dimanche 8 novembre 2009

Hama AG Sid Ahmed. Porte-parole de l’Alliance démocratique pour le changement au Mali « Ag Bahanga respecte l’Accord d’Alger »


Salima Tlemçani El Watan 08-11-09
dimanche 8 novembre 2009

Arrivé à Alger en compagnie d’une délégation, Hama Ag Sid Ahmed, porte-parole de l’Alliance démocratique pour le changement au Mali, appelle l’Algérie à faire pression sur le Mali pour qu’il concrétise l’Accord d’Alger. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il affirme que la situation au nord de son pays est explosive.

- Un forum intercommunautaire de la région du nord du Mali a eu lieu à Kidal, cette fin de semaine, au cours de laquelle votre mouvement a lancé un appel au dialogue. Qu’en est-il au juste ? Ce forum, appuyé par Bamako, a réuni les notables touareg des régions de Kidal, Tombouctou et Gao, du 30 octobre au 2 novembre, au stade municipal de Kidal. C’était l’occasion pour la population locale de sceller l’unité et pour nous de réitérer notre attachement au dialogue. C’est ce qui ressort d’ailleurs de la lettre signée par le chef du mouvement Ag Bahanga et lue par un de ses proches collaborateurs. Il était question aussi de mettre Bamako devant ses responsabilités et de prendre à témoin l’Algérie et la Libye. Dans ce cadre, un groupe de contact a été désigné pour faciliter les voies du dialogue avec l’Etat dans le but de créer un climat d’apaisement nécessaire à la reprise des pourparlers et à l’instauration de la paix. A ce titre, une délégation du mouvement, dont je fais partie, est en Algérie pour impliquer les autorités dans les efforts de réactivation de l’accord d’Alger.

- Plus de trois ans après la signature de cet accord, moins d’une année depuis la reprise des armes par quelques factions de votre mouvement, où en est la situation au nord du Mali ?
L’accord d’Alger signé en juillet 2006 pour réinstaurer la paix reste toujours inappliqué en dépit de nos multiples efforts et volonté affichée, à travers le dépôt des armes, la libération des prisonniers, etc. L’Etat malien n’a pas respecté ses engagements. La situation est catastrophique. Nous sommes revenus à la situation qui a prévalu en 2007, et qui était à l’origine de l’explosion.

- Les autorités maliennes récusent et accusent votre mouvement de ne pas avoir joué le jeu…
J’ai pris part aux négociations ayant abouti à cet accord, et j’en suis même l’un des auteurs, donc je peux vous prouver le contraire. Ce dernier (accord) a prévu un comité de suivi du groupe technique de sécurité, pourtant le ministre de l’Administration locale, M. Koufougouna, a remis en cause son fonctionnement et sa composante bien après. Ce comité était chargé de suivre l’évolution de la situation sur le terrain, établir la liste des Touareg à réinsérer, l’intégration de quelque 200 éléments dans les unités spéciales de sécurité, qui n’ont jamais été mises en place par les autorités maliennes. Du côté des Touareg, il y a eu deux opérations de dépôt d’armes, entre 2007 et 2009, qui se voulaient beaucoup plus un acte de bonne volonté pour le respect des engagements. Pour nous, l’Etat malien n’a rien fait pour concrétiser l’Accord d’Alger. Il n’a même pas appliqué les points jugés prioritaires, comme ceux liés à la réinsertion ou la mise en place des unités de sécurité, pour faire face à la situation d’insécurité qui menace toute la région. C’est dans cet esprit que nous interpellons l’Algérie, en tant que médiateur, afin qu’elle agisse auprès de Bamako, pour que les autorités respectent leurs engagements…

- Vous tenez à l’Accord d’Alger, même après que le chef de l’Alliance, Ag Bahanga, l’ait remis en cause ?
Ag Bahanga a toujours dit qu’il n’est jamais sorti du processus de paix. Il a fait un recul pour mieux avancer. Il n’a pas cessé de répéter qu’il respecte la paix, tant que Bamako la respecte. Nous n’avons pas abandonné nos engagements. Tous les rebondissements qu’a connus la région étaient plutôt des sonneries d’alarme que nous avions actionnées pour alerter sur le refus de Bamako de concrétiser ses engagements. Il y a eu des officiers du mouvement qui ont repris les armes et même quitté la région, en laissant une partie de leurs compagnons sur place … Ces officiers sont revenus à Kidal et sont dans la même situation que leurs compagnons. Ils ne sont pas contre l’accord d’Alger. Il y a eu juste ceux qui ont déposé les armes parce qu’ils ont cru et ceux qui se sont sentis désabusés et ont préféré les garder. Les deux veulent cependant construire la paix dans la région. Aujourd’hui, nous appelons à ce que l’accord soit respecté. Les six mois d’absence ne sont en fait qu’une pause, durant laquelle nous avons interpellé le gouvernement malien, et entrepris quelques contacts pour lui rappeler ses engagements, en vain. En fait, nous sommes convaincus aujourd’hui que le régime malien a signé dans la précipitation, parce qu’il était à la veille des élections législatives. Nous nous sommes rendu compte qu’en réalité, il n’a jamais voulu cet accord. Raison pour laquelle il y a eu la riposte. Il est vraiment urgent de mettre en place les comités de suivi. Pour nous, il y a une situation sécuritaire très inquiétante qui appelle à une réaction rapide. Notre région aurait pu être une zone tampon contre le terrorisme salafiste, mais également contre les trafiquants en tout genre, grâce aux unités spéciales de sécurité dont feraient partie les Touareg. Ces unités sont pour nous une priorité, parce que sans sécurité il ne peut y avoir de développement.

- Pour vous, est-ce que cette situation est due à l’absence de volonté politique ou au manque de moyens financiers ? Nous ne pensons pas que ce soit un problème de fonds, mais plutôt de manque de volonté à régler équitablement et définitivement la crise. Preuve en est le forum organisé en mars 2007 par l’Etat malien à Kidal, sans l’aval du mouvement et sans sa participation. Nous avions à l’époque interpellé les bailleurs de fonds du Mali, comme l’Union européenne, mais aussi l’Algérie en tant que médiateur, pour qu’ils fassent pression sur Bamako en l’obligeant à faire participer les Touareg, ou plutôt assister à ce forum, puisque c’était à trois jours de sa tenue. Ils y ont assisté sans aucune préparation. Bamako a les moyens et les outils pour faire aboutir l’accord d’Alger, mais tout a été fait pour ne pas le concrétiser sur le terrain. Savez-vous que pendant les six mois qui ont suivi cet accord, personne, au nord, ne pouvait en parler de peur d’être arrêté ? Les gens étaient terrorisés. Nous avons interpellé les bailleurs de fonds du Mali et l’Algérie sur cette situation, et en réponse, l’armée a commencé à occuper les points d’eau, de passage et les lieux stratégiques. Ce qui a poussé une partie des Touareg à reprendre les armes.

- Est-ce la raison qui explique la reprise des armes, en 2009 ? Reprendre les armes est la pire des choses que nous puissions faire. Mais c’était inévitable. Il n’y a jamais eu de riposte en dehors de celle qui avait pour objectif d’amener au respect de l’accord d’Alger. L’Etat dit qu’il a appliqué plusieurs points de cet accord, mais le ministre de l’Administration territoriale, M. Koufougouna, vient, le 30 août 2009, de remettre en cause la mise en place des comités de sécurité sans même pas prendre la peine d’en faire part aux Touareg. La Libye vient d’organiser une cérémonie de dépôt des armes par les rebelles du Mouvement de nigérien pour la justice (MNJ) à laquelle des officiels maliens et Ag Bahanga ont pris part.

- Est-ce que cet accord concerne aussi votre mouvement, et que pensez- vous de l’implication de la Libye dans ce conflit ? En fait, il n’y a pas eu d’accord, mais une situation créée par l’Etat nigérien par l’intermédiaire de la Libye pour d’abord faire déposer les armes, puis discuter de la suite. Ce qui n’était pas le cas pour le nord du Mali, où il y a un cadre légal, l’accord qui fait obligation aux parties de respecter les engagements des uns et des autres. Si Koufougouna ne l’avait pas violé, la crise aurait été définitivement résolue depuis déjà trois ans. Nous ne sommes pas contre des initiatives comme celle de la Libye. Si quelqu’un peut contribuer à la restauration de la paix il est le bienvenu, pour peu que ses intentions soient sincères. La Libye est un partenaire important pour le développement de cette région. Sa contribution peut aider au développement du nord du Niger.

-Est-ce que la participation de Ag Bahanga à cette cérémonie implique l’Alliance ? Bahanga était en Libye depuis six mois déjà avant la cérémonie du 6 octobre 2009. Il était invité à titre individuel par El Gueddafi, mais aussi par les dirigeants du MNJ et cela n’engageait en rien son mouvement parce que le dépôt des armes ne concernait que les Touareg du Niger et non pas ceux du Mali.

- Mais des officiels maliens ont annoncé que certains de vos compagnons avaient déposé les armes en Libye, au même titre que le MNJ... Ce sont de fausses informations, ou plutôt de l’intox. Le dépôt des armes ne concerne que le Niger, où la Libye s’implique beaucoup pour y ramener la paix. D’ailleurs, c’est El Gueddafi et Tandja (le président du Niger) qui se sont entendus pour créer les conditions de la résolution de la crise, à travers d’abord le dépôt des armes, en attendant un accord-cadre qui n’a pas encore été négocié. Pour l’instant, il n’y a eu que la reddition des Touareg et l’amnistie de la part de Niamey. Nous attendons la suite, que nous espérons sincère.

- Pensez-vous que cette initiative mettra fin à la rébellion au nord du Niger ? En fait, il est un peu précoce pour parler de réussite ou non. Cela dépend de la sincérité de Niamey, d’autant que les tractations sous l’égide de la Libye ont eu lieu au moment où Tandja était isolé et, de ce fait, il avait besoin d’alliés internes pour éviter que la situation lui échappe. Si nous comparons les situations au Mali et au Niger, de loin elles apparaissent semblables mais sur le terrain, il y a une grande différence. D’abord parce que contrairement à Niamey, Bamako est moins disponible à résoudre la crise du Nord. Le régime fait dans la gesticulation, mais sur le terrain, il est plus radical. Pourtant, il avait plus de chance de réussir que le Niger du fait du cadre légal, qui est l’accord d’Alger, contraint les parties à respecter leurs obligations. Ce qui n’est pas le cas pour le nord du Niger, où Tandja était obligé de solliciter la Libye pour chercher des amis au nord de son pays et en faire des alliés au moment où il s’est senti très fragilisé avec son isolement sur le plan international et interne à la veille des élections. Son voisin, Amadou Toumani Touré (ATT), avait une situation moins difficile : il suffisait juste d’un peu de sincérité pour clore définitivement le dossier des Touareg en honorant les engagements de l’accord qu’il a paraphé. Nous avons constaté que ATT était plus sincère quand il avait la casquette de facilitateur. Il avait de plus larges prérogatives au point d’être sollicité pour résoudre de nombreuses crises en dehors du Mali, comme au Centrafrique par exemple. Aujourd’hui, nous avons du mal à comprendre pourquoi il s’est montré incapable d’éteindre la petite étincelle qui risque d’enflammer le nord de son pays.

- Est-ce lui qui bloque la réussite de l’accord ou son entourage, qu’on dit trop lié aux milieux mafieux de la contrebande ?

Il semblerait que ce soit son entourage qui ne lui donne pas les bons conseils. Cependant, étant le chef suprême de l’Etat, il en assume l’entière responsabilité.

- Ne pensez-vous pas que cette stabilité tant espérée n’arrange pas les intérêts de ceux qui convoitent et exploitent les richesses de la région ? Nous sommes conscients de cette vérité incontestable. C’est pour cette raison que nous ne cesserons jamais de réclamer la concrétisation de l’accord d’Alger, qui va permettre une meilleure redistribution des richesses à travers un développement durable dans la région. Si Tandja arrive à faire sortir le nord de la paupérisation sans faire appel aux multinationales, mais uniquement en se réconciliant avec les Toaureg, c’est tant mieux. Parce qu’il est important de rappeler que les populations du nord du Mali et celles du nord du Niger, ne se battent pas pour l’uranium mais pour le développement de leurs régions respectives.

- Vous voulez dire que du côté malien c’est vraiment le statu quo ? Disons que c’est le calme des deux côtés. Néanmoins, il y a une importante initiative qui se profile à l’horizon….

- Pouvons-nous en savoir plus ? Nous avons interpellé l’Algérie, en tant que pays médiateur pour qu’elle fasse pression sur Bamako, et pousser à rouvrir le dialogue. La situation a atteint un seuil critique, ce qui a poussé à la reprise des armes par certains en février 2009, et par d’autres en juillet de la même année. C’est la désolation totale. Nous pensons qu’il faut créer les conditions de paix, et l’Algérie est disposée à le faire, de part son statut de co-signataire de l’accord d’Alger. Elle doit faire tout pour que les autorités maliennes respectent leurs engagements. Nous avons aussi interpellé les partenaires techniques afin que eux aussi s’impliquent dans le retour à la paix. Le forum intercommunautaire de Kidal a été une occasion pour les Touareg de réitérer leur attachement à l’unité et à la paix.

- Pourquoi les terroristes salafistes ont-ils pu s’installer dans cette région et non pas au nord du Niger ?
Les salafistes se sont installés dans cette région parce qu’ils ont des connexions importantes. Il faut savoir que dans cette zone ne s’installe qui veut. On sait qui est qui. Nous avons du mal à imaginer un Etat qui exclu les Touareg de toute discussion autour de l’ avenir de leur région, puisse engager un dialogue avec les terroristes salafistes, pour mettre à feu cette même région. C’est un jeu dangereux que nous ne comprenons pas.

- N’y a-t-il pas justement des connexions avec certains dirigeants pour des intérêts purement pécuniaires ?
Au départ, l’idée était de salir l’image des Touareg avec l’intensification des mouvements terroristes dans la région. Mais, tout le monde a vu que les Touareg ont de tout temps combattu les salafistes. Nous avons même tué certains de leurs cadres dans des opérations. Ils ont par la suite, tiré profit de cette politique de passivité en créant leurs propres réseaux de soutien et de logistique dont les ramifications ne sont pas parmi les Touareg. Aujourd’hui on nous dit que l’Etat malien ne peut pas les combattre. Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité de mettre en place ces unités spéciales de sécurité pour d’abord protéger la population locale mais aussi lutter contre les hordes salafistes au nord. Une région qui aurait pu être une zone hermétique non seulement aux terroristes mais aussi à toutes les bandes criminelles. Mais, Bamako refuse catégoriquement et elle l’a fait savoir officiellement en juillet 2006. Il est plus difficile aujourd’hui de chasser les salafistes de cette région parce que l’Etat a créé, volontairement ou involontairement, toutes les facilités pour qu’ils s’installent durablement et par conséquence pérenniser la situation d’insécurité.

- ATT affirme n’avoir pas les moyens de combattre le terrorisme, et que la solution réside dans la tenue du Sommet pour la sécurité et le développement auquel il appelle avec insistance. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas que ce sommet est la solution au problème du terrorisme et du développement. Il n’aura aucun impact sur le terrain. Il faut d’abord avoir la volonté de résoudre le problème des Touareg et après la lutte contre le terrorisme sera plus facile à mener avec la population locale.

- Selon vous, n’est-ce pas cette connexion avec les salafistes qu’on ne veut pas rompre pour ne pas perdre ses retombées financières ? Le terrorisme rapporte gros ce qui leur permet de bien s’équiper en moyens de transport, de communication et surtout en arment de guerre neuf. Lorsque le Mali, dit qu’il n’a pas les moyens de combattre les salafistes, nous nous demandons alors d’où a-t-il ramené ce puissant arsenal de guerre qu’il a utilisé pour réprimer la rébellion ? Pour un pays pauvre, les moyens militaires auxquels il a recouru laissaient perplexe. Mais, face aux terroristes, qui sont très faciles déloger, ils se déclare impuissant. C’est une preuve qui montre qu’au Mali, on ne veut pas créer les conditions nécessaires de sortie de crise et de développement…

Par Salima Tlemçani

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