Ag Mohamed Oumar-L’Inter de Bamako
Pour situer les origines de la rébellion Touarègue actuelle au Mali ou du «Problème du Nord» (suivant la terminologie actuelle) deux thèses principales s’affrontent :
- a) La thèse de l’OCRS
Selon les tenants de cette thèse l’échec du projet français de création de l’OCRS (Organisation Commune des Régions Sahariennes) serait à l’origine des velléités de sécession des Touaregs. Cette thèse a été particulièrement exploitée pour présenter les Touaregs comme étant hostiles à toute cohabitation avec leurs compatriotes noirs, et les évènements actuels ne seraient que la résurgence d’anciennes aspirations étouffées.
Toutefois deux faits majeurs vont à l’encontre de cette thèse : selon A. Ag Rhissa : «En 1959, l’administration française réunit à Gao les principaux chefs de tribu des actuelles 7ème et 8ème régions : Teljat de Ménaka, Ayyouba et Efanfen d’Ansongo ; Kiyou de Gao, Badi et Ousmane de Bourem ; Intalla de Kidal (représentant son père Attaher). Le projet OCRS fut proposé : ils l’ont rejeté à l’unanimité». «En Octobre 1959, une délégation du gouvernement de la République Soudanaise conduite par M. Madeira Kéita se rendit à Kidal ou un grand meeting fut organisé». Au cours de ce meeting la question suivante, claire et précise fut posée aux sept (07) chefs de tribu de l’Adrar des Ifoghas : «Le Soudan veut aller à l’indépendance. L’Adrar adhère-t-il à cette indépendance ou reste-t-il avec la France ?» … La réponse suivante a été donnée : «Notre séparation n’est pas envisageable».»
- b) La gestion catastrophique des évènements de 1963 dans la zone de Kidal
Selon les tenants de cette thèse ce que l’on a appelé la rébellion de 1963 ne serait que la succession d’évènements malheureux. En effet selon A. Ag Rhissa: «En juin 1963, un agent de sécurité malien (Touareg), par son arrogance et sa cruauté, a déclenché un incident néfaste puisant ses racines dans l’époque coloniale.»
Dans une scène de pure provocation il a dit à un jeune Tamasheq du nom de Alladi Ag Alla : «Tu ne mérites que le sort réservé par les Français à ton père». Or le père d’Alladi, Alla Ag Albacher, hostile à l’administration coloniale depuis 1923, a été abattu en 1954 avec son fils ainé Mohamed Ag Alla. Trois jours après son enterrement, les Français le déterrèrent et coupèrent sa tête qu’ils exhibèrent en macabre trophée dans toute la zone de Bouressa «… C’est ainsi qu’après avoir désarmé l’agent de sécurité provocateur et son compagnon, Elladi abattit peu après l’un des principaux guides dont s’étaient servis les patrouilles françaises à la recherche d’Alla. Ce fut la balle fatidique, une balle loin d’avoir été tirée contre les autorités maliennes ; une balle de simple règlement de comptes internes». Cette situation a été mise à profit par l’Etat malien pour se livrer à une répression aveugle sur les populations de la zone de Kidal. L’administration a été militarisée (jusqu’au service de santé) et carte blanche avait été donnée par le président Modibo Keita au capitaine Diby Silas Diarra «pour rétablir l’ordre». Cette répression se caractérisa par :
* le massacre des populations civiles sans armes (souvent des campements entiers). Des gens brulés vifs devant leurs familles. Le mitraillage impitoyable du cheptel sapant ainsi le fondement économique de la société Touareg de Kidal ;
* les tentatives d’acculturation en obligeant les enfants Tamasheqs à chanter en bambara. La reddition des insurgés fut obtenue en 1964 par Intalla Ag Attaher et la fin officielle de la rébellion proclamée le 22 septembre 1964. Cette répression engendra un exil massif des populations dans les pays limitrophes : Algérie et plus tard Libye.
Les horreurs de 1963-1964 ont laissé des plaies béantes dans l’amour-propre des populations. Les exactions ne se sont pas arrêtées après la proclamation officielle de la fin de la rébellion. La zone de Kidal a vécu depuis sous un état d’urgence de fait. Après le coup d’Etat militaire de 1968, Diby Silas Diarra fut promu gouverneur à Gao puis à Mopti et ne fut écarté qu’à la suite d’une tentative de coup d’Etat en 1969.
- c) La rébellion de 1990
En juin 1990, eurent lieu les attaques de Tidermène et de Ménaka par des «bandits armés» qui saccagèrent les locaux administratifs et militaires et firent des nombreuses victimes dont le chef d’arrondissement de Tidermène et des gardes à Ménaka. Dans leur repli ils emportèrent un important lot d’armes et huit (08) véhicules 4x 4 de Vision mondiale.
Depuis les zones de Ménaka-Gao entrèrent dans un cycle infernal d’attaques représailles qui culmina par les exécutions de Tineawker et de Kidal. Les auteurs de ces attaques étaient jusque-là inconnus et ce n’est qu’en septembre 1990 qu’un certain Iyad A. Rhaly chef du MPA revendiqua toutes ces actions. Il faut signaler que durant cette période la rébellion s’attaquait essentiellement aux symboles de l’Etat.
Le gouvernement d’alors engagea des négociations avec les rebelles qui aboutirent à la signature des accords de Tamanrasset le 06 janvier 1991. La signature de ces accords a coïncidé avec une situation proche de l’insurrection à l’intérieur du Mali. Situation qui aboutira au renversement du régime en mars 1991.
Entre temps intervint en février 1991, l’attaque de la ville de Bourem, suivie de la destruction des équipements de l’usine des phosphates. Après le 26 mars 1991, les attaques rebelles sont devenues plus fréquentes et la plupart des axes routiers du Nord étaient devenus très dangereux. (Vols et enlèvements de véhicules étaient fréquents). L’insécurité au départ limitée aux zones de Gao-Kidal-Ménaka s’est étendue à l’ouest du pays (Région de Tombouctou) jusque-là épargné. La nouvelle insécurité généralisée a entrainé le redéploiement de l’armée (qui avait été repliée à la faveur des accords de Tamanrasset) surtout dans la région de Tombouctou.
On est vite retombé dans le cycle attaques-représailles avec comme principale zone d’action la région de Tombouctou et essentiellement le Haoussa (rive gauche du fleuve Niger). Cette situation a culminé avec les pillages suivis d’exécution sommaire à Tombouctou en début Mai 1991 et surtout avec l’attaque rebelle de Goundam qui fit de nombreuses victimes dont des civils le 20 Mai suivie le même jour des exécutions par l’armée des notables de Léré.
La conséquence de cette situation sera l’exode de toutes les populations Arabo- touareg de la région vers la Mauritanie essentiellement et dans une moindre mesure l’Algérie. Il y eut dès lors un état de quasi guerre civile avec des tueries de populations civiles sédentaires et de peulhs semi-nomades suivies d’enlèvements de leurs biens. Tous les axes routiers étaient devenus impraticables.
Des négociations furent engagées entre le gouvernement central et les mouvements qui aboutiront à la signature le 11 avril 1992 d’un Pacte national. Après la signature de ce pacte, il y eut un léger mieux être même s’il faudrait signaler quelques dérapages (évènements de Gossi et de Goundam en Mai 1992). L’un des points essentiels du pacte est l’intégration des ex-rebelles dans l’armée malienne ; cette intégration eut partiellement lieu en Avril 1993 (640 combattants).
Situation d’avant la crise de juin 1994
L’intégration des combattants suivie de leur déploiement dans l’ensemble des villes au Nord (Léré-Goundam-Tonka-Tombouctou-Gao- Rharous-Bourem-Ménaka-Kidal) permit à des rebelles non «intégrés» d’avoir une liberté de mouvement totale sur l’ensemble du territoire national (avec leurs armes). Il suffisait pour cela qu’ils soient munis d’un ordre de mission de leur mouvement. Les Non Intégrés profitèrent de cette situation pour ouvrir des nouvelles bases dans des zones à forte concentration humaine, adoptant la plupart à l’égard des populations civiles une attitude de conquérants (assurer la police- rançonner au passage).
Les attaques le long d’axes routiers ont repris et les vols de bétails accompagnés de morts d’hommes sont devenus un banal fait divers, les vols de véhicules sont de plus en plus spectaculaires (En plein jour dans les centres urbains) et les intégrés n’ont jamais paru préoccupés par cette situation. Un sentiment diffus d’insécurité et d’impuissance a commencé à gagner les populations qui se sont senties abandonnés et livrées à des bandes de pillards dont ceux qui sont chargés de la sécurité seraient des complices sinon des animateurs. La réserve envers des intégrés s’est vite muée en rejet et les évènements de Ménaka et de Gao n’ont fait qu’accélérer ce processus.
En Mai 1994 à Gao, deux jeunes gens touareg qui tentaient d’enlever un véhicule furent lynchés par la foule, alertés, les intégrés les transportèrent à l’hôpital ou les attendait une foule de manifestants. La tension monta et les intégrés ouvrirent le feu sur la foule faisant une quinzaine de victimes. A partir de cet instant les populations sédentaires se convainquent que leur survie était menacée par la présence des intégrés. C’est dans cette situation que le 10 mai 1994 un capitaine de l’armée de l’air en service à Sévaré déserta sa garnison en emportant avec lui des armes et deux véhicules de l’Etat, l’action a été revendiquée au nom d’un mouvement noir appelé «Gandakoy». Ce mouvement avait fait paraitre en août 1992 un tract raciste appelant au meurtre contre les Touaregs. Ce mouvement Gandakoy revendiqua l’assassinat de treize (13) personnes (touareg) qui abreuvaient leurs animaux au fleuve à Tacharane. Zahaby Ould Sidi Mohamed à Gao à l’époque fut informé et décida d’organiser une expédition punitive sur la base Gandakoy de Fafa.
De retour de cette expédition l’armée malienne (détachement d’Ansongo) tira sur le convoi faisant des morts, dont le chef d’Etat-major du FIAA Boubacar Sadeck. Cet incident déclencha la crise de juin 1994. Si le point de départ effectif de la crise a été les «évènements de Fafa», les accords d’Alger du 15 Mai 1994 l’ont précipité. En effet, l’ensemble des forces hostiles au pacte national (armée, partis politiques de l’opposition, cadres sonrhaï) ont vu dans ces accords une étape qui rendrait irréversible le processus du pacte national. Ceci explique la vertigineuse accélération des évènements dans la semaine du 8 au 15 juin 1994.
Ag Mohamed Oumar
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