jeudi 24 mars 2011

Quel rôle jouent les tribus en Libye?

Publié le 23 mars 2011 à 07h21

Mis à jour le 23 mars 2011 à 07h21
Quel rôle jouent les tribus en Libye?

Des rebelles libyens, membres de la tribu des Warfallah -plus importante du pays- ont défilé à Benghazi, bastion de l'insurrection, le 11 mars.
Photo: AFP
Isabelle Hachey
La Presse

Depuis le début de l'insurrection, les différentes tribus en Libye ont pris position en faveur ou contre le régime Kadhafi. Pour faire le point sur le rôle que ces groupes jouent dans la société libyenne et dans le conflit actuel, Isabelle Hachey s'est entretenue avec Hosham Dawod, anthropologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Paris, et auteur de Tribus et pouvoirs en terre d'Islam (éditions Armand Colin).



Q: Qu'est-ce qu'une tribu?

R: Quand on parle de tribu, cela renvoie à une image un peu dépassée, à un certain archaïsme. Au Moyen-Orient, les tribus sont formées de gens qui croient partager les mêmes ancêtres, le même sang. Ils sont donc solidaires. Cela dit, depuis 40 ans, la tribu s'est beaucoup transformée. Elle est traversée par des rapports économiques très modernes. Ses membres sont plus libres, plus éduqués. Ils peuvent s'affranchir, mais lorsqu'ils ont besoin de leur tribu, ils peuvent revenir vers elle pour obtenir une protection.

Q: Après s'être emparé du pouvoir en 1969, Mouammar Kadhafi a-t-il privilégié les membres de sa propre tribu?


R: Kadhafi est un militaire. Il a pris le pouvoir avec l'aide de l'armée. Mais pour trouver des gens de confiance, il a puisé au sein de sa propre tribu. Gardes du corps, chauffeurs et goûteurs: ce type de travail, on ne le laisse jamais à des inconnus. Souvent, on recrute parmi les gens du même clan, de la même tribu. C'est le cas de Kadhafi. Sa tribu est petite, comme l'était d'ailleurs celle de Saddam Hussein en Irak. Une petite tribu qui réussit à s'emparer du pouvoir est parfois plus difficile à déloger qu'une grande tribu, parce que ses membres sont plus solidaires.

Q: En 42 ans de règne, le dictateur libyen a-t-il laissé une certaine marge de manoeuvre aux tribus?

R: L'État accepte de déléguer quelques pouvoirs aux tribus pour gérer leurs affaires les plus ordinaires. Mais même dans son actuelle faiblesse extrême, il n'accepte pas de partager la souveraineté avec les tribus.

Q: Au début de l'insurrection en Libye, le cheikh de la tribu Warfallah a déclaré que Kadhafi n'était «plus un frère». Les Touaregs ont rejoint les manifestations. La tribu Zouaya a menacé de couper les exportations de pétrole si la répression ne cessait pas. Est-ce à dire que la plupart des tribus libyennes ont lâché le dictateur?

R: Non. La tribu Kadhafa, dont est issu Kadhafi, lui reste fidèle. D'autres tribus demeurent liées à lui. Ce sont des proches de Kadhafi, qui ont bénéficié de ses largesses. D'autres sont opposés à l'ingérence étrangère. D'autres encore sont en conflit avec des tribus rivales...

Q: La tribu Warfallah est la plus grande de Libye, avec plus d'un million de membres dans la région de Benghazi. Et elle s'oppose ouvertement à Kadhafi. Mais les tribus ont-elles le pouvoir de faire basculer le régime?

R: Les tribus peuvent jouer un rôle sur le terrain, par exemple en maîtrisant le mouvement de leurs membres au profit d'un pouvoir ou d'un contre-pouvoir. Des forces extérieures peuvent en tirer profit. Rappelez-vous l'intérêt des Américains pour les tribus irakiennes après les avoir longtemps sous-estimées. Ça a été la seule petite victoire politique des Américains à l'intérieur de l'Irak. Dans les moments névralgiques, les tribus peuvent donner un coup de main pour faire pencher le rapport de force d'un côté ou de l'autre.

Q: Au début de l'insurrection, le fils du colonel Kadhafi Saïf al-Islam a brandi la menace des divisions tribales. «La Libye est une société de clans et de tribus. Cela pourrait provoquer des guerres civiles», avait-il dit. Le danger est-il réel?

R: Il y a déjà une guerre civile en Libye. Mais ce n'est pas une guerre tribale. Les Libyens se battent pour défendre leurs intérêts, parce qu'ils ont des croyances ou des visions politiques différentes. Malgré l'importance des tribus, la Libye n'est pas une société tribale. Et l'origine du conflit actuel ne se trouve pas uniquement dans les rapports entre les différentes tribus.

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