TESHUMAR.BE est dedié à la CULTURE du peuple touareg? de ses voisins, et du monde. Ce blog, donne un aperçu de l actualité Sahelo-Saharienne. Photo : Avec Jeremie Reichenbach lors du Tournage du film documentaire : « Les guitares de la résistance Touaregue », à la mythique montée de SALUT-HAW-HAW, dans le Tassili n’Ajjer-Djanet- Algérie. 2004. Photo de Céline Pagny-Ghemari. – à Welcome To Tassili N'ajjer.
jeudi 5 mars 2009
Quelques questions pour comprendre ce qui se passe au Mali
Par Sidi Mohamed ICHRACH
Q1: Qu'est-ce qu'un conflit civil?
Un conflit est dit civil lorsqu’il oppose des éléments armés appartenant à un même pays. A ce titre, il importe peu de savoir si l’un des belligérants se réclame ou non de l’autorité en place. Ainsi, la guerre de sécession aux USA et la guerre d’Espagne furent entre autres des guerres civiles. A noter que dans ces deux guerres, l’un des belligérants représentait l’armée gouvernementale.
Q2: Une minorité ethnique pose-t-elle nécessairement un problème conflictuel? Une minorité a-t-elle le droit (ou le devoir) de se rebeller contre le pouvoir national si elle estime que ses spécificités ne sont pas prises en compte dans la construction de la Nation ?
Oui. A mon avis, tout pays qui compte en son sein une (ou plusieurs minorités) est potentiellement un pays à risque d’instabilité sociale. Cela se comprend aisément si l’on tient compte du fait que les minorités ont des droits spécifiques en plus de leurs droits de citoyens. Comment faire l’équilibre entre les droits spécifiques des minorités et les droits globaux du citoyen ? Telle est la question qui hante les gouvernants des pays démocratiques ayant des minorités en leur sein. Dans de nombreux pays, on a ainsi créé le concept de discrimination positive. Ce qui veut tout dire.
Oui, tout homme a le droit de se rebeller si son pays ne le met pas dans la plénitude de ses droits de citoyen. S’agissant des minorités (ethniques, religieuses, culturelles ou économiques), le problème est souvent plus complexe parce qu’il fait appel à la survie même de la communauté qui se sent menacée dans son existence, que ce soit du point de vue du nombre ou du point de vue culturel.
Dans les pays africains, dont les frontières ont été façonnées par la colonisation, les dirigeants politiques sont placés devant un dilemme qui finit par provoquer les mécontentements : comment créer une nation avec un ‘’amas de groupes ethniques épars et divers’’. L’option la plus simple qui est utilisée partout (disons la plus simpliste) est de créer la nation autour du groupe majoritaire : pour ne parler que de l’Afrique de l’ouest, citons les maures en Mauritanie, les mandings au Mali, les Moré au Burkina Faso et les Haoussa au Niger. Dans ce schéma, que deviennent les ‘’autres’’ ?
Le problème est encore plus complexe lorsque la minorité concernée, en plus d’être minorité numérique et/ou culturelle, présente un mode de vie différent. C’est le cas des touaregs, des peulhs, des massais kényans, des bushmen du Kalahari, etc.
Q3 : Où se trouve la frontière entre Banditisme, Rébellion et Révolution dans un cadre démocratique et de présence de dialogue social?
On aurait pu poser la question autrement : la démocratie est-elle suffisante pour garantir le droit des minorités, par le jeu des élections et de la liberté d’expression par exemple ? A cette question, je répondrai d’emblée : non.
Les problèmes des minorités doivent être traités séparément du jeu démocratique (qui signifie loi du grand nombre).
A mon avis, banditisme, rébellion et révolution sont des concepts idéologiques : celui qui se sent opprimé pense qu’il se rebelle contre l’autorité alors que celle-ci le considère comme un vulgaire bandit. Celui qui se sent porteur d’un message de changement pense qu’il est engagé dans une voie révolutionnaire alors que pour ses détracteurs, c’est soit un bandit ou, au mieux, un rebelle. Dans nombre de conflits, ceux que l’autorité traite initialement de bandits finissent toujours par être des révolutionnaires, lorsqu’arrive le temps des arrangements. De Ho Chi Minh à N’Nkrumah, tous les grands révolutionnaires qui font l’honneur de leur peuple ont été traités de bandits par les pouvoirs contre lesquels ils se sont soulevés. Pour finir en héros ou martyrs universels. Aujourd’hui, on ajoute un autre concept : terroriste
Par ce concept, on désigne aussi ceux que l’on veut abattre et qui ne sont pas du même bord que soi. Pour les israéliens, les palestiniens sont des terroristes alors que pour le commun des palestiniens (mais aussi pour une large frange de l’opinion mondiale), les fidayîn palestiniens sont des révolutionnaires et des héros nationaux.
Pour le praticien des conflits, cette distinction n’a aucune finalité : elle éloigne les points de vue au lieu de les rapprocher.
La démocratie reste cependant le meilleur environnement de règlement de conflits identitaires parce qu’elle offre à toute minorité le pouvoir de se défendre en utilisant les règles de droit.
Q4 : Quelles sont les valeurs de société que toutes les ethnies d'un espace appelé 'NATION' en général et du Mali en particulier partagent ou devraient partager?
J’en citerai deux :
1) Le respect mutuel : les groupes culturels (je préfère cette expression à ethnie) qui composent une nation doivent se savoir différents mais complémentaires. La différence nous vient, non pas de nos couleurs (quelle horreur !) mais de notre culture, de nos langues, de nos us et coutumes. En nous reconnaissant ces différences, nous nous découvrons riches et complémentaires. Je ne suis pas toi et tu n’es pas moi mais je t’accepte tel que tu es et accepte moi tel que je suis. Ainsi, de notre contact, il naîtra un autre être culturel qui contiendra une partie de moi et une partie de toi : c’est cet être nouveau qui sera la racine de la Nation qu’ensemble nous allons construire. Dans le cas du Mali, cette étape est en marche : quand vous circulez dans les rues de Bourem, de Tacharane, de Bamba ou de Tombouctou, il est difficile de faire la différence a priori entre sonrhaï, maure et tamasheq parce que l’identité vestimentaire est totale.
Plus au sud, les sédentaires commencent de plus en plus à utiliser le turban, le voile porté par les femmes, le thé (qui n’étaient jusque là usités que chez les gens du nord) alors que les femmes du nord commencent à porter le pagne et le mouchoir à la manière de leurs concitoyennes de Bougouni ou de Kita. Il y a uniformisation progressive de plusieurs rites tels que les cérémonies de mariage, les baptêmes, les cérémonies funéraires, etc.
2) Le désir de vivre ensemble dans la différence : c’est la valeur essentielle que les groupes vivant sur un territoire donné doivent partager. Cette valeur ne se fabrique pas : elle est dictée par des considérations historiques, économiques, géographiques et culturelles. Les liens historiques nous poussent à ne pas vouloir nous séparer : nous avons une histoire commune à préserver, faite souvent de durs combats et de sang mais aussi d’amitiés solides et de phases de solidarité. Les liens économiques nous poussent instinctivement l’un vers l’autre parce que notre survie en dépend. Les liens géographiques nous rattachent parce qu’on ne choisit pas son voisin. Enfin les liens culturels nous ramènent irrésistiblement l’un vers l’autre parce que nous nous comprenons d’un simple clin d’œil.
Nous connaissant de longue date, nous nous supportons et nous connaissons les limites que chacun peut supporter de l’autre. Nous nous respectons parce que nous savons ce que n’est pas prêt à supporter l’autre. Comme le dit notre sagesse du nord, le bon voisinage suppose que chacun respecte le chien du voisin.
Et quand il y a un conflit, nous savons à qui nous adresser pour l’éteindre avant que l’incendie ne prenne.
Je rappelle une citation de notre grand père Attaher AG ILLY, Amenokal des Kel Adagh. Lorsque des jeunes sont venus le voir vers 1957 pour lui demander d’exiger le rattachement de l’Adagh à l’Algérie, il leur a répondu comme suit :
‘’Mes fils, regardez bien nos oueds. Vous constaterez que pendant l’hivernage leurs eaux coulent vers le sud pour rejoindre le fleuve ‘’Ejerew’’. Il en est de même de nos cœurs : nos frères sont au sud. Nous resterons donc avec le Soudan’’.
A la même époque, Hamatou AG FIHROUN, Amenokal des Iwellimeden (autant dire de tous les touaregs maliens) a fait le déplacement de Menaka à Bamako pour réaffirmer son attachement à l’unité de ce qui était à l’époque le Soudan français.
C’est cela que j’appelle le désir de vivre ensemble.
Q5 : Concernant le Pacte national (PN).
a)Pensez vous que les accords du PN sont réalistes? Veuillez expliquer votre réponse.
Je ne sais pas ce qu’on peut entendre par un accord réaliste. A mon avis, un accord politique est un compromis entre deux parties qui tentent chacune d’obtenir le maximum de concessions de l’autre. Concernant le Pacte National, l’Histoire a prouvé qu’il était la solution attendue par notre pays depuis l’indépendance : il ne faut jamais oublier que le Pacte National est le socle de la décentralisation au Mali. Je ne me rappelle pas avoir entendu un seul homme politique malien dire que la décentralisation est un mal pour le Mali.
b) Pensez vous que ces accords ont été respectés? Veuillez expliquer votre réponse.
Le Pacte national comportait trois grands axes essentiels :
- la décentralisation ;
- l’intégration des communautés du nord dans le système national ;
- le développement des régions du nord.
A mon avis, il s’agit là de grands chantiers dont la mise en œuvre nécessite du temps et des moyens. L’essentiel est que les autorités nationales soient engagées dans leur réalisation, ce qui est indéniablement le cas aujourd’hui. La difficulté dans cette situation est l’impatience des uns et des autres face à l’urgence et à l’énormité des besoins. Mais c’est ensemble que cela se fera.
Q6 : Concernant les accords d’Alger.
a)Pensez vous que les accords d’Alger sont réalistes? Veuillez expliquer les raisons de votre réponse.
b) Pensez vous que ces accords ont été respectés? Veuillez expliquer les raisons de votre réponse.
Réalistes ? Je ne sais pas ce que cela veut dire. Quant à leur respect, je pense qu’on ne leur a pas donné le temps nécessaire. Mais je pense qu’il est du devoir du Président de la République d’envisager toute solution à une crise nationale tant que cette solution ne remet pas en cause les acquits constitutionnels.
Q7 : Quelles sont selon vous les raisons fondamentales de la crise au nord du Mali?
- Raisons historiques :
Je pense qu’à l’indépendance déjà, certains jeunes du nord (songhoy, arabes et touaregs) ne se sentaient pas maliens. A ce sujet, il est utile de rappeler qu’en 1958, près de six cents (600) notables songhoy, arabes et touaregs avaient adressé une correspondance au Général De Gaulle pour lui demander de ne pas les rattacher au Soudan en cas d’indépendance. On peut porter le jugement que l’on veut sur cette initiative mais, à mon avis, elle est fondatrice du comportement futur des ‘’gens du nord’’ vis-à-vis du nouvel état malien.
1963 : des goumiers (militaires à chameau) chargés de récupérer les impôts s’accrochent avec des jeunes gens dans une soirée de Tende (parade de chameaux très prisée chez les Kel Adagh de Kidal). Cette altercation finit en bagarre et constitue le déclenchement de la rébellion de 1963.
On connaît la suite.
- Mal gouvernance :
Les premiers administrateurs qui ont servi dans nos régions à l’indépendance se sont comportés comme en territoire conquis. Aujourd’hui encore, on ne peut pas parler du comportement des militaires de l’époque sans avoir une larme aux yeux. Le système mis en place était : marier les femmes (de force s’il le faut), briser les hommes (en les humiliant ou en les chassant du pays) et scolariser les enfants (de préférence en les coupant de leurs parents). Ainsi, on créera le Mali nouveau.
Au lieu du ‘’Mali nouveau’’, ce système a ancré l’esprit de révolte dans des esprits qui, comme dit plus haut, n’étaient pas prédisposés à accepter le nouveau pouvoir. En fait ces agissements les ont confortés dans leur conviction initiale.
Pour ce qui concerne le touaregs du cercle de Kidal, je pense que c’est l’Etat malien qui les a poussés à la révolte par le comportement inacceptable des premiers militaires arrivés dans la zone juste après l’indépendance. On me dira qu’il s’agit de militaires qui se comportaient de manière identique au sud. Peut être. Mais il est déplorable de constater qu’aucune autorité nationale, et encore moins les intellectuels maliens, n’a dénoncé ce comportement. Les touaregs de Kidal se sont donc sentis abandonnés par le reste du peuple malien.
- Raisons économiques
En plus de la mal gouvernance, les régions du nord furent classées ‘’Mali inutile’’ ou transformées en bagne (Taoudenni et Kidal). Après la révolte de 1963, la région de Kidal fut placée sous embargo et interdite aux touristes et à tout investissement.
La sécheresse de 1973 finit par décomposer le milieu nomade, mettant à genou l’économie traditionnelle.
La nomenklatura militaire profita de cette catastrophe pour piller la région en détournant les aides, brisant ainsi le peu d’espoir qui restait aux populations nomades.
Q8 : Quelles sont selon vous les solutions les plus réalistes à la crise au nord du Mali?
A mon avis, elles sont de deux ordres : politiques et économiques
- d’abord instaurer une vraie confiance entre les populations nomades et l’Etat (donc le Gouvernement central). Cela suppose de la patience et de l’attention de part et d’autre. En particulier, il est important que les populations nomades soient représentées dans les instances nationales (pas seulement à l’Assemblée Nationale). Il est également important que les langues locales soient utilisées par les médias publics (télé et radio nationales) au même titre que les autres langues nationales. En matière de gouvernance, il faut transférer l’essentiel des pouvoirs au niveau local tout en évitant que des ‘’barons locaux’’ n’utilisent ce pouvoir à leur seul profit ;
- ensuite bâtir tous les rapports sur la construction de l’Etat de droit en faisant respecter le principe que nul n’est au-dessus de la loi et que la loi est la même pour tous : les gens du nord demandent à être des maliens comme les autres et non à constituer une catégorie de citoyens à laquelle tout est permis.
Sur le plan économique, il faut continuer l’œuvre de financement de microprojets entamée depuis 1995. Cependant, il me semble que le développement harmonieux des zones nomades ne peut se faire qu’en rentabilisant la seule activité que les populations nomades maîtrisent sérieusement (l’élevage). La question est donc de savoir comment faire de l’élevage le pôle de développement des zones nomades. J’ai déjà répondu à cette question lors du forum de Kidal (1).
Q9 : Dans un pays multiculturel comme le Mali, comment l’Etat doit-il manager les pratiques sociales, culturelles ou économiques des différentes ethnies afin de réaliser un espace national équitable, homogène et équilibré?
Cette question rejoint la précédente.
Q10 : Dans une communauté ethnique donnée, quelles sont les voix qui parlent légitimement pour les populations ? Qu’en est-il pour les populations nomades du Mali ?
Cela dépend du degré d’évolution de la communauté considérée : si la communauté ethnique est proche du ‘’modèle traditionnel’’, ses représentants sont ses chefs traditionnels (chefs de tribu et chefs de village). Si la communauté est plus ‘’moderne’’, ce sont ses élus et ses cadres. Il peut arriver qu’à un moment donné, personne ne représente personne. C’est alors la jeunesse qui reprend le flambeau et qui finit par mettre tout le monde d’accord. C’est ce qui s’est passé en 1990 en milieu touareg et lors des émeutes de 1991 à Bamako.
Aujourd’hui en milieu nomade, personne ne représente personne. Dans la région de Kidal, Intalla AG ATTAHER, le Chef des Kel Adagh est malade et ses enfants n’ont ni son envergure ni sa clairvoyance. Il en est de même à l’ouest où Mohamed EL MEHDI n’arrive pas à gérer sa succession. Quant à Menaka, Bajan AG HAMATO se maintient mais plus en homme politique qu’en chef de tribu. Bref, des fissures apparaissent partout dans le système traditionnel de commandement. C’est une crise d’adolescence d’une société féodale obligée malgré elle d’évoluer vers une démocratie à laquelle elle n’est pas préparée. Les prochaines années révèleront plus amplement les effets de cette contradiction.
Ce sont donc les jeunes qui reprennent le flambeau parce qu’ils ont la force et les armes. A mon avis, c’est avec eux qu’il faut négocier mais dans les limites qu’autorisent les principes d’unité nationale et d’Etat de droit.
Q11 : Est-ce que Bahanga et son groupe sont reconnus par les populations de Kidal comme leurs dignes représentants?
Absolument pas.
Il est vrai qu’AG BAHANGA est un élu de la commune rurale d’Achibogho (Cercle de Tinessako à l’est de Kidal). Mais personne ne l’a mandaté pour prendre les armes contre l’Etat. Ni lui ni les autres élus locaux qui l’ont suivi dans son aventure. Il faut d’ailleurs précisé qu’Ag Bahanga a été élu grâce à l’appui de l’Etat et contre la volonté de la majorité de ses administrés.
La Région de Kidal a ses chefs de fraction traditionnels (ils peuvent ne pas répondre aux besoins de la population, mais ils ont la légitimité que leur confère la tradition locale), ses élus (majoritairement analphabètes mais élus quand même) et ses cadres (mis sous l’éteignoir depuis qu’est apparue dans cette région la force exclusive de la kalachnikov en lieu et place de l’intelligence et du savoir).
Cependant, je pense qu’il faut négocier avec ceux qui détiennent la force tout en utilisant au mieux ceux qui ont la légitimité populaire (chefs de fraction et élus) et ceux qui ont le savoir et une meilleure vision de l’avenir (les cadres). L’intelligence politique des gouvernants doit consister à faire un juste équilibre entre la puissance de nuisance des uns et la volonté d’accalmie des autres.
Q12 : En quoi une réponse à ces questions pourrait-elle changer le cours des choses (notamment la façon dont le gouvernement est en train de gérer le problème)?
Simplement en isolant AG BAHANGA du reste du peuple : avec l’appui de l’Etat, les responsables des différentes fractions font publiquement l’option de la paix et sensibilisent leurs communauté dans ce sens.
Je rappelle que c’est le Vieux sage Intalla AG ATTAHER, Amenokal des Kel Adagh qui a résolu toutes les crises survenues dans cette région depuis l’indépendance du Mali.
Il suffit que l’Etat donne les mêmes moyens à ceux qui ont fait l’option de la paix et qui sont restés fidèles à l’Etat pour combattre AG BAHANGA et sa bande.
Q13 : Quel est le rôle et le poids de la fraude dans la situation qui prévaut au nord Mali. S'agit-il de la contrôler et d'y acquérir des retombées?
La fraude dans la région de Kidal est une activité qui présente deux visages :
- la fraude traditionnelle sur des produits alimentaires destinés à la consommation locale : elle a de tout le temps existé surtout entre l’Algérie et le Mali. Cette forme de fraude, tolérée par les autorités de la sous région, ne présente aucun danger.
- La criminalité organisée : elle concerne le trafic des cigarettes, des armes, de drogue et l’enlèvement et la séquestration de personnes. Elle est apparue dans la région au début des années 1995 et est l’œuvre de quelques personnes bien connues à Kidal. Les mauvaises langues disent que cette fraude se fait avec la complicité de certaines hautes personnalités à Bamako (et même de la sous région).
Le poids de la fraude dans ce dossier est important : de nombreux ‘’passeurs’’ de la fraude sont des financiers ou des acteurs directs de la rébellion.
A mon avis, ce compagnonnage ne durera pas longtemps : les narcotrafiquants ont besoin d’un espace libre et tranquille pour mener leurs activités. La présence massive de l’armée dans la zone contrarie cette logique. La poursuite du conflit ralentira donc leurs activités et provoquera des manques à gagner puis des conflits avec leurs commanditaires.
L’attachement d’AG BAHANGA au retrait de l’armée de Tinzawaten traduit cette réalité. L’implication d’étrangers dans le dossier à travers les narcotrafiquants est une nouvelle donne qui ne fera que compliquer une recherche de solution, à cause des intérêts en jeu. Le Mali doit donc mettre en jeu ses amitiés dans la sous région.
Q14 : Quel est (ou quels sont) le ou les projets de société ou politiques dont les rebelles seraient porteurs?
Jusqu’à ce jour, aucune revendication politique n’a été publiquement soumise sur la place publique.
Q15: Comment les populations concernées apprécient elles le mouvement? Y- a- t-il une adhésion ou un désaveu, une lassitude? Par qui et où?
Personne n’a jamais demandé aux populations leur avis. Ni AG BAHANGA avant de prendre les armes, ni le gouvernement avant de négocier avec lui. Elles sont donc prises en otage par deux puissances contradictoires. Et elles supportent les effets collatéraux du conflit.
Je ne crois pas me tromper en affirmant que les populations de Kidal sont fatiguées de ces soulèvements sans raison et sans lendemain. Elles souhaitent qu’on les laisse vivre en paix dans leur brousse derrière leurs troupeaux et avec leurs problèmes dont la résolution n’intéresse en réalité personne.
Quant aux cadres, chefs de fractions et élus de la région, ils ont publiquement condamné le soulèvement. Et beaucoup se sont impliqués pour trouver une solution définitive à cette crise qu’ils désapprouvent.
Q16: Quel rôle jouent les élus dans ce conflit? Ont-ils assuré leur rôle d'élus?
Il y a deux catégories d’élus : ceux qui sont du côté du pouvoir (peu nombreux) et ceux qui sont du côté de la rébellion.
Je trouve personnellement regrettable que des députés ou des maires que les populations ont choisis pour gérer leurs problèmes prennent les armes contre l’Etat dont ils sont chargés de représenter l’image.
A mon avis, ils n’ont donc pas assuré leur rôle d’élus et de responsables. La question est de savoir si ces élus comprennent seulement leur rôle d’élus ? A mon avis la réponse est non.
Q17: Que pensez-vous de l'initiative de Bamako colloque "Paix, sécurité et développement en Afrique" Le cas de la région sahélo saharienne? (du 8 au 10 septembre prochain)
Ce colloque est le bienvenu. Il ne résoudra certainement pas le problème mais il peut permettre de le comprendre. Je pense aussi que les colloques et les forums ne servent pas à grand-chose : c’est en interne que le Mali trouvera une solution à ses problèmes.
Q18 : Quel sont le rôle, le positionnement et l'impact des medias (nationaux et internationaux) dans la crise actuelle au Mali? Comment pourraient-ils influencer positivement les crises et les processus de paix?
Il n’y a qu’à se rappeler la Radio des Mille Collines au Rwanda de 1994 pour comprendre le danger que peuvent constituer des medias malveillants en période de crise. Ou certains journaux maliens de la même année.
Les medias doivent faire l’option de la paix et ne pas pousser le pays à la déchirure.
Q19 : Comment les anciens empires ont gouverné la partie nord du Mali ?
Je pense que les empereurs de l’époque se sont appuyés sur des rois ou chefs locaux qui les représentaient auprès des populations. Nos empires étaient organisés en provinces dirigées par des représentants de l’empereur.
Cette implication locale a permis de stabiliser l’ensemble.
Il ne faut cependant pas penser que le pouvoir de Bamako peut administrer le pays comme le faisaient les empereurs du moyen âge.
Q20 : Quel est le bilan (succès et échecs) des conflits successifs au Nord du Mali depuis l'indépendance?
On ne peut pas faire ce genre de balance. Je pense cependant que le Mali démocratique doit beaucoup à la rébellion de 1990 au moins pour deux raisons :
- elle a affaibli le régime de Moussa Traoré et a démontré qu’il n’était pas invincible, ce qui a motivé les ‘’démocrates’’ à l’affronter de face à Bamako : de ce point de vue, la rébellion a compté dans la chute de la deuxième république ;
- elle a ‘’accouché’’ du Pacte National de 1992 qui fut le socle de la loi sur la décentralisation. Si beaucoup de pays de la sous région prennent notre décentralisation pour un exemple réussi (dans son contenu au moins), cela est le fruit du Pacte National de 1992. Je rappellerai à ce sujet que le Projet de loi qui nous avait été soumis à l’époque par le gouvernement lors de la réunion de décembre 1991 à Mopti ne conférait aux collectivités que le pouvoir d’organiser les voiries et le ramassage des ordures ménagères.
Comme échec, je trouve que le gouvernement, entre 1992 et 2002, n’a pas accepté de gérer le problème sur le long terme : au lieu d’accompagner la paix en impliquant positivement les démocrates et les acteurs de la rébellion, le pouvoir central a joué à la division et au clientélisme politique. Résultat des courses : les structures décentralisées ont été confiées à des gens sans aucun idéal politique. On a récolté donc ce que l’on a semé.
Entre 1992 et 2002, il n’y a pas une région du Mali où le pouvoir central a autant contribué à pervertir le combat démocratique du peuple malien que dans la région de Kidal. C’est là un échec commun de tous les acteurs (gouvernement et responsables de la rébellion).
source/kidal info
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