vendredi 31 mai 2013

François Hollande sur RFI: «Nous devons organiser les forces africaines face aux terroristes»

FRANCE / AFRIQUE - 
Article publié le : vendredi 31 mai 2013 à 20:08 - Dernière modification le : vendredi 31 mai 2013 à 20:33


François Hollande: «Les Africains doivent assurer eux-mêmes leur sécurité. Mais la France sera à leurs côtés».
François Hollande: «Les Africains doivent assurer eux-mêmes leur sécurité. Mais la France sera à leurs côtés».
RFI / Romu Meigneux

Par RFI
François Hollande a accordé un entretien exclusif à RFI, France24 et TV5 ce vendredi 31 mai. Le président français y aborde la question du terrorisme, en France comme à l'étranger, notamment au Sahel. Il revient également sur ses relations avec un certain nombre d'acteurs et institutions, de l'Union africaine à l'Algérie en passant par le Tchad et le Cameroun.

France 24 : Monsieur le Président, merci d’avoir accepté cette interview pour trois medias français et internationaux. Vous serez interviewé par Christophe Boisbouvier de RFI, David Delos de TV5 Monde et Roselyne Febvre de France 24. Alors avec vous, nous allons parler de politique étrangère, de la France notamment en Afrique et puis bien sûr, il sera longuement question du Mali et du Sahel.
France 24 : Monsieur le Président, le terrorisme, qu’il se passe au Sahel ou ailleurs est une source de préoccupation d’autant plus quand il s’agit de la France. Et on voit apparaître cette nouvelle génération de terroristes que l’on voit à Boston, à Londres ou à Paris. On les appelle les « loups solitaires ». Quel est le profil de ces jeunes gens et surtout de quel outil disposent les services de renseignements pour lutter contre eux ?
François Hollande : Merci d’abord pour cet entretien qui nous permet de parler de notre pays et du monde parce que ce qui se passe dans le monde a des conséquences sur notre pays et vous évoquez le terrorisme. Il y a d’abord une menace qui vient de l’extérieur. Elle est là. Elle n’a jamais cessé. Et nous devons être d’une vigilance absolue car il y a des conflits que vous avez cités en Afrique, au Mali, avec des prolongements autour du Mali au Sahel. Puis il y a ce qui se passe en Syrie, ce qui s’est produit en Libye. Donc il y a des menaces. Mais il y a aussi un terrorisme, j’allais dire de l’intérieur.
France 24 : Une menace de l’intérieur ?
Ce n’est pas nouveau non plus. L’affaire Merah, qu’est-ce que c’était sinon un personnage avec sans doute des complicités - nous essayons de les connaître -, qui à un moment passent à l’acte. Et nous ne négligeons aucune piste. Il s’est passé un évènement tragique à Londres. Il ne peut pas être isolé. Il n’y a pas forcément de lien avec ce qui s’est passé à Paris-La Défense avecl’agression d’un soldat. Mais nous faisons attention à ce qu’aucune information puisse ne pas être traitée. Donc à chaque fois qu’il y a un signalement, chaque fois qu’il y a un certain nombre de rassemblements ou d’individus qui pourraient dériver, nous agissons.
France 24 : Mais dans le cas de la Défense, ce personnage, Alexandre, était connu des services de police. Donc n’y a-t-il pas là une défaillance des services ? D’ailleurs à l’époque, Manuel Valls avait parlé effectivement de « faute » concernant l’affaire Merah.
Il y a une enquête sur l’affaire Merah, je l’ai dit et toutes les conclusions seront tirées. Et parmi ces conclusions, il y a la coordination de tous les services et il y a le traitement de toutes les informations. Pour ce qui concerne l’agresseur du soldat à la Défense, il était signalé comme ayant effectivement un parcours. De là à penser qu’il pouvait passer à l’acte, c’est autre chose. Il devait être suivi. Mais je fais observer qu’il a été retrouvé très rapidement et que maintenant, il est à la disposition de la justice.
TV5 : Manuel Valls parle de « signaux faibles » pour parler de ces individus qui s’autoradicalisent. Comment on les détecte et comment on les exploite ces « signaux faibles » ?
Il parle de « signaux faibles » parce que ce sont des individus par définition isolés, qui ne sont pas passés à l’acte ou qui ne passent pas à l’acte progressivement, qui peuvent le faire radicalement. C’est le cas de celui de la Défense qui jusqu’à présent n’avait pas commis au-delà d’un certain nombre d’infractions, d’agression sur un militaire ou sur un compatriote. Comment faire ? Avoir des systèmes d’information et puis voir quels sont les réseaux qui se constituent. Parce que souvent ce sont quelques personnes qui appartiennent à un certain moment – faut-il encore le détecter -, ont la volonté de créer un évènement tragique. On voit bien qu’à Londres, par exemple, là nous communiquons aussi avec l’ensemble des services en Europe, il y a eu plusieurs complicités parce qu’il est faux de dire que c’est toujours des actes isolés. Il y a nécessairement un environnement.
France 24 : Une organisation ?
Non pas forcément une organisation mais des individus qui se regroupent, qui se montent eux-mêmes un certain nombre de projets et qui ont à un moment l’intention de passer à l’acte. Il y a aussi, et nous le vérifions à chaque fois, des ressortissants français qui vont sur un certain nombre de théâtres, hélas, d’opérations.
RFI : En Syrie et au Mali ?
Oui, qui ensuite reviennent et portent un certain nombre d’idées, si on peut appeler ça des idées, en tout cas de proclamations, et qui ont eu l’expérience des armes. Donc nous devons faire aussi très attention et c’est ce que fait le gouvernement.
RFI : En 2008, votre prédécesseur Nicolas Sarkozy a dissous les renseignements généraux pour les intégrer dans un ensemble plus vaste, la DCRI. Mais du coup, est-ce que les informations de terrain ne remontent pas plus difficilement, comme on l’a vu dans l’affaire Merah et peut-être l’affaire de la Défense ? Est-ce qu’il ne faut pas remanier les choses ?
Il faut qu’il y ait un meilleur suivi des informations locales par les services du renseignement. Vous évoquez la DCRI. Moi, je ne vais pas revenir sur ce qui a été fait. Nous sommes dans un moment où nous ne devons pas faire de réorganisation, de réformes lourdes. Nous avons à parfaire l’instrument. Et ce qui a été hier défaillant, c’est-à-dire une information qui n’est pas traitée doit maintenant être réglée. C’est-à-dire que chaque fois qu’une information locale sur un individu peut être évoquée, elle doit être absolument communiquée au service de renseignements. De la même manière, j’ai demandé qu’il y ait une meilleure coopération, elle est établie maintenant, entre la DCRI c’est-à-dire le renseignement de l’intérieur, et la DGSE, le renseignement de l’extérieur. Pourquoi ? Parce qu’on voit bien qu’il y a des individus qui passent de l’intérieur à l’extérieur ou de l’extérieur à l’intérieur. Donc, il faut que cette chaîne de coordination, d’information, de traitement, d’intervention, puisse être solidifiée.
France 24 : Le 5 juin, vous recevez le prix Houphouët-Boigny qui distingue une personnalité qui a œuvré pour la paix en Afrique. Au Mali, l’armée française intervient depuis maintenant cinq mois. C’est l’opération Serval. Et l’un de vos objectifs, vous l’aviez dit vous-même, était de détruire les terroristes. En intervenant militairement au Mali, n’avez-vous pas eu l’effet inverse en quelque sorte en éparpillant, en réactivant, en déplaçant les actions terroristes ? On l’a vu le 23 mai au Niger.
L’opération Serval a eu un objectif : libérer le Mali de l’emprise terroriste. C’était d’ailleurs un objectif qui existait avant même que les terroristes veuillent conquérir Bamako et l’ensemble du Mali, puisqu’ils occupaient la partie nord du Mali. Cet objectif a été atteint militairement et pratiquement, c’est-à-dire qu’il n’y a plus un seul morceau du Mali qui puisse être sous contrôle de terroristes.
Est-ce que ces terroristes ont été mis tous hors d’état de nuire ? Une grande part compte tenu des éléments que nous avons pu rassembler et il y a une autre partie de ces groupes qui est allée quelque part. Quelque part, on pense au sud de la Libye. Mais ils peuvent être aussi disséminés et nous devons là aussi coordonner l’ensemble de l’action que les pays limitrophes ont souhaité engager.
Je considère que cette opération est réussie : militairement, pratiquement ; elle doit maintenant être réussie – mais ça ne dépend plus de nous -, politiquement. Des élections vont avoir lieu au Mali, un dialogue va être engagé avec les autorités du pays et puis la situation de la sécurité du Mali sera garantie par l’intervention maintenant de l’ONU qui se substitue à celle de la France et des pays africains. C’est bien.
Est-ce que nous en avons terminé pour autant avec la menace terroriste dans le Sahel ? Non. Puisque nous avons vu encore au Niger une action être engagée à Arlit et dans une ville du Niger avec les conséquences très graves qui hélas ont pu être évaluées en nombre de morts. Là aussi, c’est aux Africains d’assurer leur propre sécurité et de lutter contre le terrorisme, mais la France sera à leurs côtés.
RFI : Justement la semaine dernière à Addis-Abeba, vous avez lancé l’idée d’un sommet sur la sécurité en Afrique qui se tiendra au mois de décembre prochain à Paris. Mais cette proposition est diversement appréciée par vos pairs africains. Certains y voient une sorte de convocation. Est-ce que ce n’est pas un peu paternaliste comme initiative ?
Non, c’est ce que nous pouvons faire pour que les Africains eux-mêmes assurent leur sécurité. Vous savez que c’est ma position depuis que je suis à la tête de l‘Etat. J’ai dit à Dakar qu’il en était terminé avec la relation qu’on a pu connaître dans le passé entre la France et l’Afrique. Ce sont les Africains qui doivent assurer leur propre défense, y compris par rapport au terrorisme.
Mais pour autant, la France ne va pas se désengager. Ce que nous pouvons apporter au-delà de ce que nous faisons déjà pour le développement, pour l’économie. Mais nous devons apporter un soutien à la sécurité de l’Afrique. Et c’est le sens de la réunion qui était d’ores et déjà prévue puisqu’il y avait une rencontre entre la France et les pays africains à la fin de l’année. J’ai voulu lui donner un thème. Le thème, c’est la paix et la sécurité. Et les Africains l’ont parfaitement compris.
Qu’est-ce qu’ils veulent ? Non pas que la France vienne faire le gendarme à leur place ? Ce serait une conception à la fois mauvaise pour l’image de la France et insupportable pour les Africains. Mais que nous puissions faire que les armées africaines avec le cadre que voudront donner les chefs d’Etat africains - soit ce sont l’Union africaine, soit des organisations régionales -, pour que les armées africaines soient formées, équipées, pour être en mesure de lutter contre le terrorisme parce que aujourd’hui, c’est la menace principale. La France sera donc à leur côté.
TV5 : la France sera à leur côté, mais de quelle façon. Est-ce que vous envisagez la formation des soldats africains ? Est-ce que vous envisagez une aide financière ? Est-ce que vous envisagez, par exemple, d’armer une force d’intervention dont veut se doter par exemple l’Union africaine ?
Vous avez raison. L’Union africaine dit qu’elle veut se doter d’une force d’intervention. Et je suis entièrement d’accord sur cette démarche. La France, pas simplement la France d’ailleurs, l’Europe. Hier j’étais avec Madame Merkel et je lui ai fait part de mon initiative. Elle la partage. Donc la France et l’Europe, et tous les pays qui voudront d’ailleurs nous suivre, formeront cette force d’intervention africaine.
Ca peut être l’Union africaine, ça peut être également dans le cadre de la Communauté économiques des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pour la zone de l’Afrique de l’Ouest ; ca peut être en Afrique centrale. Mais ce sont les Africains qui nous donneront la réponse. Et selon la réponse, nous adapterons notre soutien.
TV5 : Mais ces moyens ont déjà été évalués. Et quand on voit les efforts de formation des armées africaines et qu’on voit la débâcle de l’armée malienne face aux terroristes, on a l’impression que ça ne marche pas vraiment ?
Mais les armées africaines n’étaient pas formées pour faire face à la menace terroriste. Donc c’est face à ce défi que nous devons les accompagner. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire les équiper, les encadrer et en même temps leur permettre de bien comprendre ce qu’est la nature des armes qui sont maintenant en face de ces armées et les hommes qui les utilisent. C’est effectivement par rapport à une guerre contre le terrorisme que nous devons organiser ces forces.
Et nous ne pouvons pas simplement prendre les pays les uns après les autres et avec toute la coopération que nous avons déjà engagée. C’est pour cela que je trouve que la démarche de l’Union africaine est la bonne. C’est une force d’intervention africaine qui doit être mise en place. L’Europe et la France doivent fournir autant qu’il est possible au-delà du matériel les moyens de rendre cette force redoutée par les terroristes.
RFI : Vous parliez de la Libye tout à l’heure. Peut-être le territoire d’origine des commandos qui ont attaqué Arlit et Agadez. Est-ce qu’on a identifié les commanditaires de l’attentat contre l’ambassade de France à Tripoli, c’était le 23 avril. Et si c’est al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), est-ce que vous envisagez, comme le révèlent nos confères du Parisien de ce matin, une action militaire sur le Sud de la Libye ?
Il y a plusieurs questions dans votre propos. Première question : est-ce que nous avons identifié ceux qui ont porté atteinte à nos intérêts ? Non, pas précisément. Est-ce qu’il y a des groupes terroristes qui se sont installés au sud de la Libye ? Oui. Est-ce que nous pensons qu’ils ont été directement à l’origine de ce qui s’est passé au Niger ? C’est le plus probable.
Nous devons donc avec les autorités libyennes, parce que ce sont elles qui décident de ce qui doit être fait sur leur territoire, et seulement elles, nous devons voir quelle coopération nous engageons pour mettre hors d’état de nuire ces groupes terroristes.
Vous avez raison d’évoquer la Libye, parce que tout est parti de la Libye. Vous vous souvenez il y a maintenant deux ans une intervention légitime qui aboutit à mettre Kadhafi hors du pouvoir. Puis ensuite il est tué. Ce qui s’est passé ensuite, c’est que ça a été une sorte de chaos.
Nous devons tout faire pour que les Libyens qui se sont dotés d’institutions démocratiques puissent assurer la sécurité de leur territoire. Mais après les armes ont circulé. Les terroristes qui à un moment pouvaient être au service de Kadhafi se sont répandus en Afrique et notamment en Afrique de l’Ouest.
RFI : C’est une faute politique de Nicolas Sarkozy ?
Non, je pense que c’était très difficile d’assurer la sécurité de la Libye mais ça devait être fait par la communauté internationale. Ce n’était pas à la France ou au Royaume-Uni de le faire tout de suite après. C’était à la communauté internationale d’être beaucoup plus présente y compris même peut-être, sûrement, pas des forces…
France 24 : On a sous-estimé les risques de déstabilisation dans cette région ?
Je pense que ce qui a été sous-estimé, c’était l’ampleur des armes qui circulaient et des groupes.
France 24 : La livraison d’armes ?
Elles étaient déjà là. Kadhafi avait un arsenal considérable.
RFI : Mais la France en a livré des nouvelles ?
Il y a eu des livraisons d’armes qui posent toujours la question de, où vont les armes que nous pouvons livrer ? Nous devons en tirer un certain nombre de conséquences. Mais ce que je veux dire, c’est que c’est né de la Libye et ça revient en Libye. Donc nous devons appuyer tous les efforts des autorités libyennes pour que nous puissions lutter contre le terrorisme.
RFI : Une action militaire en Libye n’est pas exclue ?
Vous savez qu’il y a des règles pour toute intervention française. Nous, nous intervenons dans la légitimité que nous confèrent les résolutions de l’ONU et dans aucun autre cadre. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été appelés par les autorités libyennes. Donc je veux couper court à ce qui n’est pas une information.
TV5 : Petit retour sur le Niger. Mokhtar Belmokhtar aurait revendiqué les attaques sur Agadez et sur le site d’Areva à Arlit. Mokhtar Belmokhtar, chef jihadiste, on disait qu’il était mort. Quelles sont les informations dont on dispose à ce propos ? Est-il vivant ? Est-il mort ?
Quand il a été annoncé – c’était le président Déby qui avait fait cette déclaration -, qu’il y avait Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar qui avaient été tués dans les combats au nord du Mali. Nous avons demandé qu’il puisse y avoir confirmation y compris par des tests ADN. Nous avons eu cette confirmation pour Abou Zeid. Donc je peux dire qu’il est mort, de manière certaine.
Nous n’avons jamais eu cette confirmation pour Mokhtar Belmokhtar, dont on sait qu’il est aussi un des commanditaires de la prise d’otages en Algérie. Est-ce qu’il est lié encore au Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ? Tout cela n’est pas établi. Mais nous devons prendre en compte cette menace-là. Nous n’en avons pas terminé avec le terrorisme au Sahel.
TV5 : C’est devenu votre Ben-Laden ?
Je ne pense pas qu’il faille identifier tel ou tel personnage, même si je comprends bien que sur le plan médiatique, ça peut être une présentation plus commode. Le terrorisme, il est, on le voit bien, avec des groupes qui sont souvent des groupes aussi de trafiquants. Le Mujao, qu’est-ce que c’est si ce n’est des trafiquants de drogue, des trafiquants d’armes et qui peuvent être utilisés à des fins terroristes. Donc il y a des groupes multiples et nous devons les traiter comme autant de menaces.
France 24 : Il y a aussi dans le terrorisme les prises d’otages. Avez-vous des nouvelles des otages français ? Des preuves de vie ? On dit que certains auraient pu être transférés au sud de la Libye. Avez-vous des informations à nous livrer aujourd’hui ?
Toutes les informations que nous pouvons recueillir vont dans le sens de la preuve de vie. Les otages d’Arlit, quatre ; des otages d’Hombori. Hélas vous savez qu’il y a eu la revendication des groupes qui détenaient monsieur Verdon, d’une mort. Nous n’avons pas eu confirmation. Mais je prends pour ce qu’elle est cette revendication de mort.
Ensuite, nous avons un autre otage qui a été pris, semble-t-il, par le Mujao, et un otage toujours au Nigeria. Nous faisons en sorte d’avoir tous les contacts possibles pour parvenir à les libérer. Je ne peux pas en dire plus. Je le dis à chaque fois aux familles, je leur donne ce que je sais, mais je ne peux pas le faire publiquement et je n’entends pas le faire publiquement pour ne rien contrarier.
Ce que je peux dire, puisque vous m’interrogez, c’est que nous faisons en sorte depuis plusieurs semaines de multiplier des contacts. Pourquoi depuis plusieurs semaines ? Parce que dès lors que nous avons terminé l’opération militaire au Mali, nous considérons qu’il y a là une opportunité pour avoir les contacts qui permettront la libération de nos otages.
RFI : Au Mali, vous dites qu’à la fin de l’année, il n’y aura plus que mille soldats français. Mais en réalité, les soldats français qui vont quitter le Mali, est-ce qu’ils vont revenir en France ou est-ce qu’ils ne vont pas être déployés dans les pays de la zone (le Niger, le Burkina Faso) ?
Une partie de ces soldats reviendront en France là où sont leurs casernements. Puis une autre restera dans la région, là où nous avons un certain nombre de régiments qui y sont basés. Vous savez que nous avons des troupes dans la région et nous entendons les garder.
RFI : Donc il n’y a pas de vrai retrait en réalité ?
Il y a un retrait du Mali en tant que tel puisque là les forces de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) qui vont devenir les forces de l’opération de maintien de la paix vont se substituer aux nôtres. Il n’y a pas de raison de rester au Mali, même si mille soldats, c’est déjà une présence.
Mais nous serons non loin des lieux où nous pensons qu’il peut y avoir un risque terroriste pour intervenir de manière la plus efficace possible en liaison bien sûr avec la force de maintien de la paix au Mali, avec les armées africaines dans les pays considérés.
TV5 : Désengagement du Mali mais renforcement dans la région ?
Oui, maintien de notre présence puisqu’elle a toujours été forte dans la région, et à la demande bien sûr des pays qui nous accueillent.
France 24 : Un mot de l’élection présidentielle au Mali. Elle est annoncée le 28 juillet. Est-ce que vous pensez que les délais vont être tenus ? Est-ce que parfois il ne faut pas d’élections plus tard plutôt que des élections vite fait-mal fait? Est-ce qu’il n’est pas un peu urgent d’attendre sachant que, à Kidal, l’armée malienne ne peut toujours pas y mettre un pied ?
Il faut avoir des élections. C’est un bon principe.
France 24 : A cette date butoir ?
Des élections qui puissent être incontestées et donc incontestables. La date du mois de juillet, fin juillet, permet de réaliser des opérations électorales. Je rappelle d’ailleurs qu’il y avait eu un coup d’Etat au Mali avant même que les élections se tiennent. Tout était fait pour que les élections puissent avoir lieu, c’était en 2012.
Donc nous avons « approuvé » toute disposition qui permette aux Maliens d’organiser les élections pour le mois de juillet 2013, dès lors que le territoire malien a été entièrement libéré. Reste la question, et là vous avez raison, de Kidal puisque les armées maliennes ne sont pas à Kidal. Nous avons dit, il faut que l’administration malienne puisse organiser les élections. Elle sera donc présente. Mais il y a des discussions qui ont lieu en ce moment entre les autorités maliennes et le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) pour que nous puissions trouver les meilleures conditions pour l’organiser.
France 24 : Et c’est plutôt bien engagé ?
Et c’est plutôt bien engagé. Et je comprends parfaitement la revendication des autorités maliennes considérant que partout il doit y avoir l’administration civile et, à un moment, l’armée malienne aussi.
TV5 : Pas de complaisance avec les Touaregs comme on a pu vous en accuser ?
Pas de complaisance mais, en même temps, du respect aussi, non pas pour ce mouvement en l’occurrence mais pour la réalité touareg, pour la réalité de la population de cette partie là du Mali. Et évitons qu’il y ait des affrontements.
Notre responsabilité est de tout faire pour que le dialogue puisse avoir lieu pour que les organisations puissent également être associées aux élections et que les élections puissent se tenir. Et nous sommes en bonne voie d’y parvenir. Et la France accompagnera l’administration civile et si c’est possible et nécessaire, l’armée malienne.
RFI : Quand vous avez fait campagne, vous disiez « Si je suis élu, je me battrai pour les droits de l’homme et la démocratie ». Au Tchad, des députés et des journalistes sont en prison depuis un mois. Beaucoup vous reprochent votre silence. Est-ce que depuis que l’armée tchadienne a prêté main forte à l’armée française, vous ne vous sentez pas être l’obligé du président Déby ?
Non. Ce n’est pas la relation que j’ai avec l’Afrique et avec le Tchad. Le Tchad a payé un lourd tribut à la libération du Mali de l’emprise terroriste. Et je ne l’oublierai pas parce que je sais ce que les armées du Tchad ont été capables de faire.
En même temps, j’ai des principes et quand un opposant ou quand un ministre se voit mis en cause, y compris pour sa propre liberté, je le dis. Il n’y a pas de dérogation. Il n’y a pas d’indulgence en fonction de ce qu’a été à un moment notre solidarité dans un combat qui devait être mené. Donc les droits de l’homme ne sont pas à éclipse. Ils sont toujours la position intangible de la France et je l’ai dit au président Déby.
RFI : Le procès Chebeya, vous vous êtes battu pour qu’il y ait lieu, pour qu’il reprenne quand vous êtes allé à Kinshasa il y a six mois. La libération du franco-camerounais Thierry Michel Atangana, vous vous êtes battu aussi auprès du président Biya. Dans ces deux cas, rien n’avance ?
On ne peut pas le reprocher à la France. Ce qu’on pourrait nous reprocher, c’est de ne rien dire ou de ne rien faire. Puisque j’ai l’occasion de m’exprimer devant vous, au Cameroun, j’ai dit au président Biya que bien sûr dans le respect de l’indépendance de la justice camerounaise, tout devait être fait pour qu’il puisse y avoir une solution qui soit apportée. Ça fait trop longtemps, 20 ans, que ça dure et c’est inadmissible.
Puis en RDC, j’y suis allé moi-même. J’ai apporté mon soutien pour que le procès puisse avoir lieu. J’ai dit combien il était indispensable que ce procès ait lieu et je continuerai ma pression sur le président Kabila pour que ce procès ait lieu et pour que la vérité éclate quoi qu’il en coûte.
France 24 : Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, était hospitalisé en France. Il serait en convalescence aux Invalides à Paris. Est-ce que vous avez des nouvelles du président algérien ? Est-ce qu’il va mieux ? Et est-ce qu’il va rentrer chez lui bientôt ?
Il ne m’appartient pas de faire le bulletin de santé du président algérien. Pas davantage de dire quand il va rentrer dans son propre pays. Il en décidera lui-même. Ce que je peux en revanche vous déclarer, c’est qu’il était effectivement hospitalisé et qu’il est maintenant en convalescence, dans l’établissement des Invalides où lui seront prodigués tous les soins nécessaires. Ensuite, il aura à rentrer bien sûr, et j’espère le plus vite possible, dans son pays.
TV5 : Justement à propos de l’Algérie, c’est un des seuls régimes qui ait pu résister au printemps arabe. Est-ce qu’il faut aujourd’hui préparer l’après Bouteflika ou est-ce qu’on peut s’attendre à une sorte de chaos quand le président partira ?
Je suis allé en Algérie il y a quelques semaines et j’ai de très bonnes relations avec le président Bouteflika et avec les autorités algériennes. Parce que la France et l’Algérie, au-delà du passé, au-delà des séquelles qui demeurent, des blessures qui ne sont pas encore toutes refermées, nous avons un avenir à préparer ensemble.
Je sais ce que représente la communauté algérienne en France, les Français d’origine algérienne, je n’oublie rien de ces Français qui vivaient en Algérie et qui sont partis dans les conditions que l’on sait, je sais aussi ce qu’est la douleur des harkis. Voilà la réalité de la relation entre la France et l’Algérie.
Mais je veux qu’elle puisse être essentiellement tournée vers l’avenir parce que l’Algérie, comme d’ailleurs l’Afrique, a des ressources très importantes, a une capacité de croissance, une capacité de développement dont la France doit prendre sa part. Est-ce qu’il y a un risque de chaos ? Je ne crois pas parce qu’il y a une solidité des institutions algériennes. Maintenant c’est aux Algériens de déterminer leur propre avenir. Des élections sont prévues en 2014 et je fais confiance à ce processus.
RFI : En Tunisie, le parti au pouvoir Ennahda commence à durcir le ton face aux salafistes. Est-ce que votre visite dans quelques semaines, c’est une forme de soutien à Ennahda ou est-ce que vous continuez comme vous l’avez toujours fait à soutenir le camp des laïcs ?
Moi, je soutiens la Tunisie et sa transition démocratique parce que c’est là qu’est né le printemps arabe. Et c’est là qu’il doit réussir. Donc il y a maintenant cette Constitution qui est enfin prête, qui va être soumise. Il y aura à ce moment-là un processus qui va se prolonger. Et je veux dire à toutes les familles politiques démocratiques, celles qui s’inscrivent dans ce processus qu’elles ont le plein appui de la France.
RFI : Y compris Ennahda ?
Ennahda est issu d’un processus électoral, a été donc choisi par une partie du peuple tunisien. Il y aura de nouvelles élections. En allant en Tunisie, je discuterai avec tous, les laïcs et non laïcs. Il ne m’appartient pas de dire qui je préfère même si, chacun sait, les relations anciennes que j’avais avec un certain nombre de personnalités. J’ai aussi de très bons rapports avec le président Marzouki. Au tant, je peux au nom de la France soutenir un processus, même souhaiter qu’il puisse réussir de la manière la plus éclatante, autant je n’interfère pas dans la vie politique tunisienne.
France 24 : Tunisie, Libye, Egypte, Syrie sont l’illustration de la percée des islamistes. Est-ce que notre diplomatie doit faire le tri entre les bons et les mauvais islamistes ?
Notre diplomatie doit insister sur la démocratie et les transitions qui permettent d’y parvenir. En Libye, nous devons conforter les autorités qui sont également issues des élections. Et il y a des risques sérieux de déstabilisation, nous les connaissons. En Tunisie, le processus est engagé, il doit être maintenant accompli. An Algérie, vous avez évoqué le fait que ça n’avait pas été un pays concerné par le printemps arabe mais qui avait fait sa mutation dans des conditions que nous savons tragiques après une véritable guerre qui a été menée contre le terrorisme. Et au Maroc, où je suis allé aussi, il y a un processus démocratique qui est engagé. Nous, notre diplomatie est d’avoir des relations avec des pays qui nous sont proches, avec lesquels nous avons par notre histoire, par la géographie, mais aussi par nos intérêts communs, des relations à engager, et d’avoir la démocratie toujours comme condition et comme objectif.
France 24 : En Syrie, Bachar el-Assad a déclaré hier, jeudi, à la télévision qu’il serait sans doute candidat à l’élection présidentielle en 2014. Est-ce que vous dites toujours que Bachar el-Assad doit partir ?
100 000 morts en Syrie depuis deux ans. Un régime, Bachar el-Assad qui en est le principal responsable, qui écrase une partie de sa population, qui utilise les armes qui sont fournies parfois de l’extérieur ou qui utilise des groupes armés qui viennent également de l’extérieur et avec l’interrogation d’une possible utilisation d’armes chimiques. Et vous pensez que face à cette situation la France devrait fermer les yeux ?
Elle ne les a jamais fermés. Et elle mobilise autant qu’il est possible la communauté internationale pour trouver une solution politique : c’est la perspective de Genève. Si cette conférence doit avoir lieu – je souhaite qu’elle ait lieu -, ça doit être pour avoir une transition sans Bachar el-Assad. Parce que si non, comment l’opposition pourrait-elle accepter un tel processus ?
TV5 : Préalable de cette conférence : Bachar el-Assad doit partir ?
Je l’ai dit depuis longtemps. Et si cette conférence doit se tenir, c’est pour préparer l’après Bachar el-Assad, pas les élections présidentielles où Bachar el-Assad annonce déjà qu’il est candidat.
France 24 : Enfin cette ligne rouge dont a parlé Barack Obama, elle semble quand même assez élastique puisqu’il y a de plus en plus de preuves sur les armes chimiques ? C’est quand même la question cruciale, cette ligne rouge, elle n’en finit pas de s’étirer ?
C’est une des questions qui peut justifier à un moment une intervention. Toutes les preuves doivent être apportées. Et j’ai demandé au nom de la France qu’il puisse y avoir un contrôle qui soit fait sur l’utilisation de ces armes chimiques.
TV5 : Jusqu’à présent ce contrôle n’a rien donné ?
Jusqu’à présent, les autorités du régime s’y refusent.
RFI : Il y a les armes chimiques et puis il y a les missiles sol-air que les Russes sont en train de livrer aux Syriens. Est-ce qu’avec cette arrivée de nouvelles armes, toute intervention occidentale n’est pas rendue impossible ?
On ne peut pas accepter que, au moment où il y a la conférence de Genève avec l’idée qu’une solution politique pourrait être trouvée, que des armes dans le même temps soient livrées par la Russie au régime de Bachar el-Assad ; et qu’il ne puisse pas y avoir non plus d’armes qui soient livrées à l’opposition. Donc qu’est-ce que j’ai fait depuis plusieurs mois, avec d’ailleurs les Britanniques et David Cameron ? J’ai fait en sorte que l’Europe puisse lever, à certaines conditions, et partiellement l’embargo sur les armes destinées à l’opposition.
Quelles sont les conditions ? C’est que ces armes, on a l’expérience de la Libye, ne soient pas données et portées à des groupes qui pourraient demain se retourner contre nous ou contre l’équilibre de la région. Première condition. Deuxième condition : que l’opposition soit unie, cohérente et capable de donner ces garanties. Et la troisième condition : c’est que ces armes puissent si elles doivent être livrées l’être parce qu’il n’y aurait pas eu de solution politique. La démarche de la France, on va tout faire pour que Genève puisse réussir.
France 24 : Avec les Iraniens ?
Après il y a la question que certains rapportent pour compliquer les choses.
TV5 : Certains c’est Moscou ?
Oui. Ceux qui ne veulent pas pour l’instant trouver une solution. On leur dit : « faites en sorte que cette solution soit politique si vous ne voulez pas qu’elle soit militaire ». Donc faisons en sorte que Genève puisse se tenir. Ne compliquons pas la liste des participants à Genève. Faisons la pression maximale y compris sur le plan militaire, et c’est la raison de la levée possible de l’embargo pour dire que puisque les Russes fournissent des armes, nous nous pouvons envisager cette hypothèse. Nous ne la souhaitons pas. Et donc faisons tout pour que la solution politique prévale.
France 24 : Il y aura une initiative forte de la France à Genève ?
Cette initiative, elle a déjà été prise et nous sommes depuis longtemps en avant-garde.
TV5 : Est-ce que vous vous préparez à une intervention militaire sur le terrain ?
Nous pensons aujourd’hui que la solution doit être politique. Mais pour faire prévaloir la politique, il ne faut jamais écarter l’hypothèse de la pression militaire, en l’occurrence de la levée de l’embargo.
RFI : Le Hezbollah libanais reconnaît qu’il combat au côté du régime de Bachar el-Assad. Quelle est votre réaction ? Est-ce que vous ne craigniez pas une aggravation de la tension chiite-sunnite ?
Bien sûr qu’il y a une menace très sérieuse. D’abord de morts encore plus nombreuses en Syrie : 100 000 déjà, d’un écrasement militaire de l’opposition compte tenu des livraisons d’armes de la Russie à la Syrie, et de la présence du Hezbollah. Et si nous sommes dans cette situation, il y aura forcément des conséquences au Liban, en Turquie, en Jordanie et avec Israël qui ne laissera pas faire et avec la question du Golan maintenant qui se repose. On pense que c’est la Syrie, non ! C’est toute la région qui est concernée. C’est pourquoi je veux que la conférence de Genève puisse réussir.
France 24 : Qu’il est urgent d’attendre dans le fond ?
Non maintenant nous sommes à quelques semaines de cette conférence. Et après si cette conférence n’aboutissait pas ou si elle ne pouvait pas se tenir, il y aurait sûrement des initiatives à prendre. J’en ai évoqué une avec la levée de l’embargo aux conditions que j’ai précisées.
Mais vous savez là-dessus, la France a été chaque fois la première. Dès que j’ai été élu président de la République, la question s’est de nouveau posée : qu’est-ce que nous pouvions faire ? Nous avons été les premiers à faire l’aide humanitaire. Nous avons été les premiers à reconnaître l’opposition comme la seule représentante légitime du peuple syrien. Nous avons été les premiers, avec les Britanniques, à évoquer la levée de l’embargo. Nous avons été les premiers à dénoncer la possible utilisation des armes chimiques et dire que ça pouvait être une ligne rouge.
TV5 : Pourtant on a l’impression que ça va être un bras de fer entre Washington et Moscou ?
C’est tout à fait normal qu’il puisse y avoir ce dialogue puisqu’on sait bien qu’une partie de la solution est à Moscou. Donc c’est bien que les Etats-Unis s’y investissent dans cette relation. Mais la France fera son devoir et elle le fera en sachant que c’est d’abord par la solution politique que nous trouverons l’issue à ce drame, parce que c’en est un. Et que nous voyons bien que c’est toute la sécurité de la région qui est en cause.
Edition spéciale entretien avec François Hollande
Réactions et analyses de Christophe Boisbouvier (RFI), Jean-Baptiste Placca (RFI), Achille Mbembe (Université du Witwatersrand, Johannesburg) et Venance Konan (Fraternité Matin).
 
31/05/2013 par RFI
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