mardi 11 octobre 2016

Au Niger, l’armée affaiblie par la paranoïa de son président


Au Niger, l’armée affaiblie par la paranoïa de son président

Par Laurent Bigot (chroniqueur Le Monde Afrique)

LE MONDE Le 10.10.2016 à 12h24 • Mis à jour le 10.10.2016 à 13h30
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L’armée nigérienne est exposée sur plusieurs fronts où ses ennemis sont mobiles et insaisissables. A la frontière avec le Nigeria et le Tchad, Boko Haram a infligé de lourdes pertes aux forces de sécurité nigériennes. La dernière attaque en date est venue d’un autre front, le Mali, et a causé la mort de 22 soldats nigériens au moins à Tazalit, jeudi 6 octobre. Selon le ministre de la défense nigérien, Hassoumi Massaoudou, elle serait l’œuvre de groupes narcoterroristes implantés au Mali.

L’armée nigérienne paie un lourd tribut depuis quelques années pour assurer la sécurité du Niger. Pourtant, ce pays Niger consacre une part croissante de ses ressources à l’armée puisque, selon le ministre Hassoumi Massaoudou, les dépenses ont été multipliées par quinze.
Nombreux officiers éloignés

Alors où est le problème ? Dans l’affaiblissement de l’armée nigérienne depuis l’élection de Mahamadou Issoufou, en 2011. Obsédé qu’il est par son adversaire politique, Hama Amadou, le président Issoufou et son entourage se sont intoxiqués à la paranoïa, persuadés que Hama Amadou se saisirait du pouvoir par la force avec l’aide d’officiers lui étant restés fidèles depuis l’époque où il était premier ministre (de 2000 à 2007) du président Tandja. L’actuel ministre de l’intérieur Mohamed Bazoum avait même évoqué dans une interview à Jeune Afrique, fin 2015, de prétendues connexions entre Hama Amadou et des « officiers ethnicistes ». Cette paranoïa a conduit à l’éloignement de nombreux officiers de valeur (comme attachés de défense dans des ambassades, par exemple) et à l’ostracisation d’une partie des officiers soupçonnés d’être proches de Hama Amadou.

Une partie de l’armée s’est sentie humiliée en décembre 2015 avec les suites de la supposée tentative de coup d’Etat. Des officiers sont depuis lors en prison sans qu’aucun procès ne soit prévu, ni aucune preuve présentée, malgré les déclarations tonitruantes du ministre de la défense de l’époque qui avait affirmé que certains officiers étaient passés aux aveux alors que les accusés continuent de clamer leur innocence.

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Cette déstabilisation de l’armée s’est, en outre, accompagnée d’un large détournement des ressources du budget du ministère de la défense. Si le budget de la défense a été multiplié par quinze, celui du patrimoine de certains l’a été par un facteur au moins équivalent. Au-delà de l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel, c’est le rôle d’un intermédiaire sulfureux qui alimente la chronique à Niamey. Cet intermédiaire, dont le surnom est « petit Boubé », a été attributaire de nombreux marchés qu’il a au mieux surfacturés, au pire détournés (il aurait encaissé des avances sans jamais livrer le matériel). « Petit Boubé » est également recherché par la justice au Nigeria, car son nom apparaît dans l’affaire du détournement de plusieurs milliards de dollars par Sambo Dasuki, conseiller à la sécurité nationale de l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan. Tout cela n’a été possible qu’avec la protection du précédent ministre de la défense du président Issoufou, Mahamadou Karidjo, dont le patrimoine immobilier à Niamey a connu une embellie spectaculaire. Ce dernier a été élu cette année président de la Haute Cour de justice, la seule institution susceptible de mettre en accusation le président de la République et de le juger. Elle juge également les membres du gouvernement…
Narcotrafiquants notoires

Ces détournements ont pour principal effet de priver l’armée de matériel performant, qui leur fait cruellement défaut face à Boko Haram. En revanche, le matériel de la garde présidentielle est flambant neuf, comme j’ai pu le constater lors de mon dernier séjour à Niamey. Alors que le président devait serendre à l’aéroport pour un voyage à l’étranger (les déplacements à l’étranger occupent une grande place dans l’agenda présidentiel) et que la circulation était bloquée depuis une heure dans Niamey, j’ai pu admirer les uniformes neufs des militaires postés aux différents carrefours et leur impressionnant matériel incluant même des blindés ! La protection du président impose une meilleure gestion des deniers publics semble-t-il.

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Les précédentes défaites se sont produites face à Boko Haram. Celle de Tazalit face à des narcoterroristes, selon le ministre de la défense. Cela risque de poser un sérieux problème à l’Etat du Niger. Nombreux, en effet, sont ceux qui dénoncent la présence de narcotrafiquants notoires à proximité du pouvoir nigérien (les services de renseignement occidentaux en sont parfaitement informés et ont écrit quelques rapports sur le sujet), dont un des représentants les plus illustres, Chérif Ould Abidine, dit « Chérif Cocaïne », est décédé peu avant la présidentielle de 2016 (le président Issoufou a même assisté à la levée du corps).

Certains proches du président nigérien concèdent en privé que cette proximité constitue un problème, mais également un sujet tabou que personne ne peut évoquer avec lui, qui ne tolère plus aucune critique. L’un d’entre eux me confiait même récemment ne plus reconnaître Mahamadou Issoufou, l’homme. La gangrène aurait donc atteint le sommet de l’Etat ? Certainement. Et ce n’est pas l’opération anticorruption « Mai Boulala » (« celui qui a la chicotte » en haoussa) qui y remédiera, car aucune des têtes d’affiche n’a encore été mise en cause. Et ne le sera probablement pas.
La France ferme les yeux

Et que pense la France de tout ça ? Elle n’en pense rien, car elle ferme les yeux. Le président Issoufou est un ami du président Hollande donc tout va bien au Niger, tout comme au Mali puisque le président Ibrahim Boubacar Keïta est aussi un de ses amis. Et puis le Niger doit rester stable, donc interdiction d’ouvrir les yeux. On se contente de l’apparente stabilité du moment sans faire l’effort intellectuel de comprendre ce qui contribuerait à une stabilité réelle et durable. Cet argument de la stabilité nous a coûté cher par le passé, car c’est avec ce type de raisonnement que nous avons soutenu des dictateurs tels Bachar Al-Assad (et oui, on l’aimait bien avant), Mouammar Kadhafi (lui aussi a été un ami), Ben Ali, Saddam Hussein, qui ont fini par provoquer l’effondrement de leur pays.

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Quand la stabilité devient un objectif en soi, elle permet de couvrir les pires dérives et ne fait que creuser le sillon de graves déstabilisations ultérieures, voire de guerres civiles comme en Syrie ou en Libye. La stabilité d’un pays doit être la conséquence d’un fonctionnement équilibré des institutions et de l’effectivité de l’Etat de droit. Mais il est vrai que, vu ainsi, cela nécessite une politique étrangère courageuse et ambitieuse bien éloignée des simplismes qui prévalent aujourd’hui. Puisque personne ne s’inquiète que notre politique aille dans le mur au Sahel, alors allons-y !

Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.


Laurent Bigotchroniqueur Le Monde Afrique


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