La mort de la Françafrique
par JA08, le 8 Août 2008 à 11:01 (modifié le 08/08/2008 à 12:11)
Le déclin en Afrique de l'influence occidentale en général, et de la France en particulier, est indéniable. L'Occident a allégrement pillé l'Afrique jusqu'aux indépendances, puis chacun s'est contenté de pérenniser son pré carré, au besoin en soutenant les pires autocrates, parfois éclairés comme Senghor au Sénégal, parfois éclairés mais assassins comme Houphouët-Boigny en Côte-d'Ivoire (responsable du massacre prémédité de 4000 à 6000 personnes dans le village de Guébié en 1970). On peut également ajouter que la France s'est faite championne en matière de soutien aux putschistes : le général Gnassingbé Eyadema au Togo (1967), le général Lansana Conté en Guinée (1984), le capitaine Blaise Compaoré au Burkina-faso où la France s'est rendue complice de l'assassinat en 1987 de Thomas Sankara, leader charismatique et éclairée, mais trop communiste aux yeux de Paris. Sans oublier Idriss Déby au Tchad qui ne doit sa prise du pouvoir en 1990 qu'à l'appui de la France... Cependant, ce que l'afro-réalisme et la guerre froide justifiaient, l'effondrement de l'URSS ne le permettra plus, et un vent de protestation souffle alors sur le continent où les dictateurs ont du mal à contenir les aspirations démocratiques. Désormais, les bailleurs de fonds occidentaux, Washington et FMI en tête, la France traînant des pieds, entendent conditionner leurs aides aux progrès démocratiques et aux efforts de bonne gouvernance et de transparence. Indisposés les régimes africains se montrent alors mûrs pour traiter avec Pékin qui lui ne pose aucune condition, et s'abstient de tout discours moraliste. Le « Je t'aime, moi non plus » de la Françafrique en est la parfaite illustration : quand elle intervient, la France se fait taxer de néocolonialisme, quand elle se retient, on crie à l'abandon. France et Afrique ne se comprennent plus. Pire, les Africains pensent déceler chez leurs anciens colonisateurs une grande ingratitude qui les blesse profondément : depuis la dévaluation du franc CFA en 1994 qui a frappé durement les économies de la zone, nombreux sont ceux qui ont dû émigrer pour fuir la misère, et c'est la France bien sûr qu'ils choisissent : l'hostilité qu'on leur réserve là-bas (cités ghettos hier, immigration choisie aujourd'hui, voir à ce titre cet article) détonne à leurs yeux avec l'accueil qu'ils avaient offert aux anciens colons après l'indépendance (sauf en Algérie...) et sans compter le sang qu'ont versé leurs parents pour libérer la France.
De toute façon, combien même la France souhaiterait-elle conserver une influence en Afrique, qu'elle ne le pourrait plus, elle n'en a plus les moyens, ni économique, ni militaire (l'opération Licorne de maintien de la paix en Côte d'Ivoire était très proche de la capacité maximale de projection de toute l'armée française). A la rigueur l'Union Européenne pourrait rivaliser avec la Chine, mais de là à ce qu'elle se mette d'accord sur une politique étrangère commune, il y a loin de la coupe aux lèvres. Et encore plus loin de là à ce que cette éventuelle politique commune fasse preuve de la même souplesse et force de frappe.
Aujourd'hui, les Occidentaux se complaisent à regarder ce continent qu'ils croient à tort en perdition avec misérabilisme, paternalisme et condescendance....alors que l'Afrique se réveille justement, aidée par une Chine qui y voit de merveilleuses opportunités là où nous ne voyons que les ruines de l'époque coloniale, symbole de notre grandeur passée.
Le summum de l'incompréhension est atteint en 2006 quand un certain candidat à la présidence française déclare à Bamako : « Nous n'avons pas économiquement besoin de l'Afrique ». Certes, elle ne représente que 2% de nos échanges, mais quand on sait que l'Afrique, c'est le premier centre de profit d'Air France, que 30% des réserves de pétrole de Total s'y trouvent, soit sa première région de production au monde, ou quand on connaît l'importance incontournable du Niger pour Areva, on ne peut que sourire ! Enfin, comme le dit un éditorialiste africain : « Que serait la France à l'ONU sans les voix de ses anciennes colonies ? »
Pour conclure cette épitaphe de la Françafrique entamée dans la première partie de l'article, je ne résiste pas à l'envie de dresser les apports positifs et négatifs de la politique de la France (et de l'Occident) en Afrique depuis la colonisation jusqu'à aujourd'hui, ensuite à chacun de juger...
Les moins :
Soutien à des autocrates dont certains ont beaucoup de sang sur les mains
Complicité dans de nombreux coups d'état, voire d'assassinat (Sankara au Burkina-Faso), exactions mortifères (Sétif en Algérie, 1945)
Pillage des ressources, équation coloniale classique : l'Afrique exporte à vil prix des produits primaires (les 3 C, Coton-Cacao-Café, entre autres) et importe tous les produits manufacturés. Le continent n'a jamais eu de ce fait ni l'occasion ni l'autonomie nécessaire pour s'industrialiser. En fait, comme je le disais dans l'article « Quand les rivières coulent de la mer vers les montagnes », les capitaux ont toujours coulé de l'Afrique vers le reste du monde !
Un regard condescendant sur les populations africaines, et par le passé, politique de ségrégation
Des grandes compagnies, pétrolières entre autres, qui n'hésitent pas à corrompre les fonctionnaires et dirigeants pour s'assurer des accès privilégiés aux ressources.
Une exploitation des ressources qui se fait/s'est faite parfois/souvent au mépris de l'environnement
Ventes d'armes
Des situations de rentes (pour des entreprises comme Bouygues et Bolloré par exemple) qui ne profitent pas au pays, puisqu'il y a moins de concurrence, moins de proposition...mais tout cela est terminé grâce aux dispositions prises par la Banque Mondiale obligeant les pays à passer des appels d'offre que remporte très souvent la Chine, prête parfois à travailler à perte...
Les plus :
Construction d'infrastructures qui bien qu'orientées vers l'exploitation des ressources profitaient aussi aux populations (chemins de fer, routes, etc)
Construction d'écoles, véritables efforts d'alphabétisation qui n'auraient été possibles sans l'abnégation de milliers d'instituteurs prêts à aller enseigner au fin fond du continent, sans oublier ces Pères Blancs et ces Sœurs au dévouement sans limites. Encore aujourd'hui, si de nombreux Africains viennent étudier en France, ce n'est pas un hasard, c'est le résultat (l'issue louable ?) d'une histoire commune. Et malgré l'essor de la présence chinoise, beaucoup parmi les élites préfèrent toujours envoyer leurs enfants étudier en Europe. Le brain drain que certains dénoncent profitent malgré tout au continent car d'une part même si certains partent, d'autres restent ce qui suffit à rentabiliser les investissements dans l'éducation, et d'autre part, ceux qui partent profitent des transferts de savoirs et ceux qui finissent par revenir le font avec des idées d'entreprises pour leur pays d'origine dans leurs bagages !
Construction de dispensaires à l'époque et encore aujourd'hui, volonté humaniste très forte d'aider ces populations comme en témoigne aussi maintenant l'essor des mouvements humanitaires et autres ONG occidentales (parfois jusqu'à l'excès, cf Arche de Noé)
Parallèlement à la démarche économique purement intéressée de la colonisation existait aussi de façon certaine le sentiment sincère de devoir aider ces populations à rattraper leur retard de développement. Tous ne le partageaient peut-être pas, mais il est indéniable que de nombreux Occidentaux ayant vécu là-bas se sentaient réellement proches des Africains au point de communier avec eux. Les liens culturels très forts qui subsistent, comme la Francophonie, sont là pour en témoigner. Les nombreux métissages aussi, contrairement aux Chinois qui n'envisagent les unions mixtes le plus souvent qu'avec dégoût.
Le vent de moralisme qui imprègne les politiques occidentales depuis l'effondrement de l'URSS indispose les dictateurs, et quoiqu'on en dise, cette pression a contribué a fait émerger une société civile très féconde et dynamique.
Voilà...à chacun de s'en faire une idée, mais l'objectivité chère aux historiens devrait prévaloir, sans parti pris, ni pour ni contre, l'essentiel étant d'appréhender les faits à leur juste mesure et dans leur globalité .
Source : blog de l'appel du 18 janvier 2008
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