samedi 16 novembre 2013

Parcours d'un djihadiste, de la Libye aux prisons américaines


Parcours d'un djihadiste, de la Libye aux prisons américaines

LE MONDE | 16.11.2013 à 10h35 • Mis à jour le 16.11.2013 à 10h44 |Par Isabelle Mandraud






Tous les vendredis, Nazih Abdel Hamed Al-Raghie avait pris l'habitude, depuis plusieurs mois, d'aller prêcher dans une mosquée différente de Tripoli. Recherché depuis des années par le FBI sous le nom d'Abou Anas Al-Libi, l'homme, âgé de 49 ans, se sentait plutôt en sécurité dans la capitale libyenne où il est réapparu le 22 août 2011, au lendemain de la chute du régime du colonel Kadhafi.

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Tout juste avait-il fait installer une caméra de surveillance sur le toit de sa maison. Mais ce samedi 5 octobre, à son retour de la prière du matin dans une mosquée voisine, il est encerclé à l'aube par plusieurs véhicules devant son domicile. Embarqué de force par un commando masqué, puis hissé dans un Zodiac qui l'attendait dans la baie de Tripoli, il est transféré sur un navire de guerre américain.

Lire aussi : A New York, Abou Anas Al-Libi plaide non coupable

Il réapparaît une semaine plus tard à New York, où il devrait être jugé mi-décembre pour sa participation supposée dans le double attentat, le 7 août 1998 – revendiqué par Al-Qaida –, contre les ambassades américaines de Nairobi, auKenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie (224 morts). Pendant des années, Abou Anas avait disparu des écrans radars des services américains, avant de refaire surface, il y a deux ans, dans son pays natal.

« IL N'ÉTAIT PLUS ACTIF DEPUIS 1996 »

Assise sur des coussins dans leur maison de Noflein, un quartier assez aisé au sud-est de Tripoli, drapée dans un voile noir intégral qui ne laisse apparaître queses yeux, son épouse, Ilham Ibrahim Al-Zaoui, 48 ans, dit avoir entrepris des démarches pour obtenir un visa. « Tout passe par l'intermédiaire du ministère desaffaires étrangères libyen car l'ambassadrice américaine a refusé de me recevoir, et c'est le ministère qui est aussi en relation avec l'avocat que nous avons accepté », dit-elle. Elle ne nie pas l'engagement de son mari dans Al-Qaida, mais, assure-t-elle, « il n'était plus actif depuis 1996 ».

A ses côtés, son fils, Abdallah Al-Raghie, 20 ans, peine à contenir sa colère. « Mon père avait tourné la page. Depuis deux ans, il avait retrouvé ses papiers, pas son passeport, mais sa carte d'identité, son permis de conduire. On l'avait autorisé à prêcher », affirme-t-il en montrant une photo d'Abou Anas sur son téléphone portable, longue barbe poivre et sel, souriant, la tête couverte d'un tissu blanc. « Il devait même retrouver son emploi », poursuit-il.

Son emploi ? Vingt-cinq après le départ de Libye d'Abou Anas, parti en 1988accomplir le djihad en Afghanistan contre le régime prosoviétique installé à Kaboul, la compagnie pétrolière de Ras Lanouf qui l'employait comme ingénieur informatique, s'était engagée à le reprendre. Sa famille le prouve. Elle exhibe une lettre datée du mois de septembre du ministère des hydrocarbures libyen établissant une liste de six personnes à réintégrer sur plusieurs sites pétroliers. Au troisième rang figure bien, accolé à la mention « Ras Lanouf », le nom de Nazih Abdel Hamed Al-Raghie.

Les autorités libyennes, mises en difficulté par l'opération commando décidée par Washington, la première du genre en Libye, connaissaient donc parfaitement la présence sur leur sol du djihadiste dont la tête avait été mise à prix par le FBI 5 millions de dollars (3,7 millions d'euros). La famille, qui conserve jalousement la vidéo prise par sa propre caméra de surveillance, est persuadée que des Libyens faisaient partie de l'opération du 5 octobre. « J'ai entendu un mot en arabe : “Monte !” », affirme Ilham, qui, entendant des cris, s'est précipitée à la fenêtre.

RUPTURE AU SOUDAN

Partie rejoindre Abou Anas en Afghanistan en 1991, où ils se sont mariés, Ilham a suivi tout le parcours de son mari djihadiste. Leurs cinq enfants sont nés au gré de leurs pérégrinations : Abdallah, 20 ans, Ahmed, 19 ans, et Abdel Moïamen, 17 ans, ont vu le jour au Soudan ; leur fille, Alla, 13 ans, au Royaume-Uni. Seul l'aîné, Abderrahmane, est né au Pakistan. Il est mort à Tripoli le 21 août 2011, lors des ultimes combats dans la capitale libyenne, à quelques mètres de la maison familiale.

C'est au Soudan qu'aurait eu lieu, selon sa femme, la rupture entre Al-Qaida et Abou Anas. Les pressions du colonel Kadhafi s'accroissant sur Khartoum pour que son voisin lui livre ses opposants, Oussama Ben Laden, installé alors sur place avec ses partisans, avait décidé de se séparer de ses compagnons libyens.Or, les attentats contre les ambassades américaines en 1998 auraient été préparés depuis le Soudan.

Abou Anas rejoint par la suite le Groupe islamique des combattants libyens (GICL) dirigé par Abdelhakim Belhadj, qui l'envoie, après un détour de sept mois par leQatar, à Londres, où le groupe dispose d'un solide réseau. La famille Al-Raghie y séjournera trois ans, de 1997 à 2000, avant de prendre ses distances avec le GICL et de repartir, car elle se sent surveillée par les services britanniques, pour l'Afghanistan. Mais elle doit à nouveau fuir lorsque les bombardements américains commencent après le 11 septembre 2001 : direction l'Iran via le Pakistan.

RÉPIT DE COURTE DURÉE

Comme nombre de djihadistes traqués, ils sont arrêtés sur le territoire iranien. Mais, contrairement à d'autres, ils y resteront longtemps emprisonnés, six ans, de 2004 à 2010. « Ils disaient que c'était pour nous protéger, mais ils pensaient peut-être avoir une carte à jouer avec les Etats-Unis », estime Ilham. Les sept membres de la famille passeront les quatre premières années enfermés dans une vaste cellule d'une prison de Karaj, à 30 kilomètres de Téhéran, avant d'êtretransférés durant deux ans dans un campement entouré de hauts murs au milieu d'un paysage désertique. « Mon père nous apprenait le Coran, je pensais que nous ne serions jamais libérés, et puis un jour, en mai 2010, nos gardiens nous ont donné trois heures pour rassembler nos affaires », raconte Abdallah.

Téhéran veut renvoyer la famille dépourvue de passeport au Pakistan, mais Ilham refuse et c'est finalement la frontière turque que les Al-Raghie franchissent clandestinement à pied à travers les montagnes. L'épouse d'Abou Anas a repris contact avec sa famille, qui se démène avec les autorités libyennes. Tripoli, à travers la fondation de Seif Al-Islam, fils et dauphin du colonel Kadhafi, ayant finalement donné son accord, tous, sauf Abou Anas, reviennent en Libye fin 2010.« Il n'avait pas confiance », dit Ilham.

A nouveau, le chef de famille disparaît. « Je crois qu'il est allé en Syrie et puis, peu avant la fin de la guerre en Libye, mon père est revenu en passant par la Tunisie», avance Abdallah. Le répit sera de courte durée.

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