jeudi 22 mars 2012


Les silences du Général ATT

22 mars 2012 par Kpelly | Classé dans Politique.

« Le métier de soldat est l’art du lâche. C’est l’art d’attaquer sans merci quand on est fort et de se tenir loin du danger quand on est faible. » George Bernard Shaw, Le Héros et le Soldat
Le Mali, l’un des rares exemples de démocratie en Afrique francophone, vient d’essuyer un soufflet. Le sien. Peut-être, est-il vrai, comme le stipulent certains afro-sarcastiques, qu’aucun pays africain francophone n’est réellement démocratique, il y a juste des pays qui se reposent aux vestiaires, attendant que d’autres occupant le stade de l’anarchie et de la dictature finissent leur show. Le Mali, après vingt ans passés aux vestiaires de la démocratie à l’africaine, vient de basculer dans l’anarchie, avec en bandoulière l’un des éternels maestros qui savent entretenir la cacophonie sous nos cieux, la soldatesque. Le président malien, Amadou Toumani Touré, jusqu’ici symbole du militaire républicain pour son exploit d’avoir laissé, en 1992, le pouvoir à un civil après l’avoir arraché au militaire dictateur Moussa Traoré en 1991, vient d’être destitué, à un mois de la fin de son mandat, par un groupe de militaires qui se disent révoltés contre un gouvernement incompétent dans la lutte contre la rébellion touareg du Nord-Mali.
Le Mali vient de tomber, à quelques jours de sa cinquième élection démocratique depuis 1992, entre les mains d’une junte aux intentions très floues. Il est reproché au président Amadou Toumani Touré d’être au mieux une amphibie ménageant tour à tour l’Etat malien et son ennemi la rébellion touareg, au pire un traître soutenant en secret la rébellion, pour des intérêts particuliers. Et la rumeur, grandissant aussi vite qu’elle le fait durant les périodes de forte tension et frustration, avait éclaté à Bamako et dans toutes les villes maliennes depuis la mi-janvier, lors de l’attaque de la ville malienne de Ménaka par les rebelles touaregs, ATT avait simulé la rébellion pour créer une atmosphère de tension dans le pays et contourner les élections d’avril 2012. C’était sa manière de prolonger son règne, comme il n’avait pas pu réussir, comme Abdoulaye Wade et les autres alligators éhontés de notre mare aux diables, la méthode traditionnelle et presque réglementaire en Afrique de prolongation illégale de mandat, le tripatouillage de la constitution. Tous les faits et gestes d’ATT devinrent donc suspects. Sa réception en grande pompe des Touaregs revenus, lourdement armés, de la Libye après la chute de Mouammar Kadhafi, son refus de donner l’ordre aux militaires maliens de mater les rebelles, son obstination à ne pas fournir des armes et du matériel de guerre aux combattants malgré les demandes insistantes, ses communications téléphoniques avec quelques membres de la rébellion, ses discours à la nation oiseux…
Les dirigeants africains, c’est notoire, sont capables de faire toutes sortes de gymnastiques pour s’accrocher au pouvoir, et les discours de démocrate d’ATT ne peuvent vraiment pas servir de preuve pour sa bonne foi. Le je-ne-briguerai-pas-un-mandat-supplémentaire-à-la-fin-réglementaire-de-mon-mandat, beaucoup de nos dirigeants l’ont dit, mais ne l’ont pas respecté. Mamadou Tandja du Niger l’avait à plusieurs reprises répété avant le début de sa folie à quelques jours de la fin de son mandat, le vieux et instruit Abdoulaye Wade l’avait crié sous tous les cieux avant de sombrer dans la démence qui le caractérise ces derniers temps. D’autres ne se sentent même pas obligés de dire à leur peuple quand ils doivent quitter le pouvoir. Blaise Compaoré est trop peu bavard pour disserter sur le nombre de mandats qu’il est autorisé à faire, et Paul Biya, sentant son peuple tellement petit, tellement inoffensif, n’a même pas besoin de lui dire quand il quittera ou ne le fera pas.
Les peuples africains, tellement habitués aux matoiseries et coups de force de leurs dirigeants, ne leur accordent désormais plus aucun crédit. Toute brindille de soupçon, toute erreur aussi infime soit-elle, tout non-dit est immédiatement considéré comme une tentative de confiscation du pouvoir. Le laxisme notoire d’ATT dans la gestion de la rébellion touareg vient de lui coûter son trône et sa belle couronne de militaire républicain et de président démocrate.  Ses silences devant les sollicitations des combattants, les plaintes de la société civile, les révoltes des femmes et enfants des militaires… ont été trop lourds pour ne pas être suspectés.
Les nouveaux maîtres du Mali, les militaires, sont, hélas, aussi suspects, peuvent être dix fois plus horribles dans le mal que nos chefs d’Etat. C’est d’ailleurs eux qui entretiennent les plus vieilles et hideuses dictatures d’Afrique, comme au Togo et au Burkina Faso. Ces militaires assoiffés de pouvoir, toujours à l’affût pour sauter sur le fauteuil présidentiel, ne sont pas plus crédibles que nos chefs d’Etat. Rares sont ces soldats devenus chefs d’Etat qui acceptent facilement de remettre le pouvoir, après les transitions, aux civils. S’ils ne le confisquent pas, noyant toute contestation dans le sang, ils organisent des pagailles d’élections qu’ils remportent automatiquement, fondant leur règne sur la terreur.
Ces mutins, regroupés sous le pompeux nom de Conseil national pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat, ayant arraché le pouvoir dans cette atmosphère lourde de tension, sous ce déluge de condamnations venant de tous les pays voisins ou lointains du Mali, ces soldats aux objectifs aussi flous que ne l’étaient les contours de leurs visages sur la chaîne de télévision nationale malienne où ils lisaient leur première déclaration au petit matin du 22 mars 2012, suspendant la constitution et dissolvant les institutions de la République, pourront-t-ils conduire le Mali à bon port ?
Le correspondant de la Radio France internationale à Bamako rapporte déjà des scènes d’individus habillés en policier vidant des boutiques, et des militaires confisquant des voitures aux civils. L’insécurité. Ce n’est plus le Nord du Mali qui est enflammé, c’est désormais tout le Mali.
L’apparent grand gagnant dans cette cacophonie est la rébellion touareg dont le bureau politique, à travers un de ses représentants, jubile déjà ouvertement sur les ondes de la Radio France internationale ce 22 mars 2012. Une division au sein de l’armée malienne, un semblant de tergiversation au sommet de l’Etat malien, une situation de désordre comme celle que va probablement traverser le Mali durant de longs jours, ne peut qu’arranger ces rebelles déterminés qui n’étaient déjà pas en situation défavorable.
Disons-le tout dru, cette énième intrusion de la soldatesque africaine dans la vie politique n’est pas la bonne. Elle n’est pas la bienvenue. Elle est intempestive. Nuisible.

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