dimanche 26 septembre 2010

Daniel et Françoise Larribe, l’Afrique au cœur

Daniel et Françoise Larribe, l’Afrique au cœur



En juin dernier, à Arlit, leur ami touareg les avait alertés d’un danger croissant. Ils sont aujourd’hui aux mains des islamistes d’Aqmi. Histoire d’un couple hors du commun.
Paru dans leJDD


L’homme du désert a immortalisé la scène et a affiché la photo au-dessus de son bureau. Staffa Ibrahim, touareg du Niger, originaire d’Agadez, préside depuis cinq ans Ikewane, une petite ONG qui vient en aide aux paysans d’Arlit et aux populations nomades, notamment dans l’approvisionnement en eau et pour l’éducation. Depuis dix jours, Staffa est rongé par l’inquiétude: son ami Daniel Larribe a été enlevé à Arlit. Il se raccroche aux souvenirs, à ce portrait du Français arborant fièrement un costume traditionnel de touareg. Le cliché a été pris en 2008 lors de la cérémonie d’adieux organisée par les autorités locales en l’honneur de Daniel Larribe. L’ingénieur, après cinq ans en poste dans le Sahel, quittait le Niger pour la Namibie, avant d’y revenir cette année. Les Touaregs étaient de la fête.

Originaire du sud-ouest de la France, le couple Larribe a beaucoup donné à Ikewane. "Daniel a fait énormément pour les paysans locaux, les maraîchers. Il a convaincu la Somaïr et Areva de nous aider à financer nos projets", témoigne Staffa Ibrahim. A l’entrée de la ville minière d’Arlit, une pancarte détaille les équipements réalisés par l’ONG locale avec l’aide des Larribe: assainissement des puits pastoraux et de celui d’une école, construction d’un bac de lavage de légumes avec des conduites d’eau potable, distribution d’eau dans les campements nomades… "Depuis ces réalisations, le service de santé d’Arlit nous a fait part de la diminution des cas de typhoïde", assure Staffa, qui ne cache pas sa reconnaissance envers le cadre de la Somaïr, société minière filiale d’Areva, et son épouse Françoise. Lors des adieux, en 2008, Daniel Larribe a reçu trois cadeaux de la part des touaregs: un sabre, un couteau et le titre de président d’honneur d’Ikewane. "Ce sont les seuls Français proches de nous, ce sont de vrais amoureux de l’Afrique. Françoise aide dans les écoles et les bibliothèques. Elle est la marraine de l’association Sahel qui parraine des enfants durant leur parcours scolaire", raconte Ibrahim Samsou, secrétaire d’Ikewane. Le père Christian Chenu, curé d’Arlit, disait cette semaine son inquiétude "pour la santé de Françoise qui vient de se faire soigner d’un cancer".

"Je leur avais dit de faire attention, de limiter leurs déplacements"

Expats au grand cœur, les Larribe, protestants, sont curieux des cultures locales au point d’avoir appris le tamachek, la langue des nomades. Ils aiment se promener à pied dans la ville, n’hésitant pas à aller à la rencontre des artisans et des forgerons, appréciés autant par les paysans que par le personnel nigérien de la Somaïr. "J’ai connu Daniel Larribe en 2006, confie Abdourazakou Moumouni, ingénieur à Niamey. J’ai travaillé sous sa direction durant presque deux ans, jusqu’à son départ pour la Namibie en avril 2008. Il était directeur de production quand j’ai été recruté. Il gérait la production avec tact et intelligence. A Arlit, tout le monde l’apprécie, c’est unanime." Daniel Larribe passe près de deux ans en Namibie avant d’être rappelé en juin dernier par Areva à la Somaïr, en tant que chef de production cette fois. "Daniel a été appelé en renfort pour remettre un peu d’ordre à la mine, depuis son départ il y avait pas mal de problèmes à la Somaïr, de désorganisation. Daniel sait apaiser les tensions, les gens lui font confiance", souligne Staffa Ibrahim. Le président de l’ONG avait alerté Daniel Larribe d’un danger croissant dans le Sahel. C’était le 27 juin dernier. Daniel et Françoise l’avaient invité à dîner dans leur maison d’Arlit. "Je leur avais dit de faire attention, de limiter leurs déplacements. Des Touaregs m’avaient parlé de menaces, eux-mêmes se faisaient de plus en plus détroussés par des voyous qui parlent arabe et doivent venir de Mauritanie ou du sud de l’Algérie. Le secteur est de plus en plus dangereux depuis quelques mois."

C’est la dernière fois que Staffa a vu les Larribe. Quelques jours plus tard, le couple rentrait en France pour des vacances d’été passées entre le Lot et le Gard. Saint-Céré, le fief familial de Daniel, et Mialet, le village d’origine de Françoise. A Mialet, en plein cœur des Cévennes, le couple séjournait en toute discrétion dans une maison de pierre du hameau de Paussan, achetée il y a une quinzaine d’années; à peine y croisait-on Françoise chez Mialet, une épicerie-buvette alternative et associative. A Saint-Céré, le couple rend visite au frère de Daniel et à sa mère. C’est là que Daniel et Françoise se sont rencontrés il y a trente ans. Françoise y était alors directrice de la maison des jeunes et de la culture. Daniel Larribe, enfant du pays, n’avait pas encore terminé ses études. Ce premier de classe, passionné de géologie et de spéléologie – il a réalisé en 1979 une étude géologique sur le gouffre de Padirac –, fait alors une école d’ingénieur, à Strasbourg, avant d’intégrer un cycle de formation du Cesmat (Centre d’études supérieures des matières premières) au sein de l’école des Mines de Nancy, dont il sort diplômé en 1985.

L’ingénieur en génie minier ressent vite l’appel de l’Afrique. Du milieu des années 1990 à 2001, ce sera la Guinée, où il dirige une mine d’or de la SMD (Société minière de Dinguiraye), alors propriété du groupe norvégien Kenor. En 2001, le couple rentre en France. Le Gard pour Françoise, Angers pour Daniel, chargé pendant deux ans de la sécurité des Ardoisières de Trélazé. François Martin, agrégé de génie civil, spécialiste des travaux souterrains, a fait partie d’une association de sauvegarde des mines d’Angers, la Mine bleue, avec Daniel Larribe. "Daniel est l’un des derniers ingénieurs des Mines qui ont une telle expertise du terrain. Mais il n’était pas à l’aise en France, les méthodes de travail ne lui convenaient pas, il avait la tête en Afrique." A son ami nigérien Staffa Ibrahim, Daniel Larribe confiait encore avant l’été que ses racines étaient sur le continent africain. "Cette phrase m’a touchée, s’émeut le Touareg. Quand j’ai appris le grand malheur, l’enlèvement, j’ai été plus choqué que lorsque j’ai appris le décès de mon propre père. Daniel est mon frère, mon frère blanc."



Adeline Fleury, avec J.-S. Nours à Saint-Céré (Lot) et Mialet (Gard) - Le Journal du Dimanche
Samedi 25 Septembre 2010

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