jeudi 23 avril 2009

Interview : Moussa Bilalan Ag Ganta


Sedryk tamasheq.net 22-04-09
Interview : Moussa Bilalan Ag Ganta
jeudi 23 avril 2009

Moussa Bilalan Ag Ganta, le guitariste de Takrist N’Akal, désormais installé en France, nous parle de sa collaboration avec Abdallah Oumbadougou, de ses projets solos ainsi que de la situation au nord-Niger.

*Peux-tu nous raconter ton parcours musical ? *

J’ai commencé la musique assez tard car j’ai d’abord fait des études : l’école primaire à In Gall, le collège à Arlit, puis je devais aller à Bamako pour faire des études d’hydrologie et de géologie a l’ECICA de Bamako. C’était en 93, quand il y avait les problèmes dans le Nord, et je n’ai pas obtenu l’autorisation du gouvernement nigérien pour partir. Quand je suis rentré à Arlit, j’ai rencontré la rébellion au travers du Front Populaire de Libération du Sahara. C’est là-bas que j’ai croisé ma première guitare, dans la base du Front, et que j’ai commencé à gratter un peu.

*Comment a eu lieu la rencontre avec Abdallah Oumbadougou ? *

Je l’ai rencontré quand la paix est revenue. C’était mon cousin car sa mère est la sœur ainée de mon père. J’étais en permanence chez lui, il m’a donné des leçons de guitare et m’a accepté comme accompagnateur dans son groupe Takrist N’Akal, dont je fais toujours parti aujourd’hui. De 99 à 2003, on a fait le projet "Moi-Toi Musique" avec des musiciens Suisses et Marocains. Abdallah est comme mon frère ainé.

*Depuis, tu as aussi participé au projet Désert Rebel… Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce projet ? *

Le but était de créer une collaboration entre la maison de production Original Dub Masters et l’association Takrist N’Tada, que nous avons monté en 2003 avec Abdallah, pour la promotion et la sauvegarde de la culture, et l’enseignement de la musique au Niger. Le collectif a été monté pour nous permettre de développer l’école de musique d’Abdallah au Niger, au travers d’un pourcentage reversé à l’association.

*Tu es maintenant installé en France alors qu’Abdallah est resté au Niger. Takrist N’Akal continue au pays avec d’autres musiciens ?*

Depuis 99, je fais des allers-retours entre la France et le Niger. Je me suis installé ici il y a 3 ans. Takrist N’Akal est une grande famille dont Abdallah est le chef. Même si j’ai d’autres projets à côté, je suis toujours membre de Takrist N’Akal. Et Desert Rebel n’est qu’un projet passager alors que Takrist N’Akal sera toujours là.

*Tu as commencé en chantant des morceaux d’Abadallah ou de Tinariwen. Quand as-tu eu envie de composer tes propres chansons ?*

J’ai composé mon premier morceau en 99. J’en ai eu envie au bout d’un moment et Abdallah m’a encouragé dans cette voie. Il est même arrivé qu’on écrive des chansons ensemble, comme “Tenertine” : j’ai fait les paroles et il a composé la musique.

*Désert Rebel t’a amené à beaucoup tourner hors de ton pays… Quels enseignements as-tu tiré de ces voyages ? *

Ces voyages ont été plein de découvertes : de nouvelles terres, de nouveaux hommes, de nouveaux paysages. Au Quebec, par exemple, il y a le fleuve Saint-Laurent. Toute cette étendue d’eau dans la ville, ce n’est pas un spectacle que je voyais à Arlit, où l’eau est un combat quotidien. Je me suis dit que ces gens ont de la chance d’avoir tant d’eau qu’ils peuvent même se permettre de la gaspiller. Le jour où ils n’en auront plus, ils vont commencer à regretter ce qu’ils ont fait.

*Tu es toi même un auteur très engagé et tu as publié un album solo qui s’appelle "Tchixene"… Peux-tu nous en parler ? *

J’ai fait ce disque pour parler de la situation très grave au nord-Niger car tout le monde faisait semblant d’ignorer ce qu’il se passe et personne n’en parlait. Je ne suis pas un homme politique mais, en tant qu’artiste, j’ai la possibilité de parler de la situation dans mes chansons pour en parler aux gens. Je voulais que ce disque soit entendu comme un cri de douleur au nom de mon peuple. Toutes les chansons ont été composées dans une période de deux mois. Puis j’ai mis toutes mes économies pour le studio, la pochette et le pressage du disque. J’ai fait toutes les voix, les guitares et la basse moi même.

*Ce disque est-il plutôt adressé à l’occident ou plutôt aux Touaregs ?*

Les deux. C’était la première fois qu’on entendait un musicien touareg chanter en français. Dans la chanson “Eleveur”, j’ai voulu expliquer que le nomadisme des Touaregs n’est pas comme le nomadisme occidental : les éleveurs nomadisent autour d’un point, une vallée, une région... Ceux de la vallée de Tidène ne vont jamais nomadiser dans l’Azawagh, par exemple. Nous sommes jusqu’à preuve du contraire rattachés à certain bout des terres, des vallées, des regs ou des ergs, même si le Niger nous ignore comme propriétaires terriens. Les seules fois où il y a vraiment de grands déplacements, c’est quand il y a la famine, la sécheresse ou des combats. Dans “Voyageur”, je parle des concessions que le gouvernement vend à des firmes étrangères. Les gens du gouvernement disent que ce sont des régions désertiques parce qu’ils n’ont pas pris la peine d’aller voir qui y vit vraiment. Alors que les touaregs qui habitent ces régions sont des Nigériens qui font quand même partie de la nation.

*Comment à évolué la situation depuis que tu as écrit ces chansons ?*

Pour le moment, je ne sais pas trop où ça va aller… Ce qui est sûr, c’est que tous les Nigériens, qu’ils soient Haoussas, Djermas ou Touaregs, veulent une paix, mais une paix durable. Et pas juste une illusion à la face du monde. Les accords de 95 ne prévoyaient rien d’énorme par rapport à la réalité des envies de tous. Et seulement 1/10ème des engagements ont été tenus, comme les intégrations dans l’armée, la gendarmerie, les FNIS etc…mais toujours est t-il que la réalité des problèmes touaregs du nord Niger n’est pas prise au sérieux. Et tant que les Nigériens n’accepteront pas la différence qui existe entre les différentes communautés, il n’y aura pas une unité nationale de laquelle découlera un développement consciencieux et durable de la nation ou du pays. Aujourd’hui j’essaye de créer une ou deux chansons pour l’honneur de ceux qui sont partis en martyrs, car il ne faut pas qu’on les oublie et il faut qu’on comprenne qu’ils ont sacrifié leurs vies (la seule chose qui est chère au monde, qu’on ne peut racheter) pour la cause. A chaque pas de ce combat que l’on mène tous, il faut leur donner une pensée et une place dans nos mots et nos cœurs.

*En cette nouvelle période de rébellion armée, la musique joue t-elle toujours un rôle aussi important pour les combattants ? *

C’est toujours un outil pour transmettre des messages. Il y a pas mal d’autres jeunes qui ont aussi écrit sur ce qu’il se passe en ce moment, comme Bambino ou Rissa Ag Wanagli.

*Quelle est la situation actuelle des musiciens Touaregs au Niger ? Peuvent-ils s’exprimer ? *

La plupart des musiciens comme Bambino, Hasso, Bibi ou Gountou sont partis à Niamey, ou à Ouaga, car à Agadez, ils n’ont plus le droit de jouer de la musique.

*Tu viens de t’entourer d’un nouveau groupe, Etoile Nomade, dans lequel tu joues avec des musiciens Européens… D’où t’est venue cette envie de mélanger les styles et les cultures ? *

J’ai d’abord rencontré Yann Le Breton, qui joue du kamel n’goni, un instrument nomade. On a commencé à jouer ensemble, toujours dans l’idée de parler de la situation au nord-Niger et de soutenir l’école de musique d’Agadez. Puis d’autres musiciens sont arrivés : François Texier à la basse et Benjamin Moroy aux percussions, balafon, calebasse… Pour l’instant, on veut surtout faire des concerts, on verra plus tard pour un disque.

*Est-ce l’expérience avec Desert Rebel qui t’a donné l’envie de ces mélanges ?*

Entre autre, mais bien avant ça, on a toujours eu une batterie dans Takrist N’Akal. En 98, on avait même une batterie électronique ! Par rapport à Désert Rebel, Etoile Nomade est bien plus axé sur les sonorités d’Afrique de l’Ouest.

*Tu ne t’engages pas qu’en musique, mais également sur le terrain puisque que tu es impliqué dans le procès contre un responsable d’AREVA… Quelle est ton rôle dans ce procès ? *

A l’origine il y a des propos de Thierry D’Arbonneau, un responsable d’AREVA, qui demandait à la France d’aider le gouvernement nigérien à /“mater la rébellion des Touaregs, ces hommes en bleu qui font rêver les hommes et chavirer le coeur des femmes mais ne sont qu’une illusion"/. Il résumait notre identité à une carte postale alors que notre peuple est présent depuis longtemps dans ces régions. Nous dire que nous n’avons pas d’identité est la pire insulte qu’on puisse nous adresser. Le procès a été intenté par l’association nigérienne Alhak-N’Akal de Boutali Tchiwerin, qui faisait auparavant partie de Takrist N’Akal. Boutali ne pouvait venir en France alors il m’a délégué pour le représenter au dépôt de la procédure le 26 mars 2009, et le procès aura lieu le 23 juin. J’en profite pour signaler un rassemblement des associations qui travaillent au le nord-Niger et qui aura lieu le 16 mai à Ermont , en région parisienne.

*Quel est ton premier souvenir de ton arrivée en France, en 1999 ? *

Ce qui m’a le plus marqué, c’est que j’étais toujours dans quelque chose : dans une maison, dans une voiture, dans un métro… et jamais à l’air libre, au contact de la nature.

Propos recueillis par Sedryk © avril 2009 – tamasheq.net

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