vendredi 21 juin 2013

Niger, la menace d'un nouveau Mali ?

Vendredi 21 Juin 2013 à 10:00 | Lu 790 fois I 1 commentaire(s)


Depuis des mois, enlèvements, attentats-suicides et attaques meurtrières planifiées depuis le sud de la Libye voisine ont plongé l'un des pays les plus pauvres de la planète, allié des forces françaises au Mali, dans la psychose jihadiste.


Des soldats nigériens montent la garde devant la prison de Niamey - STR/AP/SIPA
Des soldats nigériens montent la garde devant la prison de Niamey - STR/AP/SIPA
Qu'arrive-t-il à un pays possédant une frontière commune avec la Libye, le Nigeria, l'Algérie et le Mali ? Et, en prime, un des plus gros sites mondiaux de production d'uranium, exploité par le géant français du nucléaire Areva ? 

Rien de bon depuis déjà plusieurs mois. Des enlèvements à répétition, des attentats-suicides, une attaque de prison, avec, à chaque fois, l'ombre des divers groupes islamistes radicaux qui écument son immense territoire et ceux des pays voisins. En quelques mots : les prémices d'une nouvelle crise sahélienne, la menace d'un Mali bis. 

Ce pays s'appelle le Niger, un tigre énergétique mais encore un nain du développement puisque, en dépit d'un taux de croissance avoisinant les 10 % en 2013, il figure parmi les Etats les plus pauvres de la planète. 

Longtemps abonné aux coups d'Etat et aux régimes autoritaires, le Niger bénéficiait, depuis les élections de 2011, d'un climat relativement démocratique, en partie grâce au nouveau président Mahamadou Issoufou, une des bonnes surprises du personnel politique ouest-africain. Seulement, ennemi convaincu et déterminé de l'hydre jihadiste, ce dernier n'a pas ménagé son soutien à l'opération «Serval» et a ouvert ses frontières aux forces spéciales françaises et américaines comme à leurs drones. 

Il est logiquement devenu une cible des fous de Dieu et de leurs alliés dans le pays. Leur dernier coup d'éclat remonte au samedi 1er juin, quand trois détenus de la prison centrale de Niameyouvrent le feu sur des gardiens et en tuent deux avant d'être eux-mêmes neutralisés. 

Pour le ministre de la Justice et porte-parole du gouvernement, Marou Amadou, il s'agirait de proches du groupe terroriste nigérian Boko Haram, dont certains éléments ont épaulé ceux d' Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) lors des combats contre l'armée malienne puis les forces françaises. 

A plus d'un titre, l'épisode de la prison a de quoi inquiéter les autorités nigériennes. Il révèle d'abord d'inévitables complicités, dans le personnel de l'établissement ou à l'extérieur, sans lesquelles les trois détenus n'auraient pu s'armer. Il illustre aussi, une fois encore, la grande fragilité de l'appareil sécuritaire, qui n'a cessé d'être mis à mal depuis l'offensive jihadiste dans toute la zone sahélienne. 

Le 23 mai dernier, il aura ainsi fallu l'intervention des forces spéciales françaises pour venir à bout du commando-suicide lancé à l'assaut de la caserne militaire d'Agadez, dans le nord du pays, siège de l'école des sous-officiers. 

Visée aussi l'usine de traitement d'uranium de la Somaïr, une filiale d'Areva, à Arlit, la même où quatre employés français de la compagnie ont été enlevés en septembre 2010 et sont depuis retenus en otages. Outre 10 assaillants, 24 militaires et un civil ont été tués ce 23 mai. 

Le Niger plonge à son tour dans les affres de la psychose, et Niamey le nonchalant se hérisse de check-points devant les bâtiments officiels et les ambassades. C'est un douloureux rappel à la menace terroriste qui ne s'est jamais vraiment dissipée depuis l'enlèvement dans un restaurant de Niamey, en janvier 2011, puis l'exécution, à la frontière malienne, d'Antoine de Léocour et de Vincent Delory. 

A l'époque, la participation des forces spéciales françaises lancées à la poursuite des ravisseurs ne permettra pas d'éviter le dénouement tragique. Un dénouement qui sera même source d'une brève tension entre les deux pays, en raison de soupçons apparemment injustifiés sur d'éventuelles complicités parmi les gendarmes nigériens. 

On n'en est plus là. Entre Paris et Niamey l'entente est totale, car nécessité fait loi. Inévitable, appuyée par la plupart des gouvernements ouest-africains, l'opération « Serval » a temporairement épargné au Mali la contagion jihadiste à la totalité de son territoire. Mais les métastases se sont déplacées, notamment vers le Sud libyen, transformé selon la plupart des observateurs en sanctuaire de tous les survivants de l'intervention française. 

C'est de là, selon les autorités algériennes, que sont partis les membres du commando lancés en janvier dernier à l'assaut du site gazier d'In Amenas, à Tiguentourine (37 otages et 29 terroristes tués). Et, pour Mahamadou Issoufou, pas de doute, c'est encore dans le Sud libyen que s'est préparée l'attaque meurtrière de la caserne d'Agadez. Si les Algériens sont restés mesurés dans le propos, le président nigérien, lui, n'a pas fait dans le détail, dénonçant « un voisin [qui] continue d'être source de déstabilisation pour les pays du Sahel »

DES CRAINTES EN CÔTE-D'IVOIRE

La réponse de Tripoli a confirmé à ceux qui en doutaient encore l'orientation vert très foncé des maîtres de la nouvelle Libye, née de la guerre lancée par Nicolas Sarkozy et David Cameron contre Mouammar Kadhafi : la traque puis le refoulement par camions entiers, dans des conditions souvent chaotiques, de près d'un millier de Nigériens mais aussi de Maliens et de Sénégalais. 

La tension entre les deux pays ne risque pas de retomber de sitôt et les Tchadiens y ont ajouté leur grain de sel, inquiets eux aussi de la préparation d'un « complot terroriste » les visant. Comment casser la nouvelle base arrière d'un jihadisme en pleine restructuration ? 

La question a fait l'objet de plusieurs entretiens de Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, lors de récents déplacements à Londres et Washington. Officiellement Paris n'entend pas modifier son plan de réduction d'effectifs au Mali, où plus de 4 000 hommes ont pris part à l'opération « Serval ». 

Mais la force interafricaine tarde toujours à prendre le relais et, surtout, la menace islamiste a changé de visage. Après avoir commis l'erreur, incompréhensible pour beaucoup, d'un affrontement central qui leur a coûté très cher, les chefs d'Aqmi, du Mujao et leurs acolytes se sont repliés sur la stratégie du terrorisme diffus. 

Et tous azimuts : frapper tous ceux qui ont appuyé d'une manière ou d'une autre l'opération « Serval ». Le Niger est en première ligne, comme le Tchad, mais aussi d'autres pays occupant une position stratégique dans l'ensemble ouest-africain. 

C'est le cas de la Côte-d'Ivoire, où la crainte d'attentats terroristes est désormais prise très au sérieux, tant par les autorités locales que par la France, qui compte plusieurs milliers de ressortissants sur place. En l'absence d'une véritable coopération entre les Etats concernés, les capitales occidentales risquent d'être encore à la manœuvre pendant quelque temps. 

A Washington, le Département d'Etat offre désormais une récompense allant jusqu'à 23 millions de dollars pour toute information permettant la capture des principaux dirigeants du Jihad Corporate. Dans le viseur, Mokhtar Belmokhtar, le dissident d'Aqmi tenu pour responsable de la tragédie d'In Amenas et peut-être aussi d'Agadez. Wanted aussi le porte-parole du Mujao, des cadres d'Aqmi ou Abubakar Shekau, le chef présumé de Boko Haram au Nigeria. La guerre commence à peine.

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