dimanche 8 janvier 2012

«Libération» s’est procuré les PV d’audition d’un membre d’Aqmi, où il fait le récit de l’enlèvement des Français tués en janvier dernier après leur capture à Niamey.

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Par VIOLETTE LAZARD

Antoine de Leocur et Vincent Delory, les deux jeunes otages français enlevés au Niger et tués durant une tentative de libération en janvier 2010. (AFP / Denis Charlet)
Un an après l’enlèvement à Niamey par des membres d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) d’Antoine de Léocour et de Vincent Delory, les familles des deux jeunes hommes de 25 ans ne connaissent toujours pas avec précision les circonstances de leurs morts. Une étape vient pourtant d’être franchie dans l’enquête. L’audition fin novembre par la justice d’un combattant mauritanien d’Aqmi, que Libération a pu consulter, jette un nouvel éclairage sur ces événements tragiques. Entendu à Nouakchott (Mauritanie) le 30 novembre par le juge d’instruction du pôle antiterroriste de Paris Yves Jannier, chargé de l’enquête pour «enlèvement et séquestration suivis de la mort», et par un magistrat mauritanien, le jeune Mohamed al-Amine ould Mouhamedou ould M’Balle - alias «Mouawiya» (lire page 5) -, membre de la même katiba («brigade») que les ravisseurs, raconte la prise d’otage de leur point de vue. Il rapporte le récit détaillé des combattants à leur retour, quelques heures après la tragédie.
Planifiée. Le jeune homme de 22 ans, arrêté en février 2011 alors qu’il s’apprêtait à attaquer l’ambassade de France à Nouakchott, donne aussi la version des militants islamistes sur l’intervention du Commandement des opérations spéciales françaises venus libérer les otages. Une intervention très critiquée, car soupçonnée d’avoir précipité, sinon provoqué, la mort des deux Français.
Mouawiya confirme d’emblée aux magistrats que la prise d’otage était planifiée. Un membre du groupe s’était rendu à Niamey pour des repérages dans un restaurant fréquenté par des Occidentaux. L’enlèvement a lieu le 7 janvier. Ce soir-là, «la joie régnait […] dans les rangs des éléments de la katiba. Enfin, moi aussi j’étais joyeux à l’écoute de la nouvelle», raconte Mouawiya, qui a cru dans un premier temps que l’opération avait été un succès. Les hommes finissent par apprendre son échec. «La katiba se réunit en formant un cercle autour des éléments du groupe auteurs de l’opération», se souvient Mouawiya. Tous lui font ce récit - probablement maladroit car traduit mot à mot de l’arabe au français sur le procès-verbal : «A l’instant précis où les trois véhicules étaient entrés à l’intérieur du territoire malien […], les éléments de la katiba étaient en train d’être attaqués par les forces aériennes françaises qui avaient ouvert le feu contre eux puis lancé les parachutistes. Les deux otages se trouvaient à cet instant à bord du premier véhicule avec les mains attachées. Ils étaient encore sains et saufs.»
La suite, terrible, Mouawiya la raconte avec minutie et détails froids : «Les éléments de la katiba quittèrent les véhicules afin d’éviter les coups de feu qui avaient pour cibles les trois véhicules. Fayçal al-Jazaïri se trouvait en compagnie d’un des otages, qu’il tira à une distance pas loin du véhicule. Mais l’otage précité n’avait plus la force de suivre Fayçal al-Jazaïri dans sa marche. En conséquence, ce dernier l’abattit de plusieurs balles à partir de son arme de kalachnikov. Le motif qui a poussé Fayçal à abattre l’otage revient probablement au fait que, s’étant trouvé sous la pression des coups de feu, il se débarrassa de l’otage.» «L’otage» est Antoine de Léocour. Originaire de Linselles (Nord), membre d’une ONG en Centrafrique, il s’apprêtait à se marier cette semaine-là avec une Nigérienne. Son ami d’enfance, Vincent Delory, avait atterri au Niger quelques heures plus tôt et devait être le témoin du mariage. C’est de lui dont Mouawiya parle dans la seconde partie du récit. «Aucun parmi les éléments de la katiba n’avait retiré le deuxième otage, qui avait brûlé dans le véhicule à bord duquel il se trouvait. Pour ma part, je pense que le véhicule a pris feu suite aux tirs d’une part, et d’autre part en raison de l’existence d’essence à son bord.»
«Film». «Nous savons désormais, grâce à la déposition de cet homme, que ce n’est pas Al-Qaeda qui a mis le feu au 4x4 mais l’armée française, avance Me Frank Berton, l’avocat de la famille Delory. Cette opération baptisée "Archange foudroyant" porte bien son nom. C’est un véritable désastre. Nous voulons maintenant savoir qui exactement a donné l’ordre de tirer. Et si le but de l’opération était véritablement de sauver les otages.» L’avocat, qui doit se rendre prochainement à Niamey pour se porter partie civile dans le dossier instruit par la justice nigérienne, souhaite qu’un réquisitoire supplétif soit ouvert pour «homicide involontaire». Une enquête qui permettrait de confirmer ou non la version de Mouawiya. L’avocat demande au nom de ses clients un rendez-vous avec le président de la République pour que plus rien ne leur soit dissimulé. «Le témoignage du combattant conforte notre idée du déroulé des événements, conclut Annabelle Delory, la sœur aînée de Vincent. Il restait des trous, des videsCe que nous voulons, maintenant, c’est voir la totalité du film pris par l’armée le jour de l’intervention.» Pour combler définitivement ces vides, même s’ils resteront à jamais douloureux.

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