mercredi 29 février 2012



Les Touaregs: ces oubliés de l’Histoire





Mohamed Boudari


  Tenus entre deux feux, les Touaregs au nord du Mali continuent leur exode massif vers les pays  limitrophes. Ainsi Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont fui les régions des combats pour aller notamment en Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Algérie.



  Les enfants les femmes et les vieux sont les premiers à pâtirent de ce conflit dont l’ampleur va crescendo, dans une guerre où s’affrontent d’une part les rebelles du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad, ndlr), et les milices des forces armées du président malien Amadou Toumani Touré.


  Tous ont fui les combats entre les rebelles touaregs et l’armée, qui agitent le nord du Mali depuis le 17 janvier dernier. Plus de 63 000 civils ont franchi les frontières du Niger, du Burkina Faso, de la Mauritanie ou de l’Algérie, Selon un rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés émis le 22 Février 2012.


  Les refugiés son éparpillés entre les villes limitrophes avec 4200 personnes à Kidal,  26.000 de ceux qui fuient la province de Menaka se trouvent entre la ville et la frontière avec le Niger, 12000 autres dans le désert de Tessalit près de la frontière algérienne, et 11.000 personnes ont fui Tombouctou vers des zones proches des frontière sud de l’Azawad tandis que plus de 50 mille personnes déplacées se sont installées dans le désert qui s'étend entre Gao et Kidal.


  Leurs conditions de vie sont dramatiques, plusieurs d’entre eux se sont réfugiés sous des arbres, des bâches, des abris de fortune. Parmi eux, il y a beaucoup d’enfants en bas âge, de femmes enceintes, de personnes âgées. La plupart manquent d’eau, de nourriture de couverture et de médicaments.


  Les grandes puissances sont appelées à intervenir pour éviter une catastrophe humanitaire qui risquerait de déstabiliser la région et de faire des milliers de victimes. Il est donc urgent de secourir le peuple touareg qui souffre en silence et qui a subit les atrocités d'une guerre qui trouve son origine au morcellement des pays de la région par les colons, suite auquel les Touaregs se sont trouvés éparpillés entre les frontières de plus de quatre pays..


  Les événements qui secouent la région ne datent pas d’aujourd’hui, et ce n’est pas la première fois que les Touaregs prennent les armes. Mais à la différence des précédentes révoltes de 1990, 2006 et 2009, les rebelles affirment haut et fort leur désir d’autodétermination et revendiquent l’indépendance au nom des populations du Nord.


  Fort de leur nombre qui varie entre 2000 et 3000 éléments et dont la majorité est revenue de Libye avec armes et bagages après la chute du régime du dictateur Mouammar Kadhafi l'automne dernier, les rebelles ont réussi à  prendre le contrôle de nombreuses villes du Nord et  chasser les troupes gouvernementales qui désertent la région vers les contrées du sud.


  Selon des observateurs, les États sahéliens ont besoin de matériels, de formations et d’expertise technique, Mais dans le même temps, cette assistance doit s’accompagner d’un vrai suivi sur son usage. Il ne doit pas s’agir d’un blanc-seing.


  Blanc-seing qui a permis aux régimes corrompus et dictatoriaux de la région d’opprimer et  marginaliser les autochtones avec les moyen d’aides fournis par les grandes puissances et les ONG internationales.

  La situation risque d’empirer en raison de la présence d’AQMI (branche d’Al Qaida au Maghreb islamique), et l’expansion croissante du trafic de  drogues, d’armes et la traite des êtres humains.



Quelques repères historiques (d’après Issalan n temoust)

  En 1963, une première insurrection touarègue contre le pouvoir central de Bamako, a été sévèrement réprimée par Modibo Keita, avec l’aide de Ben Bella, qui lui livra les responsables Touaregs réfugiés en Algérie. Cette répression avait déjà fait des milliers de morts dans l’indifférence générale, y compris de la France qui venait pourtant juste de “partir” de la région.


  Les trente ans d’indépendance du Mali, jusqu’en 1990, ont été marqués par une absence de la communauté touarègue de la vie institutionnelle du pays. A tel point que les Touaregs étaient perçus par les autres Maliens comme des étrangers qui n’avaient qu’à retourner chez eux en... Algérie ou en Libye.


Juin 1990 : déclenchement de la résistance armée à Ménaka

  En juin 1990, suite à la multiplication des exactions de l'armée contre des familles rentrées d'Algérie et parquées dans les environs de Kidal, des jeunes Touaregs, craignant des massacres massifs comme au Niger voisin, prennent les armes et entrent en résistance contre le pouvoir central malien. Par cet acte ils voulaient faire valoir leur droit à la citoyenneté et à la dignité.


  Mais la répression s'est généralisée et intensifiée comme le montre l'esprit du  célèbre télégramme n° Cl 0/Cem/GA du 13-7-90 envoyé à Gao : “Rappeler protection populations civiles innocentes ne veut pas dire admettre leur complicité-par conséquent vous ordonne abattre sans pitié tout élément soupçonné de complicité et qui refuse de donner des informations-prendre dispositions pour encercler le camp de rapatriés et procéder à un contrôle rigoureux à l’intérieur du dit camp”.
  Fin Août 1990, le bilan était déjà de plus de 600 civils tués.


Janvier 1991 : les accords de Tamanghasset

  Après plusieurs mois de guerre et de massacres, l’Algérie arrive à obtenir des deux parties la signature d’un accord de paix à Tamanghasset en janvier 1991. Mais cet accord n’aura aucune suite à cause de la précipitation dans laquelle il a été signé et surtout de la mauvaise volonté des autorités maliennes qui préféraient une solution militaire du conflit. La guerre continua et les massacres de civils Touaregs redoublèrent d’intensité.


Le 20 mai 1991 : le massacre de Léré

  Le massacre qui a le plus marqué la communauté touarègue est celui de Léré  (Tombouctou). Dans la matinée du 20 mai, sur ordre du Capitaine commandant la compagnie militaire stationnée à Léré, tous les notables (Chefs traditionnels, Imams, conseillers, etc...) furent convoqués et exécutés publiquement sans aucun jugement ni même vérification de leur identité. Par la suite, l’armée a monté la garde devant tous les points d’eau, tirant systématiquement sur tout ce qui s’y présentait, hommes et animaux.


  Les familles des victimes furent retenues en otages par l’armée pendant un an.



Le 11 avril 1992 : Le Pacte National

  Le 11 avril 1992, les mouvements touaregs et le gouvernement malien signent, toujours sous la médiation algérienne, un nouvel accord : le Pacte National.


  Ce pacte prévoyait “un statut particulier” pour les trois régions du nord du Mali (Gao, Tombouctou et Kidal). Ainsi, les populations concernées, maures, touarègues, songhaïs, peules..., devaient bénéficier d'une certaine autonomie qui leur permettrait d'adapter leur développement à leurs spécificités économiques et culturelles.


  Un effort budgétaire exceptionnel de l'État devait donner au Nord les moyens  de rattraper le retard pris depuis la création du Mali en matière d'infrastructures.


  La signature de cet accord ne mettra pourtant pas fin aux exactions contre les communautés touarègue et maure.


Gossi, Foïta

  C’est ainsi que d’autres exécutions sommaires eurent lieu, notamment à Gossi  le 14 mai 1992, où 12 Touaregs travaillant pour une O.N.G. (l’Aide de l’Église Norvégienne) ont été assassinés par des militaires. Le 17 mai 1992, à Foïta (frontière mauritanienne), 48 éleveurs ont été tués près d’un puits avec leurs animaux. Ces massacres ont eu comme autres conséquences la fuite vers la Mauritanie et l’Algérie de plusieurs dizaines de milliers de personnes qui ont dû abandonner maisons, biens et troupeaux... Toutes les grandes villes du Nord ont été vidées de leurs populations touarègues et maures.


  Les réfugiés revenus au Mali, à la suite de la signature du “Pacte National”, n’ont pas tardé à repartir, effrayés par les confiscations arbitraires de leurs biens et troupeaux.


  Le 12 juillet 1992, alors que les MFUA (Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad) devaient rencontrer le nouveau président Alpha Oumar Konaré, des Touaregs victimes d’agressions et de pillages ont été obligés de se réfugier dans l’ambassade d’Algérie à Bamako.


  Des brigades mixtes composées d’éléments de l’armée et de combattants des MFUA ont été créées pour maintenir l’ordre et ramener la confiance. Ces brigades ont, en fait, été utilisées beaucoup plus contre les groupes touaregs hostiles à certains aspects du Pacte que contre les militaires qui continuaient à terroriser les populations civiles.


  A ce jour aucun responsable politique ou militaire n’a été poursuivi pour son rôle dans ce génocide.


Le processus "démocratique"

  Le processus dit “démocratique”, avec les consultations électorales et l’avènement d’un nouveau régime, a ignoré la communauté touarègue. En effet, plus de cent mille personnes avaient déjà fui vers les pays voisins, les autres étaient quotidiennement terrorisées par l'armée.


  Ainsi, ce changement institutionnel ne pouvait pas avoir d'effet dans le sens de l’apaisement et de la paix.


  Les exactions n’ont jamais cessé et la réticence des autorités maliennes à appliquer le Pacte a fini par diviser la résistance touarègue, dont la grande majorité ne croit plus à la volonté politique du pouvoir central à régler ce conflit par la négociation.


Mai 1994, reprise des affrontements

  Les combats ont repris à la suite du massacre d’une trentaine de Touaregs dans la région de Ménaka le 21 avril 1994. Depuis, plus d'un millier de civils touaregs et maures ont perdu la vie dans les différentes tueries organisées par l’armée malienne et ses milices parallèles. Les perspectives d’une paix juste et durable s’éloignent de plus en plus.


  Aujourd'hui, le Mali cherche à créer une situation de confusion générale pour remettre en cause l'esprit du Pacte National en diluant les revendications touarègues dans des considérations ethniques. C'est dans cette perspective qu'on peut comprendre la création de milices comme le Ganda Koye, censé représenter les Songhaïs qui s'estimeraient lésés par le Pacte National.


  Cette milice animée par des officiers de l'armée gouvernementale et soutenue par une large partie de la classe politique n'hésite pas à appeler au nettoyage ethnique et à l'extermination pure et simple des Touaregs comme seule solution au problème du Nord.


  Les autorités gouvernementales ne cachent d'ailleurs plus leur volonté de "relire" le Pacte, c'est-à-dire de revenir sur les engagements pris, devant la communauté internationale, vis à vis de l'Azawad.


  Pour atteindre cet objectif, le Mali crée et entretient des divisions au sein de la résistance touarègue, en mettant les moyens de l'État à la disposition d'un groupe qui lui est inféodé pour détruire les autres.


La situation des réfugiés

  Ce conflit a poussé plusieurs centaines de milliers de Touaregs et Maures à fuir les massacres et se réfugier dans les pays voisins. C'est ainsi qu'on a dénombré jusqu'à 100 000 réfugiés en Mauritanie, plus de 100 000 en Algérie et environ 50 000 au Burkina-Faso. A ces chiffres, il faut ajouter des dizaines de milliers d'autres qui n'ont jamais pu se faire enregistrer parce que ne répondant par aux critères restrictifs du HCR (Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés).


  Ces réfugiés se heurtent dans certains pays d'accueil au refus des autorités à leur reconnaître le statut de réfugiés, ce qui leur donnerait une protection juridique et un certain nombre de droits liés à cette reconnaissance. Ces populations sont donc pudiquement appelées "populations déplacées" expression utilisée généralement pour désigner des populations déplacées dans leur propres pays.


  Le rôle joué par l'Algérie et la France, est d'autant plus important que leur statut de médiateurs masque difficilement leur volonté d'imposer leurs propres solutions. Tout en étant le principal soutien militaire et diplomatique du Mali, la France a laissé l'Algérie occuper le premier plan dans l'organisation et la gestion des négociations qui avaient abouti à la signature du Pacte. Cette répartition des rôles permet à ces deux pays de s'entendre sur les modalités d'une solution où les deux parties prenantes officielles ont trop souvent été réduites à un rôle de figuration.


  Le silence de la communauté internationale s'explique, là aussi, par la volonté de la France et de l'Algérie à étouffer les revendications du Mouvement touareg et éviter l'internationalisation de ce conflit. C'est également cette logique qui empêche la création d'une commission d'enquête internationale pour faire la lumière sur les exactions commises contre les populations civiles.

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