lundi 10 juin 2013

La « femme en rouge » de Turquie : à chaque révolte son icône


Pascal Riché | Cofondateur Rue89

Elle semble fragile ; elle est forte. Avec son petit sac, son petit collier, elle n’a l’air de rien ; elle incarne tout. Les jets de gaz lacrymogène ne l’atteignent pas. Elle est la révolte calme, la résistance, le stoïcisme d’un peuple. Elle n’est pas voilée, mais porte une simple petite robe rouge. Rouge, comme le drapeau turc.
On la surnomme « la femme en rouge », la nouvelle icône de la contestation turque. Son image, qui fait le tour du Web, est la meilleure réponse aux accusations proférées par le premier ministre Erdogan contre les manifestants qui les décrit comme des extrémistes « vivant main dans la main avec le terrorisme ».
La photo ci-dessus a été prise par le photographe Osman Orsal, de Reuters, qui a eu la chance – ou le talent, plutôt – de « trouver » la femme-emblème du mouvement. La femme en rouge a un nom, Ceyda Sungur. Elle est spécialiste en développement urbain à l’université technique d’Istanbul et a commencé à manifester pour protester contre l’abattage des arbres du parc Gezi qui jouxte la place Taksim.

Une représentation graphique de la femme en rouge
La photo a donné lieu à des représentations graphiques et a débouché sur un slogan :
« Plus vous nous inondez de gaz, plus on grandit. »
Cette image s’inscrit dans une série : chaque grand mouvement de contestation a son image-icône. Il existe évidemment des liens entre les différentes images, qui s’inspirent également parfois de tableaux célèbres (à commencer par « La liberté guidant le peuple », de Delacroix). Quelques exemples.
1

Contre le Vietnam, la fille à la fleur


La fille à la fleur (Franck Riboud)
« La fille à la fleur » a été attrapée par le photographe Marc Riboud, lors d’une manifestation à Washington le 21 octobre 1967 contre la guerre du Vietnam.
D’un côté, un profil lumineux et humain, mais aussi déterminé : celui de la vie et de l’espoir ; de l’autre, sombres, durs, anonymes , violents, les visages de la répression.
Un autre photographe, Bernie Boston, a pris une photo similaire lors de cette manif, mais ce n’est pas elle qui a été retenue par la légende.

Daniel Cohn-Bendit en 1968 (Gilles Caron)
Le principe du petit manifestant non violent mais déterminé face à la force de répression casquée sera repris par bien d’autres photographes dans bien d’autres manifestations autour de la planète.
Pensez par exemple au sourire de Daniel Cohn-Bendit face aux CRS en 1968, immortalisé par Gilles Caron, ou encore au petit homme face aux chars de la place Tiananmen en 1989.
Une autre photo de « La fille à la fleur » de Marc Riboud est un peu moins connue, mais très intéressante. La même jeune femme aux cheveux courts met ses bras en croix face aux baïonnettes, reproduisant consciemment ou non le célèbre tableau de Goya, le « Tres de Mayo ».

Variante de « La fille à la fleur » (Marc Riboud)

« Tres de Mayo » de Goya (Wikimedia Commons/CC)
2

Hector, l’adolescent de Soweto, première victime


La mort de Hector Pieterson (Sam Nzima)
Le 16 juin 1976, lors de la révolte anti-apartheid de Soweto, en Afrique du Sud, la police ouvre le feu. Un adolescent de 12 ou 13 ans, Hector Pieterson, est tué : c’est la première victime de la répression.
Sur la photo, prise par Sam Nzima, un journaliste, un jeune homme de 18 ans porte Hector dans ses bras. La sœur d’Hector, Antoinette, court à ses côtés.
Le journal sud-africain The World a publié la photo, et Sam Nzima a dû se cacher par peur des rétorsions policières.
La photo, une fois encore, fait écho à nos représentations du martyr – comment ne pas penser à « La Pietà » de Michel-Ange ?

« La Pietà » de Michel-Ange (Wikimedia Commons/CC)
3

Le petit bonhomme de Tiananmen

L’image de ce petit bonhomme arrêtant, par sa seule présence, la progression de la colonne de chars de l’armée populaire, sur la place Tianamen, en 1989, a fait le tour du monde. Donnant lieu à des détournements formidables.
L’ICÔNE DE LA PLACE TIANANMEN
4

Iran : la passion de Neda


Capture d’écran de Neda, icône de la tentative de révolution iranienne
Lors de la révolte iranienne, c’est Neda, une jeune manifestante tuée d’une balle en pleine poitrine le 20 juin 2009, qui a est devenue l’icône des manifestants.
L’image de cette jeune femme mourant sur le trottoir est très dure. Deux hommes essaient de stopper l’hémorragie. Ce qui est frappant, c’est le regard de la jeune femme, tourné vers l’objectif. Comme si elle voulait nous dire : « Continuez ! » Justement, « Neda » signifie « la voix » ou « l’appel »...

Neda
Très vite, Neda Agha-Soltan est devenue la martyre du mouvement. Du fait de ses bras en croix, la jeune femme ne dépareillerait pas dans l’iconographie des martyrs chrétiens (on pense par exemple à la Sainte-Barbe – une Perse, justement – de Jean Bellegambe).
5

Occupy Wall Street : John Pike, l’anti-icône

Lors du mouvement Occupy Wall Street, en novembre 2011, une vidéo a choqué : on y voyait un policier asperger de gaz des manifestants en plein visage, comme on le ferait avec des moustiques. Ce policier, John Pike, est aussitôt devenu sur le Web l’objet de multiples détournements.

John Pike asperge de gaz la Liberté guidant le peuple
On pourrait d’ailleurs rapprocher John Pike et la dame en rouge :

John Pike contre la dame en rouge (Rue89 cc)
6

Kanellos, le chien grec révolutionnaire


Le chien Kanellos devant des policiers athéniens, le 17 février 2012 (Thanassis Stavrakis/AP/SIPA)

Toutous ensemble !
Kanellos est de toutes les manifs en Grèce depuis 2008. Une fois repéré par la presse et les blogueurs, il est devenu la mascotte du mouvement anti-austérité.
On le voit aboyer contre les policiers ou marcher en tête de cortège. Son effigie orne des T-shirts : le « Chien » a pris la place du Che.

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