dimanche 31 juillet 2011

Touareg / Niger / entretient avec Boutali Tchiwerin«Ce calme précaire augure d’un avenir explosif»

Jeudi 9 décembre 2010 4 09 /12 /Déc /2010 15:00
Occitan Touareg

boutali-tchiwerin nigerBoutali Tchiwerin, porte-parole de la Coordination des anciens rebelles nigériens.
Rencontré à Agadez, au nord du Niger, Boutali Tchiwerin, porte-parole de la coordination de l’ex-résistance armée (Cera), regroupant une grande partie des anciens combattants de la rébellion, dresse une situation des plus inquiétantes au nord du Niger. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il tire la sonnette d’alarme et parle d’un calme précaire qui augure d’un avenir explosif.
- Quelle est la situation au nord du Niger après l’enlèvement des employés d’Areva à Arlit il y a deux mois ?
La situation au nord est actuellement inquiétante. Le taux de chômage est alarmant. Des pans entiers de la jeunesse n’ont pas de travail. Ce qui a poussé certains à basculer vers le banditisme et la contrebande. En clair, l’avenir de la région est vraiment incertain, surtout quand on sait que de nombreuses études fiables ont prouvé que dans 40 ans, les quelques nappes d’eau non encore contaminées par l’uranium seront taries. Les mesures d’accompagnement qui devaient être prises après le dépôt des armes, en octobre 2009, par les ex-combattants sont restées sans suite. Ce qui complique davantage la situation parce que les injustices qui ont poussé les jeunes à se rebeller en 2007 contre le gouvernement, et pour la seconde fois, sont toujours là et ne font qu’élargir le fossé entre le pouvoir central et la population. Nous vivons un calme vraiment précaire qui augure d’un avenir sombre…
- Qu’en est-il de l’accord de paix conclu en octobre 2009 ?
Contrairement aux frères maliens qui ont arraché un accord écrit, le nôtre est verbal. Au début, nous avons sollicité l’Algérie pour une médiation. Les autorités ont exigé que tout le processus soit fait par écrit. Nous étions un peu pris de court par les lenteurs de la démarche, c’est pour cela que nous avions accepté l’offre de la Libye qui consistait en un accord de paix verbal, sans écrit ni signature. De ce fait, aucune promesse de réinsertion n’a été respectée. Quelques enveloppes d’argent ont été distribuées à certains combattants, alors qu’en matière d’emploi les 500 postes promis par Areva, n’ont, à ce jour, pas été affectés. Seul un tiers de l’aide financière prévue pour assurer la prise en charge des ex-combattants a été dépensée, alors que les ristournes qui devaient être octroyées par l’armée nigérienne en contrepartie de la remise des armes et des minutions n’ont jamais été versées.
- S’agit-il d’une remise en cause des engagements de l’ex-président Tandja, renversé au début de l’année en cours ?
Lors des différents rounds de négociations, il y avait toujours des hauts officiers de l’armée. Ceux-là mêmes qui ont pris le pouvoir après le coup d’Etat du début de l’année. Ils sont au courant de tout, mais ils n’affichent aucune volonté de résoudre la crise. C’est exactement ce qui s’est passé durant la première rébellion. L’accord qui a fait taire les armes n’a pas traité la source de la crise et douze ans plus tard, les armes ont été déterrées. Les jeunes refusent les inégalités et l’injustice. Le système de partage de l’espace et des peuples, instauré par la colonisation dans le but d’assouvir ses intérêts impérialistes, a été reconduit après l’indépendance par une frange de la population au détriment des autres. Les différents régimes qui se sont succédé depuis l’indépendance n’ont été pour la population rurale du nord qu’une continuité des pratiques coloniales. Les timides investissements réalisés se caractérisent par l’aspect régionaliste et un centralisme exacerbé. L’exclusion, la marginalisation et la persécution sont le lot quotidien de la communauté du Nord. La grave dégradation des moyens et de l’espace vital des autochtones n’a suscité aucune réaction auprès des différents régimes. Face à la disparition inéluctable et programmée d’un mode de vie et d’une culture de toute une communauté, le choix des armes devient inévitable.
-Pourtant, cette communauté vit dans la région la plus riche du Niger…
Les importantes richesses minières n’ont servi qu’à rendre plus criantes l’exclusion et les injustices au vu et au su d’une communauté internationale impuissante et d’une population autochtone dont le seul droit est de se considérer comme étrangère dans son propre espace. L’accord de Ouagadougou, qui a mis fin en 1995 à la rébellion de 1991, n’a pas été appliqué en dépit des pressions exercées par les pays médiateurs. Au lieu et place d’une solution globale, le régime a privilégié celle dite individuelle à travers la propulsion de quelques cadres de la rébellion aux postes de responsabilité dans le but inavoué d’exhiber leur opulence afin de cacher la misère généralisée de leur communauté. Ces cadres avaient pour mission de servir d’avocats et de tuer dans l’œuf toute contestation. Après dix ans d’attente, chacun des 3500 combattants n’a reçu que l’équivalent d’un mois de salaire. Pourtant, durant cette même période, un millier de travailleurs venus des autres régions du pays a été recruté par trois sociétés minières, alors que les 300 combattants qui devaient y être intégrés attendaient toujours. La situation était tragique pour les 3014 autres intégrés. Plusieurs d’entre eux, notamment ceux ayant rejoint les Forces de défense et de sécurité, ont fini par démissionner à cause des intimidations, ségrégations, et persécutions dont ils faisaient l’objet. L’exploitation de l’uranium, du charbon et du pétrole ne nous profitent pas. Si vous annoncez aux gens d’ici la découverte de nouveaux gisements, ils n’exprimeront que mécontentement. Ils savent que cette richesse ne leur appartient pas. La preuve, le Niger, classé deuxième producteur d’uranium dans le monde, est le pays le plus pauvre de la planète. Les 222 titres d’exploitation octroyés depuis 2006 n’ont rien changé, à part le rétrécissement des aires de pâturage comme une peau de chamois, privant la population de sa nourriture et la contamination des eaux potables par la radioactivité.
- Présente depuis plus de 40 ans, quelle plus-value Areva a-t-elle apporté à la région ?
Areva a de tout temps aidé le système et financé la répression de la rébellion. Des chars de combat et de l’armement ont été fournis au gouvernement nigérien pour l’aider à massacrer les combattants. Aucune retombée de son industrie n’a profité à la région si ce n’est les conséquences néfastes de l’activité sur l’environnement et la santé de la population. A peine une dizaine de postes miniers ont été affectés à des autochtones au nouveau site de Imourathen, sur plus de 150 offres d’emploi et alors que sur les 34 recrues de la mine Imouraren, 8 seulement sont des locaux. Le secteur minier du nord est un héritage d’une classe aisée, souvent venue du Sud. Nous assistons à une braderie des permis d’exploitation et d’exploration couvrant tout l’espace agro-pastoral de l’air et de l’arawak, sans soucis ni considération environnementale et socio-économique à l’égard des populations vivant sur cet espace. La volonté politique clairement affichée d’obtenir des retombées pécuniaires immédiates hypothèquent gravement l’avenir des populations et des générations futures.
- Le Niger a bénéficié de l’aide internationale justement pour le développement de la région du Nord. Qu’en est-il de ces fonds ?
Nous avons assisté à une prédation sans commune mesure avec les fonds générés par l’annulation de la dette du Niger auprès des institutions internationales. Les ouvrages ne respectant aucune norme sont comptabilisés plusieurs fois et les travaux confiés à des entreprises venues des autres régions du pays. Même les réalisations des ONG ont été comptabilisées et surfacturées sur ce programme spécial. Les plus importants détournements des fonds publics se sont produits durant cette période où on évoquait le manque de moyens.
- La région connaît une recrudescence de l’insécurité du fait du banditisme mais aussi du terrorisme. Comment en est-on arrivé là ?
En prenant les armes, nous avons ouvert une porte qu’il est difficile de refermer aujourd’hui. C’était notre seul et unique moyen pour arracher nos droits, mais cela a ouvert la voie aux trafiquants de drogue, d’armes et aux terroristes. Ces derniers se sont installés dans la région parce qu’ils ont trouvé le terrain libre avec la misère comme terreau…
- Ce qui explique les complicités alors…
Il se pourrait que parmi les 4000 combattants de la rébellion, quelques-uns agissent pour le compte des terroristes ou des trafiquants. Ce sont des cas isolés qui ne peuvent en aucun cas impliquer toute la population touareg. La misère pousse souvent à des situations extrêmes, incontrôlables. Nous avons toujours dit que les inégalités, l’injustice et la pauvreté sont des facteurs qui incitent au pire. Pour éviter que les gens basculent dans l’autre camp, il faut les mettre à l’abri de toute tentation.
- Comment expliquez-vous que dans une base aussi sécurisée que celle d’Aréva à Arlit, les terroristes ont pu enlever sept personnes et les acheminer en toute quiétude vers le nord du Mali ?
Les auteurs de ce rapt connaissent parfaitement le terrain. Ils ont été aperçus en ville aux environs de 21 heures à bord de véhicules 4x4. Ils y sont restés jusqu’à 3 heures du matin, avant qu’ils ne rentrent dans la base de vie d’Areva. Ils ont fait irruption dans plusieurs maisons. En plus des otages qu’ils détiennent, ils avaient enlevé de nombreux autres ouvriers de la mine dont on n’a jamais parlé. Un couple et leurs trois enfants en bas âge ont été enlevés dans leur sommeil. Les terroristes leur ont recouvert la tête avec des sacs avant de les mettre dans des véhicules. Lorsqu’ils se sont rendus compte que les captifs n’étaient pas des étrangers, ils les ont abandonnés sur une piste, à plus de 40 km de la ville. Les pauvres ont été torturés par les services nigériens qui les soupçonnaient d’avoir servi de guides dans le rapt.
- Comment se fait-il que les unités de l’armée qui contrôlent les accès et les sorties d’Arlit n’ont-elles pas pu rattraper une procession de plus d’une dizaine de 4x4 ?
En fait, les militaires ont accroché les terroristes à la sortie de la ville, mais nous ne savons pas ce qui s’est passé. Des témoins affirment que le groupe a pris les pistes en se dispersant dans le désert. Il est venu à Arlit avec une liste d’adresses de personnes travaillant pour Areva et censées être toutes de nationalité étrangère. Certaines ont été relâchées en plein milieu du désert, une fois leur identité nigérienne découverte. Ceux qui les ont informés ne semblaient pas bien renseignés, ou ont fait exprès pour justement éloigner le doute sur eux.
- Est-il vrai que des Touareg auraient servi d’éclaireurs dans ce rapt ?
Nous savons que parmi les auteurs il y avait des gens qui parlaient «haoussa», le dialecte le plus utilisé au Niger, notamment au Nord. Il se pourrait que des Touareg malintentionnés aient pu aider les terroristes, mais cela ne veut aucunement dire que c’est toute la communauté qui assure le soutien à l’Aqmi. Contrairement au nord du Mali, où les terroristes trouvent refuge, ici au nord du Niger ils n’ont jamais réussi à s’installer. Ils ne viennent que pour agir et repartir. Le gouvernement ne veut pas nous impliquer dans la gestion sécuritaire de la région, parce qu’il ne nous fait pas confiance. Durant la rébellion, nous n’avions pas les moyens de l’armée, mais nous étions très bien renseignés sur tout mouvement et toute activité dans la région. L’effectif de l’armée est très insuffisant pour pouvoir couvrir le territoire. Depuis la décolonisation, il n’y a jamais eu de confiance entre les militaires et la population locale. De ce fait, celle-ci subit de plein fouet l’insécurité et ses conséquences catastrophiques sur la vie quotidienne à travers l’absence de tourisme et le départ des ONG humanitaires. C’est justement pour limiter ces dégâts que nous avions déposé les armes en octobre 2009. Mais le gouvernement n’a pas capté ce message. Les promesses faites pour la prise en charge des combattants sont restées vaines, poussant certains jeunes désabusés à se constituer en bandits de grand chemin. Ces actes doivent être perçus comme un indice révélateur sur la gravité de la situation, mais cela n’est pas le cas pour l’instant. Salima Tlemçani sur Elwatan

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