guerre en 1976 (plusieurs militaires algériens faits prisonniers vont passer plus de vingt ans, sans procès, dans les geôles marocaines). La fermeture terrestre uniquement en 1994 n’est que le dernier soubresaut d’une longue série de relations belliqueuses, qui n’en finit pas d’empoisonner nos relations bilatérales, régionales et internationales (9). Cette situation contraint l’Algérie de tenter de toujours maintenir, en sa faveur, un avantage militaire qualitatif et stratégique, influencée par le traumatisme de l’agression de 1963. Cette politique va impliquer un investissement conséquent, en moyens humains et matériels et en alliances géopolitiques, pour atteindre cet objectif (10). Enfin, il n’est plus possible, de nos jours, d’occulter les trafics de tous genres que cette
«frontière fermée» génère et notamment celui des drogues (11). Plus bas, se situe la frontière avec le Sahara occidental, longue de moins de 200 km, elle a néanmoins pris, depuis 1975, une sensibilité particulière après l’invasion par les FAR marocaines de la partie nord de ce pays (12) puis de son annexion totale.
Le territoire algérien, de la région de Tindouf, étant le point de départ et de repli des groupes armés du Front Polisario, lorsqu’ils lancent des raids, il est évident que le Maroc va considérer notre pays comme
«partie prenante dans ce conflit armé» et réagir comme tel (construction des murs de défense), ce qui va se traduire par des accrochages entre les deux armées, en plus des raids meurtriers des Sahraouis. La menace la plus sérieuse mais n’a jamais été mise à exécution par le Maroc a certainement été l’annonce de l’utilisation, par les FAR, de leur
«droit de poursuite«, pour venir détruire les bases arrière de la RASD, installées, pour partie, sur le territoire algérien. De toute évidence, cette décision aurait déclenché une nouvelle guerre totale algéro-marocaine, encouragée, d’ailleurs à cette époque, par certaines puissances occidentales, pourvoyeuses en armement. L’accord de paix signé à Alger, en août 1979, entre la Mauritanie et le Front Polisario, permet l’abandon des territoires sous sa souveraineté, immédiatement occupés par le Maroc.
La diplomatie entre en jeu et baisse la tension d’un cran, à cette frontière, après la signature d’un plan de règlement ONU-OUA en 1991. La RASD (13) se fera reconnaître par une quarantaine de pays fortement appuyée en cela par l’Algérie. Ce plan de règlement, signé entre la RASD et le Maroc, prévoit un cessez-le-feu et la libération de centaines de prisonniers marocains, sous l’égide des Nations-Unies, ainsi que l’ouverture de rounds de négociations (14), entre les deux belligérants (à Manhasset, USA), de manière à rapprocher leurs positions opposées, le Maroc prônant une large autonomie sous sa souveraineté et la RASD exigeant un référendum d’auto-détermination. A l’est, le voisinage de la Tunisie avec une frontière longue de quelque 750 km a posé soixante-douze cas de revendications territoriales réduites, en plus de l’affaire dite
«du km 101″, qui trouveront, très rapidement, des solutions équitables. Par la suite, les tensions, à cette frontière, se sont fait sentir du fait des révoltes sporadiques des populations frontalières tunisiennes, protestant contre la précarité de leurs conditions de vie et revendiquant, certaines fois, leur rattachement territorial à l’Algérie, créant ainsi des crispations et des suspicions légitimes des autorités tunisiennes. Ces révoltes ont été solutionnées par une répression sanglante parfois(16), d’une part et l’injection de ressources financières communes pour la réalisation de projets industriels (ciment blanc, moteurs diesel…) dans ces régions frondeuses (Gafsa), d’autre part. En outre, les deux pays vont inaugurer une politique douanière laxiste, permettant ainsi le trafic de tous produits subventionnés et prohibés (hydrocarbures, alimentation, médicaments, textiles, cheptel…).
Durant la
«décennie noire» en Algérie, la Tunisie a été un des rares pays à maintenir sa frontière ouverte aux Algériens et à accueillir ses réfugiés (les très aisés, en général) qui fuyaient le terrorisme, confortant ainsi son image internationale de «
havre de paix et de prospérité», contrairement à
«la boucherie algérienne». La «révolution du jasmin» ou le
«printemps arabe» c’est selon, a pris en flagrant délit de mensonge les zélateurs occidentaux, de ce régime, qui le présentaient comme un exemple de stabilité, vantant la Tunisie sahélienne florissante et cachant celle misérable à la frontière algérienne (17). Les institutions internationales et les pays occidentaux l’ont longtemps considérée comme l’exemple à suivre, pour le reste du monde arabe, ne tarissant ni d’éloges ni d’investissements en sa direction. Les pétromonarchies du Golfe ont également investi des capitaux considérables (expliquant ainsi l’accueil du président Ben Ali) dans l’économie tunisienne (hôtellerie de luxe, banques off-shore, services) et ont contribué à permettre ses prouesses économiques (7% de croissance du PIB, durant une décennie). Le niveau éducationnel de sa population, et notamment le statut de la femme, va également servir de point d’ancrage d’une campagne de prosélytisme, entièrement dévolue au mérite du président Ben Ali et relayée par tous les médias internationaux, pour justifier le soutien à son régime. Son intégration réussie (18) dans la mondialisation et notamment celle avec l’UE est donnée comme exemple pour les autres pays de la région. Depuis le 20 janvier 2011, date de départ énigmatique du président Ben Ali (19) de Tunisie, la frontière algéro-tunisienne devient sensible car, en plus des trafics traditionnels, viennent s’ajouter ceux des êtres humains (dans les deux sens), des capitaux en liquide (20), des armes et des explosifs, obligeant notre pays à mobiliser des forces de sécurité additionnelles pour contrôler cette frontière, en attendant qu’un consensus national tunisien (élection d’une assemblée constitutive, d’octobre 2011) vienne reformater politiquement le pays et assurer sa stabilité.
Plus au sud-est, la frontière algéro- libyenne nous interpelle à plus d’un titre ! Longue de quelque 780 km, de Bordj Messaouda au nord (face à Ghadamès en Libye) à In Ezzane au sud de Djanet (ex-Fort Charlet), cette frontière stratégique puisqu’elle abrite, dans la hamada de Tinrhert, les gisements pétroliers de Zarzaïtine et d’Hedjeleh, vit au rythme d’un conflit armé national internationalisé. En effet, en plus de la guerre civile intertribale (21), une coalition franco-britannique, munie d’un mandat onusien «
élastique«, obtenu à la hussarde et du soutien logistique déterminant de l’Otan (commandement américain), s’est engagée directement dans le conflit, aux côtés d’une rébellion, coalisée autour d’un nébuleux CNT (22). Non contente d’avoir contribué au renversement du roi Idriss de Libye (23) et donc à l’avènement de Mouammar Kadhafi (issu d’une tribu minoritaire), l’Algérie a, pendant très longtemps, consolidé le régime despotique libyen qui va se transformer en un règne absolu (24), après une répression féroce de toutes oppositions, faisant fi de la fragile société tribale libyenne qualifiée de
«para-souveraineté».
Mu par une volonté paranoïaque d’union avec ses «
voisins arabes», M. Kadhafi va tenter, en vain, de signer des accords de fusion, tour à tour, avec l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie ! Ces échecs successifs vont l’amener à inaugurer une période de terrorisme d’Etat (attentat de Lockerbie et de l’UTA, annexion de la bande d’Aozou, au nord du Tchad, dans le massif du Tibesti) et de surarmement, entraînant une riposte américaine violente (bombardements de Tripoli) et un boycott international (la loi Damato) de dix années (de 1992 à 2003). Réhabilité, après dédommagements généreux des victimes des attentats et extradition, pour être jugés et condamnés des auteurs de cet acte terroriste, Mouammar Kadhafi va, ces dernières années, déployer une politique intensive d’entrisme en Afrique subsaharienne (25), inondant ces pays (26) de dollars (avec pour la partie visible, la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico) et la Libyan Arab Foreign Bank (Lafb) et lançant le projet de communauté sahélo-saharienne en 1998 (Comessa), qui deviendra, en 2001, la CEN-SAD (27), projet essentiellement économique mais avec pour objectif stratégique la constitution des
«Etats-Unis du Sahel» ! Cette politique va permettre à Mouammar Kadhafi de signer, en juillet 2004, avec ces pays africains une convention de sécurité et un protocole relatif aux mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits. Transformant son essai, le 30 juin 2010, il organise à Tripoli une rencontre des ministres de la Défense des pays de la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), regroupant autour de lui, le Mali, le Tchad, le Niger, le Soudan et le Burkina Faso, mais en l’absence de l’Algérie et de la Mauritanie. En représailles, la Libye (comme le Tchad et le Burkina Faso) a refusé de siéger au Comité d’état-major opérationnel, installé en avril 2010 à Tamanrasset, pour coordonner les efforts de lutte contre le terrorisme, et ce, malgré qu’elle eût signé, en mars 2010 à Alger, une déclaration commune
«d’une ferme condamnation» du terrorisme et d’actions
«individuellement et collectivement pour éradiquer ce phénomène» (28).
A l’évidence, l’objectif de la Libye n’était pas de lutter contre le terrorisme mais d’étendre son influence au Sahel et d’imposer son leadership dans la région, à travers la construction d’un
«royaume sahélo-saharien»! Le discours d’Ourabi de 1981 inaugure les fondements de cette construction avec une intense activité subversive. L’appel de Tombouctou (29) d’avril 2006 pour l’organisation d’une «
entité commune» en direction du
«mouvement des jeunes Touaregs», la conférence d’Ourabi de 2008, où M. Kadhafi déclare que
«nous sommes tous des Touaregs arabes, dans cette région !» confirment cette volonté d’asseoir son hégémonisme. Cet activisme libyen dans la région est spécialement conçu contre les puissances néocoloniales (Royaume-Uni et la France) mais la France en particulier (30), adversaire principal en Afrique de l’Ouest, pour conclure, avec elle, une relation de
«partenariat concurrentiel» (31), comme ce fut le cas au Tchad. Enfin, il fallait également contrecarrer l’influence de l’Algérie dans la région (cet élément non pris en considération par les autorités), même si, pour cela, il fallait augmenter encore plus l’instabilité et la vulnérabilité de la région.
Au niveau bilatéral, Mouammar Kadhafi a pris ses distances vis-à-vis de notre pays, dès la mort du président Houari Boumediène (32), en 1979, se présentant comme un allié un jour puis un ennemi le lendemain (33), en fonction de ses intérêts objectifs (34) et notamment territoriaux et pétroliers. L’affaiblissement intérieur de l’Algérie va lui laisser le champ libre pour toutes ses actions hégémoniques dans la région (pressions diplomatiques, offres de médiation dans les conflits interafricains, soutien aux mouvements touaregs d’opposition, investissements et coopération classique). Sa montée en puissance va l’amener à croire et à accroire (35) qu’il est devenu le leader d’une
«grande puissance régionale»et qu’il peut, par conséquent, faire «
bouger les curseurs» établis par les grandes puissances dans la région. Il offre, dès lors, à ces pays (le Royaume-Uni et la France, en particulier), une occasion inespérée de l’éliminer, voire de le faire assassiner (lui et son régime), de solder définitivement les contentieux et de reprendre solidement racine dans ce sol aux énormes richesses et potentialités (36). Cette guerre en Libye marque «
le retour de l’Otan comme puissance militaire en Afrique du Nord» comme l’affirme avec raison H. Roberts (37), en même temps qu’elle pose le problème des nouvelles missions de l’Otan dans le monde et, partant, de la relation que doit entretenir notre pays avec cette institution militaire multinationale incontournable. Les autorités actuelles, qui viennent tout juste de reconnaître le CNT, n’ont pas choisi de jouer la carte des relations historiques multidimensionnelles qui lient nos deux peuples et qui sont un socle inépuisable de forces centripètes bilatérales, afin de préserver nos intérêts communs et de baliser l’avenir. Elles ont préféré les jeux sordides et sournois des
«appareils» et des
«relations personnalisées»… Le résultat est aujourd’hui connu et les responsabilités établies, ce qui nous oblige à nous questionner : quels intérêts ont-elles été contraintes de défendre (38) ?
Le territoire d’activité d’Aqmi s’étend sur plusieurs pays au Sahel.
Dans le V qui dessine nos frontières d’extrême-sud, trois pays indépendants (Mauritanie, Mali et Niger) et un annexé (la RASD, ex- Sahara occidental), constituent notre profondeur stratégique.
Le dossier du Sahara occidental mérite une étude spécifique, qui sort du contexte de cet article mais que nous aurons certainement à mener prochainement, du fait des derniers développements en Libye. En effet, trop de non-dits et de contrevérités ont été distillés sur ce dossier sans qu’une analyse objective des faits historiques ne vienne alimenter un débat sérieux sur cette question qui empoisonne le Maghreb depuis trente-cinq ans.
La Mauritanie, creuset des mondes arabo-berbère (Maures) et négro-africain (39), constitue le maillon faible des pays membres de l’Union du Maghreb arabe. En effet, de Daïât el-Khadra à Cheïkria s’étendent quelque 400 km de frontières avec l’Algérie, avec laquelle elle a vécu une longue
«lune de miel», suivie d’un «
divorce«, considéré comme une trahison (40), après la signature des accords de Madrid de 1975, de partage du Sahara occidental avec le Maroc. Devenant la cible privilégiée des assauts du Front Polisario, depuis la frontière de l’Algérie et du Sahara occidental, la Mauritanie va subir une série d’échecs militaires qui vont la déstabiliser jusqu’à son retrait de la partie du territoire qu’elle occupait au Sahara occidental. De coup d’Etat en coup d’Etat, ce pays va se remettre difficilement de cette situation. Si son retrait de la Cedeao en 1999 et la poursuite de son intégration au sein de l’UMA montrent la volonté du pouvoir de privilégier l’ancrage arabo-berbère, elle reste néanmoins membre d’organisations spécifiques comme l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal et le Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel. Le gel de ses relations avec Israël, en janvier 2009, après plusieurs années de coopération, marque son retour dans le concert des nations de la région.
Elle tente actuellement de mener une politique d’
«équilibrisme» entre l’Algérie et le Maroc, tout en privilégiant des relations denses avec la France. Le président mauritanien Abdel Aziz, sous pression, s’est engagé, tout récemment, à lutter contre Al-Qaïda (41), par la constitution de forces spéciales et la création d’agences de sécurité. Il faut cependant noter que les régimes précédents successifs, à l’exception de celui d’Ould-Taya, ont tous «
pactisé» avec Al-Qaïda, pour éviter tout affrontement direct avec elle et tirer certains avantages personnels. Le Mali occupe une place importante dans cette région, avec la frontière la plus longue de 1 100 km et attenant à un espace constitué de 140 000 km2 de zone rocheuse (Adrar des Iforas), difficile d’accès et de contrôle. Cette région est traversée par des troubles ethniques ancestraux entre Touaregs au Nord (42) et populations noires africaines au Sud, la rendant particulièrement vulnérable. Malgré plusieurs accords signés et les bons offices de l’Algérie, pour ramener les belligérants à la table de négociation plutôt qu’à la confrontation, force est de constater que ces efforts sont remis en cause, à chaque fois, ce qui signifie que d’autres intérêts s’appliquent à les saborder. Le Mali se présente comme le maillon faible dans cette région subsaharienne (43) qui fait l’objet de toutes les convoitises, luttant à la fois contre le terrorisme de l’Aqmi mais également contre les
«rebelles Touaregs du Nord». Dès lors, il va, d’une part, tenter de mettre en œuvre une politique d’assistance aux populations frappées par la sécheresse, de satisfaire ses besoins de première nécessité et d’accès durable aux services sociaux, par la création d’activités génératrices de revenus, soutenues par l’UE. D’autre part, il renforce le système de la micro-finance, développe le commerce et les foires hebdomadaires, tente de couvrir les besoins en eau potable par la réalisation de forages et construit des centres de santé communautaires ainsi que des écoles. En même temps, le Mali essaie de récupérer les armes en circulation et de lutter contre leur prolifération (44), de construire des infrastructures publiques pour le rétablissement de l’autorité de l’Etat et la sécurisation des populations (la police, la gendarmerie, la garde nationale et l’armée).
Le désenclavement des régions du nord à travers la construction de routes (notamment la Transsaharienne), dans le cadre d’une coopération régionale et internationale, font également partie du programme. Toutes ces mesures devraient permettre de gagner les populations et de les soustraire à l’emprise des groupes terroristes. A l’évidence, aucun pays de la région sahélo-saharienne et notamment le Mali ne peut lutter seul contre ces menaces et, en conséquence, il doit donc inscrire sa démarche dans le cadre d’une stratégie globale et concertée entre les Etats de la région. L’initiative algérienne d’organiser à Bamako une conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans la région sahélo-saharienne entre dans le cadre de cette démarche. Elle permet aux Etats concernés de la région d’arrêter une stratégie commune pour réunir les conditions objectives, sine qua non, d’un retour à la sécurité et à la stabilité, indispensable au développement économique, social, culturel et cultuel de la région.
La décomposition du régime libyen, après la mort de Mouammar Kadhafi et de son clan, est venue compliquer la situation de ce pays démuni qui, par sa situation territoriale, est devenu un «
no man’s land» où l’Aqmi s’est implantée durablement. En effet, la circulation de stocks d’armes de toutes natures, récupérées en Libye, et le retour des Touaregs, ayant servi dans les rangs des différentes légions libyennes, font craindre un renforcement des revendications touaregs au Mali, au Niger et en Algérie, qui trouveront dans l’islamisme politique le prolongement idéologique à leur activisme et donc une espèce de
«sous-franchisation» à Al-Qaïda à travers l’Aqmi qui est prédisposée à cette alliance, pour des raisons logistiques et financières (les rançons). Le dernier rapt d’humanitaires européens (45) au cœur des camps sahraouis, situés à Rabouni, dans la région de Tindouf, est une démonstration spectaculaire de l’efficacité de l’Aqmi à notre frontière sud-ouest (Sahara occidental, Mauritanie, Mali). En même temps, il accrédite la thèse franco-marocaine sur le danger de création d’un micro-Etat (la RASD) non viable (46) mais également la possible «
collusion» terroriste entre le F. Polisario et l’Aqmi, ce qui devrait se traduire par la classification de la RASD parmi les organisations terroristes, à éliminer dans la région.
La récente visite officielle à Alger du président malien Amadou Toumani Touré a dû être certainement négociée avec des moyens économiques et financiers (par exemple pour terminer le tronçon malien de la Transsaharienne, et payer les soldes de l’armée) mais surtout sur le plan politique et sécuritaire (47), avec une coopération militaire adaptée (livraison de moyens de transport), doublée d’une médiation pressante de l’Algérie pour que la rébellion touareg du Nord Mali (MNLA), accepte de consolider l’unité nationale du pays (48). Toute autre gesticulation paraît folklorique. La frontière algéro-nigérienne s’étire sur quelque 900 km, entre le Tassili Ouan-Ahaggar et l’Aïr, au sud-ouest, et le plateau de Mangueni au nord du désert du Ténéré, aux confins des frontières algéro-libo-nigériennes (49). Cette région est également en proie à des tensions ethniques puisque la minorité touareg du pays est à l’origine d’une rébellion qui date depuis 1990, au nord du pays, autour de la région d’Agadez. En fait,
«les déterminants de la déstabilisation du Niger sont l’«ethnicisation» politique de la rébellion touareg et la politisation ethnique de celle-ci (50)». En effet, la rébellion touareg au Niger constitue un vieux problème qui survient dès la déclaration d’indépendance, puisque la répression de la rébellion de 1963 va provoquer le premier courant migratoire des populations touaregs vers l’Algérie.
Le choc économique et social provoqué par les sécheresses des années 69-74 et 81-85, associé aux problèmes sécuritaires liés au retour, à leur pays d’origine, des éléments de l’ex-
«légion islamique», l’aide alimentaire insuffisante mobilisée par l’Etat, la pratique systématique de la corruption et du détournement de cette aide vont augmenter les frustrations des tribus touaregs, contraintes à prendre de nouveau le chemin de l’exil en direction de l’Algérie et de la Libye. Les revendications du mouvement touareg et notamment le FLAA (Front de libération de l’Aïr et de l’Azawad) vont se radicaliser, en octobre 1991, puisqu’elles exigent l’instauration d’un
«fédéralisme intégral», basé sur la référence à une
«nation touareg unifiée» entre l’Azawad et le Nord Niger. En réaction, le Sud va constituer un front uni contre la cause touareg, rejetant l’objectif séparatiste du FLAA.
L’attaque d’un poste administratif à In Gall, à 80 km d’Agadez (plusieurs morts) et les massacres de Tin-Tabar Aden, qui seront considérés comme un
«génocide du peuple touareg», marquent le début des hostilités. Si la signature de
«l’Accord de paix définitive» d’avril 1995 consacre l’abandon durable des revendications autonomistes touaregs au Niger, elle ne met pas fin à la crise, puisque la rébellion touareg estime que le gouvernement nigérien a violé les clauses de cet accord, continuant ainsi sa politique de marginalisation (51) et notamment par le partage inéquitable des richesses, ce qui risque d’entraîner une guerre interethnique, voire civile. La rébellion touareg a pris une nouvelle acuité avec les enjeux miniers (le Niger est le troisième producteur d’uranium au monde (52) après l’Australie et le Canada) et pétroliers (53). L’exploitation des mines d’uranium (Aréva) soulève des questions sur le volet économique et environnemental. La rébellion déclare qu’
«après 40 ans de présence et 100 000 tonnes d’uranium extraites, les habitants de la région d’Arlit puisent encore l’eau aux puits… en plus, elle est contaminée ou complètement polluée» (54).
Seul le gouvernement du Niger (1/3 du capital) profite (55) du permis d’exploitation d’Imouraven, en pleine zone touareg, signé en janvier 2009, où Aréva (2/3 du capital) a investi 1,2 milliard d’euros, pour exporter 5 000 t/an d’uranium sur 35 ans. La France, dont l’électricité d’origine nucléaire représente 78% de sa production électrique, exige une sécurité de ses approvisionnements en minerai d’uranium et considère comme vitale, pour son indépendance énergétique, l’exploitation des mines du Niger, sur les vingt prochaines années. Elle espère également vendre des réacteurs nucléaires de troisième génération (EPR) aux pays arabes dont l’Algérie et également pallier le déficit en énergie électrique de l’Allemagne, après sa décision de fermer ses centrales nucléaires, à l’horizon 2030. En outre, la France et la Libye comptent bien défendre leurs intérêts au Niger, chacun pour ses raisons propres. La Libye (56), en apportant un soutien indéfectible aux Touaregs du Niger, avait entretenu le conflit, avec des arrière-pensées territoriales sur une partie de la région d’Agadez. En même temps, elle jetait les bases d’une politique régionale, basée sur l’ethnicité, ce qui va
«fonder les relations entre ce qui deviendra, plus tard, les divers groupes politico-militairest touaregs, durant les trois décennies suivantes (57)». Une nouvelle étape est franchie, actuellement, par l’internationalisation de ce conflit régional, puisque les activités militaires touaregs, tant au Mali qu’au Niger et même au Tchad (58), sont désormais parfaitement coordonnées dans le cadre de l’Alliance Touareg Niger Mali (ATNN), tandis que la région devient éminemment sensible, aux yeux des Etats-Unis et de l’UE, la France (59) en particulier, du fait de la nouvelle donne sécuritaire, à savoir la présence active de l’Aqmi, ce qui implique directement un pays central dans la région : l’Algérie. L’Aqmi, organisation terroriste djihadiste structurée comme une société «
franchisée«, utilisant la franchise
«Al-Qaïda», en fonction des opportunités, du moment et du terrain, a pour objectif stratégique, l’unification de tous les mouvements islamistes implosés d’Afrique du Nord (60) et du Sahel.
C’est à partir de janvier 2007 qu’A. Droukdal, (61), introduisant le concept de «
glocale«, décide de sa «
franchisation» à Al-Qaïda (62) et va transformer le GSPC (63) en «
organisation d’Al- Qaïda aux pays du Maghreb islamique» Aqmi (64). Mais c’est Al-Zawahiri, lui-même (n°1, aujourd’hui d’Al-Qaïda) qui annoncera la récupération du GSPC, lors de sa déclaration du 11 septembre 2006, confirmée dans son message du 3 novembre 2007 (65), en imposant le concept d’
«ennemi proche-ennemi lointain», pour inciter les USA et ses alliés de l’UE à intervenir (66), les menaçant (surtout la France), d’attentats spectaculaires. Ainsi, l’
«émirat du Sahel» est né et va s’étendre au Mali, au Niger, à la Libye, la Mauritanie, au Tchad, au Nigeria et au Burkina-Faso. L’autofinancement de ses opérations et la médiatisation inespérée de ses attaques vont lui permettre de s’imposer comme l’unique interlocuteur dans la région et accroître sa crédibilité vis-à-vis d’Al-Qaïda-mère. Son implantation active (67) se soldera par de solides protections auprès des chefs de tribus touaregs de la région sahélo-saharienne (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Algérie). La généralisation de tous les trafics (armes (68), migrants, drogues, cigarettes) et les autres activités criminelles, rapts (69) et enlèvements avec demande de rançon (70) vont permettre à l’Aqmi de se constituer un
«trésor de guerre» (71). La région sahélo-saharienne (72) devient, dès lors, le nouveau «
front Ouest du terrorisme» et Al- Qaïda au Yémen celui de l’Est, tant pour des raisons stratégiques que tactiques, suppléant ainsi la région de l’Extrême-Orient (Afghanistan, Pakistan) soumise à une intense pression militaire et aux succès timides des
«approches politiques».
En outre, l’Aqmi va accroître la détérioration du climat sécuritaire, après la conclusion de nouvelles alliances entre elle et le cartel des narcotrafiquants latino-américains (73), qui l’oblige à réorganiser ses structures dans le Sahel, en partageant les tâches en matière de transport de la cocaïne puisque l’émir Abou-Zeid (alias Mohamed Ghedir) prélève un
«impôt de passage» et le groupe de Mokhtar Belmokhtar se charge de la sécurité des convois qui transitent par l’Egypte ou/et le Maroc(74). Pour répondre à cette menace, les USA mettront en œuvre un dispositif et des manœuvres conjointes (Flintlock 2005 et 2007), qui associeront, pour la première fois, les neuf pays sahéliens dans des exercices d’entraînement et de simulation, avec les USA (75). Force est de constater qu’après des années d’existence, l’initiative américaine (76) n’a pas réduit substantiellement le terrorisme dans la région du Sahel. Mieux, le coordonnateur de la lutte antiterroriste au département d’Etat, D. Benjamin, affirmait en juillet 2010 que
«les USA écartent, pour le moment, toute éventualité de s’impliquer directement dans la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel» (77). Il ajoute que son pays
«poursuivait trois objectifs vitaux dans la région, l’éradication des cellules terroristes, l’exploitation des gisements de minerais et la sécurisation des voies maritimes (78)«. Pour lui, seules les institutions multilatérales comme la BIRD, le FMI, la FAO, la BAD, la BID, la Cnuced, l’Unesco devaient s’occuper du développement des populations locales. Or, l’effondrement programmé par l’OTAN de la Libye va précipiter les évènements et bousculer les stratégies des uns et des autres dans la région, puisqu’à l’instar des cas de l’Irak et de l’Afghanistan, leurs stratèges ont planifié la guerre mais oublié de préparer la paix concomitamment.
Comprenant, enfin, la gravité de la situation de la région sahélosaharienne (79) et confrontés à des problèmes d’ordre budgétaire (financement des opérations militaires et aux élections présidentielles), les USA vont changer de
«fusil d’épaule» et envoyer R. Maxwell, sous-secrétaire d’Etat, chargé du Maghreb, donner leurs instructions. Leur «feuille de route» affirme deux principes :
«la stabilité dans la région» (80) et, surtout,
«que les voisins de la Libye aident à la réussite du processus» qu’ils ont fixé, pour ce pays, via l’OTAN et le binôme franco-britannique ! S’agissant des problèmes folkloriques algéro-algériens et notamment des «réformes politiques», sa réponse est limpide :
«Nous attendons la concrétisation de ces réformes»… Décodé, cela signifie, ce n’est pas une priorité pour nous (81) ! Leur objectif stratégique, non affiché, est le maintien de la région sous leur contrôle et sous leur influence, de manière à maintenir intact le rapport de force qui favorise les intérêts des puissances de la coalition. L’Algérie, complètement tenue à l’écart du dispositif des alliés en Libye, est, cette fois, clairement identifiée comme le «
supplétif» de l’OTAN dans la région, après que cette dernière eut achevé sa partition, sous mandat onusien.
Disposant de ressources financières (82) pour acheter des armes
«made in USA» (83), notre pays est le seul dans la région à posséder un potentiel de lutte contre le terrorisme mais, ayant perdu ses capacités d’anticipation et agissant à partir des turpitudes romantiques présidentielles, il a perdu l’initiative dans le dossier libyen et, partant, dans les bouleversements graves qui s’opèrent à nos frontières, sous nos yeux mais sans nous ! Pour rattraper le «
train en marche», l’Algérie va afficher, une nouvelle fois, son refus de toute intervention de puissances étrangères à la région (84), qui va réduire l’indépendance des décisions souveraines des pays, ceci n’excluant pas la coopération (85). Elle fera prévaloir que toute intervention directe étrangère créera un rejet des populations et des opinions publiques, ce qui donnera à l’Aqmi un argument inespéré pour consolider son implantation dans la région. Prenant acte de son chaos diplomatique et de son absence totale de vision stratégique (86), notre pays va réunir les chefs d’état-major (la Mauritanie, le Mali et le Niger) à Tamanrasset en mars et septembre 2010, puis en avril 2011 à Bamako et créer un Centre de coordination des opérations de lutte contre les réseaux terroristes, à travers un état-major conjoint (87). En outre, des réunions de responsables du renseignement des pays de la région vont se tenir à Alger en avril et septembre 2010, avec l’installation d’un Centre de renseignement commun à Alger et la mise en place d’une unité de fusion et de liaison pour l’anti-terrorisme et la coopération (UFC). Personne ne doit perdre de vue que l’enjeu fondamental d’une guerre asymétrique et subversive demeure l’attitude et la posture des populations et des opinions publiques (si elles existent) et l’action militaire, proprement dite, n’est que l’accompagnatrice d’un processus global. Le succès ou l’échec de cette guerre dépendra donc de la capacité de chacun des pays à faire basculer la population et l’opinion publique dans son camp. C’est le seul objectif stratégique à défendre et à négocier avec nos partenaires régionaux et extrarégionaux pour le moment, afin d’éviter les échecs passés. Sans sous-évaluer ni surévaluer le phénomène terroriste à nos frontières, il est clair que son importance et sa gravité se sont amplifiées avec la nébuleuse libyenne qui a échappé complètement à l’influence de notre pays, de par notre passivité.
S’agissant d’un phénomène transfrontalier, la riposte ne peut être que transnationale d’où la nécessité de construire une coopération durable avec les pays de la région, directement concernés, pour mener en commun la lutte contre le terrorisme franchisé et mutant vers des autres formes de trafics, notamment les drogues venues d’Amérique latine (Colombie). Il faut, donc, négocier avec les puissances concernées, étrangères à la région, comme des partenaires et non comme subordonnés, ce qui implique que nous introduisons les intérêts objectifs de notre pays dans la région et dans nos profondeurs stratégiques dans le dispositif qu’ils ont arrêtés, le soutien financier et logistique (89) n’étant qu’un volet et pas le plus essentiel. Le problème, cependant, et il faut bien se l’avouer, c’est que le statut de «
partenaire» que nous devrions revendiquer ne s’attribue pas avec «
rachwa» ou par
«piston»… il se mérite et il se mérite d’abord par la relation établie par le pouvoir et son ancrage dans le «front intérieur», donc dans la société de son propre pays… et là, c’est une toute autre histoire !
Par Dr Mourad Goumiri, président de l’Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale.
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