mardi 24 avril 2012


Des éléments d'al-Qaida apparaissent à Derna

2012-04-05
Dans une ville connue depuis longtemps pour son conservatisme, les habitants de Derna indiquent que de nouvelles forces extrémistes ont pris pied dans cette ville de l'est de la Libye.
Par Asmaa Elourfi pour Magharebia à Derna – 05/04/12
[AFP/Gianluigi Guercia] Les Libyens manifestent contre les éléments violents qui s'installent à Derna.
[AFP/Gianluigi Guercia] Les Libyens manifestent contre les éléments violents qui s'installent à Derna.
Au lendemain de la révolution libyenne, des personnalités islamistes radicales s'installent dans la ville de Derna, dans l'est du pays. Au vu des rapports concernant des voitures piégées, des assassinats et des actes de vandalisme, Magharebia s'est rendue sur place pour interroger les habitants sur la situation qu'ils vivent au quotidien.
"Les explosions de voitures piégées se multiplient durant la nuit à Derna, il y a eu notamment celle d'Abdul Hakim al-Hasadi", a expliqué Essam Abdul Hamid. "Quelques minutes après qu'il ait quitté sa voiture et qu'il soit rentré chez lui, il a entendu le bruit d'une explosion de voiture. Après être ressorti, il a échangé des coups de feu avec des inconnus, blessant un passant à la jambe."
Ancien membre du Groupe islamique combattant libyen (GICL), al-Hasadi avait été contraint à l'exil et était parti pour l'Afghanistan et le Pakistan. Il avait par la suite dénoncé al-Qaida et participé à la révolution libyenne.
"Les citoyens sont descendus manifester dans la rue pour exprimer leur rejet de l'idéologie extrémiste, parce que nous sommes un peuple connu pour sa modération", a ajouté Abdul Hamid. "D'autres ont organisé un sit-in pendant plus de cinq jours. Quatorze explosions ont eu lieu en ville. Elles sont la manifestation d'un programme étranger, représenté par le groupe Ansar al-Sharia, qui s'est répandu dans plusieurs régions de Libye."
"Derna connaît elle aussi la présence d'al-Qaida", a-t-il souligné. "Al-Qaida est même présente dans plusieurs régions de Libye, ce qui pourrait s'avérer très dangereux si le Conseil national de transition (CNT) n'y prête pas attention et n'y met pas fin."
Les habitants de Derna, qui organisent un sit-in à la mosquée al-Sahabi depuis le 29 mars, demandent l'intervention du gouvernement, le départ de Sufian al-Quma et de tous les éléments armés de Derna, et le retour de l'armée et de la police.
Sufian al-Quma est connu pour son affiliation à al-Qaida, parce qu'il a été le chauffeur privé d'Oussama ben Laden.
Interrogé par Magharebia sur la situation à Derna, le ministre de l'Intérieur par intérim Fawzi Abdul Aal a toutefois affirmé que les autorités "contrôlent totalement la ville et la situation y est sûre."
"Un bataillon connu sous le nom d'Ansar al-Sharia a récemment fait son apparition", a expliqué Feras Muftah. "Il est dirigé par Sufian al-Quma. Ces gens n'apparaissent pas en public ; ils préfèrent travailler dans l'ombre. Il y a de nombreuses explosions, mais leurs auteurs ne sont jamais connus. On dit que ce bataillon est responsable de ces explosions qui visent ceux qui travaillaient pour l'Etat sous l'ancien régime."
Il a ajouté qu'il n'existait aucun conseil local, et que la ville était contrôlée par six factions armées différentes. "Le groupe Ansar al-Sharia est basé dans la forêt de Bou Mesafer, à la sortie de Derna qui fait face aux bâtiments d'une société turque", a-t-il précisé.
"Ce groupe ne veut aucune armée ; il préfère appliquer la charia divine, comme si nous n'étions pas musulmans", a-t-il ajouté. "Pour l'heure, ils attirent des adolescents en leur donnant de l'argent."
Fathallah Mahmoud, un habitant de Derna, a déclaré : "Il y a trois jours, un homme du nom de Mohamed al-Hassi, qui avait été nommé à un certain poste, a été abattu alors qu'il se tenait devant une voiture à une station d'essence. Une voiture chinoise transportant des personnes inconnues est passée et a ouvert le feu sur lui. Avant lui, un homme travaillant pour les forces de sécurité intérieure avait été tué."
Asmaa Abdul Razzaq a indiqué que la situation est "extrêmement mauvaise ; quiconque prononce un simple mot qui ne plaît pas à ce groupe est immédiatement abattu, sans autre forme de procès."
"Mon mari a peur pour moi et pour les enfants", a-t-elle poursuivi. "La semaine dernière, quelqu'un est entré dans un établissement d'enseignement supérieur et y a lancé une grenade à main. Avant cela, Sufian al-Quma et son groupe avaient décidé de faire de Derna un émirat. Interrogés sur les raisons de cette explosion, ils ont déclaré qu'ils ne voulaient pas que cet institut ni une quelconque université propose une éducation mixte."
"Un jour, un habitant a parlé à la radio de Sufian al-Quma et affirmé qu'il devrait sortir… et s'expliquer s'il n'avait rien à voir avec ces évènements", a-t-elle ajouté. "Vous savez ce qui lui est arrivé ? Pendant qu'il se trouvait encore dans les locaux la de radio, un numéro étrange l'a appelé pour lui dire que s'il mentionnait encore une fois le nom de Sufian, il ne verrait pas le soleil et que sa tête serait séparée de son corps !"
Pour sa part, Fariha Younis, une habitante d'al-Marj, a raconté qu'elle s'était rendue à Derna et avait pu y constater sur place le radicalisme ambiant. "J'ai été choquée par les visages effrayants de l'extrémisme que j'y ai vus, à commencer par les barrages routiers où l'on pouvait voir leurs gardiens avec leurs regards effrayants portant des vêtements afghans, comme si Derna était devenue une ville afghane", a-t-elle expliqué.
"Ils portent de longues barbes qui leur descendent sur la poitrine, avec des regards de haine et de rancoeur envers tous ceux qui passent devant eux, et si une femme porte un voile modéré, elle s'attire des regards de colère de leur part", a-t-elle poursuivi.
"Notre Islam n'est pas celui-là", a-t-elle conclu. "Une personne vraiment religieuse afficherait un visage gentil et rassurant, et quand vous la regarderiez, vous vous sentiriez bien, non pas comme ces visages affreux et menaçants. La situation à Derna est réellement effrayante."
Ce contenu a été réalisé sous requête de Magharebia.com.

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