mercredi 6 octobre 2010

Niger : les Touaregs de l’isolement à la suspicion

Libération (France) 4 octobre 2010



Niger : les Touaregs de l’isolement à la suspicion
Par SABINE GRANDADAM Correspondance à Niamey
mercredi 6 octobre 2010

Reportage - Depuis l’enlèvement de 7 étrangers, une frange de cette minorité, en proie à un malaise social après la rébellion de 2007, est suspectée de travailler pour Aqmi.

« Mon ami, tu ne dois pas aller dans le Nord. Je ne peux plus te couvrir. » A sa descente de l’avion à Niamey, quelques heures seulement après la prise d’otages d’Arlit, dans la nuit du 15 au 16 septembre, un Français reçoit cet aveu d’impuissance de l’un de ses amis touaregs venus l’accueillir et supposés le convoyer jusqu’à une grande fête touareg qui doit se tenir dans le désert, au nord d’Agadez. Ce Français est le patron de Point-Afrique, Maurice Freund, qui avait jusque-là maintenu contre vents et marées des vols et des séjours dans le nord du Niger, tout comme dans le désert malien et en Mauritanie. Une autre Française, Géraldine, jeune infirmière venue de France pour l’occasion et déjà en route vers le Nord en compagnie d’amis touaregs, est stoppée net. Retour impératif à Niamey sur ordre de ses protecteurs.

C’est la consternation au sein de la communauté touareg. Traditionnellement, ils sont les « seigneurs » de ces territoires du Nord, et par conséquent les garants de la sécurité de la population et de leurs visiteurs. Manifestement, ce n’est plus le cas, et les Touaregs sont pris de court par l’escalade du terrorisme dans la région sahélienne. « Depuis le discours vengeur de Nicolas Sarkozy [après l’annonce de l’exécution de l’otage Michel Germaneau en juillet, ndlr], nous nous attendions à des représailles très violentes », reconnaît Serge Hilpron, fondateur de Radio Nomade qui a son siège à Agadez.
Une question lancinante est dans tous les esprits : des Touaregs sont-ils impliqués dans les enlèvements revendiqués par Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) ? Ces derniers jours, la polémique a enflé dans les médias. « Beaucoup de jeunes Touaregs n’ont pas d’autre avenir que mettre le bazar en s’impliquant dans les trafics en tout genre ou aux côtés des extrémistes », lançait avec amertume, le jour des enlèvements, Maman Abou, patron touareg de l’hebdomadaire le Républicain à Niamey. « C’est la suite logique d’un problème touareg mal ou pas réglé. »

Dénuement. La rébellion touareg au Niger, qui a redémarré en 2007, s’est achevée fin 2009 sans véritable solution, estiment la plupart des intéressés, qui se vivent comme des citoyens de seconde zone. « Le réel problème est l’absence de partage des décisions entre le gouvernement et les Touaregs en ce qui concerne le territoire de ces derniers », explique Abdoulahi Attayoub, président de Temoust.org, un site internet destiné à faire connaître la condition touareg. « Les Touaregs sont amers de constater que personne, et en particulier ni la France ni l’Algérie, ne lève le petit doigt pour exiger un règlement politique de la question, estime Abdoulahi. Et pourtant des solutions existent à l’insécurité dans la région : il faut créer des unités militaires touaregs avec un commandement décentralisé doté de larges responsabilités. »
La perception du problème est différente dans le sud du pays, à Niamey notamment. « Aucun conflit ethnique n’oppose les populations sonraïs ou djermas du Niger aux Touaregs, souligne d’emblée un chef d’entreprise de la capitale. Nous avons toujours vécu en bonne intelligence. Mais en tant que citoyens du même pays, nous sommes parfois agacés par l’insatisfaction affichée par les Touaregs. Après la rébellion, ils se sont vus proposer des postes dans toute la fonction publique, y compris dans l’armée. Cela ne leur suffit pas. »
Reste qu’un million et demi de Touaregs continuent de vivre dans le plus grand dénuement. Excepté l’activité minière, le tourisme a été, depuis une dizaine d’années, la principale ressource de ces régions du Sahara. « Près de 45 000 touristes français se rendaient chaque année dans le sud algérien, à Agadez au Niger, dans le nord du Mali et dans le désert mauritanien », rapporte Maurice Freund, qui a annoncé, la mort dans l’âme, l’annulation de la plupart de ces destinations après l’enlèvement d’Arlit. « Et, avec les retombées du tourisme, chaque voyageur faisait vivre toute une famille pendant un an. »
Aujourd’hui, ces populations sont à nouveau isolées. La tentation de sombrer dans l’illégalité n’en devient que plus forte. Sont aussi visés, au sein même de la communauté touareg, certains chefs de la dernière rébellion qui se seraient partagé l’argent versé par la Libye pour mettre un terme au conflit en 2009 : un pactole, estimé entre un et cinq millions d’euros, et qui n’aurait bénéficié qu’à une poignée d’hommes circulant désormais à bord de somptueux 4 x 4… Les simples bergers ou chameliers n’ont, pour leur part, rien vu de cette manne. « C’est un désastre qui ne peut qu’encourager les jeunes, désœuvrés et sans moyens, à se livrer au banditisme, commente Abdoulahi. Cet argent a entretenu des divisions dans une communauté dont les revendications n’ont pas été entendues. » Au sein de la dernière rébellion, qui a regroupé jusqu’à 4 000 hommes en armes, la cohésion des débuts a fait place au règne du chacun pour soi. La plupart des armes sont restées dans la nature avec toutes les dérives que cela implique…
Certains s’interrogent aussi sur l’utilisation des subsides versés par Areva pour le « développement durable » dans la région d’Arlit : 6 millions d’euros par an donnés aux collectivités locales, sans compter 15% des recettes minières, théoriquement affectées à la région par l’Etat. Et dont les bienfaits ne sautent pas aux yeux…
Prédicateurs. Malgré tout, les Touaregs ne semblent pas prêts à se compromettre avec n’importe qui, notamment Aqmi, ni à se laisser gagner aisément par le discours religieux radical. « Ce n’est pas dans nos gènes, avance Serge Hilpron. Les Touaregs ont bien une mentalité guerrière, qui glorifie les actes de bravoure, reconnaissons-le ! En revanche, un autre aspect de cette mentalité interdit de commettre un acte tel que kidnapper quelqu’un pour le livrer contre de l’argent. C’est totalement contraire à notre culture. »
Les rumeurs se multiplient sur la présence de prédicateurs pakistanais et arabes radicaux dans le Sahara. Dominique Thomas, chercheur à l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman, à Paris, ne croit pas « à un endoctrinement de la population touareg par des ONG caritatives telles qu’Islamic Relief, d’origine saoudienne, dont on parle dans le nord du Mali. Ces mouvements sont là pour faire un travail d’assistance auprès des populations pauvres, mais leur prédication n’est pas jihadiste et ils n’appellent pas à la lutte armée comme Aqmi ». Si des Touaregs sont tentés par Al-Qaeda, le phénomène restemarginal. Même si, relève Dominique Thomas, la liste des combattants tués dans un raid des armées mauritanienne et française contre Aqmi le 22 juillet et publiée sur un site jihadiste « comporte quatre Azawads [Touaregs,ndlr] ».

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