samedi 28 avril 2012


Tombouctou rejette al-Qaida

Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et Ansar al-Din ne sont pas les bienvenues dans l’Azaouad.
Quelques jours après que le groupe islamiste du rebelle touareg Iyad Ag Ghaly ait pris Tombouctou avec l’aide d’al-Qaida, les habitants ont porté leur premier coup contre ce qu’ils appellent “les groupes islamiques et étrangers dans la région”, en organisant une manifestation, le vendredi 20 avril.
“Des éléments d’al-Qaida et d’Ansar al-Din ont tenté d’interrompre cette manifestation, mais les jeunes les ont ignorés”, a expliqué à Magharebia un responsable de la mosquée Belferandi.
La fierté culturelle du nord du Mali, l’héritage touareg, l’affinité pour le soufisme et le respect des libertés des femmes les rendent sourds au message des extrémistes. Et ils expriment avec force leur refus de laisser leur site inscrit au patrimoine de l’humanité de l’UNESCO tomber entre les mains d’islamistes purs et durs.
“Nous avons brandi nos propres drapeaux pour signifier notre rejet d’al-Qaida et des porteurs de drapeaux noirs [les salafistes]“, a expliqué Elhassan Cissé, chauffeur de bus à Tombouctou, à Magharebia.
“Les gens qui ont participé à cette marche étaient très en colère contre le comportement d’al-Qaida et d’Ansar al-Din, qui entrent chez eux, brisent leurs objets et interviennent dans le quotidien de leur vie”, a-t-il ajouté.
Daoud Ibn Mohammed, un imam local, a expliqué que les habitants de Tombouctou cherchaient plus, par leur rassemblement, qu’à condamner la présence des extrémistes et à dénoncer le nouveau wali affilié à al-Qaida.
“Ils voulaient également protester contre l’attitude des nouveaux dirigeants”, a ajouté cet imam. “La manière dont ils régentent nos vies a entraîné de graves pénuries alimentaires, ainsi que la faim et la pauvreté dans la population.”
Ces groupes extrémistes se sont alliés pour contrôler la région de l’Azaouad avant d’étendre leur contrôle sur l’ensemble du Mali, met en garde l’analyste al-Mokhtar al-Salem. Mais cela s’avérera impossible dans une région où prévalent les valeurs d’ouverture et de tolérance, a-t-il expliqué.
“Par exemple, les femmes se déplacent sans porter le voile et bénéficient d’une grande liberté dans la gestion et la direction des affaires”, ajoute-t-il. “Il serait difficile d’appliquer des lois islamiques strictes dans une société dont les habitudes et les traditions vont à l’encontre de la répression et des restrictions.”
Le Mali est très différent des endroits où al-Qaida s’est jusqu’alors implantée, comme l’Afghanistan, souligne-t-il.
Selon lui, “la société afghane est régie par des traditions qui n’accordent pas aux femmes le droit d’exprimer leurs désirs, et constitue de ce fait un terreau fertile à l’implantation de l’idéologie al-Qaidienne”.
Un autre facteur qui a conduit les habitants de l’Azaouad à rejeter al-Qaida est la fierté qu’ils éprouvent pour leur patrimoine.
Pendant des siècles, cette région a été un carrefour des religions et des cultures connu pour sa tolérance. Les habitants ont été outrés lorsque certains gangs ont récemment lancé des opérations contre des symboles du chistianisme à Gao, Kidal et Tombouctou, et ont saccagé des symboles culturels de ces villes, comme l’Institut des hautes études et recherches islamiques Ahmed Baba (IHERI-AB) de Tombouctou.
Le soufisme, qui met l’accent sur le mysticisme et la modération, est également populaire dans cette région.
“La propagation de l’idéologie soufie parmi les habitants de Tombouctou est l’une des raisons qui les ont poussés à rejeter l’idéologie extrémiste, parce qu’al-Qaida accuse généralement ceux qui adhèrent au soufisme de kufr”, a indiqué Mubarak Ag Mohamed, membre du bureau des médias du Mouvement national pour la libération de l’Azaouad (MNLA).
Abdel Hamid al-Ansari, analyste et universitaire de Tombouctou, regrette que “Ansar al-Din et ses alliés d’al-Qaida aient déformé l’image lumineuse de la religion”.
“Appliquer la charia islamique n’a fait qu’apporter pauvreté, faim et dévastation à Tombouctou, et a aggravé le sentiment des habitants envers l’injustice, la répression des individus et des libertés collectives, ce qui les a poussés à descendre dans la rue en signe de condamnation”, a-t-il déclaré.
Cette indignation publique s’est manifestée dès que les terroristes “ont dit qu’ils s’en prendraient aux magasins, obligeraient les femmes à porter le voile et imposeraient l’éducation religieuse”, a-t-il dit à Magharebia. “Des pratiques qui ne sont pas acceptables dans cette ville, qui a porté la bannière du véritable Islam dans la région.”
Si les terroristes restent déterminés à contrôler la région, quitte à faire face à ce rejet de l’opinion, ils seront contraints de fournir rapidement l’électricité, l’eau et la nourriture, souligne-t-il. Or, ils ne sont pas prêts à assumer le travail du gouvernement malien.
Pour Sid Ahmed Ould Tfeil, spécialiste des groupes salafistes, il n’y a rien de surprenant à ce que l’Azaouad rejette les extrémistes. Au premier rang de ces raisons, le fait que les Maliens se soient brutalement retrouvés sous le contrôle d’étrangers.
Dans le cadre de ses accords passés avec AQMI, Ansar al-Din a nommé Yahya Abou al-Hammam (de son vrai nom Jemal Oukacha), un ressortissant algérien et émir d’al-Qaida, au poste de gouverneur local. Il a été nommé wali de Tombouctou parce qu’il avait passé plusieurs années dans la région, “mais il n’est pas accepté par les habitants locaux, en majorité arabes et touaregs”, explique-t-il.
“Ceux qui connaissent la nature tribale, religieuse et doctrinale de la société de l’Azaouad en général, et des Touaregs en particulier, savent qu’il ne leur sera pas facile d’accepter d’être contrôlés par des forces extérieures, en particulier al-Qaida”, ajoute Ould Tfeil.
Et il n’a pas fallu longtemps aux habitants de la région pour “commencer à comprendre le danger que ce groupe représente pour l’avenir de leur indépendance politique et de leur souveraineté”, poursuit-il.
“Et bien qu’al-Qaida ait pu mettre en place quelques alliances avec des chefs de tribus par suite de l’absence et de la faiblesse du gouvernement central malien, ces alliances ne sont plus possibles dans les circonstances actuelles”, explique-t-il à Magharebia.
“La plupart des membres de la société de l’Azaouad ont pour ambition d’obtenir l’indépendance, de vivre dans un climat de stabilité et de sécurité, et d’établir des relations au niveau international. Il est donc naturel qu’ils rejettent al-Qaida, et cela explique la raison pour laquelle les habitants de Tombouctou refusent d’être gouvernés par Abou Al-Hammam”, ajoute-t-il. Comme l’explique Ham Ag Mahmoud, membre du bureau politique du MNLA : “Nous seuls avons le droit de nommer un wali dans la ville, ni al-Qaida, ni Ansar al-Din.”
La manifestation organisée vendredi dernier à Tombouctou “a été le summum de ce rejet, montrant que les habitants ne pouvaient plus accepter la réalité qui leur était imposée”, a expliqué à Magharebia ce responsable du MNLA.
Mouhi Ag Boulkhei, officier militaire du MNLA à Niafounké, au sud-ouest de Tombouctou, reconnaît que les habitants se sont sentis obligés de manifester contre un wali qui leur était imposé par des groupes étrangers.
“Que signifient Ansar al-Din et al-Qaida ?”, s’interroge-t-il. “Quels avantages peuvent-ils apporter aux habitants ? Nous leur avons déjà conseillé de quitter notre terre, parce que nous ne nous laisserons pas gouverner par des gens qui ne sont pas des nôtres.”
Source : Par Jemal Oumar pour Magharebia à Nouakchott
Maliactu du 27 avril 2012

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