mercredi 17 décembre 2014

A
u moins, la pelouse est à nouveau tondue depuis la fin des combats à Tripoli. Pour le reste, le siège de la Compagnie nationale du pétrole (NOC), à l’image de la Libye, reste en jachère. Alors que se profile le 27 novembre, une importante réunion de l’organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), l’entreprise étatique ne sait toujours pas qui représentera le pays. Pendant que les jardiniers rafraîchissent le gazon, les cadres se terrent dans leur bureau. Le standardiste, combiné dans une main et café au lait dans l’autre, répond invariablement : «Il n’est pas joignable.» «Vous savez la situation est compliquée, donner un nom ce n’est pas possible», lâche un porte-parole au téléphone.
Depuis septembre, deux pouvoirs se font face : d’une part le «gouvernement de salut national», basé à Tripoli, soutenu par le groupe «Aube libyenne» et leurs alliés islamistes, et composé de révolutionnaires radicaux ; d’autre part le gouvernement installé dans l’est du pays, dans la ville de Tobrouk, et placé sous la protection de la Chambre des représentants, de tendance modérée. Cette dernière a été invalidée par la Cour suprême le 6 novembre… mais est toujours reconnue par l’ONU. Cette crise politique, qui déborde en affrontements militaires, paralyse la Libye depuis cet été. Y compris le marché pétrolier qui représente 90% du revenu du pays, selon un rapport du Bureau d’audit libyen de juin 2013. Les deux exécutifs rivaux s’accordent pour estimer la production actuelle d’or noir à environ 800 000 barils journaliers (993 000 en 2013). Très loin du nombre de 1,8 million visé par les experts au lendemain de la chute de Kadhafi en 2011.
Combats incessants. Sur le terrain, cette sous-production s’explique par des combats incessants pour la possession des champs pétroliers. Ainsi, le site d’al-Fil, géré en joint-venture par la NOC et l’Italien ENI, a été fermé début novembre après que des brigades de la ville de Misrata et de Touaregs - alliés au gouvernement de Tripoli - en ont pris le contrôle au détriment des Toubous et des Zintanis, principaux soutiens du gouvernement de Tobrouk. Avec une production de 130 000 barils par jour, al-Fil est la concession la plus importante du bassin de Mourzouk, situé dans le sud-ouest libyen.
Seuls les plateformes offshore n’ont pas connu de problèmes de production en Libye. Mais c’est à l’Est, dans la région de Cyrénaïque, que les gisements pétroliers sont les plus conséquents. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est là que s’est réfugiée la Chambre des représentants. L’assemblée, élue le 25 juin, garde la main sur les principales infrastructures. Elle devrait se réunir prochainement à Ras Lanouf où se trouve la principale raffinerie du pays. C’est l’un de fief du chef de milice Ibrahim Jedran, qui a été à l’origine d’un long blocage des sites pétroliers de l’est de la Libye entre l’été 2013 et le printemps 2014, et qui a pris fait et cause pour la Chambre des représentants. «Plutôt être enfermé avec Abdullah al-Senoussi [ancien chef du renseignement de Kadhafi, emprisonné à Tripoli, ndlr] que passer un marché avec Aube libyenne», déclare-t-il.
Manne. Le gouvernement de Omar al-Hassi à Tripoli ne se laisse pas faire pour autant. Les nouveaux maîtres de Tripoli ont annexé les ministères. Surtout, ils n’hésitent pas à déplacer leurs pick-up surmontés de mitrailleuses anti-aériennes pour montrer leur force. La compagnie étatique des télécommunications a été investie par une brigade quelques jours avant que le gouvernement de salut national ne décide de renforcer sa surveillance d’Internet. «Le risque qu’ils fassent de même avec la NOC et la Banque centrale n’est pas nul si jamais elles n’allaient pas dans leur sens», s’inquiète un haut fonctionnaire. Contrôler ces deux institutions, c’est s’assurer l’argent issu de la manne pétrolière aux deux bouts de la chaîne. Jusqu’à présent, les deux instances étaient restées neutres dans le conflit. La décision de la Cour suprême et ces intimidations pourraient changer la donne.
Les experts déplorent ce chaos alors que la situation mondiale ne joue pas en faveur de la Libye. «Tout le monde devrait avoir le même intérêt : celui d’obtenir une baisse de la production pour faire augmenter le prix du baril. Il s’agit de notre seule richesse. L’idéal serait que le prix revienne au moins autour de 100 dollars. Avec l’instabilité, les compagnies étrangères ne vont pas revenir avant longtemps pour réaliser de nouvelles explorations. Nous devons obtenir le maximum d’argent jusqu’à ce que la situation se pacifie», explique un ex-cadre de la NOC.
Désinvoltes. Samir Kamal, le représentant libyen auprès de l’Opep, suit le même raisonnement quand il demande aux pays membres de fixer un nouveau plafond de production à 29,5 millions barils par jour. Toutefois, le Libyen insiste : il ne parle au nom d’aucun gouvernement. Et pour cause, aucun ne veut abattre ses cartes avant l’autre. A Tobrouk, c’est silence officiel sur l’envoi d’un émissaire au siège de l’Opep, à Vienne. A Tripoli, le gouvernement joue les (faux) désinvoltes : «Le mieux c’est que le responsable de la NOC [Moustafa Sanallah] et notre ministre du Pétrole [Mashallah al-Zawi] soient présents. Mais la réunion est dans une semaine, on a le temps…»
Mathieu GALTIER De notre correspondant à Tripoli
Liberation.fr

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