Citation de la semaine: « Vous obtiendrez plus dans ce monde avec le pardon qu'avec des actes de repésailles » Nelson Mandela.
Ahmed-Baba Miské sur RFI: «Les pays européens ont mis en place un système néocolonial»
Par - Date: 02 Juin 2014 41 réactions
Pourquoi, ces 50 dernières années, l'Afrique s'est-elle développée moins vite que l'Asie ? C'est la question à laquelle tente de répondre l'essayiste mauritanien Ahmed-Baba Miské. En 1960, l'auteur a lui-même milité pour l'indépendance de son pays. Après un séjour en prison, il est devenu ambassadeur de Mauritanie à Washington, puis directeur à l'Unesco. Aujourd'hui, il publie chez Karthala « La décolonisation de l'Afrique revisitée ».
RFI : Votre livre parle d’une question toute simple : d’où vient ce mal africain, qui vient du fait que les pays du continent sont en retard par rapport à des pays comparables d’autres continents. Et je crois que vous avez trouvé la réponse ?
Ahmed Baba-Miské : La responsabilité de l’Europe m’a paru évidente parce qu’avant de partir, les Européens ont mis en place un système avec des hommes, un système néocolonial. Donc la liberté de prendre leur destin en main pour des Africains est restée absente jusqu’à maintenant. Or, faire face au sous-développement demande des efforts gigantesques terribles, cela ne peut se faire que si vraiment le pays est bien dirigé par une direction crédible et légitime. Justement, c’est ça que les Européens ont empêché, ils ont empêché le peuple d’être bien guidé.
Vous rappelez le terrible destin du nationaliste camerounais Ruben Um Nyobè assassiné par les Français en 1958. Vous le comparez à Mandela sauf qu’il est mort pendant son combat. Mais est-ce que si Ruben Um Nyobè avait été président, le pays se serait développé plus vite ?
Oui. Ruben Um Nyobè a prouvé pendant toute sa vie que ce n’était pas un apprenti dictateur, c’était un militant vraiment, c’est pour ça que je le compare à Madiba, il y a la même force de caractère, le même dévouement, mais aussi la même force humaniste.
Vous dites qu'Ahmadou Ahidjo, le père officiel de l’indépendance camerounaise, était à vos yeux un fantoche. Est-ce que vous diriez la même chose des pères de l’indépendance de l’Afrique de l’Ouest, comme Félix Houphouët-Boigny, Léopold Sédar Senghor ?
Oui bien sûr, tous plus ou moins, mais la différence c’est que Houphouët-Boigny par exemple a commencé comme un vrai militant anticolonialiste, mais par la suite est redevenu le grand chef traditionnel africain. Il a joué un rôle très grave pour empêcher le maintien d’une fédération, et ca aurait été vraiment très important pour l’Afrique d’avoir déjà un Etat fédéral ouest-africain de la taille de ce qu’était l’Afrique Occidentale française. C’était la volonté de la France, à ce moment-là, de ne pas laisser se reconstituer la fédération.
Ahmed-Baba Miské, vous évoquez aussi votre pays, la Mauritanie, les lourds secrets de 1989 quand des centaines de soldats et de sous-officiers noirs, écrivez-vous, ont été assassinés par leurs camarades maures. Est-ce que là aussi la division dont a souffert votre pays est seulement la faute des Français ?
Là je ne crois pas du tout qu’il y ait une responsabilité française, personne n’est venu dire qu’il y a eu tel ordre donné par Maaouiya Ould Taya pour assassiner des gens. Seulement personne ne croit que des choses aussi graves puissent se faire sans que ça remonte au sommet de la présidence de la République.
Dans votre livre vous écrivez que plus de 50 ans après les indépendances et qu’avec ces démocraties standards apparues après le sommet de la Baule, on en est arrivé au stade suprême du néocolonialisme ?
Mais oui… À partir de ces régimes, plus ou moins démocratiques, c’est là qu’un nouveau mouvement, notamment par les élites africaines et les jeunes Africains peut être tout à fait légitime et avoir un droit de cité dans ces démocraties plus ou moins formelles.
Ahmed-Baba Miské, dans votre riche carrière, il y a ces deux années entre 90 et 92 : vous êtes médiateur entre Bamako et les Touaregs du nord du Mali, c’est à l’époque du général Moussa Traoré. Vous dites d’ailleurs que le nouveau président était un négociateur de bonne foi. Pourquoi 25 ans après la guerre continue-t-elle au nord du Mali ?
Je peux donner une réponse très simple, mais un peu insuffisante : elle continue parce que simplement, si vous nous avez laissé aller jusqu’au bout de cette médiation-là, on était en train de proposer aux Maliens une formule qui, peut-être est en train de se faire maintenant à partir justement de ce qui s’est passé à Kidal et curieusement c’est aussi un Mauritanien qui est venu obtenir le cesser-le-feu à Kidal. Il se trouve que c’est un Mauritanien qui a plus de poids que moi.
Et il est le président de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz. Ce qu’il faut peut-être dire, Ahmed-Baba Miské, c’est que en tant que Mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz ou vous-même, vous avez des relations culturelles très fortes avec le peuple touareg ?
Bien sûr : J’ai rencontré certains chefs traditionnels qui m'ont dit que leur communauté venait de chez moi, de la région qui est devenue la Mauritanie à l’époque des Almoravides. De toute façon, à l’origine, c’est la même population sanhadja qui peuplait toutes ces zones-là et il en est resté beaucoup parce qu’une partie des tribus maures est restée berbérophone jusqu’à ces derniers temps et quand j’étais moi-même là-bas, j’étais vraiment comme chez moi, il y avait une confiance.
Vous dites qu'un an après l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta, on peut se féliciter de l’arrivée au pouvoir d’un président en qualité d’homme d’Etat ? Mais après ce qui est arrivé le 17 mai, cette visite du Premier ministre à Kidal et les combats qui s’en sont suivi, est-ce que vous faites toujours la même analyse ?
Tout à fait, je crois que IBK a été confronté à une situation extrêmement difficile, il y avait une opinion malienne extrêmement surchauffée, très très remontée contre les Touaregs, contre les Manalas en particulier. Mais peut-être, parfois à quelque chose le malheur est bon. Cette explosion qui s’est passée à Kidal l’autre jour, c’était peut être nécessaire pour qu’il y ait un choc pour que justement le président IBK et tout le monde, puissent à ce moment-là convaincre l’opinion malienne. Et je crois que maintenant ça sera plus facile. Il faudra maintenant négocier les affaires du nord du Mali.
Vous rappelez le terrible destin du nationaliste camerounais Ruben Um Nyobè assassiné par les Français en 1958. Vous le comparez à Mandela sauf qu’il est mort pendant son combat. Mais est-ce que si Ruben Um Nyobè avait été président, le pays se serait développé plus vite ?
Oui. Ruben Um Nyobè a prouvé pendant toute sa vie que ce n’était pas un apprenti dictateur, c’était un militant vraiment, c’est pour ça que je le compare à Madiba, il y a la même force de caractère, le même dévouement, mais aussi la même force humaniste.
Vous dites qu'Ahmadou Ahidjo, le père officiel de l’indépendance camerounaise, était à vos yeux un fantoche. Est-ce que vous diriez la même chose des pères de l’indépendance de l’Afrique de l’Ouest, comme Félix Houphouët-Boigny, Léopold Sédar Senghor ?
Oui bien sûr, tous plus ou moins, mais la différence c’est que Houphouët-Boigny par exemple a commencé comme un vrai militant anticolonialiste, mais par la suite est redevenu le grand chef traditionnel africain. Il a joué un rôle très grave pour empêcher le maintien d’une fédération, et ca aurait été vraiment très important pour l’Afrique d’avoir déjà un Etat fédéral ouest-africain de la taille de ce qu’était l’Afrique Occidentale française. C’était la volonté de la France, à ce moment-là, de ne pas laisser se reconstituer la fédération.
Ahmed-Baba Miské, vous évoquez aussi votre pays, la Mauritanie, les lourds secrets de 1989 quand des centaines de soldats et de sous-officiers noirs, écrivez-vous, ont été assassinés par leurs camarades maures. Est-ce que là aussi la division dont a souffert votre pays est seulement la faute des Français ?
Là je ne crois pas du tout qu’il y ait une responsabilité française, personne n’est venu dire qu’il y a eu tel ordre donné par Maaouiya Ould Taya pour assassiner des gens. Seulement personne ne croit que des choses aussi graves puissent se faire sans que ça remonte au sommet de la présidence de la République.
Dans votre livre vous écrivez que plus de 50 ans après les indépendances et qu’avec ces démocraties standards apparues après le sommet de la Baule, on en est arrivé au stade suprême du néocolonialisme ?
Mais oui… À partir de ces régimes, plus ou moins démocratiques, c’est là qu’un nouveau mouvement, notamment par les élites africaines et les jeunes Africains peut être tout à fait légitime et avoir un droit de cité dans ces démocraties plus ou moins formelles.
Ahmed-Baba Miské, dans votre riche carrière, il y a ces deux années entre 90 et 92 : vous êtes médiateur entre Bamako et les Touaregs du nord du Mali, c’est à l’époque du général Moussa Traoré. Vous dites d’ailleurs que le nouveau président était un négociateur de bonne foi. Pourquoi 25 ans après la guerre continue-t-elle au nord du Mali ?
Je peux donner une réponse très simple, mais un peu insuffisante : elle continue parce que simplement, si vous nous avez laissé aller jusqu’au bout de cette médiation-là, on était en train de proposer aux Maliens une formule qui, peut-être est en train de se faire maintenant à partir justement de ce qui s’est passé à Kidal et curieusement c’est aussi un Mauritanien qui est venu obtenir le cesser-le-feu à Kidal. Il se trouve que c’est un Mauritanien qui a plus de poids que moi.
Et il est le président de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz. Ce qu’il faut peut-être dire, Ahmed-Baba Miské, c’est que en tant que Mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz ou vous-même, vous avez des relations culturelles très fortes avec le peuple touareg ?
Bien sûr : J’ai rencontré certains chefs traditionnels qui m'ont dit que leur communauté venait de chez moi, de la région qui est devenue la Mauritanie à l’époque des Almoravides. De toute façon, à l’origine, c’est la même population sanhadja qui peuplait toutes ces zones-là et il en est resté beaucoup parce qu’une partie des tribus maures est restée berbérophone jusqu’à ces derniers temps et quand j’étais moi-même là-bas, j’étais vraiment comme chez moi, il y avait une confiance.
Vous dites qu'un an après l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta, on peut se féliciter de l’arrivée au pouvoir d’un président en qualité d’homme d’Etat ? Mais après ce qui est arrivé le 17 mai, cette visite du Premier ministre à Kidal et les combats qui s’en sont suivi, est-ce que vous faites toujours la même analyse ?
Tout à fait, je crois que IBK a été confronté à une situation extrêmement difficile, il y avait une opinion malienne extrêmement surchauffée, très très remontée contre les Touaregs, contre les Manalas en particulier. Mais peut-être, parfois à quelque chose le malheur est bon. Cette explosion qui s’est passée à Kidal l’autre jour, c’était peut être nécessaire pour qu’il y ait un choc pour que justement le président IBK et tout le monde, puissent à ce moment-là convaincre l’opinion malienne. Et je crois que maintenant ça sera plus facile. Il faudra maintenant négocier les affaires du nord du Mali.
Par Christophe Boisbouvier
Source: RFI
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