mardi 25 octobre 2011


Entretien: en Libye, un membre du CNT s'oppose à l'imposition de la charia

Abdelhakim Belhaj, chef militaire de Tripoli, prend la parole à Benghazi lors de la proclamation de la « libération » le le Libye, le 23 octobre 2011.
Abdelhakim Belhaj, chef militaire de Tripoli, prend la parole à Benghazi lors de la proclamation de la « libération » le le Libye, le 23 octobre 2011.
REUTERS/Esam Al-Fetori

Par RFI
Les déclarations du président du Conseil national de transition en Libye sur l’application de la charia signent peut-être la fin de la lune de miel entre le CNT et les chancelleries occidentales. Paris et Bruxelles ont exprimé des réserves. Cette référence à la loi islamique divise au sein même du CNT. Elle a provoqué la colère d'Othman Bensassi, membre du CNT en tant que représentant de la ville de Zouara, qui s’exprime sur RFI.


NOTRE DOSSIER SPÉCIAL
RFI : Othman Bensassi, vous figurez parmi les laïques au sein du CNT (Conseil national de transition), à titre personnel, pensez-vous que le programme législatif de la Libye doive reposer sur la charia ? 
 
Othman Bensassi : Bien évidemment que non. Ce n’est pas tout simplement mon point de vue personnel. C’est aussi le point de vue de la majorité du CNT. La Constitution en Libye, en fait, n’est pas faite. Le président Moustapha Abdeljalil déclare parfois des choses qui sont personnelles, qui ne représentent pas l’ensemble des membres du CNT.

RFI : Il a pourtant dit, le jour de la proclamation de la liberté de la Libye : « Toute loi qui violerait la charia est nulle et non avenue », lors d’un discours officiel, devant des dizaines de milliers des personnes.
 
O.B. : Tout à fait. Tout simplement, nous avons un juge suprême, nous avons un procureur, et c’est à eux de prendre la décision. Au niveau de la justice, c’est eux qui décident. Ce n’est pas le président du CNT.

RFI : Vous pensez donc que l’interdiction du divorce, le retour de la polygamie, c’est engager la Libye nouvelle sur la voie de la régression ?
 
O.B. : Tout à fait. Non, ça vraiment c’est impossible, c’est inacceptable. Nous n’avons jamais discuté de tout cela au sein du Conseil. Et en même temps, le jour de la déclaration de la libération de la Libye, c’était très mal venu. Nous sommes vraiment désolés de tout ce désordre. Il a voulu rassurer certains gens, certaines personnes, mais pas plus que ça.

RFI : Est-ce que vous pensez que cette référence à la charia était une concession faite aux islamistes et aux ex-jihadistes qui ont joué un rôle de premier plan dans la phase des combats ? 

O.B. : La Libye est un pays musulman et la majorité des Libyens, effectivement, sont musulmans pratiquants. Moustapha Abdeljalil est lui-même une personne qui est très pratiquante. Il pratique l’islam à sa façon, et même l'islam soufi, mais ce n’est pas du tout pour récupérer qui que ce soit, ni pour – disons – satisfaire certaines tendances. Non, ce n’est pas du tout ça.

RFI : Vous ne pensez pas que les ex-jihadistes réclament une traduction politique de leur implication militaire ? Je pense, soit au niveau des postes à pourvoir ou même au niveau du fond de la politique, des politiques qui vont être menées ? 

O.B. : Les responsables politiques de ces tendances ne sont pas très, très nombreux. Ils n’ont pas de forces non plus importantes.

RFI : Abdelhakim Belhajest chef militaire de Tripoli et c’est un poste important.
 
O.B. : C’est un titre qui a été acquis par certains médias, mais c’est tout. Lui, il est arrivé après la bataille et avec 300 bonshommes. Mais il s’est autoproclamé chef militaire de Tripoli, ça c’est une chose, et en même temps ce ne sont pas du tout les Libyens qui ont fait de lui une personnalité importante. Ce sont les médias étrangers.

RFI : Mais, Othman Bensassi, vous reconnaissez que les libéraux et les laïques, du CNT d’un côté et les islamistes des l’autre, vont sans doute s’écharper sur ces questions de charia et de société, au cours des semaines et des mois à venir en Libye ? 
 
H.B. : C’est à dire que même s’il y a quelques islamistes qui sont là, ils ne sont pas nombreux, comme je viens de vous dire, et ils ne sont pas tout à fait politisés à ce point. Il y a des partis, il y a des gens qui travaillent depuis très longtemps, depuis même avant le 17 février. C'est-à-dire qu’ils étaient à l’étranger, et ils sont connectés avec d’autres partis politiques à l’étranger. Ces gens-là n’ont pas de population  derrière eux ici en Libye. Et ça, ça nous rassure, ça nous aide. Et nous sommes là pour défendre en fait, le droit du peuple libyen, du rassemblement de tout le peuple libyen. Et nous essayons de changer toutes ces idées qui ne sont pas les idées du peuple libyen.

Le peuple libyen, jusqu’à présent, n’a pas dit son mot. C’est tout simplement des personnes inconnues des gens qui parlent. Et dans les jours à venir le débat qui va s’ouvrir maintenant, je pense que ça va clarifier beaucoup, beaucoup de choses. Il y a beaucoup de Libyens qui vont intervenir. Nous étions en guerre, on vient de sortir juste il y a quelques jours, et nous avons encore des choses à régler sur le plan de la stabilité du pays. Et franchement, toutes ces déclarations, tous ces mots de travers, ça ne nous aide pas beaucoup, effectivement. Je veux vous dire que ces choses-là ne passeront jamais. Et s’il faut entamer une deuxième guerre, on reprendra aussi les armes et on continue comme ça. Mais la Libye, ce sera un pays libre, totalement libre. Et la liberté d’expression et la liberté de vie de tous les Libyens sera absolument garantie par tous les moyens possibles.

RFI : Vous pensez que les laïques sont prêts à reprendre les armes pour faire régner cette liberté face à une éventuelle dérive islamiste ?
 
O.B. : Non… Les islamistes sont armés, mais tout le peuple libyen est armé aujourd’hui, vous savez. Donc, ce n’est pas une question de reprendre les armes. Les armes sont toujours là… Ce n’est pas avec les armes. La majorité des Libyens, même ceux qui sont armés, ne pensent pas du tout s’affronter militairement. Ça c’est sûr et certain. Que ce soit les islamistes ou les autres, c’est tout simplement des rapports de force. Mais je vous dis tout simplement notre détermination : ce pays sera libre, totalement libre. Nous n’accepterons jamais, jamais, un pays gouverné par les extrémistes. La Libye ou les Libyens ne veulent plus la guerre, ni le jihad, ni quoi que ce soit. Ils veulent vivre en paix. Ils veulent vivre correctement.

Othman Bensassi était l'invité de Nicolas Champeaux sur RFI.
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