vendredi 26 septembre 2008

La représentativité du monde Touareg


Michel Pons - Agadez-Niger- 24-09-08

vendredi 26 septembre 2008

La représentativité du monde Touareg est presque omniprésente et est aussi, loin d’être simple.

Je me suis posé la question du pourquoi ?

Je vous soumets, sans aucune prétention que ce soit, quelques pistes que nous pourrions discuter. Veuillez considérer qu’elles sont toujours – du moins pour moi – à la forme interrogative. Ainsi vous m’enrichiriez au travers de vos réponses. Que les puristes ne m’en veuillent pas trop si je dis des bêtises, j’attends simplement qu’elles soient corrigées. De plus, mon propos quoique très général n’a rien d’exhaustif.

Quatre pistes de réflexion.
- Une histoire singulière ?
- Une identité communautaire discutée ?
- Une difficile intégration économique ?
- Un contexte international défavorable ?

- Première piste : Une histoire singulière ?

L’histoire n’est pas seulement l’antidote du mythe et de la légende (même si on en a besoin et qu’elles soient utiles), elle est aussi un outil indispensable pour essayer de comprendre les fonctionnements et les dysfonctionnements générés par des dynamiques humaines. Celles-ci ne sont pas toujours faciles à décrypter parce que parfois elles sont contradictoires ou se comprennent à plusieurs niveaux et sur plusieurs plans.

Aussi loin que l’on remonte dans le temps - et selon les différentes sources à notre disposition - les différentes composantes du monde Touareg n’ont jamais accepté une autre autorité que celle qu’elles imposaient. L’installation des différentes confédérations au cours des siècles sur ce qui est devenu leur territoire et sur ce qui est considéré encore aujourd’hui par certains comme un espace particulier pour une nation particulière avec une vision politique particulière en est un exemple.

Pourtant, paradoxe, les confédérations forment un ensemble, un corpus culturel, politique, social, économique, bien réel – avec des structures sociales pyramidales ; une langue se déclinant sous plusieurs formes, la Tamajeq ; une écriture : les tifinagh ; des fonctionnements économiques établis : pastoralisme extensif, coups et contre-coups (rezzous), commerce transrégional caravanier, agriculture oasienne, etc … - alors qu’elles ne furent, entre elles, jamais unies durablement semble-t-il !

C’est la colonisation française qui a irrémédiablement fait exploser cette manière de vivre et de voir le monde. Mais pour se faire, il a fallu une longue « pacification » (mot consacré à l’époque) qui s’est heurtée à la fin du XIX°, début du XX° siècle à une farouche résistance avant de se soumettre. Quelques exemples : l’amenoqal Attici de l’Ahaggar ; l’aménoqal Chabboune de Tombouctou ; l’aménoqal Firhun ds Iwellemiden ; le sultan d’Agadès Tagama sans oublier bien sûr Kawesen, Ikaskas de Tamazalak (si je me trompe) sans compter tous les résistants que j’oublie ou ne connais pas.

Donc une histoire particulière - faite aussi de combats face à un oppresseur - qui est fortement ancrée dans la mémoire collective et que je résumerais par ce propos d’Elie Wiesel : « un peuple sans mémoire est un peuple sans espoir ».

- Deuxième piste : une identité communautaire discutée ?

Plusieurs facteurs – semble-t-il - sont à prendre en considération dans le regard que l’on peut porter sur cette possible contestation.

La puissance coloniale qui essaie d’imposer une autre manière de comprendre le monde. Face à cela les Touaregs opposent généralement une résistance multiforme avec les refus de la scolarisation ; de se laisser recenser ; de payer l’impôt, etc ...

Juste avant les indépendances, le refus par la même puissance coloniale d’entrer en matière sur le contenu d’une ou de plusieurs lettres envoyées par les chefs des Confédérations à « Sa Majesté Monsieur le président de la République française ». Sans parler d’une possible lettre particulière envoyée par le Sultan d’Agadès et l’Anastafidet qui leur valurent, semble-t-il, plusieurs années d’emprisonnement pour trahison lors de l’indépendance du Niger.

Un espace de vie divisé entre les nouveaux états (Algérie ; Haute-Volta ; Libye ; Mali ; Niger), toujours remis en question avec le temps, soit par la gestion administrative de chaque pays, soit par les sévères aléas climatiques ou les différentes politiques de développement.

L’éclatement - engendré par l’évolution - des structures sociales entraînant de fait une contestation des rôles et des fonctions traditionnelles au sein de la société touarègue.

- Troisième piste : une difficile intégration économique ?

Sous toute réserve, il me semble que cette difficile intégration économique peut être comprise au travers des différents éléments :

Le refus historique de la scolarisation imposée par le colonisateur, hypothèque pour plusieurs décennies la capacité d’adaptation et d’innovation que réclame le monde moderne.

La méfiance, toute aussi historique, des pouvoirs succédant au colonisateur, entraîne un développement national à plusieurs vitesses.

La défiance des contribuables face au pouvoir central qui considèrent que leurs impôts ne leur profitent guère et iraient plutôt ailleurs que dans les zones septentrionales qui sont les leurs.

Une impossible capacité des économies pastorales traditionnelles à faire face et à s’adapter. Ou pour dire les choses encore plus lapidairement : que peut faire le chameau face au Caterpillar !

Et, actuellement, une résistance armée au pouvoir central dont le projet n’est, (si j’ai bien compris ce que j’ai lu) ni identitaire ni sécessionniste ni autonomiste ou régionaliste mais voulant clairement s’inscrire dans des perspectives réformatrices nouvelles avec une autre gestion de la démocratie, une plus grande justice sociale et une redistribution plus équilibrées des retombées économiques.

- Quatrième piste : un contexte international défavorable ?

On peut relever quelques indicateurs qui ont certainement une importance ; fut-elle relative.

Dans toutes les pays de par le monde, les nomades sont considérés comme des empêcheurs de tourner en rond. Aujourd’hui le sujet reste d’actualité. Deux exemples : les Chinois veulent absolument sédentariser les Mongols et l’Union Européenne se soucient des Roms que leur mobilité inquiète.

Les différents pays autres que le Mali et le Niger règlent la question Touarègue chacun à leur manière. L’Algérie par l’assimilation, le Burkina-Faso en faisant tout pour sauvegarder sa paix intérieure, la Libye de part son régime extrêmement autoritaire et ses puissants revenus pétroliers jugule, quant à elle, toute tentation séparatiste sur son territoire.

Le Niger est extrêmement riche – ou pour nuancer, peut être potentiellement très riche – grâce, entre - autre, à son uranium. Beaucoup d’états le courtisent et la France a perdu son quasi monopole. Aussi les permis de prospection et d’exploitation du minerai explosent. Ce serait même un nouvel El Dorado au dire de certains. De ce fait il se découvre de nouvelles amitiés liées entre elles par un intérêt commun : l’exploitation et la rémunération des différentes ressources extraites du sous-sol nigérien.

Il semble, que les populations vivant sur ces territoires devenus miniers ne furent ni consultées ni associées au développement de cette nouvelle économie. Bien plus, pour certaines d’entre-elles, elles en auraient été littéralement chassées.

Certains pays comme les USA considérant le Sahara comme le sanctuaire d’extrémistes religieux y portent une attention toute particulière ainsi que sur ses populations.

D’autres pays, riverains comme l’Algérie et la Libye en font un terrain de chasse idéologique et de démonstration diplomatique, quand pour le second, un espace particulier de déstabilisation politique.

La Chine, qui ne s’embarrasse d’aucun sentimentalisme ni de complexe post-colonial, en constante recherche d’indépendance énergétique, s’invite en Afrique en général et au Niger en particulier avec une élégance parfois très discutée.

- Pour conclure.

J’ai essayé de comprendre le pourquoi de la question sur la représentativité du monde Touareg. Je n’ai pas de réponse, mais seulement je propose quatre hypothèses très provisoires.

- La première hypothèse.

Elle peut vous paraître choquante, aussi par avance, je vous en demande pardon. Le monde Touareg – du moins pour une partie, fut-elle infime – est tourné vers un passé révolu. Je m’explique. Pour faire face aux défis contemporains il faut résolument se tourner vers l’avenir et s’en donner les moyens (dont l’éducation et la formation). Il ne s’agit pas de renier ses valeurs primordiales et ancestrales, mais au contraire de les valoriser encore plus parce qu’elles sont constitutives de la personne et de la communauté. Donc leur adaptation pacifique au monde d’aujourd’hui ne peut qu’être un plus pour tous.

- La seconde hypothèse.

La grande question qui reste certainement en suspens encore maintenant n’est t-elle pas celle la déclinaison de l’identité touarègue sans pour autant se sentir aliéné par l’entité nationale ? L’une et l’autre, se situant sur des plans différents, ne sont ni contradictoires ni antinomiques bien que pour certains cela ne soit pas toujours facile à vivre.

- La troisième hypothèse.

C’est dommage qu’il faille – à tort ou à raison, je le répète – que les armes parlent. L’intérêt bien compris du Niger et de ses populations passe par un rééquilibrage économique entre le nord et le sud (pour faire court). La paix sociale ne peut pas se bâtir sur des désordres économiques fussent-ils engendrés par de puissantes sociétés internationales selon certaines thèses. Tous les indicateurs économiques laissent à penser qu’actuellement – ou pour le moins très prochainement - la République du Niger a entre les mains tous les atouts pour que tous ses citoyens se sentent égaux face à la vie.

- La quatrième hypothèse.

Ce ne sont pas les puissances politiques des autres nations ou les sociétés internationales voire multinationales qui faciliteront la réussite de l’entrée dans le XXI° siècle du monde Touareg. Pour beaucoup, l’image reste – hélas – d’Epinal. C’est oublier un peu trop rapidement que derrière celle-ci, il y a une âme qui vit. Et qu’au travers de cette âme, s’expriment – tous sexes confondus - des intellectuels, des chercheurs, des ingénieurs, des chômeurs, des enseignants, des commerçants, des promoteurs d’un tourisme solidaire,des ouvriers, des éleveurs, des agriculteurs, etc…

Le peuple Touareg, même au Niger, est un et pluriel à la fois. C’est ce qui fait sa force et sa faiblesse. D’où peut-être la difficulté de trouver des leaders charismatiques reconnus de tous.

Nier ses particularités propres est un non-sens. Considérer qu’il puisse se développer sans lien direct avec le pays que l’histoire des hommes avec tous ses aléas a fait sien, est un contre – sens. Lui donner les moyens de faire vivre l’espoir d’un maintenant meilleur tombe sous le sens.

C’est bien pour tout cela que la Paix a aujourd’hui plus que jamais un sens.

Michel PONS
source :Temoust

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