jeudi 21 février 2013

« Ansaru monte en puissance en médiatisant ses actions »


« Ansaru monte en puissance en médiatisant ses actions »

Le Monde.fr |  -Mathieu Guidère,propos recueillis par Audrey Garric
Capture d'écran d'une vidéo montrant Ansaru en décembre 2012.
 Sept touristes français, dont quatre enfants, ont été enlevés mardi 19 février dans l’extrême-nord du Cameroun, puis emmenés au Nigeria voisin, une prise d’otages dont le groupe Ansaru pourrait être l’auteur. La faction islamiste s’est en effet déjà illustrée par le kidnapping d’un ingénieur français, fin décembre, dans le nord du Nigeria, ainsi que par le rapt de sept employés étrangers de la société Setraco au cours du week-end.
Mathieu Guidère, professeur d’islamologie à l’université de Toulouse-II, estime que la formation, qui fonctionne par petits commandos autonomes, enlève des Occidentaux pour faire parler d’elle sur la scène internationale, mais aussi par soutien et sympathie pour Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Qu’est-ce que le groupe Ansaru ?
Mathieu Guidère : Le groupe islamiste Ansaru, de son nom complet Ansaru al-Muslimin Fi Bilad al-Sudan (Les défenseurs des musulmans en Afrique noire), est une faction dissidente, depuis janvier 2012, de la secte nigériane Boko Haram. Cette formation, basée dans le nord-est du Nigeria, à la frontière avec le Tchad et le Cameroun, compte un millier de membres et est dirigée par un certain Abou Oussama al-Ansari.
C’est un groupe qui monte en puissance en faisant parler de lui par des actions spectaculaires et médiatiques. Il essaye d’attirer le maximum de membres de Boko Haram, créé en 2002, et qui compte encore quelque 10 000 combattants.
Pourquoi Ansaru a-t-il fait sécession de Boko Haram ?
Les deux groupes mènent le djihad et veulent imposer la charia. Mais les chefs d’Ansaru ont fait sécession pour deux raisons. D’un point de vue idéologique, tout d’abord, Ansaru souhaite mener le djihad et appliquer la charia partout où les musulmans noirs sont majoritaires, tandis que Boko Haram veut le faire seulement dans le nord du Nigeria. Le premier a un agenda régional, tandis que le second poursuit un agenda local.
Sur le plan opérationnel, Ansaru refuse les attentats-suicides et la pose de bombes dans les lieux publics. Il s’avère en réalité un groupe plus modéré que Boko Haram. Pour faire connaître la cause des musulmans au nord du Nigeria, ses membres ont plutôt opté pour la stratégie des kidnappings d’Occidentaux, qui leur permet de médiatiser leur action sur la scène internationale. A l’inverse, ces enlèvements sont rejetés dans l’idéologie de Boko Haram, qui estime que le djihad se résume au combat, via des affrontements armés ou des attentats-suicides.
De ces deux stratégies découle une organisation différente : Boko Haram a adopté une organisation pyramidale, tandis que Ansaru possède une structure fragmentaire et fonctionne par petits commandos autonomes, qui œuvrent sur une petite partie du territoire avec un objectif et une cible précis. Cela leur permet d’enlever plusieurs groupes d’Occidentaux en parallèle, comme cela s’est passé ce week-end.
Quels sont les liens entre les deux groupes et AQMI ?
Boko Haram est le groupe le plus proche d’Al-Qaida au Maghreb islamique. Il connaît AQMI depuis sa création, en 2007, et entretient des relations soutenues depuis 2010. Ansaru ne dispose pas des mêmes contacts, car il est de création récente, mais certains de ses membres ont été entraînés par AQMI au nord du Mali l’an dernier. Ces relations ont été interrompues par le déclenchement de la guerre et de l’intervention française, ce qui a conduit ses membres à fuir le nord du Mali pour retourner au nord du Nigeria.
Les relations entre Ansaru et AQMI pourraient toutefois se développer : les deux groupes ont des liens idéologiques, puisqu’ils promeuvent le djihad et la charia au niveau régional, et Ansaru enlève des Occidentaux aussi par soutien et sympathie pour AQMI. Le groupe s’attaque en particulier à la France, devenue à ses yeux, avec l’intervention au Mali, le leader des croisés sur les terres de l’islam.

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