REPORTAGE – Le conflit opposant les Toubous aux Touaregs, accusés de soutenir les jihadistes, gagne en intensité.
Amahisse surveille ses hommes. A 250 mètres d’altitude, le vent balaie le sommet tabulaire du mont Tendé, compliquant l’exécution de ses ordres et rendant la température ressentie peu clémente, bien que la scène se déroule aux confins du Sahara. Le regard fixé sur la ville d’Oubari qui s’étend devant lui, le militaire touareg désigne une route à l’est : «C’est par là que viennent les Toubous. Notre mission est de détruire leurs convois. Dans le centre-ville, ils se postent en haut des bâtiments pour nous tirer dessus. » Des lance-roquettes français SNEB 68 mm sont pointés sur la route. Il y a là aussi des fusils belges FN et des mitrailleuses soviétiques Douchka. A les entendre parler de leurs armes, on comprend que les adolescents les préfèrent aux stylos qu’ils ont délaissés pour faire la guerre.
Ravitaillement.
Depuis septembre, les Toubous, une ethnie nomade, tentent d’occuper le bastion touareg d’Oubari. Le conflit a fait déjà au moins 200 morts. Les combats regagnent en intensité depuis vendredi, quand les Toubous ont tué le chef militaire Idal Aboubaker. Les Touaregs ont aussitôt répliqué. Le front s’est stabilisé, laissant des dizaines de victimes dans les deux camps. Les Touaregs - peuple berbère - ont mis en place une cinquantaine de postes de combat qui encerclent quasiment la ville. Seul le quartier de Dissa échappe à ce maillage permettant aux Toubous d’être ravitaillés depuis Mourzouk, leur fief situé à 170 km au sud-est d’Oubari.
Le ravitaillement est justement le principal problème des civils touaregs. De 40 000, Oubari est passé à 15 000 habitants. Les familles ont fui à l’ouest, en direction de Ghat. Elles pensaient, à tort, y trouver plus facilement de la nourriture. Mais les combats empêchent l’arrivée régulière de camions de marchandises dans cette zone reculée. Résultat, les prix flambent. Le sac de 25 kg de riz coûte 27,40 euros contre 3,40 euros en temps normal dans les coopératives. Les femmes et les enfants squattent des maisons inachevées, reliques d’un programme immobilier lancé par Muammar al-Kadhafi, avec raccordements sauvages à l’eau et l’électricité. «Les habitants de Ghat détournent les dons en provenance de Tripoli pour eux-mêmes, il ne reste plus rien pour nous», se plaint Fatima Sidi, réfugiée à Tahala, à une soixantaine de kilomètres au nord de Ghat. En creux ressurgit un antagonisme ancien entre Oubari, capitale économique touareg, et Ghat, cité touareg enclavée entre la frontière algérienne et les monts de l’Akakous.
Hub terroriste.
Aboubaker Ingidazen, descendant d’une famille noble, sort avec précaution un papier jauni d’une mallette en acier : «C’est le traité de paix de "Midi-Midi" qui date de 1893. Il marque la fin d’une guerre de neuf ans pendant laquelle les Toubous ont voulu s’approprier notre territoire.» L’histoire se répète. A l’époque, le conflit était parti d’un vol de bétail. Aujourd’hui, les Touaregs accusent les Toubous d’avoir organisé un trafic d’essence au cœur d’Oubari et plus largement de vouloir s’y implanter. «Il ne s’agit que d’une guerre ethnique pour la conquête de territoire. Ça n’a rien à voir avec la politique», assure Ali Jeli, une «Sage» touareg. Ce que réfutent les Toubous. Pour eux, les combattants touaregs soutiennent les islamistes.
Sur le front médiatique, les Toubous comptent un allié de poids : la France. En décembre, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a visité la base militaire française de Madama dans le nord du Niger, où l’influence touboue est forte, pour déclarer : «C’est là que se trouve le chef jihadiste Belmokhtar, mais aussi Iyad ag-Ghaly, le leader d’Ansar ed-Dine [groupe terroriste touareg, ndlr]. Le sud de la Libye est devenu un hub terroriste.» Depuis, les Touaregs soupçonnent la France de vouloir revenir avec l’aide des Toubous dans cette région dont elle n’est partie qu’en 1956.
Dunes.
«Il n’y a pas d’islamistes chez nous, nous n’avons pas de drapeau noir, martèle le lieutenant-colonel Omar al-Ghadi. Les camps jihadistes sont au nord, pas ici.» En l’absence de contrôle aux frontières, les terroristes utilisent le Sud libyen pour le trafic de drogue et le transport de militants jusqu’aux villes côtières. Ce qui nécessite des chauffeurs compétents. Or, seuls les Touaregs et les Toubous savent se diriger dans les dunes sahéliennes. «Nos jeunes sont forcés de travailler avec les terroristes, c’est le seul moyen de gagner de l’argent, estime Salah Ahmed Mohamed, un habitant d’Oubari. Les Arabes nous ont toujours marginalisés. Mais si un Touareg se compromet avec eux, il perd l’estime de la communauté.» A 40 000 euros minimum pour véhiculer des terroristes du sud au nord, la tentation est forte. Pour se débarrasser de leur image islamiste, les Touaregs libyens ont créé en février un conseil chargé de porter leur voix sur la scène nationale et internationale. Comme chef, ils ont choisi Hussein al-Koni, ambassadeur libyen au Niger pendant dix-sept ans sous Kadhafi.
Mathieu GALTIER Envoyé spécial de Libération dans le Sud libyen
Liberation.fr