jeudi 16 novembre 2017

Nucléaire : le très obscur passage d’Édouard Philippe chez Areva



Renoncement à l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production électrique de 75% à 50% à l’horizon 2025, un objectif pourtant inscrit dans la loi de transition énergétique depuis 2015 et qui, de plus, était un engagement de campagne d’Emmanuel Macron. Avis favorable à l’enfouissement des déchets nucléaires, qu’il considère désormais comme la « moins mauvaise solution ». Mais quelle mouche a bien pu piquer le ministre de la transition écologique pour qu’il renie à ce point ses convictions ?! Après le glyphosate, les énergies fossiles, voici le nucléaire pourtant autrefois cheval de bataille d’Hulot l’écolo ! Pour L’Observatoire du nucléaire, il reprend même mot pour mot les éléments de langage de l’industrie de l’atome (1).
Et pour cause ! Les lobbyistes du nucléaire ne sont pas à chercher bien loin dans ce gouvernement. En effet, le premier d’entre eux en est un, ou du moins en était un. Édouard Philippe, premier ministre donc et ancien directeur des affaires publiques de l’ ex-géant du secteur, Areva, entre 2007 et 2010 (2). Alors pour être clair, les affaires publiques (public relations en anglais) c’est du lobbying. Donc Édouard Philippe était en quelque sorte le lobbyiste en chef du groupe. Et lorsque l’on fouille un peu, on se rend compte que son profil n’a pas été choisi par hasard. L’ancien rocardiste qui rejoint le RPR en 2001 auprès du maire du Havre de l’époque Antoine Rufenacht, participe en 2002 à la création de l’UMP avec Alain Juppé, lequel le nommera conseiller spécial lors de son bref passage (1 mois) au ministère de l’écologie en 2007. C’est à ce moment là qu’il sera recruté par Areva pour une mission… très précise. Selon un article de Charlie Hebdo datant du 29 avril 2009 intitulé « Le lobbying d’Areva pour l’uranium du Niger » (3), le lobbyiste « chargé des relations avec les élus » se nomme… Édouard Philippe. Selon l’entreprise il est même en contact régulier avec Marc Vampa, député de l’Eure et président du groupe d’amitié France-Niger à l’Assemblée.
Mais pourquoi Areva avait-elle besoin de faire pression sur les parlementaires me direz-vous ? Resituons le contexte. À cette époque le Niger est en proie à une révolte des touaregs, très fortement réprimée par l’armée. Entre 2007 et 2008, un rapport accablant de l’ONU (4) recense au minimum 78 exécutions sommaires parmi les populations autochtones du nord du pays. Pour trouver les origines de cette révolte il faut remonter au début des années 2000, selon Jérôme Bouquet-Elkaïm, avocat de plusieurs associations de touaregs, que nous avons contacté. Le gouvernement nigérien décide alors de découper le nord du pays en une multitude de concessions minières au profit des multinationales occidentales sur une surface où les touaregs pratiquent l’élevage nomade, représentant alors 11% (!) du PIB du pays. Cette expropriation entraine la destruction de campements et l’abattage des élevages. La conséquence directe de cette situation est une marginalisation sociale des Touaregs qui, privés de leurs espaces traditionnels, des pâturages, de la ressource en eau perdent leurs moyens de subsistance et sont réduits à l’exode vers les villes minières où aucun travail, aucune capacité d’accueil et aucune infrastructure n’existent, cette tragédie humaine se jouant en outre dans une région largement contaminée par les pollutions radioactives d’Areva. Pendant plusieurs années la société civile touareg interpelle les autorités et l’entreprise française sur les problèmes liés à la crise environnementale, sanitaire et sociale générée par l’exploitation de l’uranium, mais également sur la nécessité de respecter les droits fondamentaux des Touaregs. Ces appels au dialogue ne seront jamais entendus et même totalement ignorés par Areva, comme le confirment ces images d’archives de France 3.

Du côté de l’industriel français la position officielle est la suivante : « Nous n’intervenons pas sur ce qui se passe à l’extérieur de nos sites, nous sommes des industriels, nous ne faisons pas de politique ». Une position moralement très discutable mais surtout totalement démentie par les faits.
Le 13 janvier 2008, 6 mois après la prise de fonction d’Édouard Philippe, Paris et Niamey signent un accord pour garantir la protection des sites d’Areva par l’armée. Areva qui aurait publiquement demandé à l’État français de donner des armes au Niger pour « mater la rébellion » par l’intermédiaire de Thierry d’Arbonneau, son directeur de la sécurité, selon Me Bouquet-Elkaim. L’industriel sera débouté dans son procès en diffamation contre l’avocat devant le tribunal de grande instance de Paris.
Il est très important de noter qu’à cette époque l’État est encore actionnaire à 90% d’Areva. C’est en cette qualité qu’il sera fermement interpellé par le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU le 28 septembre 2009 dans un document que nous nous sommes procuré (5).
Extrait de la lettre du CERD à l’État français (5)
Revenons-en à Édouard Philippe. Il semblerait que son activité de lobbying auprès des parlementaires consistait à rassurer et donner une image transparente des activités d’Areva au Niger. De montrer, comme le confiait Jacques-Emmanuel Saulnier, ancien directeur de la communication, que « les salariés nigériens bénéficient des mêmes normes que les salariés français ». En gros, qu’Areva est exemplaire en ce qui concerne les conditions de travail à l’intérieur des mines. À l’extérieur par contre, circulez il n’y a rien à voir. Ces manœuvres avaient vraisemblablement pour but d’obtenir de nouveaux accords entre les deux pays sur le renouvellement et l’extension des concessions minières.
La question se pose donc aujourd’hui. Notre premier ministre a-t-il couvert, en toute connaissance de cause, la complicité d’Areva dans le pillage et la répression des populations autochtones ? Pour Stéphane Lhomme, de L’Observatoire du nucléaire, « M. Philippe a les mains très sales, ou plutôt… radioactives » (6). Selon Me Bouquet-Elkaim, la révolte des touaregs, qui n’avait à l’origine aucune portée idéologique, s’est radicalisée ces dernières années au Niger ou au Mali. Ses membres se sont alliés à des mouvements djihadistes dans un conflit qui terrorise la région depuis 2012. Une nouvelle preuve que le pillage des matières premières par les multinationales occidentales, au mépris des droits fondamentaux, coutumiers, sociaux et environnementaux des populations locales, ne mène à rien d’autre qu’au terrorisme, à la guerre et à l’émigration massive…

Références :
1. Déchets radioactifs : Nicolas Hulot confirme sa soumission au lobby nucléaire : http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article345
2. Edouard Philippe, discret directeur d’Areva : https://www.mediapart.fr/journal/france/250617/edouard-philippe-discret-directeur-d-areva?onglet=full
3. Le lobbying d’Areva pour l’uranium du Niger : http://areva.niger.free.fr/index.php?2009/04/29/43-charlie-hebdo-le-lobbying-d-areva-pour-l-uranium-du-niger
4. Rapport du rapporteur de l’ONU au Niger : http://www.libreactu.fr/wp-content/uploads/2017/11/rapport-ONU-Niger.pdf
5. Lettre du CERD de l’ONU à l’Etat français : http://www.libreactu.fr/wp-content/uploads/2017/11/France28092009.pdf
6. Edouard Philippe, impliqué dans le pillage de l’uranium du Niger par Areva : http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article330
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