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20/06/2011 à 17h:18 Par François Soudan, envoyé spécial
Le roi Mohammed VI a très vite compris que les manifestants ne défilaient pas contre lui. © AFP
Le Maroc n’est pas épargné par le vent de contestation qui balaie la région. Mais en prenant très tôt la mesure des revendications et en annonçant de vastes réformes constitutionnelles, le roi Mohammed VI a su reprendre l’initiative.
La scène se déroule à Rabat, courant mai. Un haut fonctionnaire américain, venu de Washington s’informer sur les effets des révolutions arabes au royaume de Mohammed VI, est reçu par un responsable marocain très proche du Palais. Pédagogue et convaincant, ce dernier détaille à son hôte le calendrier des réformes énoncées dans le discours royal du 9 mars : « Une avancée majeure de notre système politique. »
Le visiteur écoute, visiblement impressionné, mais une question le taraude. « Tout cela est bien beau, dit-il, mais pensez-vous vraiment que le Makhzen va se laisser faire ? » Réponse de son interlocuteur : « Vous avez devant vous un pur produit du Makhzen. Alors concluez. » Cet échange résume assez bien la position dans laquelle se trouve le roi lui-même, en ce quatrième mois du « printemps marocain » : à la fois gardien du Trône, donc de la tradition, et vecteur principal du changement, donc de la modernité. L’équilibre qu’il incarne a de quoi dérouter la plupart des observateurs, surtout quand on sait que le fils de Hassan II a toujours préféré l’action à la communication.
Comment le monarque et son entourage, c’est-à-dire le noyau dur du pouvoir, ont-ils géré le vent de contestation venu de l’est ? Un scénario idyllique, colporté par quelques courtisans aux réflexes usés, voudrait que toutes les réformes, en particulier celle de la Constitution, aient été concoctées de longue date, planifiées bien avant les révoltes arabes et leur avatar marocain (le mouvement du 20 février), étant bien entendu que la monarchie alaouite, omnisciente et visionnaire, ne saurait agir sous la pression de la conjoncture, encore moins celle de la rue. Une fable, bien sûr.
Certes, le processus de régionalisation impliquait un toilettage constitutionnel, lequel devait intervenir courant 2011, mais le projet qui sera soumis à un référendum le 1er juillet dépasse par son ampleur tout ce que les Marocains pouvaient imaginer. Les jeunes du 20 février sont passés par là. Et même si nul ne reconnaîtra ouvertement que leur mobilisation initiale a suscité une certaine nervosité dans les cercles du pouvoir, toute l’intelligence de M6 a été de réagir en chef d’État capable de s’adapter à une situation qu’il n’avait pas prévue. Il aurait pu, après tout, ne s’en tenir qu’aux statistiques, puisque ce mouvement dont la capacité de rassemblement à travers tout le pays n’a jamais dépassé, de source diplomatique à Rabat, 150 000 personnes (le 20 mars) est, à l’échelle du Maroc, très minoritaire et assez peu représentatif. Il aurait pu, aussi, céder à la tentation des contre-manifestations et jeter dans la rue des centaines de milliers de gens comme le Makhzen, justement, sait si bien le faire.
Deux fronts
Mais le roi a très vite perçu que les marcheurs du 20 février ne défilaient pas contre lui et que leur légitimité ne venait pas de leur nombre, mais du fait qu’ils disaient tout haut ce que beaucoup de Marocains pensent tout bas : non à l’arrogance, au mépris, à la corruption, au clientélisme et à la mal-gouvernance. En ce sens, le discours historique du 9 mars et la consécration constitutionnelle imminente d’un État de droit doté d’une justice indépendante, d’un Parlement et d’un Premier ministre chef du gouvernement doivent beaucoup au mouvement du 20 février. En clair, sans le 20 février, il n’y aurait pas eu le 9 mars.
Sans le Mouvement du 20 février, il n'y aurait pas eu le discours historique du 9 mars.
Depuis lors, le pouvoir marocain – en réalité, le Palais – avance sur deux fronts. Celui de la nouvelle Constitution tout d’abord, dont la Commission consultative de révision est présidée par un juriste prudent et respecté, de sensibilité sociale-démocrate, ancien professeur du roi à la faculté de droit de Rabat, Abdeltif Menouni. Sur ce terrain, les partis politiques priés de soumettre leurs propositions n’ont guère répondu aux consignes d’audace données par M6. Tous reprennent les grandes lignes du discours du 9 mars et tous ou presque évitent les sujets glissants comme l’abolition de la peine de mort ou le droit de vote pour les Marocains émigrés – lesquels représentent 11 % des électeurs potentiels. Dans un pays où près des deux tiers du corps électoral a déserté les urnes, l’offre politique classique portée par des dirigeants souvent âgés et aux références datées paraît en décalage tragique tant avec les jeunes manifestants qu’avec le souverain lui-même.
Ainsi, les articles 19, 23 et 29, traitant de la Commanderie des croyants, de la sacralité du roi et de l’immunité des dahir et décrets royaux (non susceptibles de recours pour excès de pouvoir), qui figurent dans toutes les moutures constitutionnelles adoptées depuis 1962, ont à peine été abordés dans les contributions des partis politiques. Alors qu’ils sont ouvertement discutés dans la rue, ce qui constitue une nouveauté assez radicale dont M6 a manifestement décidé de tenir compte.
Si le statut d’Amir al-Mouminine (Commandeur des croyants), considéré comme le socle et le fondement de la monarchie et que nul ne remet en question en dehors des islamistes radicaux et de l’extrême gauche, apparaît intouchable, « tout le reste est amendable et reformulable » concède un proche du Palais. Exemple : la sacralité de la personne du souverain n’est pas forcément gravée dans le marbre dès lors que son inviolabilité est, à l’instar des monarques européens, garantie. (Lire ici : Mohammed VI annonce une réforme constitutionnelle réduisant les pouvoirs du roi) In fine, c’est-à-dire quand les dispositions de la nouvelle Constitution adoptée par référendum seront transcrites dans les textes de loi – le processus pourrait prendre trois à cinq ans –, le Maroc devrait avoir à sa tête un roi dont les pouvoirs équivaudront à ceux d’un président français de la Ve République.
La mobilisation s’essouffle
Le chantier de la réforme désormais lancé, reste à gérer l’autre front, celui du Mouvement du 20 février. Minoritaire, on l’a dit, voire marginal, mais symbolique et surtout à forte teneur médiatique. L’analyse du pouvoir est, à ce sujet, linéaire : le mouvement a rempli son rôle historique, place maintenant aux choses sérieuses. Chiffres – leurs chiffres – à l’appui, les « sécurocrates » estiment que le 20 février est victime d’une triple évolution : raréfaction, radicalisation et préemption. Selon eux, l'une des dernières démonstrations nationales, le 5 juin, a certes touché 180 villes du pays, mais elle n’aurait pas rassemblé plus de 20 000 manifestants au total, huit fois moins qu’il y a trois mois. Même si son ampleur varie suivant les sources, cette baisse de la mobilisation est confirmée par la plupart des observateurs, ainsi que par les diplomates en poste à Rabat. (lire également : Maroc : manifestations contre le projet de réforme constitutionnelle)
En même temps qu’il s’étiole, le mouvement serait progressivement pris en main par les islamistes d’Al Adl wal Ihsane (l’association Justice et Bienfaisance, non reconnue, du cheikh Abdessalam Yassine), désormais majoritaire au sein de cortèges où figurent aussi quelques militants salafistes, et par le parti d’extrême gauche Annahj Addimocrati (La voie démocratique), lequel contrôle pour l’essentiel l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). Une double OPA assez peu consensuelle – les frictions entre islamistes et gauchistes, que tout ou presque sépare idéologiquement, sont fréquentes – qui ne laisserait que peu de place à la pureté originelle des révoltés du 20 février, parmi lesquels les altermondialistes d’Attac-Maroc, présents notamment à Tanger, tentent de se faire une place.
Le pouvoir fait tout pour éviter un Bouazizi marocain. Le cheikh Yassine n'attend que cela.
Là encore, cette évolution est accréditée par la majorité des analystes. « Déplacement du lieu et de l’horaire des manifestations afin de les faire coïncider avec la sortie des mosquées dans les quartiers populaires, radicalisation des slogans, recherche de martyrs… Al Adl wal Ihsane a pris en otage le 20 février », assure un ambassadeur européen pour qui l’explication est simple : « Les disciples du cheikh cherchent à remplir le vide organisationnel du 20 février et ils savent qu’une réussite des réformes consacrerait leur exclusion du jeu politique. »
Cette contraction progressive du mouvement de protestation induisant son inéluctable marginalisation, la tâche du pouvoir en est apparemment facilitée. Mais rien n’est aussi simple. Tout cela se déroule en effet sous l’œil attentif de la communauté internationale et le prisme souvent déformant des médias étrangers. Le Palais, qui accorde une grande importance au jugement de ses partenaires occidentaux, marche donc sur des œufs, d’où l’alternance de chaud et de froid, de laxisme et de fermeté observée depuis quatre mois dans le comportement des forces de l’ordre. Au début, elles ont laissé faire, y compris la casse et les quelques pillages survenus en marge des manifestations.
Fin avril, changement de ton. Les islamistes commencent à tenir le haut du pavé, et le ministre des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri, fait savoir aux diplomates accrédités au Maroc que la récréation est terminée. Sa Majesté a défini le 9 mars une feuille de route qui répond largement aux revendications de la rue, dit-il en substance, nous comptons sur vous pour expliquer à vos gouvernements que réforme et désordre sont incompatibles. Les 15, 22 et 29 mai, trois manifestations interdites sont violemment réprimées par la police, surtout à Casablanca, Tanger et Rabat. Il y a des blessés, des interpellations, souvent de courte durée, et l’hebdomadaire TelQuel titre : « Le Makhzen contre-attaque ».
Le 5 juin par contre, rien. Les manifestants ayant évité les quartiers populaires, les forces de l’ordre se contentent d’observer. « J’ai reçu des coups de fil de journalistes européens qui me demandaient : “Mais que fait la police ?” s’amuse un responsable du ministère de l’Intérieur. Ils semblaient désagréablement surpris par l’absence d’affrontements, vous vous rendez compte ? » Signe des temps, dans un pays où la proportion d’internautes atteint les 32 % – soit environ autant qu’en Tunisie et en Turquie, près de trois fois plus qu’en Algérie – et où les vidéos postées sur YouTube font florès, manifestants et policiers se filment abondamment et réciproquement, ces derniers ayant même reçu l’ordre d’enregistrer leurs propres interventions musclées afin de démontrer au besoin que leurs coups de matraques n’avaient rien de létal.
Ne pas faire de martyrs
Le pouvoir a en effet une obsession : surtout pas de mort, l’hypothèse d’un Mohamed Bouazizi marocain tombant sous les balles des forces de l’ordre étant à ses yeux aussi potentiellement dommageable que l’attentat de Marrakech. Depuis le 20 février dernier, une demi-douzaine de rumeurs ont tenté d’imputer à la répression policière des décès ou des exactions dont elle n’était pas responsable. Cinq pilleurs de banque carbonisés à Al-Hoceima, une mère célibataire en conflit avec ses parents qui s’immole par le feu à Souk Sebt, le faux enlèvement d’un adolescent en mal de publicité à El-Jadida, un jeune mort des suites d’un tabassage policier à Sefrou… en 2010, un salafiste de la prison de Salé dont les tortures infligées aux parties intimes se sont avérées être de simples hémorroïdes, etc.
Le décès à l’hôpital Mohammed-V de Safi, le 2 juin, de Kamal Ammari, proche des islamistes d’Al Adl wal Ihsane, en a-t-il fait le premier martyr du 20 février ? Pour les membres du mouvement qui brandissaient trois jours plus tard son portrait dans les rues des grandes villes du Maroc, c’est une évidence. À leurs yeux, comme pour la plupart des médias étrangers, ce jeune agent de sécurité, dont l’agonie a été filmée à l’hôpital par des infirmiers et aussitôt postée sur des sites internet militants, est une victime de la manifestation réprimée du 29 mai à Safi.
La police marocaine ayant acquis sous le règne de Hassan II et même un peu au-delà la réputation que l’on sait, point n’est besoin de preuves : un corps tuméfié suffit. Or force est de reconnaître qu’il existe une autre version, au moins aussi crédible (à défaut d’être politiquement correcte) que celle-là, et que développe le ministère de l’Intérieur à Rabat. Ammari serait mort des suites d’un accident de cyclomoteur, survenu le 29 mai. D’abord transporté chez un médecin généraliste qui l’aurait mal soigné, il aurait été admis aux urgences de l’hôpital le 2 juin à 8 heures avant de succomber à ses blessures. Quant à la manifestation du dimanche, il n’y aurait tout simplement pas participé. « Dans la liste des blessés et interpellés du 29 mai à Safi rendue publique le lendemain par les islamistes, son nom ne figure pas », assure un haut fonctionnaire.
Les multiples enquêtes – police judiciaire, Conseil national des droits de l’homme, ONG… – ouvertes depuis sur le « cas Ammari » finiront sans doute par dire le vrai. Mais une chose est sûre : dans la bataille de communication qui se joue depuis quatre mois autour des victimes réelles ou supposées du mouvement de protestation, la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) n’entend pas être en reste. Alors que le Mouvement du 20 février « revendique » plusieurs dizaines de blessés lors des manifestations de mai et désormais un mort, la police avance ses propres chiffres. « Nous tenons un décompte précis depuis quinze semaines, explique un haut responsable de la DGSN : 269 policiers ont été blessés lors des manifestations, dont 48 à Tanger, 31 à Marrakech, 16 à Al-Hoceima, 12 à Fès et 123 à Khouribga, la ville phosphatière. Tous ou presque ont été atteints par des jets de pierres à distance, ce qui signifie qu’ils n’étaient pas au contact. »
Histoire de démontrer que les forces de l’ordre n’ont pas le monopole de la violence, notre interlocuteur exhibe des photos, prises par la police, d’émeutiers s’affairant autour de bonbonnes de gaz, « comme à Gdeim Izik, au Sahara, il y a sept mois. Nous avions alors perdu onze hommes. Qui, à l’étranger, s’en est soucié ? »
En cercle restreint
Reste que le Mouvement du 20 février, au-delà de la polémique sur ses capacités réelles de mobilisation, ne se réduit ni à la violence de casseurs marginaux, ni à l’agenda d’islamistes en mal de qawma (« soulèvement »). Le message est ici plus important que le médium et c’est avec trois proches collaborateurs réputés pour leurs capacités d’ouverture que Mohammed VI en a analysé l’essentiel. Le juriste Mohamed Moatassim, conseiller au Palais, est ainsi apparu depuis le discours du 9 mars – dont il a été le rédacteur principal – comme un élément clé du dispositif royal : c’est lui qui dialogue avec les partis politiques sur la réforme de la Constitution. Idem pour Mohamed Yassine Mansouri, patron de la Direction générale des études et de la documentation depuis 2005 et premier responsable sécuritaire du pays, discret, minutieux et pondéré. Mohamed Rochdi Chraïbi, directeur de facto du cabinet royal et ancien condisciple de M6 au Collège royal comme Mansouri, complète le trio. Ce Fassi travailleur et disponible qui a connu des aléas semble être pour de bon revenu en grâce depuis juillet 2010, et il est omniprésent derrière le roi.
Les chefs de partis politiques ont été pris de vitesse par l'accélération de l'Histoire.
Aucun de ces trois-là n’a été conspué par les manifestants du 20 février, ce qui n’est pas le cas évidemment de Fouad Ali El Himma, « l’ami du roi », ni de Mohamed Mounir El Majidi, secrétaire particulier du souverain et gestionnaire de la fortune du Palais. Même si le premier demeure proche du « boss » et si le second a, de l’avis général, réussi fin mai à organiser avec succès un festival Mawazine, qu’il coache depuis l’origine, leur surexposition médiatique négative se paie d’une mise à l’ombre aux allures de traversée du désert. C’est donc en cercle restreint que M6 fait face à une situation d’autant plus complexe qu’il n’a guère d’interlocuteurs : les chefs des partis ont été pris de vitesse par l’accélération de l’Histoire, et ce qui reste du 20 février est soit noyauté par des forces situées hors du champ politique, soit désespérément acéphale.
Justice
Le roi, qui a récemment fait une tournée triomphale dans l’Oriental, est sorti intact de ces mois de turbulences. Même si la fronde n’a pas épargné son entourage, il est toujours aussi populaire et ce n’est pas là le moindre des paradoxes marocains. Le peuple veut la révolution avec lui et, dans la tourmente du « printemps arabe », M6 fait sa révolution autrement, réactif, à l’écoute, mais aussi sur le long terme. À ce sujet, une information riche de conséquences est passée inaperçue hors du royaume. Le 10 mai, les six monarchies du Conseil de coopération du Golfe ont officiellement invité le Maroc à rejoindre leur club.
Une adhésion en forme de donnant-donnant, Rabat apportant son expertise sécuritaire en échange d’un pétrole moins cher et surtout de vastes perspectives d’emplois, bien au-delà des milliers d’émigrés marocains revenus de Libye. Mohammed VI n’a évidemment pas dit non à cette opportunité. Une Constitution, fût-elle plus démocratique, et des élections, fussent-elles transparentes, ne créent pas de travail. C’est sur le terrain du développement, du social (pour lequel l’équivalent de plus de 2 milliards d’euros de crédits supplémentaires a été débloqué ces trois derniers mois) et de la justice sociale que se joue vraiment l’avenir du Maroc. Il l’a toujours pressenti. Depuis le 20 février, il le sait.
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Par François Soudan, envoyé spécial à Rabat.
Cet article a été publié dans le J.A. n°2631.
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UraMin et Areva
Si un pôle minier était constitué en France, il resterait petit au regard des géants mondiaux et sa croissance externe serait déterminante.
Avons-nous dans le domaine de l’acquisition de ressources minières perdu les compétences comme le suggérait le 21 avril 2011 un article de « Paris Match » à propos de la société nationale Areva ou bien manquons-nous d’un pôle minier offensif ?
Qu’apprenons-nous à la lumière de la dernière grande opération d’acquisition française : l’uranium d’UraMin ?
Explorer ou acheter
L’exploration est la clef de l’avenir minier ; c’est une dynamique maison (nos géologues découvrent), ou bien un achat sur étagère (nous achetons des gisements bons pour exploitation mais découverts par des sociétés exploratrices) : d’un côté, le géologue chanceux qui est le premier sur un bon gisement, de l’autre, l’étude d’une société exploratrice pour ne l’acheter ni trop cher, ni acheter une promesse fantôme.
15 juin 2007
Le 15 juin 2007, l’actualité politique française était chargée, mais la société nationale choisissait cette seconde option pour accroître ses ressources en uranium : elle lançait une OPA amicale sur l’entreprise UraMin cotée à Londres et Toronto. C’était une société exploratrice avec, non pas un grand gisement concentré sur une zone, mais, peu de temps avant l’OPA, des propriétés réparties dans cinq pays d’Afrique : Trekkopje en Namibie, Bakouma en Centrafrique, Ryst Kuil en Afrique du Sud, Saraya au Sénégal, Kamas et Dabala au Niger.
Evaluation des gisements et faisabilité du projet minier
UraMin, société exploratrice, n’avait jamais produit d’uranium et il se disait qu’elle détenait environ 98.000 tonnes d’uranium sur ses propriétés. Inventorier les gisements, différencier les ressources géologiques des réserves économiques était essentiel.
En Namibie, le 8 mai 2007, UraMin confirmait un gisement à faible teneur contenant 50.000 tonnes d’uranium à Trekkopje. Elle annonçait financer ce projet de 461 millions de dollars en partie via un placement privé qu’elle avait annoncé le 23 février 2007 : elle levait 225 millions de dollars pour une mise en production dès 2008.
En 2011, de Trekkopje, la société nationale envisage de produire 3.000T/an pendant 12 ans, soit 36.000T. La production était repoussée récemment à 2013 car le procédé de production qu’elle envisage, la lixiviation en tas, est innovateur, pionnier (1Milliard de dollars d’investissements) mais il n’a pas encore totalement quitté le stade de la R&D. Arroser dans le désert des tas de minerais n’est pas une chose aisée : les variations de température, d’hygrométrie et la récupération du minerai riche sont autant de défis.
En République de Centrafrique, les 19.000T d’uranium de Bakouma, bassin découvert par la Cogema dans les années 1960, étaient-ils certifiées comme à Trekkopje ? L’étude de faisabilité butera-t-elle sur le coût logistique (routes, ponts, chemin de fer….) ? La production commencera-t-elle en 2014-2015 ? Le lendemain de l’annonce de l’OPA, UraMin n’indiquait-elle pas dans le « National Post » du 16 juin 2007 : « Production was set to begin in 2008. Mr. Dattels recognized that to build mines, he would have to overcome very poor infrastructure, particularly in the Central African Republic. UraMin is "built to operate" mines, Mr. Dattels said, but talks with Areva turned formal in February and the board decided to sell. »
En Afrique du Sud, les assurances semblaient absentes sur les 29.000T d’uranium ; depuis le 15 juin 2007, des bureaux ont déménagé en Namibie. A ce jour, les gisements du Sénégal étaient et restent inconnus. Pour Kamal et Dabala au Niger, peu importe : le 4 juin 2007, 11 jours avant l’OPA, ces deux propriétés, dont l’exploration était acquise seulement depuis le 8 mai 2007, étaient séparées d’UraMin pour être intégrées dans une nouvelle société, Niger Uranium, créée elle aussi aux Iles Vierges.
A partir des propriétés d’UraMin, la société nationale envisageait de produire plus de 8.000T par an après 2012 : « Les principaux projets d’UraMin, situés en Afrique du Sud, Namibie et République Centrafricaine, offrent une perspective de production annuelle d’environ 18 millions de livres d’U308 après 2012. Areva possède les capacités techniques et commerciales pour mettre ces gisements en exploitation rapidement et commercialiser leur production. » A ce jour, sur les ressources acquises en 2007, 3.000T par an verraient le jour en Namibie, peut-être à partir de 2013 ; une question termine ce premier point : le 15 juin 2007, l’étude de faisabilité (géologie, technique, logistique et économique) était-elle complète ?
Relativisons, ce n’est pas la première fois, ni la dernière, qu’un optimisme minier s’exprime, c’est normal ; comment sans optimisme envisager de tels projets gigantesques ?
Je me souviens d’un président de société minière sud africaine qui promit en 2001 de coruscantes productions de matières stratégiques pour 2006. Elles n’ont jamais été réalisées ; en 2010 les quantités étaient toujours 40 % inférieures aux objectifs de 2006. Dans ce cas, les conséquences furent limitées car les gisements ne furent jamais acquis à un prix exorbitant.
Le prix
L’action UraMin cotait sur le marché londonien environ 50 pence fin 2006, une capitalisation d’environ 300 millions de dollars.
Le « National Post » l’indique, en février 2007 l’intérêt de la société nationale est devenu formel et le 20 février UraMin diffuse l’information qu’elle étudie « ses options stratégiques ».
La vie ne s’arrête pas lorsqu’on évalue sa stratégie, et, quatre mois plus tard, le prix d’UraMin retenu (moyenne des 20 jours de Bourse précédant le 8 juin plus 20 %) est devenu un tout englobant aussi bien des ressources minières, une apparition fugitive, 8 mai-4 juin, de Kamas et Dabala et des placements privés intercalés. En juin 2007, le titre cote plus de 400 pence et le prix de vente est de 2,5 milliards de dollars.
Pour le moment, le ratio des coûts (ces 2, 5 milliards ajoutés au milliard d’investissement de Trekkopje plus les futurs coûts de l’exploitation minière namibienne) divisés par la quantité d’uranium de l’ancien UraMin, qui serait exploitable dans une chaine géopolitico-logistique raisonnable, donne un résultat en $/kg diffusant des ondes dirimantes s’il est comparé au prix de marché de l’uranium.
OPA
La première qualité d’une OPA reste sa tranquillité. Les chiffres donnent le vertige, pendant la période d’étude, l’action UraMin quadruplait, elle était multipliée par huit en 8 mois. Un comportement peccamineux, mais « bonanza » pour les fondateurs, les actionnaires historiques et les autres qu’ils soient à Bruxelles, Genève ou Londres.
De plus, dans l’acquisition d’UraMin (2007) comme dans celle de Weda-Bay par Eramet (2006) on sera étonné de distinguer des constituants homogènes : deal-makers, vecteurs boursiers, faisabilités…
Si l’on avait suivi un investisseur avisé, le capital eu été multiplié par près de 1000 entre une entrée dans Weda-Bay en 2005 et une sortie par UraMin en 2007. Des interrogations sont robustes, mais écourtons ce billet déjà long.
Courte digression avant de conclure. Les mines de la société nationale seraient évaluées entre 3 et 5 milliards d’euros sur une valeur d’entreprise de 10 milliards. Elles n’intègrent sans doute pas les mêmes contraintes : ressources /réserves, richesses des gisements, géopolitique, coût de production… Mais, à la médiane, à 4 milliards d’euros par exemple, à combien seraient comptabilisés les 2,5 milliards de dollars (l’équivalent aujourd’hui de 1,75 milliard d’euros) engagés pour UraMin ?
Dernière digression, un pôle minier c’est bien, un pôle métallurgique c’est bien aussi : l’angle Auber&Duval-Erasteel-Aperam-Constellium permettrait-il des synergies bipolaires ?
Conclusion
La croissance d’un pôle minier en France demandera une vision, des qualités, des compétences et des annales différentes.
Dans le monde des exploratrices, des exemples du passé, parfois tragiques, tels Bre-X Minerals ou bien Southwestern Resources, rappellent que pour croître il ne faut négliger aucune étape managériale : avoir une vision, une connaissance du marché, éviter l’achat au sommet du cycle, respecter la confidentialité et les études itératives de faisabilité, et puis, écouter l’ingénieur résistant : celui qui dit non.
Avons-nous dans le domaine de l’acquisition de ressources minières perdu les compétences comme le suggérait le 21 avril 2011 un article de « Paris Match » à propos de la société nationale Areva ou bien manquons-nous d’un pôle minier offensif ?
Qu’apprenons-nous à la lumière de la dernière grande opération d’acquisition française : l’uranium d’UraMin ?
Explorer ou acheter
L’exploration est la clef de l’avenir minier ; c’est une dynamique maison (nos géologues découvrent), ou bien un achat sur étagère (nous achetons des gisements bons pour exploitation mais découverts par des sociétés exploratrices) : d’un côté, le géologue chanceux qui est le premier sur un bon gisement, de l’autre, l’étude d’une société exploratrice pour ne l’acheter ni trop cher, ni acheter une promesse fantôme.
15 juin 2007
Le 15 juin 2007, l’actualité politique française était chargée, mais la société nationale choisissait cette seconde option pour accroître ses ressources en uranium : elle lançait une OPA amicale sur l’entreprise UraMin cotée à Londres et Toronto. C’était une société exploratrice avec, non pas un grand gisement concentré sur une zone, mais, peu de temps avant l’OPA, des propriétés réparties dans cinq pays d’Afrique : Trekkopje en Namibie, Bakouma en Centrafrique, Ryst Kuil en Afrique du Sud, Saraya au Sénégal, Kamas et Dabala au Niger.
Evaluation des gisements et faisabilité du projet minier
UraMin, société exploratrice, n’avait jamais produit d’uranium et il se disait qu’elle détenait environ 98.000 tonnes d’uranium sur ses propriétés. Inventorier les gisements, différencier les ressources géologiques des réserves économiques était essentiel.
En Namibie, le 8 mai 2007, UraMin confirmait un gisement à faible teneur contenant 50.000 tonnes d’uranium à Trekkopje. Elle annonçait financer ce projet de 461 millions de dollars en partie via un placement privé qu’elle avait annoncé le 23 février 2007 : elle levait 225 millions de dollars pour une mise en production dès 2008.
En 2011, de Trekkopje, la société nationale envisage de produire 3.000T/an pendant 12 ans, soit 36.000T. La production était repoussée récemment à 2013 car le procédé de production qu’elle envisage, la lixiviation en tas, est innovateur, pionnier (1Milliard de dollars d’investissements) mais il n’a pas encore totalement quitté le stade de la R&D. Arroser dans le désert des tas de minerais n’est pas une chose aisée : les variations de température, d’hygrométrie et la récupération du minerai riche sont autant de défis.
En République de Centrafrique, les 19.000T d’uranium de Bakouma, bassin découvert par la Cogema dans les années 1960, étaient-ils certifiées comme à Trekkopje ? L’étude de faisabilité butera-t-elle sur le coût logistique (routes, ponts, chemin de fer….) ? La production commencera-t-elle en 2014-2015 ? Le lendemain de l’annonce de l’OPA, UraMin n’indiquait-elle pas dans le « National Post » du 16 juin 2007 : « Production was set to begin in 2008. Mr. Dattels recognized that to build mines, he would have to overcome very poor infrastructure, particularly in the Central African Republic. UraMin is "built to operate" mines, Mr. Dattels said, but talks with Areva turned formal in February and the board decided to sell. »
En Afrique du Sud, les assurances semblaient absentes sur les 29.000T d’uranium ; depuis le 15 juin 2007, des bureaux ont déménagé en Namibie. A ce jour, les gisements du Sénégal étaient et restent inconnus. Pour Kamal et Dabala au Niger, peu importe : le 4 juin 2007, 11 jours avant l’OPA, ces deux propriétés, dont l’exploration était acquise seulement depuis le 8 mai 2007, étaient séparées d’UraMin pour être intégrées dans une nouvelle société, Niger Uranium, créée elle aussi aux Iles Vierges.
A partir des propriétés d’UraMin, la société nationale envisageait de produire plus de 8.000T par an après 2012 : « Les principaux projets d’UraMin, situés en Afrique du Sud, Namibie et République Centrafricaine, offrent une perspective de production annuelle d’environ 18 millions de livres d’U308 après 2012. Areva possède les capacités techniques et commerciales pour mettre ces gisements en exploitation rapidement et commercialiser leur production. » A ce jour, sur les ressources acquises en 2007, 3.000T par an verraient le jour en Namibie, peut-être à partir de 2013 ; une question termine ce premier point : le 15 juin 2007, l’étude de faisabilité (géologie, technique, logistique et économique) était-elle complète ?
Relativisons, ce n’est pas la première fois, ni la dernière, qu’un optimisme minier s’exprime, c’est normal ; comment sans optimisme envisager de tels projets gigantesques ?
Je me souviens d’un président de société minière sud africaine qui promit en 2001 de coruscantes productions de matières stratégiques pour 2006. Elles n’ont jamais été réalisées ; en 2010 les quantités étaient toujours 40 % inférieures aux objectifs de 2006. Dans ce cas, les conséquences furent limitées car les gisements ne furent jamais acquis à un prix exorbitant.
Le prix
L’action UraMin cotait sur le marché londonien environ 50 pence fin 2006, une capitalisation d’environ 300 millions de dollars.
Le « National Post » l’indique, en février 2007 l’intérêt de la société nationale est devenu formel et le 20 février UraMin diffuse l’information qu’elle étudie « ses options stratégiques ».
La vie ne s’arrête pas lorsqu’on évalue sa stratégie, et, quatre mois plus tard, le prix d’UraMin retenu (moyenne des 20 jours de Bourse précédant le 8 juin plus 20 %) est devenu un tout englobant aussi bien des ressources minières, une apparition fugitive, 8 mai-4 juin, de Kamas et Dabala et des placements privés intercalés. En juin 2007, le titre cote plus de 400 pence et le prix de vente est de 2,5 milliards de dollars.
Pour le moment, le ratio des coûts (ces 2, 5 milliards ajoutés au milliard d’investissement de Trekkopje plus les futurs coûts de l’exploitation minière namibienne) divisés par la quantité d’uranium de l’ancien UraMin, qui serait exploitable dans une chaine géopolitico-logistique raisonnable, donne un résultat en $/kg diffusant des ondes dirimantes s’il est comparé au prix de marché de l’uranium.
OPA
La première qualité d’une OPA reste sa tranquillité. Les chiffres donnent le vertige, pendant la période d’étude, l’action UraMin quadruplait, elle était multipliée par huit en 8 mois. Un comportement peccamineux, mais « bonanza » pour les fondateurs, les actionnaires historiques et les autres qu’ils soient à Bruxelles, Genève ou Londres.
De plus, dans l’acquisition d’UraMin (2007) comme dans celle de Weda-Bay par Eramet (2006) on sera étonné de distinguer des constituants homogènes : deal-makers, vecteurs boursiers, faisabilités…
Si l’on avait suivi un investisseur avisé, le capital eu été multiplié par près de 1000 entre une entrée dans Weda-Bay en 2005 et une sortie par UraMin en 2007. Des interrogations sont robustes, mais écourtons ce billet déjà long.
Courte digression avant de conclure. Les mines de la société nationale seraient évaluées entre 3 et 5 milliards d’euros sur une valeur d’entreprise de 10 milliards. Elles n’intègrent sans doute pas les mêmes contraintes : ressources /réserves, richesses des gisements, géopolitique, coût de production… Mais, à la médiane, à 4 milliards d’euros par exemple, à combien seraient comptabilisés les 2,5 milliards de dollars (l’équivalent aujourd’hui de 1,75 milliard d’euros) engagés pour UraMin ?
Dernière digression, un pôle minier c’est bien, un pôle métallurgique c’est bien aussi : l’angle Auber&Duval-Erasteel-Aperam-Constellium permettrait-il des synergies bipolaires ?
Conclusion
La croissance d’un pôle minier en France demandera une vision, des qualités, des compétences et des annales différentes.
Dans le monde des exploratrices, des exemples du passé, parfois tragiques, tels Bre-X Minerals ou bien Southwestern Resources, rappellent que pour croître il ne faut négliger aucune étape managériale : avoir une vision, une connaissance du marché, éviter l’achat au sommet du cycle, respecter la confidentialité et les études itératives de faisabilité, et puis, écouter l’ingénieur résistant : celui qui dit non.