dimanche 7 décembre 2014

Assalih Jaghfar, de la caravane de sel à l’université

En chantre de la francophonie, l’enfant touareg du désert nigérien est devenu chef de projets de l’Agence universitaire de la francophonie pour l’Afrique de l’Ouest
30/11/14 - 18 H 44
Assalih Jaghfar, un destin qui force le respect.
(MARIE VERDIER)

Assalih Jaghfar, un destin qui force le respect.

AVEC CET ARTICLE
Il n’a que 34 ans et déjà plusieurs vies à son actif. Lorsqu’il regarde son parcours depuis son enfance dans le désert nigérien jusqu’au bureau de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) à Dakar (Sénégal), en passant par l’Algérie, Haïti, la France et le Québec, Assalih Jaghfar a conscience que sa vie est un récit.
Enfant, il a la rage d’apprendre. Pourtant la première année fut dure, à l’école française du village de l’oasis de Timia, à une trentaine de kilomètres de son campement de nomades. Le petit Assalih ne parle que touareg. Il écrit des mots, « vélo », « lavabo », « xylophone ». « Des choses que je n’avais jamais vues ! »
Mais quand il voit passer des touristes, sur la route du Paris-Dakar, qui empruntent ces spectaculaires montagnes nigériennes de l’Aïr, il se promet que lui aussi, un jour, il fera « comme ces gens-là ». Il voyagera en voiture et en avion. Aux vacanciers, il distribuait des bouts de papier avec son adresse. Et il recevait parfois une carte postale, comme celle venue« du bassin d’Arcachon ».
Le père d’Assalih Jaghfar faisait la caravane de sel : il partait pendant quatre-vingt-dix jours à dromadaire chargé de viande et de pots à troquer contre dattes et sel, mil et vêtements. Et il ne voyait guère d’un bon œil son fils aîné s’engouffrer dans les études. Mais il remplit son quota. « Selon les règles du comité de village, une famille qui a un enfant à l’école n’était pas contrainte d’y envoyer le second. Cela a pénalisé mes deux frères, l’un est jardinier, l’autre boulanger autodidacte, et mes deux sœurs, mères au foyer. » Assalih Jaghfar se rassure en se disant qu’« ils s’en sortent bien »au village et que lui-même met évidemment la main à la poche.
L’adolescent doit s’assumer pour poursuivre ses études au collège, à Arlit, à 220 kilomètres au nord. Il emprunte les pas des enfants du village, se cherche un tuteur qui l’hébergera et le nourrira parmi les cadres nigériens employés par Areva. Puis, cap trois cent kilomètres plus au sud, à Agadez, pour le lycée et une nouvelle quête de tutorat. Enfin, expédition de 1 000 km jusqu’à Niamey pour récupérer une bourse algérienne qu’il a décrochée. Il demande informatique, mais est inscrit en économie à l’université de Béjaïa en Kabylie. Il est quasiment sans le sou, mais un Français de Louviers qui a créé l’association des amis de Timia lui vient en aide.

RESCAPÉ DU SÉISME D’HAÏTI EN 2010

Quatre ans plus tard, sa licence en poche, le voilà guide accompagnateur pour des treks dans le désert. à l’époque, le tourisme florissait dans la région d’Agadez. Pourtant Assalih Jaghfar garde l’obsession de l’université. « Ma grand-mère m’a toujours demandé de revenir au village pour être instituteur. » Mais chaque soir, il s’initie à l’ordinateur dans un cybercafé et décroche à nouveau une bourse de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) à… Haïti, où il restera après son master 2 comme chargé de communication de l’Institut de la francophonie.
Il a par deux fois la vie sauve ce terrible 12 janvier 2010 quand un séisme dévaste Haïti. Exceptionnellement, il avait quitté tôt ce jour-là l’Institut avant que celui-ci ne s’effondre, engloutissant dans ses décombres une dizaine de personnes. Puis, dans la rue, une femme le tire par le bras, le protégeant d’un bloc de béton qui s’abat devant lui.
Terriblement traumatisé, Assalih Jaghfar coopère à la cellule de crise de l’AUF depuis Paris pour retrouver, identifier les étudiants. Il participe au projet de reconstruction depuis Montréal puis revient à Haïti pour suivre les microprojets. « C’eut été trop lâche d’abandonner mes collègues. » Assalih se sent une dette immense à l’égard de l’AUF. Et réciproquement.
Depuis le bureau de l’AUF à Dakar, il se charge à présent des projets universitaires dans les pays francophones de la région, pour créer des campus numériques.
Il s’agit de mettre en place des masters, former les enseignants au numérique, ou encore aider à la reconstruction de l’université Nangui-Abrogoua d’Abidjan, dévastée pendant la crise ivoirienne de 2010-2011.« Quand il y a une catastrophe, pour l’université c’est toujours l’AUF qui intervient en premier. »
30/11/14 - 18 H 44
 
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