dimanche 24 juin 2012


MONDE

Guerre de l’ombre au Sahel

22 juin 2012 à 19:56
Des membres d'Ansar el Dine dans le nord du Mali le 12 juin.
Des membres d'Ansar el Dine dans le nord du Mali le 12 juin. (Photo Reuters.)

ANALYSE Américains et Français se limitentà surveiller le nord du Mali, contrôlé par des islamistes et des indépendantistes touaregs, laissant à une force africaine l’éventualité d’une intervention au sol. .

Par THOMAS HOFNUNG
Ils ne les ont pas atteints, mais ils ont essayé. La semaine dernière, les islamistes qui contrôlent le nord du Mali ont visé à l’arme lourde deux appareils non identifiés qui survolaient la ville de Tombouctou. «Oui, nous avons tiré, et s’il plaît à Dieu, nous allons bientôt abattre des avions ennemis qui survolent Tombouctou. La France, l’ONU, peuvent envoyer tous les moyens du monde. Grâce à Dieu, nous allons vaincre l’ennemi», a déclaré à l’AFP Oumar Ould Hamaha, un des chefs militaires du mouvement Ansar ed-Dine (Défenseurs de l’islam).
En réalité, il ne s’agissait vraisemblablement pas d’aéronefs français, mais plus sûrement d’avions américains. Selon le Washington Post, les Etats-Unis surveillent en effet de plus en plus étroitement le Sahel - une zone «grise» où coopèrent trafiquants de drogues et groupuscules terroristes. Depuis 2007, Washington aurait mis en place un réseau d’une douzaine de bases aériennes sur le continent africain, permettant à de petits avions passe-partout, bourrés d’électronique, d’effectuer des vols de reconnaissance dans les zones sensibles.
Selon le quotidien, qui s’appuie sur des sources militaires et du renseignement américain, ce maillage comprendrait notamment la base de Djibouti (la seule que possèdent les Etats-Unis en Afrique), mais aussi le Kenya, l’Ouganda, l’Ethiopie. Dans ces pays, les militaires américains et les contractuels privés auxquels ils font de plus en plus appel disposent de discrètes installations dans des hangars situés à l’écart, sur des aéroports ou des bases militaires locales. Pour la zone du Sahel, les Américains ont élu domicile sur l’aéroport de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, où ils ont pour voisines les forces spéciales françaises, déployées sur place depuis plusieurs mois.
Immense. Le «hub» de Ouagadougou permet de rayonner sur tout le secteur où les hommes d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) sont actifs : la Mauritanie, le Niger et bien sûr le Mali, où les terroristes soutiennent les islamistes touaregs d’Ansar ed-Dine. Ces derniers ont profité du putsch militaire du 22 mars contre l’ex-président Amadou Toumani Touré, à Bamako, pour s’emparer, de conserve avec les indépendantistes touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), du Nord-Mali.
Echappant à tout contrôle étatique, cette immense région, plus vaste que la France, préoccupe singulièrement Paris. L’ex-puissance coloniale est inquiète notamment pour la sécurité de ses ressortissants présents sur place, dont six ont déjà été enlevés au Niger et au Mali, et sont toujours otages d’Aqmi. Outre la menace d’un nouveau rapt, Paris redoute un possible attentat. La publication spécialisée la Lettre du continent affirme que des ULM effectuent des vols de reconnaissance aux abords d’aéroports de la région avant l’atterrissage et le décollage des avions d’Air France. Selon des sources concordantes, Aqmi aurait en effet récupéré des missiles sol-air de fabrication soviétique dans les arsenaux libyens, à la faveur de la chute du régime de Kadhafi.
Les Américains, qui utilisent des drones pour cibler des terroristes au Yémen, mais aussi en Somalie, vont-ils y recourir dans le Sahel ? Cité par le même Washington Post, un haut gradé américain ne l’exclut pas. Les Français disposent, eux, de moyens de surveillance aérienne en Afrique de l’Ouest et de forces spéciales. Outre à Ouagadougou, des militaires tricolores sont déployés en Mauritanie. Officiellement, ils y effectuent des missions de formation, mais - à l’instar de leurs homologues américains - ils peuvent, le cas échéant, changer de casquette. En janvier 2011, des commandos français avaient tenté, sans succès, de libérer deux jeunes compatriotes enlevés dans un restaurant de Niamey (Niger). Cette opération avait été montée en quelques heures.
Malgré ce déploiement de moyens technologiques à haute valeur ajoutée et de troupes d’élite, seule une intervention au sol peut permettre de reprendre le contrôle du Nord-Mali. Mais ni les Américains ni les Européens ne sont prêts à faire la guerre dans le Sahel. En revanche, sous réserve du vote d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant le déploiement d’une force africaine, ils seraient disposés à fournir un soutien logistique, ainsi que du renseignement aérien.
Milieu extrême.Pour l’heure, seuls trois pays de la région se sont dits prêts à mobiliser quelque 3 700 hommes : le Niger, le Nigeria et le Sénégal. C’est trop peu, surtout pour mener des opérations dans un milieu extrême (le désert) et face à des activistes islamistes très déterminés. Sollicitée de longue date, l’Algérie reste étrangement passive face à la détérioration de la sécurité à sa porte.
Reste l’armée gouvernementale malienne, qui a implosé ces derniers mois. L’une des priorités des Occidentaux est de l’aider à se remettre sur pied. A cet égard, le déploiement d’une force ouest-africaine, d’abord au Sud-Mali, permettrait de stabiliser les institutions, avant d’envisager la reconquête du Nord. Une perspective qui laisse toutefois sceptique un natif de Tombouctou : «Dans le désert, cent soldats du Sud se sentiront toujours plus faibles que trois Touaregs.»

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