mercredi 2 juin 2010

Al Qaida transforme le Sahara en poudrière (Le Figaro)

01-06-2010, 15h53

Al Qaida transforme le Sahara en poudrière (Le Figaro)
Le Figaro – quotidien – mardi 1er juin 2010
Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) s'incruste dans le désert du nord du Mali.
Ce territoire saharien, grand comme la France, est devenu un sanctuaire pour le commerce des otages et le trafic de drogue.


PAR THIERRY OBERLE - ENVOYE SPECIAL A BAMAKO

Cela ressemble à une vidéo amateur de trekking dans le désert. La caméra filme de puissantes Toyota Land cruiser transformées en pick-up. Les véhicules sont embourbés dans une nappe d'eau grossie par une forte averse. Des jeunes gens se roulent en riant dans la mare autour des 4 x 4 pour célébrer la pluie, ce don du ciel.

D'une durée d'une cinquantaine de minutes, ce document inédit, que Le Figaro a pu visionner à Bamako, est, à la différence des vidéos de propagande de l'Aqmi, un témoignage sans mise en scène de la vie quotidienne des katiba, les colonnes djihadistes. Tourné par un membre du groupe à des fins internes, il permet de mesurer le sentiment d'impunité dont bénéficient ces katiba qui ne se cachent ni dans des montagnes ni dans des grottes, mais circulent en toute liberté comme les nomades sur un territoire vaste comme la France.

Sur une autre séquence, les « randonneurs » participent à un concours de saut en hauteur avec en guise de barre à franchir un drap enroulé. Un concurrent en tenue afghane s'élance un fusil-mitrailleur dans les mains, passe en culbute au-dessus de l'obstacle et finit sa course sur les genoux l'arme au poing. Mokhtar Benmokhtar, l'un des chefs historiques de l'insurrection islamiste algérienne, apprécie le spectacle. Voilà enfin au premier plan le visage de cet homme connu seulement par un cliché diffusé par Interpol il y a plus de quinze ans. Son œil gauche est fixe, son front porte une tache sombre, la marque des dévots. Sa peau s'est durcie à force de cogner le sol pendant les prières.

Benmokhtar, le bourlingueur borgne du djihad, s'est taillé une réputation de voyou des sables et de redoutable homme d'affaires. Ses premières participations à des prises d’otages remontent à 2003. Il détient actuellement deux prisonniers espagnols, membres d'une ONG, qu'il entend revendre à bon prix. Bien implanté dans la région de Tombouctou, il a épousé une Malienne pour s'allier à des notables de sang arabe et posséderait, dit-on, des troupeaux de dromadaires. Ses lieutenants ont suivi son exemple dans la vie paramilitaire comme dans la vie civile.

Les enchères montent pour l'otage français

L'émir a une poche cousue au niveau de la poitrine sur son kami, sa robe islamique. C'est la marque de son statut de chef. Elle a été brodée par le couturier de la katiba qui parcourt le Sahara en jouant à saute-mouton sur les frontières de l’Algérie, du Mali, de la Mauritanie et du Niger. Le tailleur est assis devant sa machine à coudre installé dans le sable. On aperçoit aussi dans un travelling l'artificier du groupe, un aveugle à lunettes noires qui a perdu la vue et un bras dans un « accident du travail », Moussa, un enfant-soldat d'une quinzaine d'années et un Arabe à la peau noire qui lit le coran. Vu d'un satellite, le groupe ressemble à n'importe quelle caravane motorisée de bédouins.

Soudain, apparait furtivement à l'écran Abdelhamid Abou Zayed, le responsable du rapt du Français Pierre Camatte, un amoureux du Mali libéré en février après trois mois de captivité et d'intenses tractations entre Paris, Bamako et Alger. Arrêt sur image. Ce petit bonhomme à la barbichette blanche est un dur parmi les durs. Abou Zayed a fait exécuter avec cruauté voici un an le Britannique Edwin Dyer. Londres refusait de céder à ses deux exigences : la libération du Jordanien Abou Qatada, un des grands chefs d'Al-Qaida détenu en Grande- Bretagne et le versement d'une rançon. Depuis le 19 avril, Abou Zayed tient dans ses griffes une nouvelle proie : un touriste français de 78 ans, Michel Germaneau, enlevé au Niger.

Les kidnappeurs ont transmis en mai un enregistrement de l'otage qui adresse une supplique à Nicolas Sarkozy. Michel Germaneau affirme manquer de médicaments pour soigner ses problèmes cardiaques et souffrir de la chaleur. Dans son message, Aqmi réclame un échange de prisonniers et ajoute que plus de détails seront fournis par un négociateur.

Abou Zayed espère rééditer son opération réussie de l'hiver dernier lorsqu'il avait obtenu la remise en liberté par le président malien, Amadou Toumani Toure, dit ATT, de quatre salafistes, deux Algériens, un Mauritanien et un Burkinabé emprisonnés à Bamako. Mais ses prétentions seraient, cette fois, jugées inacceptables par l'Elysée. Aqmi exige par des voies indirectes la livraison de terroristes considérés comme non négociables. S'agit-il des assassins des touristes français tués en Mauritanie à la veille de Noel 2007 et condamnés à mort par un tribunal de Nouakchott voici quelques jours ? Ou de terroristes détenus en France?

L'impunité des « katiba »

Un peu à l'écart du groupe, voilà à son tour dans l'objectif du caméraman l'émir Yahia Djouadi, dit Abou Ammar, un téléphone satellitaire Thuraya collé à l'oreille. Le troisième émir a grimpé au sommet d'une dune pour mieux capter la communication. Réunis de manière exceptionnelle pour une raison inconnue, les dirigeants de la branche sahélienne d'Al-Qaida au Maghreb islamique sont presque au complet.

Les groupes se déplacent à un train d'enfer sur des territoires immenses où il est possible de parcourir des centaines de kilomètres sans croiser un uniforme. Ils se ravitaillent en carburant grâce à des réserves enterrées au bord des pistes. Des « »stations d'essence » souterraines que les chauffeurs détectent par GPS.

La région de Kidal, au nord du Mali, est leur fief (voir carte ci-contre). L'enclave est depuis deux ans un grenier à otages. « Cette zone grise est depuis un an hors de contrôle. L'armée malienne n'a pas assez de moyens et certainement pas ceux qui lui permettraient de mener une guerre asymétrique », explique Soumeylou Maïga, ancien ministre malien de la Défense.

Les cibles occidentales d'Aqmi tombent dans les filets tendus par les islamistes souvent loin des bases de repli djihadistes : sur une route perdue mauritanienne ou, comme dans le cas du diplomate canadien Robert Fowley, pendant un pique-nique sur les rives du fleuve Niger non loin de Niamey. Le Sahara devient ainsi dans sa partie la plus « chaude » un terrain de chasse avec, dans le rôle du gibier, des touristes et des humanitaires de petites ONG. Bien que très structurées, les communautés locales ont de plus en plus de mal à résister aux sirènes financières des islamistes. « La livraison d'un Français peut rapporter 100.000 dollars. L'importance des sommes d'argent en jeu a fait exploser les systèmes de protection dont pensaient bénéficier les Européens qui s'aventuraient dans ces zones. Il suffit d'une brebis galeuse pour faire basculer un destin », explique un expert français.

Sur la route des caravanes de sel


Les enlèvements en série sont l'indicateur le plus spectaculaire de la montée en puissance de la branche saharienne d'Aqmi dont le nombre d'opérations est passe de quatre en 2007 à dix neuf en 2009. Implantée principalement dans l'Algérie côtière, la mouvance salafiste a commencé à basculer vers le sud après l'échec de sa stratégie de violence urbaine et d'attentats suicides à Alger. Soumis à la pression des forces de sécurité dans les montagnes de Kabylie, Aqmi essaime dans le désert pour trouver un nouveau souffle. Ses jeunes recrues sont désormais mauritaniennes, libyennes voire nigérianes. Les katiba compteraient aujourd'hui entre 250 et 300 combattants aguerris. Cette internationalisation amplifie les risques d'attaques contre les intérêts occidentaux en Afrique subsaharienne et au-delà.

Les capacités de nuisance d'Aqmi se sont accrues grâce à l'argent des rançons, car chaque libération d'otage s'accompagne d'un volet financier (Sopumeylou Maïga, ancien ministre malien de la défense)

« Les capacités de nuisance d'Aqmi se sont accrues grâce à l'argent des rançons car chaque libération d'otage s'accompagne - qu'il soit rendu public au non - d'un volet financier », affirme Soumeylou Maïga, qui a également longtemps dirigé les services de sécurité maliens. Les salafistes disposeraient, selon lui, d'un butin estimé à plusieurs dizaines de millions de dollars. De quoi alimenter l'organisation en matériel de guerre. De quoi aussi gagner la « bataille des cœurs » auprès de populations abandonnées par le pouvoir central et exercer un pouvoir d'attraction sur une jeunesse saharienne bercée depuis l'enfance par le culte des armes, de la révolte et du commerce illégal.

Les taxes prélevées sur un trafic de drogue en pleine expansion complètent les revenus des katiba. « Il y a une convergence d’intérêts entre les narcotrafiquants et les terroristes. Aqmi sécurise les convois de cocaïne qui traversent clandestinement le Sahara. », constate Soumeylou Maïga. Un avion affrété par un cartel sud-américain a brûlé en novembre avec sa cargaison après un atterrissage raté près de Gao en pleine zone djihadiste », rappelle-t-il.

Le degré d'implication des islamistes dans le trafic reste toutefois sujet à controverses. C'est que les filières s'entremêlent sur les anciennes routes des caravanes de sel sillonnées aujourd'hui par des camions de cigarettes de contrebande, d'armes, d'immigrés clandestins, de haschisch ou de « »poudre blanche ». « Il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre les passeurs de drogue et les islamistes car un jeu complexe d'intérêts s'est mis en place entre les chefs de tribu qui couvrent ces business et Aqmi », confirme Youba, un notable originaire de Tombouctou.

Accusé de laxisme par ses voisins algériens et mauritaniens, le pouvoir malien tente de réagir en lançant des opérations de ratissage. L'an dernier, une trentaine de soldats ont été tués au cours d'accrochages et un colonel qui assurait le contact avec des éléments d'Aqmi a été assassiné chez lui à Tombouctou. Ce lourd tribut n'a guère poussé au zèle Bamako, qui réclame une plus grande coopération entre les Etats de la région. Les dernières «manoeuvres militaires» supervisées par les Etats-Unis ne se sont pas révélées plus efficaces. Débarquées à Bamako, les forces spéciales américaines ont, entre deux exercices de tableau noir, donné en vain des leçons de pilotage pour franchir une embuscade sous le feu ennemi. Les instructeurs avaient simplement négligé un détail : leurs élèves n'avaient pas le permis de conduire.

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