jeudi 4 août 2011

Hélène Claudot-Hawad, Éperonner le monde. Nomadisme, cosmos et politique chez les Touaregs, Édisud, Aix-en-Provence, 2001, 199 p.

Texte intégral

1L'une des questions centrales du dernier livre de H. Claudot-Hawad se rapporte à une interrogation philosophique et sociale très ancienne, celle de l'humanité des Autres. Interrogation qui apparaît sous cet angle abstrait et universel dans les traditions occidentales, rapportées par exemple par des Grecs tels Pline l'Ancien (page 7), qui parlait des « peuples étranges », c'est-à-dire des peuples non grecs. Dans cet ouvrage, l’auteur avance que, si l'altérité apparaît comme l'autre facette de l'identité, sa gestion au sein de chaque société manifeste des visions contrastées de l'ordre du monde. Les représentations et les valeurs d’une société à dominante nomade comme les Touaregs soulignent non pas l'opposition entre différence et identité, mais bien au contraire la nécessité d'un monde pluriel, comportant au moins deux éléments distinctifs, opposés et complémentaires à la fois — thème central du chapitre 7, « Identité et altérité d'un point de vue touareg ». Les divers aspects de la vie sociale et politique des Touaregs apparaissent influencés par ce modèle global.
2Une autre question guide le choix des textes rédigés par l'auteur entre 1989 et 1999, celle de la place et de l'organisation du politique dans cette société nomade au début du xxe siècle (page 8). Dans l'historiographie occidentale, les réponses des Touaregs face à l'occupation coloniale française, avaient été, en effet, présentées comme des faits relevant de choix aberrants, inexplicables, voire irrationnels. Or, tout au long des quatre premiers chapitres consacrés à cette question, H. Claudot-Hawad montre la rationalité des stratégies et des choix politiques adoptés dans cette situation de guerre coloniale. Parallèlement, la division conceptuelle et disciplinaire établie entre l'ordre tribal, censé intéresser les ethnologues, et l'ordre du politique, censé être le domaine des sociologues et des politologues, est profondément remise en question.
3Le modèle du politique n'échappe pas à la vision pluraliste des Touaregs ; l'auteur s'attache ainsi à montrer, en particulier, que l'exercice du pouvoir n'a aucun rapport avec l'image coloniale du « chef suprême », mais qu'il est formé par plusieurs figures sociales, dont l'interaction est seule productrice de légitimité du pouvoir politique. Parmi ces figures, celles du guerrier et du religieux ont été longuement traitées dans les travaux coloniaux et modernes. Or, contrairement à l'interprétation courante qui en soulignent l'opposition et la rivalité, H. Claudot-Hawad avance que dans le modèle touareg, ce qui apparaît comme structurel n'est pas le religieux, mais l'idée qu'il n'existe pas de pouvoir sans contre-pouvoir (page 9, chapitre 4, « Ordre sacré et ordre politique »). Un contre-pouvoir qui peut être interprété par diverses figures sociales : l'artisan, l'initié, la femme… (thème abordé dans le chapitre 5, « Personnages de l'entre-deux »), qui loin d'être figées, sont dynamiques et sujettes à des transformations dans le temps (chapitre 8, « Captif sauvage, esclave enfant, affranchi cousin. La mobilité statutaire chez les Touaregs »).
4Il est précisé également que le pouvoir politique, notamment en cas de crise, n'est pas endossé systématiquement par les guerriers nobles comme on le pense couramment (thème traité notamment dans le chapitre 6, « Élite, honneur et sacrifice »). Le dernier chapitre, « L'oubli du désert » (pages 183-192), aborde le grave sujet de la destruction de la gestion nomade du territoire, dans le contexte des États-nations modernes et des exploitations de pétrole, d'uranium et de charbon (création de frontières, sédentarisation, routes, désastres écologiques…). « Aussi, l'État moderne qui se trouve en rupture avec les lois de la nature incarne-t-il d'un point de vue nomade la barbarie, et chacune de ses mesures dénote-t-elle l'inadéquation fatale entre le cycle des hommes et le cycle de l'univers, conduisant inexorablement au dérèglement du monde et à l'extinction de la vie ». (p. 192).
5Les riches données présentées par l'auteur et ses hypothèses théoriques intéressent les spécialistes, mais elles alimenteront aussi sans doute les recherches comparatives avec des sociétés sahariennes voisines. Ainsi, par exemple, on pourra constater que dans la société bidân ("maure") majoritaire en Mauritanie, se sont concrétisées les mêmes représentations coloniales qui séparaient la dimension politique de la sphère religieuse, fixant des statuts sociaux "guerrier" et "religieux", autrement dynamiques ; de même, l'idée du "chef suprême" censé agir et décider en toute solitude, comme si les contre-pouvoirs — internes et externes aux groupes de parenté — étaient inexistants. Si en pays touareg les administrateurs parlaient de "sultan" ou d’"amenukal", chez les Bidân ils préféraient parler d’"émir", ou de "chefs de tribu", autant de figures politiques qui, à force d'être imaginées et décrites sous cet angle par les observateurs coloniaux, ont fini par convaincre certains auteurs de leur véracité historique. Les études comparatives pourraient aussi apporter des réponses à des questions importantes, comme les raisons de l'éloignement culturel et politique des sociétés bidân et touarègue qui, comme le soutient H. Claudot-Hawad [Touaregs. Apprivoiser le désert, Gallimard, 2002], s’inscrivaient [au moins jusqu'au xviie siècle] dans un continuum socio-culturel au Sahara.
6Le tableau général de la situation sociale et politique actuel des Touareg que nous présente H. Claudot-Hawad est très grave, marquée par la « fragmentation extrême de l'espace politique ». La rébellion des années 1990 illustrerait « le malaise né de l'étouffement du "politique", de ses structures et de ses dynamiques, pour aboutir à une rétraction de la société à l'échelle tribale, familiale, individuelle, aggravant la marginalisation des êtres, l'opacité de leur avenir et la violence prévisible des réactions qui émailleront encore cette lente extinction ». (p. 80). On peut se demander cependant si cette extinction annoncée — terrible, effrayante, injuste — concerne tous les Touaregs ? La réponse est apportée dans une autre publication [Ibidem supra, Gallimard, 2002] qui évoque la diversité des situations vécues par les divers groupes touaregs selon les pays où ils habitent : grands programmes autoritaristes de sédentarisation planifiée dans les années 1970-80 par les États arabo-musulmans (Libye, Algérie) ou interruption brutale et tragiquement improvisée du mode de vie, des activités économiques pastorales ou commerciales, dans les États sahéliens pour cause de misère et de guerre suite aux sécheresses de 1974 et 1984 ou lors des conflits armés et des répressions sanglantes menées dans ces Etats notamment de 1990 à 1996.
7Sur le plan de la forme, enfin, on apprécie les belles photos choisies dans ce livre, mais on regrette l'inexistence d'index des noms de lieux, des noms de personnes et des notions évoquées qui auraient facilité la lecture aussi bien des spécialistes que du grand public.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Mariella Villasante-Cervello , « Hélène Claudot-HawadÉperonner le monde. Nomadisme, cosmos et politique chez les Touaregs, Édisud, Aix-en-Provence, 2001, 199 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne] , 99-100 | novembre 2002 , mis en ligne le 02 août 2011, Consulté le 04 août 2011. URL : http://remmm.revues.org/index1193.html
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DELESTAGES AU NIGER : Le cordonnier mal chaussé

jeudi 4 août 2011
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Le Niger, le pays de Hamani Diori, a célébré, le 3 août dernier, la cinquante et unième année de son accession à l’indépendance. Cinquante et un ans de souveraineté et d’autodétermination politiques, ça se fête avec faste. Surtout pour un pays qui a le vent en poupe, et qui fait la pige aux autres dans la sous-région, depuis l’organisation réussie et sans grabuge du dernier scrutin présidentiel. Une élection à l’issue de laquelle vainqueur et vaincu ont décidé de se tenir les coudes dans l’intérêt supérieur de la nation. Et c’est malheureusement en ce moment que des hommes en treillis, sans doute réfractaires à toute démarche démocratique, ont voulu attenter à la vie du chef de l’Etat.
L’Afrique n’a plus besoin de soldats d’opérette, mais de soldats consciencieux et responsables qui ne perdent jamais de vue le sens de leur sacerdoce. Toutefois, s’il est vrai que le Niger a réalisé un exploit en matière de démocratie et de bonne gouvernance, on en vient à déplorer qu’en cinquante ans d’indépendance, il soit en proie à des délestages intempestifs. En effet, depuis plusieurs jours, le pays est paralysé par de longs délestages qui perturbent toute activité économique et sociale si fait que des habitants, fort exaspérés, ont envahi les rues pour manifester publiquement leur ras-le-bol. Cela est pour le moins regrettable si l’on sait que le Niger est présenté comme le premier pays africain producteur de l’uranium, matière première dont se servent bon nombre de nations industrialisées pour produire de l’énergie nucléaire.
Certes, le Niger n’a pas suffisamment de moyens, nous dira-t-on, pour se doter d’une centrale nucléaire. Mais, à moins qu’il n’y soit totalement opposé, qu’est-ce qui l’empêche de poser ce besoin comme un préalable dans la signature des contrats d’exploitation avec ses partenaires étrangers ? Qui plus est, leNiger est un des pays sahéliens où rien que la lumière solaire à elle seule, si elle était valorisée, pourrait résoudre durablement ces récurrents problèmes de coupures d’électricité qui suscitent indignation. En vérité, le Niger, au regard de ses énormes potentialités, aurait pu produire de l’énergie au point d’en exporter. C’est vrai qu’il est prévu de coupler au barrage de Kandadji une centrale hydroélectrique de 130 mégawatts.
Mais, en attendant, voilà le Niger groggy comme un cordonnier qui s’échine à ressemeler les souliers des autres alors que les siens sont dans un état piteux. Et dans ce sillage peuvent être logés bien des pays africains comme le Congo Brazzaville, la République démocratique du Congo, le Nigeria, la Guinée, etc., qui constituent des scandales géologiques, mais qui, en matière de politique énergétique, tirent le diable par la queue, obligeant ainsi les populations à s’indigner publiquement.
Le comble de l’indignation, c’est surtout quand on apprend qu’en dépit de tout, le Niger dépend à 80% duNigeria pour son électricité. Il est pourtant peu de dire que quiconque dépend du Nigeria sera régulièrement éprouvé, puisque ce pays est constamment en proie à des turbulences sociales de tout genre. A vrai dire, il est temps que les dirigeants africains prennent la mesure du péril pour mener un diagnostic sérieux et sans complaisance sur les sempiternels problèmes de délestages, car toute politique de développement en dépend.
Boundi OUOBA
Le Pays

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1 Message

  • Bonjour,
    A un moment donné où le monde entier remet en cause l’énergie nucléaire, vous voudriez avoir une centrale nucléaire ? Vous n’avez pas vu ce qui s’est passé au Japon et aux USA, le mois dernier (deux centrales inondées dans le Nébrasca) ?
    Je voulais vous poser une question : que pensez-vous de la marée noire qui dure depuis plus de 50 ans dans le golfe du Niger ? Ne serait-ce pas plutôt de cela qu’il faudrait s’indigner ? Connaissez-vous cette prédiction de Géronimo :
    Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée , quand le dernier poisson aura été péché, alors on saura que l’argent ne se mange pas.
    Bonne après-midi.

NIGER-GUINEE : Les présidents, leurs armées et leurs transitions


00:05 04.08.2011
A l’issue des élections présidentielles en Guinée et au Niger, des messages avaient afflué de partout pour saluer et féliciter les militaires qui s’étaient sacrifiés pour leurs nations respectives, en organisant des consultations électorales à la faveur desquelles, ils remettaient le pouvoir entre les mains de présidents civils. N’est-ce pas là, l’explication de la promotion dont a été gratifiée le général Sékouba Konaté, au lendemain de l’investiture d’Alpha Condé, le 21 décembre 2010 ? Mais avec les derniers événements dans ces deux pays, on en serait à se demander si les félicitations ne sont pas arrivées un peu trop tôt. Quoiqu’il arrive, au Niger et en Guinée, respectivement, les événements de la nuit du 12 au 13 et du 19 juillet dernier, laissent croire que certains militaires caressent encore le rêve de "re-goûter" aux délices du pouvoir... 0:05 4-8-2011

lundi 1 août 2011

Tinariwen Plays "A Dunya" Live on Soundcheck

Tamikrest en concert





Rendez-vous en France à Fontaine dans 131 jours

Le samedi 10 décembre 2011 


Concert - Musique du monde World MusicMusique Africaine


Sortir a Fontaine - France


Un groupe bouleversant.

Nouvelle génération de musiciens touaregs aprèsTinariwenTamikrest chambarde l'ordre (et bouleverse tout court) en ajoutant influencesreggae et rock psyché au blues du désert. (les inrocks). Avec leur deuxième albumToumastin, les jeunes de Tamikrest créent leur propre univers utilisant des couleurs encore plus brillantes.

L’enchantement mystique des chants capture l’oreille immédiatement ; le groupe établit un rapprochement entre le Blues africain, le funkpsychédélique et un genre étrange de “désert garage”. Les guitares sont plus offensives, legroove plus profond et les chants Tamashekscandés se mélangent avec les riffs de guitare comme une caravane de voyageurs errant à travers le passé. Tamikrest est prêt à embrasser l’avenir tout en maintenant fièrement la riche tradition de son peuple.


Avec Tamikrest
Invitée : Amina

Prix donné à titre indicatif et susceptible de varier selon les frais de location

dimanche 31 juillet 2011

#libye#guerre#est-ce l’empressement vers la partition ou la fin du stataequo? (2)

www.lepost.

On assiste actuellement à un cafouillage médiatique tous azimuts ou l’info et l’intox sont à égalité  d’où d’après l’expérience on constate que quelque chose d’important est sur le point d’être finalisé.
La décision des britanniques de reconnaître le CNT et de chasser le dernier diplomate de Londres n’est pas sans fondement si ce n’est leur intime conviction de la chute imminente du dictateur par fait probablement du à une trahison survenue au sein du dernier cercle de confiance d’ailleurs leur ancien agent double M . Khoussa en saitquelque chose.
Pourquoi ce timing ? Eux connus pour leur vision et perspicacité et ils l’ont démontré à Bassora en Irak.
U ne autre information, qui tourne en boucle, rapporte que le CNT réitère son appel au départ du dictateur et renonce à sa  non poursuite judiciaire après avoir laissé les français parler la semaine dernière d’une solution politique ;
Pourquoi maintenant ?
Assistons nous à un imbroglio politicien !
D’autre part la Russie et l’algerie sont d’après des sources concomitantes, d’accord pour une partition du pays. Est-ce qu’il y a eu connivence entre les nations membres
permanents du conseil de sécurité ; dossier contre dossier ou encore tu me lâches ici je fermerai les yeux ailleurs.
Ce scénario nous rappelle celui de l’Irak après l’invasion du Koweït en 1991 en imposant à Saddam Hussein  l’autonomie kurde et instaurant  l’idée de la partition du pays selon l’appartenance ethnique ou  rituelle de la même religion et soumettant les zones pétrolifères à un contrôle international sous l’article 7 de l’exécution des résolutions du conseil de sécurité
Les caisses de l’occident ne peuvent plus répondre aux ambitions de leurs chefs politiques eux-mêmes pris par des crises internes ou préoccupés par quelques scandales ; ils ont été niais pour avoir cru que c’était une ballade et ils s’étaient enlisés dans les ergs libyens et  par la suite acculés à commettre des bavures et causer des dommages collatéraux.
Assistons nous prochainement à un second parachutage français sur Zliten de quelques tonnes de matériel qualitatif de guerre pour soutenir les révolutionnaires libyens dans leur assaut final sur Tripoli fief du dictateur !
Le croissant pétrolier Brigua-Rasnalouf-Beni jaoued étant à portée de maindes alliés et coupé pratiquement de son commandement (à environ500km) Kadhafi pourrait se retirer dans le sud ( région de Sabha) en contre partie de la sauvegarde de sa famille dans un ou plusieurs pays amis tels l’Autriche et la Hongrie , patrie de son  épouse actuelle.
L’Algérie et les touaregs continueraient à le soutenir et de toute façon la région ne serait jamais stable.
L’occident aurait son pétrole mais à quel prix ?
Aboufadhel

Libye : Impasse militaire et politique

Alors qu’à l’approche du mois du ramadan, Paris cherche à jeter les bases d’un règlement politique, les parties en conflit, insurgés et pro-Kadhafi, semblent durcir leurs positions.
L'impasse libyenne
L'impasse libyenne SIPA
« De manière générale, nous sommes dans une impasse. » Cet aveu du chef d’état-major interarmées américain, Michael Mullen, sonne comme un sérieux avertissement pour la France, placée à la tête de la coalition militaire qui opère en Libye. Alors que nos forces aériennes poursuivent leur cinquième mois de bombardements au-dessus du pays, il est devenu évident que les insurgés, représentés par le Conseil national de transition de Benghazi (CNT), sont incapables de s’emparer de Tripoli ainsi que des régions libyennes restées sous le contrôle du colonel Kadhafi. La résistance inattendue qu’oppose le dictateur – au mois de mars, on disait que trois de semaines de frappes suffirait à abattre son régime – oblige donc Paris et ses alliés à revoir sérieusement leurs plans.

Cacophonie politique

Ce n’est pas chose simple. Alain Juppé qui, jusqu’à présent, déclarait que le départ du pays du « guide » était un préalable à toute négociation avec Tripoli, a fait savoir (le 20 juillet) que ce dernier pourrait s’y maintenir à condition « qu’il se mette à l’écart de la vie politique libyenne. »
Message apparemment bien reçu par le chef du CNT, Moustapha Abdeljalil, qui, trois jours plus tard, et pour la première fois, jugeait que, « sous certaines conditions », Kadhafi pouvait rester sur ses terres. « Nous déciderons où il résidera et qui le surveillera », précisait-il. Mais depuis lors, changement de ton. « Le délai pour cette proposition est dépassé », affirme aujourd’hui le même, sans autre explication. Délai dont personne ne connaissait l’existence et qui, en toute hypothèse, s’est révélé très court. Comment expliquer ces atermoiements ? Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, pour avoir évoqué une paisible retraite du dictateur dans sa Libye natale, s’était vu récemment tancer par l’Elysée et le Quai d’Orsay…

Une complexité tribale ignorée

« Nous en sommes là parce que nous avons surestimé la capacité militaire des insurgés tout en sous-estimant celle de Kadhafi à mobiliser une partie de la population autour de lui », avance l’ancien diplomate Patrick Haimzadeh (*) en poste à l’ambassade de France de Tripoli pendant plusieurs années. « Il y a cinq mois, poursuit-il, on demandait son départ. Force est de constater que ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Sur le plan intérieur, Kadhafi reprend confiance. Sa posture de résistant (« aux forces impérialistes », selon les médias du régime, NDLR) lui a permis de retrouver une stature auprès de certains Libyens. »
Jomode Elie Getty, représentant de l’ONG Tibesti, l’un des rares Toubou (ethnie majoritaire au sud de la Libye) à vivre en France, complète l’analyse : « Les Français n’ont pas perçu la complexité tribale du pays. Et ils se sont trompés sur le rapport de force. Kadhafi est entouré de nombreux officiers toubous et touaregs (ces derniers sont implantés à l’ouest) auxquels il a confié le contrôle de leur propre territoire. Ils n’ont aucun intérêt à lui faire la guerre », explique ce Libyen, à l’origine, en 2009, de la première plainte (classée sans suite) déposée contre le dictateur devant la Cour pénale internationale.
Dès les premiers jours de l’insurrection, le « guide » aurait envoyé des émissaires auprès des chefs de tribus afin de s’assurer de leur soutien ou, tout au moins, de leur neutralité. Argent, armes, territoires, les gages donnés seraient conséquents. « Je pense que Kadhafi sent encore bien son peuple. C’est un affrontement autant psychologique que militaire. A mon avis, il est plus fort qu’il y a quatre mois », affirme Patrick Haimzadeh.

Pouvoir de nuisance

Un Kadhafi plus fort aujourd’hui qu’au début de la crise, alors que tout le monde, y compris les pays membres de la Ligue arabe, s’accorde à dire que l’avenir de la Libye s’écrira désormais sans lui ? Les informations recueillies à Tripoli par France-Soir laissent en tout cas penser que le dictateur demeure offensif, peu disposé à céder son fauteuil. Patrick Haimzadeh, de son côté, observe même « un raidissement du régime ». Pour l’ancien officier de l’armée de l’air : « Les bombardements resserrent un certain nombre de Libyens autour de la personne de Kadhafi (des images de petites filles tuées sous les bombes passent en boucle à la télévision libyenne). Et puis, le fait qu’il ait su résister jusque-là commence à payer », estime-t-il.

(*) Au Cœur de la Libye de Kadhafi, par Patrick Haimzadeh, éd. JC Lattès (2011), 15 €.
C'est sur France Soir