vendredi 7 octobre 2016


Politique, culture, société, économie, diplomatie

Londres fait son autocritique sur la Libye, Paris persiste et signe

Le terrible coût de l’intervention militaire de 2011

La publication par le Parlement britannique d’un rapport accablant sur l’intervention occidentale en Libye en 2011 a suscité bien des critiques... en France. Alors même que ce pays a été incapable de mener un travail d’analyse comparable et que des éléments accablants portés devant l’opinion publique confirment que le choix de la guerre n’était pas inéluctable et que d’autres moyens d’action existaient pour aider le peuple libyen.
« Dans le monde arabe, tout est plus compliqué que ce qu’on souhaiterait ». Cette phrase n’est pas extraite d’un tabloïde britannique, mais de l’audition de Sir Alan Duncan, secrétaire d’État britannique au développement international en 2011 figurant dans le rapport de la commission des affaires étrangères de la chambre des communes sur l’intervention militaire de 2011 en Libye, Libya : Examination of intervention and collapse and the UK’s future policy options, publié le 16 septembre 2016. Cette petite phrase pourrait d’ailleurs résumer à elle seule la tonalité de ce rapport — dont nombre de conclusions rappellent celles du rapport de la commission d’enquête John Chilcot, paru deux mois plus tôt et qui apportait un éclairage accablant sur l’intervention britannique contre l’Irak en 2003. Il est le résultat d’un travail de recherche et d’auditions réalisées depuis octobre 2015 par les onze membres de la commission des affaires étrangères de la chambre des communes (six députés conservateurs, quatre travaillistes et un membre du parti national écossais). Les principaux responsables politiques, militaires et diplomatiques en poste en 2011, l’ancien premier ministre Tony Blair, trois universitaires reconnus et un journaliste spécialiste de la Libye ont été auditionnés. Le premier ministre en exercice en 2011 David Cameron a pour sa part décliné l’invitation. Des entretiens ont été également réalisés avec des personnalités tunisiennes et libyennes. Les minutes des auditions sont jointes dans leur intégralité au texte.
Ce rapport permet d’obtenir, à partir des témoignages des principaux acteurs de l’époque, des détails précieux sur les processus de décision qui ont conduit à la guerre, les buts de cette guerre et la préparation de l’après-guerre. La totalité des responsables interrogés reconnaissent qu’ils ne disposaient en 2011 que d’une connaissance superficielle des acteurs libyens et des structures sociales et politiques réelles du pays. Plus grave encore, les analyses du ministère de la défense s’appuyaient exclusivement sur les informations diffusées par l’insurrection sur les réseaux sociaux, celles transmises par les opposants libyens de l’étranger et celles des grands médias qui reprenaient souvent la couverture des évènements des chaînes Al-Jazira et Al-Arabiya du Qatar et de l’Arabie saoudite. Tous reconnaissent le manque de renseignements fiables sur la situation et la méconnaissance de ce qui se passait réellement sur le terrain. Interrogés de façon récurrente par les députés sur leur perception du poids des militants islamistes dans l’insurrection, tous les responsables ont affirmé ne pas l’avoir estimé à sa juste valeur, de même que le soutien que leur apportait le Qatar. Malgré tout, le choix d’écarter les options diplomatiques au profit de l’option militaire a été fait très rapidement. Le chef d’état-major des armées affirme avoir été l’un des seuls à attirer l’attention sur l’absence de fiabilité des renseignements disponibles lors des premières réunions du Conseil national de sécurité.

Le « sauvetage » de Benghazi

Sur la question cruciale du sauvetage de Benghazi qui a été mise en avant pour justifier l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant la mise en œuvre de « tous les moyens nécessaires » pour protéger les populations civiles, les avis divergent entre les responsables étatiques et les universitaires auditionnés. Les premiers reprennent bien naturellement la rhétorique officielle de l’époque sur l’imminence d’un massacre de grande ampleur de populations civiles à Benghazi (plusieurs centaines de milliers de morts annoncés), voire d’un « génocide » et n’hésitent pas à rappeler les précédents de Srebrenica ou du Rwanda. Les universitaires George Joffé et Alison Pargeter se démarquent de cette hypothèse en rappelant qu’aucune des villes reprises par le régime aux insurgés (notamment Zawiya et Ajdabiya) n’avait subi de mesure de représailles contre la population civile. Ils mettent également en perspective le fameux discours de Mouammar Kadhafi du 22 février appelant à poursuivre les rebelles « maison par maison », avec ses discours postérieurs qui promettaient la clémence envers ceux qui déposeraient leurs armes. En outre, si Kadhafi a violemment réprimé ses opposants, il n’a jamais procédé à des massacres de populations civiles comme ont pu les perpétrer Saddam Hussein et Hafez Al-Assad. Enfin, la colonne en route vers Benghazi ne comprenait pas plus de 2 000 hommes, majoritairement de jeunes volontaires non aguerris soutenus par une dizaine de chars. Difficile dans ces conditions d’imaginer que cette colonne ait été en mesure de massacrer des dizaines de milliers d’hommes dans une ville de 800 000 habitants disposant déjà de milices bien armées et combattant sur leur terrain. C’est pourtant cette imminence du massacre annoncé à Benghazi qui demeure dans les esprits, justifiant le bien-fondé de l’intervention franco-britannique de 2011 en Libye.
Les quatre bombes lancées par les avions français le 19 mars ayant mis en déroute les forces pro-Kadhafi en route pour Benghazi, le mandat initial aurait pu être considéré comme rempli. L’état-major britannique avait d’ailleurs planifié une pause dans les bombardements pour permettre à l’option politico-diplomatique de se déployer. Le chef d’état-major des armées britanniques fait référence à une perspective clausewitzienne où « la guerre n’est que la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens »1. Cette pause n’a cependant pas été acceptée par l’allié français qui, selon les responsables britanniques, avait déjà pour but de guerre la chute du régime. Le but de guerre britannique serait donc passé en quelques jours de la protection des populations au changement de régime. Ce but est atteint au terme de huit mois de guerre. Selon les termes du chef d’état-major de l’époque : « Cette intervention est un succès tactique qui se révèlera très vite un échec stratégique ».

Des plans irréalistes pour la transition

À la chute du régime et malgré une présence réelle sur le terrain en soutien de l’insurrection, les responsables britanniques n’ont toujours pas une vision claire de la situation en Libye. Les rapports de force au sein de l’insurrection ne sont pas connus et les analyses s’appuient exclusivement sur les contacts avec les responsables du Conseil national de transition (CNT), majoritairement d’anciens hommes d’affaires, juristes, universitaires et opposants de l’étranger non représentatifs des multiples factions de l’insurrection, en particulier des islamistes. La cellule de planification de la transition mise en place au printemps 2011 par les Britanniques, à laquelle participent des experts australiens, italiens, danois et américains travaille avec celle créée par le CNT. Les deux cellules n’ont cependant qu’un ancrage limité en Tripolitaine où les responsables locaux du courant islamiste de l’insurrection préparent déjà l’après-Kadhafi avec le soutien direct du Qatar. Rien ne se passe donc comme prévu à la chute de Tripoli.
La chute du régime entraîne l’implosion des institutions libyennes et la fragmentation des composantes de l’insurrection et les précipite dans une lutte pour le contrôle du pouvoir et des ressources. De l’avis des responsables auditionnés, les jolis plans ébauchés pour la transition étaient des exercices purement théoriques qui se sont révélés totalement irréalistes en l’absence de toute ébauche de consensus politique et de structure institutionnelle. La pensée dominante au sein des services britanniques était basée sur la croyance qu’après la chute du dictateur, la transition démocratique se passerait bien. Interrogés sur ce qu’il aurait fallu faire de plus ou de mieux, les responsables britanniques avouent ne pas avoir de réponse. Certains d’entre eux attribuent l’échec de la stabilisation au soutien qatarien des islamistes libyens.
Quant à savoir si le déploiement d’une force internationale sur le terrain pour désarmer les milices aurait pu contribuer à une stabilisation du pays, aucun des responsables et universitaires auditionnés ne considère cette option comme réaliste. Pour avoir un minimum de chance de s’imposer, une telle force aurait dû compter au minimum 15 000 hommes (hypothèse basse). Il n’existait en outre aucun mandat onusien pour une force sur le terrain dont les Libyens ne voulaient pas et à laquelle aucun pays n’aurait accepté de contribuer. Une même méconnaissance des réalités a conduit quelques mois plus tard à placer tous les espoirs pour la Libye dans le processus électoral de juillet 2012. Là aussi, les choses ne se sont pas déroulées comme convenu et les élections, en l’absence d’institutions, n’ont fait qu’accentuer les lignes de clivage existantes, voire en créer de nouvelles. L’idée selon laquelle la démocratie ne se limite pas à un processus électoral réussi n’est décidément pas encore acceptée par les élites européennes.

Absence d’expertise ?

Tous les responsables auditionnés font également état de la méconnaissance des réalités sociales libyennes et de la situation sur le terrain avant et après le début de l’intervention comme justification du fait que rien ne s’est passé comme prévu. S’il est relativement facile aujourd’hui de déterminer les coordonnées des objectifs militaires et stratégiques d’un pays et d’accumuler les connaissances factuelles sur ses dirigeants, il est plus ardu d’appréhender la complexité des sociétés et des tensions qui les parcourent. Évoquer l’absence ou l’insuffisance d’expertise libyenne disponible pour justifier de mauvais choix permet donc de transférer les responsabilités politiques sur des insuffisances présumées des administrations en termes de personnel et d’organisation.
Il est faux cependant de dire qu’il n’existait pas d’expertise sur la Libye. Des centres de recherche comme l’International Crisis Group — qui ne peut être accusé de sympathie à l’égard de Kadhafi — ont attiré l’attention tout au long de la crise sur les risques d’une intervention militaire dans une guerre civile et sur la nécessité de négocier. Aux États-Unis, les grandes agences de renseignement et le Pentagone étaient initialement contre l’idée d’une intervention militaire en Libye. C’est finalement l’avis de la secrétaire d’État Hillary Clinton qui l’a emporté. Le chef d’état-major des armées britanniques évoque dans ses auditions ses réticences initiales sur l’intervention. Il affirme les avoir exprimées lors de la première réunion du Conseil national de sécurité présidé par David Cameron. Son expertise, comme celle qui aurait pu être apportée par un spécialiste de la Libye lors de cette réunion, s’est heurtée à la volonté politique forte d’entrée en guerre dans un contexte de matraquage médiatique en faveur d’une intervention. Les experts qui faisaient valoir la complexité de la situation libyenne à l’époque étaient en outre souvent tournés en dérision par de nouveaux spécialistes es-révolutions quant au fait qu’ils n’avaient rien vu venir ou que la question des tribus relevait du vieil imaginaire colonial.
Selon ces nouveaux experts, la jeune génération Internet adepte des réseaux sociaux rompait avec cette vision d’une Libye révolue en affichant son désir d’une démocratie « moderne », « à l’occidentale ». Un séjour de quelques jours parmi les jeunes blogueurs de Benghazi se révélait ainsi nettement plus valorisant que des années de recherches obscures. Les responsables britanniques ou leurs services ont fait le choix d’informations et d’analyses qui allaient dans le sens de décisions déjà prises, au détriment des expertises qui pouvaient les remettre en question. En ce sens, l’apparence de collégialité des prises de décision au sein du Conseil national de défense — instauré au Royaume-Uni après la guerre d’Irak de 2003 pour éviter que ne se reproduise le mode de décision opaque adopté alors par Tony Blair — n’a pas permis l’émergence d’un réel débat contradictoire sur les risques et les buts réels de cette intervention.

Le silence de la France

Tout imparfait qu’il soit, ce rapport n’en constitue pas moins un exercice notable d’analyse critique sur les conditions d’entrée en guerre et d’intervention du Royaume-Uni en Libye en 2011. À ce jour, aucun travail similaire n’a été réalisé par les parlementaires français sur l’intervention française, alors même que la France a été beaucoup plus active que le Royaume-Uni. Aucun retour critique n’a été fait non plus par les grands médias français qui, en reprenant sans recoupement les propagandes des insurgés et des médias du Golfe (qataris et saoudiens) ont contribué à la fabrication du consensus pro-intervention dans l’opinion publique.
Ce rapport vient donc confirmer les constantes des interventions militaires et de la guerre d’une manière générale. Celles-ci sont avant tout le règne de l’incertitude couramment dénommée « brouillard de la guerre ». Et pourtant, comme dans l’affaire irakienne quelques années plus tôt, les voies de la diplomatie n’ont jamais été explorées, voire volontairement écartées, justement pour cause d’incertitude sur leur issue. Le ministre des affaires étrangères Lord Hague reconnaît d’ailleurs que Seif Al-Islam Khadafi l’a appelé au début des évènements en se proposant d’inciter son père à quitter le pouvoir et de travailler à une solution négociée ; et qu’il a rejeté cette proposition en expliquant que Saif pouvait ne pas être meilleur que son père. Saif a de même appelé la secrétaire d’État Hillary Clinton, laquelle a simplement refusé de lui parler. Côté français, des tentatives de négociation ont également été tentées avec l’envoi en France de Bachir Saleh — que Nicolas Sarkozy a refusé de rencontrer. Les justifications à ces refus de négocier sont toutes les mêmes : il ne s’agissait que de manœuvres de diversion pour gagner du temps et nous n’avons aucune garantie de succès. L’histoire prouve pourtant que rien n’est moins incertain que l’issue d’une guerre.
Malgré les différences notables entre les personnalités de David Cameron et Nicolas Sarkozy, et de cultures entre les institutions des deux pays, les mêmes décisions ont été prises en l’absence de débats réels. Le 21 février, jour des prétendus bombardements aériens de civils libyens, paraît dans Le Monde une tribune de diplomates qui rejettent sur Nicolas Sarkozy la responsabilité des « déboires » de la politique de la France en Tunisie et en Égypte. Lui et ses conseillers sont accusés d’« amateurisme » et d’« impulsivité ». Devant ses conseillers, le président français ne cesse de répéter que « Kadhafi est un cinglé ». Il est vrai que la personnalité caricaturale de Kadhafi, son lourd passif avec les Occidentaux, la haine que lui vouent les dirigeants arabes du Golfe et son isolement international font de lui une cible idéale. Pour Nicolas Sarkozy comme pour David Cameron, la Libye représente l’occasion idéale de redorer leur image en prenant résolument le parti des valeurs et des peuples et de faire oublier leur incapacité à prendre la mesure de ce qui se joue dans le monde arabe depuis quelques semaines.

Quand BHL devient le chantre de l’intervention

C’est aussi une façon de détourner l’attention de ce qui se passe au Bahreïn où le grand allié saoudien réprime violemment une insurrection populaire sans que la communauté internationale s’en émeuve outre mesure. Après concertation avec son chef d’état-major particulier et le chef d’état-major des armées, Nicolas Sarkozy ordonne ce même jour de déployer des moyens de renseignement sur zone. La logique de guerre est enclenchée et ce ne sont pas dans les conseils de défense, où nul d’ailleurs ne s’avise de le contredire, que les vraies décisions sont prises. Les analyses de l’état-major affirment que l’affaire est jouable. Leur chef est acquis au président et un petit groupe d’officiers y voit l’occasion de se positionner dans des rapports de pouvoir internes.
La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a beau disposer d’une équipe à Benghazi avant même l’arrivée de Bernard-Henry Lévy, c’est ce dernier qui l’appelle directement pour lui proposer de le présenter aux représentants du CNT libyen. C’est enfin, dès le 22 février, le contact direct avec l’allié qatarien qui achève de convaincre Nicolas Sarkozy qu’il est temps d’y aller. Si la personnalisation du pouvoir et la marginalisation des administrations sous Sarkozy sont indissociables de ce processus de décision, on aurait tort de croire qu’une issue différente aurait été possible avec un autre président, tant était fort le consensus en faveur d’une intervention au sein des classes politiques et médiatiques dominantes. La culture de l’intervention militaire en lieu et place de la diplomatie a en effet pénétré les champs diplomatiques, politiques, médiatiques et académiques ces dernières années sur le modèle du mouvement néoconservateur américain. Un processus plus collégial, plus respectueux des logiques institutionnelles sur le modèle de celui qui s’est déroulé au Royaume-Uni aurait donc très certainement abouti à la même décision.

« Service après-vente » défectueux ?

Et si finalement cette affaire ne faisait que mettre en évidence des phénomènes universels de complaisance et de courtisanerie envers l’autorité ? Et l’on pourrait même se hasarder à la comparaison avec ce qui se passait à 2 000 kilomètres de là dans le camp adverse. Dans la tente du guide libyen, les mêmes facteurs humains étaient en effet à l’œuvre : peur de déplaire au chef, d’aller à l’encontre d’une décision déjà prise, d’émettre un avis différent des autres membres du groupe, conditionnement social…
Quant à ceux qui continuent de croire que la situation libyenne actuelle est le fruit d’un « service après-vente » défectueux, ce rapport remet en question l’idée qu’on aurait pu faire mieux ou même différemment une fois la guerre déclenchée. Dans la conception clausewitzienne, la guerre est un acte de violence qui ne peut qu’entraîner une « montée aux extrêmes ». Les conséquences de celle de 2011 sont évidentes et étaient pourtant prévisibles : implosion de l’embryon d’État libyen, fragmentation et militarisation de la société. Et comment imaginer que l’envoi de quelques fonctionnaires onusiens et experts ès élections de plus ou de moins puisse régler ces questions fondamentales ?
N’en déplaise donc à sir Alan Duncan, les choses ne se passent plus comme au temps où l’Empire britannique était en mesure de façonner les constructions étatiques dans le Golfe, cette belle époque où tout n’était pas plus compliqué qu’on le souhaitait chez les Arabes.
1NDLR. Carl von Clausewitz est l’auteur d’un célèbre traité de stratégie militaire intitulé De la guerre.

Libye : Tripoli s’oppose à la proposition de l’UE d’installer des camps de migrants sur son sol


Par Jeune Afrique avec AFP
                     
    
Le chef de la diplomatie libyenne, Taher Siala, a déclaré jeudi 6 octobre que la Libye était opposée à l'ouverture sur son sol de camps de migrants souhaitant rallier l'Europe. Les dirigeants européens avaient fait de cette proposition un moyen de limiter les arrivées via la Méditerranée.
Côté libyens, la proposition de l’UE a été vite expédiée. Un tel projet signifierait que l’Union européenne « refuse d’assumer ses responsabilités et les fasse peser sur nos épaules », a estimé Taher Siala lors d’une réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Vienne.
L’idée est en outre « très éloignée des réalités du terrain » alors que la Libye est toujours déchirée par une guerre civile, a ajouté Taher Siala.
La Hongrie et l’Autriche en première ligne
Certains pays européens, dont l’Autriche et la Hongrie, plaident pour la conclusion avec Tripoli d’un accord permettant le renvoi en Libye des migrants passés par ce pays, à l’instar de l’accord conclu en mars par les Vingt-Huit avec la Turquie.
Parmi les propositions figure la construction de camps géants, financés et administrés par l’UE, où les demandeurs d’asile, refoulés ou non, pourraient et devraient déposer leurs dossiers de demande d’asile en Europe, et y attendre un éventuel feu vert.
300 000 migrants ont traversé la Méditerranée en 2016
Plus de 300 000 migrants et réfugiés ont traversé la Méditerranée depuis le début de l’année pour se rendre en Europe, selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). Une grande partie d’entre eux sont originaires d’Afrique subsaharienne et embarquent en Libye.
Depuis le début de l’année, 3500 personnes ont trouvé la mort en Méditerranée, dont 28 mardi au large de la Libye.
Le pays compte sur son sol quelque 235 000 migrants prêts à partir pour l’Italie, a affirmé fin septembre l’émissaire de l’ONU dans ce pays, l’Allemand Martin Kobler.

COORDINATION DES MOUVEMENTS DE L’AZAWAD (CMA):Communiqué

COORDINATION DES MOUVEMENTS DE L’AZAWAD (CMA).
COMMUNIQUÉ N° 12/CMA/2016.
La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) a pris connaissance par voie de medias de la décision du Gouvernement du Mali d’organiser les élections municipales le 20 novembre 2016.
Cette décision est prise au moment où la CMA dépose sa liste de conseillers régionaux pour la mise en place des autorités intérimaires en vue de doter les régions d’organes chargés d’organiser les élections, préparer le retour des dizaines de milliers de refugiés et de déplacés sans lesquels une élection crédible parait irréalisable.
Aussi, cette décision n’a pas associé toutes les parties signataires de l’accord pour permettre le choix d’une date consensuelle.
La CMA invite le Gouvernement à adopter une démarche plus conciliante pour parvenir à des choix constructifs dans l’intérêt supérieur de la paix.
La CMA en appelle à la vigilance de la médiation internationale afin qu’elle veille au respect des principes de consensus et de concertation dans la prise de décisions liées à la mise en œuvre de l’accord.
Kidal, le 06 octobre 2016
Pour la CMA:
Illad AG MOHAMED.

Mali: vers la mise en place des patrouilles conjointes dans le Nord

RFI 07-10-2016 à 02:10
Au Mali, c’est une nouvelle étape dans la mise en œuvre de l’accord de paix signé en juin 2015. Une mise en œuvre très laborieuse : les patrouilles conjointes dans le Nord et le cantonnement des groupes armés se font notamment toujours attendre, mais les perspectives s’éclaircissent un peu.
La force onusienne de la Minusma lors d’une visite à Kidal, dans le nord du Mali, en septembre 2015.
© Photo MINUSMA/Marco Dormino

La Mission des Nations unies au Mali (Minusma) a enfin reçu la liste des combattants des groupes armés qui prendront part aux premières patrouilles conjointes : 200 noms pour les ex-rebelles de la CMA, autant pour la Plateforme pro-Bamako. L’armée malienne mettra le même nombre d’hommes à disposition.
Ces patrouilles, qui doivent permettre de mieux sécuriser les civils dans le nord du Mali, mêleront de façon inédite les éléments des trois parties signataires de l’accord de paix. Les premières patrouilles concerneront uniquement la région de Gao, avec possibilité d’extension dans la région de Kidal.
Une date à définir
La mission onusienne se dit prête à lancer ces patrouilles conjointes, il revient à présent aux trois parties de s’accorder sur une première date. Une perspective qui ne semble pas très proche, compte tenu des tensions actuelles dans la région de Kidal. Plusieurs affrontements meurtriers y ont eu lieu depuis le mois de juillet, entre la CMA et la Plateforme. Conflit communautaire, selon la Plateforme, volonté de ralentir l’application de l’accord de paix, selon la CMA : à ce jour, si un calme précaire perdure, aucune solution n’a été trouvée.
Quant au cantonnement, prélude au désarmement et à la démobilisation des combattants des groupes armés, il ne semble pas plus près de commencer. Les huit premiers sites ont été construits par la Minusma, qui précise qu’ils sont d’ores et déjà prêts à accueillir leurs résidents. Problème : les groupes armés s’étaient engagés à fournir les listes de leurs combattants à cantonner, et de leurs armes, il y a plus d’un an, ils ne l’ont toujours pas fait. De son côté, il revient au gouvernement malien d’installer officiellement les commissions nationales qui encadreront ce cantonnement et la suite du processus.
http://www.rfi.fr/afrique/20161007-mali-nord-minusma-vers-mise-place-patrouilles-conjointes

Géopolitique-Le poids des intérêts économiques

 

Diploweb -Patrice GOURDIN, le 6 octobre 2016  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF
Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.
Le 1er site géopolitique francophone publie un ouvrage de référence : Patrice Gourdin, « Manuel de géopolitique », éd. Diploweb.com, 2015-2016. ISBN : 979-10-92676-04-4. Voici le chapitre 26 : Le poids des intérêts économiques.
Comme les Grecs de l’Antiquité l’avaient déjà constaté, l’autarcie complète s’avère impossible et toute communauté dépend, dans une proportion variable, de l’extérieur :
« Une cité vient à être pour autant que chacun de nous se trouve non pas autosuffisant, mais porteur de beaucoup de besoins. […] installer cette cité-là dans un lieu tel qu’on n’y aura pas besoin d’importations, c’est presque impossible.
– Oui, impossible.
– On aura donc encore en outre besoin aussi d’autres hommes, qui à partir d’une autre cité procureront à celle-ci ce dont elle a besoin [1] ».

En conséquence, parmi les objectifs de la politique extérieure des États figurent la défense et/ou le développement de leurs ressources, de leursentreprises et de leurs échanges. Cela peut passer par le commerce, qui :
« a son principe et son origine dans l’ordre naturel, en ce que les hommes ont certaines choses en trop grande quantité et d’autres en quantité insuffisante. […] dans la mesure exigée pour la satisfaction de leurs besoins, les hommes [sont] dans la nécessité de pratiquer l’échange, […] l’aide que se prêtent les divers pays par l’importation des produits déficitaires et l’exportation des produits en excédent [2] ».
Mais cela peut également passer par la guerre :
« Il nous faudra nous tailler une part du pays des voisins, si nous voulons avoir un territoire suffisant pour y faire paître et pour le labourer ; et eux, il leur faudra à leur tour tailler dans le nôtre, si eux aussi se laissent aller à une acquisition illimitée de richesses, en transgressant la borne de ce qui est nécessaire. […] Nous ferons la guerre alors [3] ».

À la suite d’Aristote, qui affirmait : « dans ses opérations commerciales, l’État ne doit voir que son intérêt et jamais celui des autres peuples [4] », les mercantilistes (XVIe-XVIIIe siècle) firent des relations économiques avec l’extérieur la base de la puissance des États. Mais dans un rapport inégal : il s’agissait de limiter les importations (notamment de produits de consommation) et d’accroître les exportations. Cela résultait de la conviction que la puissance découlait de la richesse et qu’il convenait donc d’en capter le plus possible et d’en laisser partir le moins possible. D’où la “maxime“ de Josiah Child, directeur de la Compagnie anglaise des Indes orientales de 1674 à 1699 : « Le commerce extérieur amène la richesse, la richesse amène la puissance, la puissance protège notre commerce et notre religion ». Dans cette logique, nombre de souverains encouragèrent et contrôlèrent le commerce maritime ainsi que les activités industrielles, mirent en place une administration solide et renforcèrent la centralisation politique. En ce sens, les politiques interventionnistes contemporaines présentent des caractères “mercantilistes“.
26 – Le poids des intérêts économiques
Patrice Gourdin, Manuel de géopolitique
Edition Diploweb.com
La politique africaine de la France après la décolonisation de 1960 offre un exemple des interactions entre intérêts économiques et diplomatie ou défense. Les relations politiques et militaires privilégiées qu’elle établit alors avec plusieurs de ses anciennes dépendances lui assurèrent, outre une zone d’influence, un réseau d’alliés et des points d’appui militaires, l’accès à des matières premières ainsi que des débouchés et des marchés à ses entreprises industrielles et commerciales. Depuis la fin de la Guerre froide, plusieurs pays viennent disputer à la France les positions acquises : la Chine, l’Inde et les États-Unis. Paris se trouve donc dans l’obligation de revoir sa stratégie et ses pratiques sur le continent africain [5].
Les ressources naturelles, nous l’avons vu, constituent un enjeu majeur des affrontements. Par conséquent, elles influent très fortement sur les relations internationales. Se procurer celles dont ils ont besoin, par le commerce ou par la force, préoccupe en permanence les États, tout comme l’acheminement et la sécurité des routes empruntées. D’innombrables exemples illustrent cette nécessité. En voici quelques-uns.
Parmi les raisons qui amenèrent les États-Unis à mettre sur pied, en 2007, pour la première fois de leur histoire, un commandement militaire régional spécifique pour l’Afrique (AFRICOM), figure la nécessité de sécuriser l’accès aux matières premières, énergétiques en particulier, du continent [6]. Lerapprochement franco-libyen de l’été 2007 fut largement motivé, pour Paris – suivant en cela l’exemple des États-Unis et de la Grande-Bretagne –, par le désir d’accéder aux hydrocarbures et à l’uranium que détient ce pays ainsi que la volonté d’ouvrir aux entreprises françaises un important marché solvable (même s’il a la réputation d’être plutôt mauvais payeur) pour des équipements civils et militaires [7]. La volonté de la France de maintenir sa présence en Afrique, tout comme le renforcement de la présence des États-Unis et l’arrivée massive de la Chine s’expliquent en partie par leurs besoins en hydrocarbures : en 2006, le groupe Total y avait plus de 30 % de ses réserves, les États-Unis importaient 15 % de leur pétrole du seul golfe de Guinée et la République populaire de Chine couvrait 30 % de sa consommation avec ses achats sur le continent africain [8]. La rumeur circulait même, début 2007, que des troupes chinoises patrouillaient dans le delta du Niger pour protéger les intérêts de Pékin au Nigeria. Les États-Unis se rendirent tout aussi coupables que la Russie de l’”indulgence gazière [9]“ blâmée lors des “élections” présidentielles au Turkménistan, en février 2007 : ils ne trouvèrent rien à redire à un scrutin douteux et envoyèrent le secrétaire d’État adjoint, M. Boucher, aux cérémonies d’investiture de M. Berdymoukhamenov. Les Américains n’ont eu de cesse de mener à bien la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan  : il s’agissait, avec l’assentiment des États participants (et la perspective d’un raccordement du Kazakhstan), de briser le monopole d’évacuation du pétrole de la mer Caspienne que détenait Moscou [10]. La construction d’un gazoduc en parallèle jouerait le même rôle et affranchirait la Géorgie d’une dépendance totale vis-à-vis de Moscou. L’entreprise Gazprom est un outil essentiel de la politique extérieure russe. Les livraisons russes de gaz naturel servent à Moscou, depuis 2006, de moyen de pression, comme l’Ukraine, la Géorgie, le Belarus, voire l’Union européenne ont pu le mesurer. Dans ce contexte, la guerre contre la Géorgie, en août 2008, sonna comme un avertissement : la Russie n’entend pas se laisser dépouiller de son monopole sans réagir. LaGrèce, alliée des États-Unis durant toute la Guerre froide, désormais « hésite entre “le grand frère russe“ et l’oncle Sam [11] », en partie du fait de sa coopération énergétique avec Moscou. L’Allemagne, pour son compte, cherche depuis 2006 à diversifier ses approvisionnements gaziers [12]. La rapidité et l’efficacité de la médiation du Brésil et de l’Argentine dans la crise intérieure bolivienne, à la fin de l’été 2008, tint en partie à la dépendance de ces deux pays à l’égard du gaz vendu par La Paz [13]. Quelques mois plus tôt, cette dépendance avait contraint Brasilia et Buenos Aires à financer la modernisation des champs de gaz en dépit de la politique moins favorable aux compagnies étrangères mise en place par le président Evo Morales [14]. LaChine éprouve le plus grand intérêt pour la pacification et la stabilisation de l’Afghanistan car ce dernier est un pivot indispensable pour ses projets économiques. Le recours à des approvisionnements énergétiques venus d’Asie centrale comme l’établissement d’un corridor commercial et énergétique (avec des fournitures venues du Proche-Orient) par le Pakistanimposent de passer par le territoire afghan [15]. Pékin joue également l’apaisement en mer de Chine du Sud et, par l’intermédiaire de la province du Guangxi, a proposé à l’Association des nations d’Asie du Sud-Est la mise en place d’une Organisation de coopération du Golfe du Tonkin [16]. Enfin, si la Chine fit en sorte que le gouvernement du Sri Lanka ne fût pas mis sur la sellette pour les exactions dont les civils furent victimes lors de l’offensive de l’armée régulière contre les rebelles tamouls, en 2009, l’économie y eut sa part : « l’île occupe une position stratégique dans l’océan Indien, au cœur même des routes énergétiques qui approvisionnent l’Empire du Milieu [17] ». La Mongolie, ex-satellite de l’URSS, enclavée, riche en pétrole et en gaz naturel, ne peut en tirer profit faute de capitaux et de technologies. La Russie, la Chine, le Japon et les États-Unis rivalisent pour passer des accords avec elle [18]. Islam Karymov met en concurrence la Russie et les Occidentaux autour du gaz naturel d’Ouzbékistan [19]. Si les États-Unis se heurtent à tant de difficultés pour isoler efficacement l’Iran afin de le contraindre à cesser son programme nucléaire militaire, les besoins énergétiques du Pakistan, de l’Inde et de la Chine n’y sont pas étrangers [20].
Ce qui est vrai du pétrole et du gaz l’est également des autres matières premières : les minerais africains, par exemple, suscitent d’énormes convoitises. Les richesses de la République démocratique du Congo en ce domaine entretiennent même, depuis 1994, la première guerre impliquant un aussi grand nombre d’États africains à la fois. La Chine prend d’énormes risques en investissant dans des pays africains instables, comme la République démocratique du Congo [21], ou à la stabilité précaire, comme le Zimbabwe, parce qu’elle ne peut couvrir autrement ses besoins [22]. L’Indeinvestit également le continent africain pour les mêmes raisons [23]. Qui se souciait, à Kinshasa et à Luanda, de l’appartenance de onze villages de la province de Kahemba, avant que la République démocratique du Congoet l’Angola n’y envoient des troupes ? Peu de monde puisque les limites, fixées en 1910 par un arrangement entre la Belgique et le Portugal, avaient été réaffirmées en 1956. Des Batshokwe, ethnie présente dans les deux États, s’y installaient ou s’y déplaçaient, en vertu de droits coutumiers. Mais des alluvions diamantifères y sont désormais exploitées et, par conséquent, la question du bornage revêt une importance considérable [24]. Durant l’été 2007, le Niger a profité de la hausse – considérée comme durable [25] – des cours de l’uranium – dont il est, avec environ 10 % de la production mondiale, le cinquième fournisseur de la planète – pour desserrer l’étau français et ouvrir son marché à la Chine (avec qui il intensifie les relations économiques depuis 2001 [26]), à l’Inde, à l’Australie et au Canada [27]. Juste avant, le groupe Areva avait racheté le groupe canadien UraMin, détenteur de gisements en Namibie, en Afrique du Sud et en République centrafricaine [28]. Cela ressemblait fort à une classique diversification des sources d’approvisionnement, peut-être destinée à réduire la capacité de pression du Niger, avec lequel la crise couvait depuis quelque temps déjà (expulsion de responsables du groupe durant l’été 2007, au prétexte de collusion avec la rébellion touarègue). Le Cambodge est devenu le “Far East“ de la Chine et de quelques autres pays comme l’Inde : l’inoxydable Premier ministre, M. Hun Sen, a concédé, dans les années 1990, une part considérable des terres les plus riches à des sociétés étrangères, qui peuvent exploiter les forêts et les ressources minières [29]. Cela s’inscrit dans une démarche régionale : Pékin investit méthodiquement l’Asie du Sud-Est dont les États-Unis se détournèrent après la fin de la guerre du Vietnam. Ainsi, les Chinois aménagent-ils des axes de communication (routiers et ferroviaires) en direction de l’océan Indien à travers la Birmanie, en direction du golfe de Thaïlande à travers le Cambodge et la Thaïlande [30]. Les États concernés se trouvent confrontés à un dilemme insoluble : accepter une présence chinoise accrue afin de pouvoir développer leur économie et courir le risque de se retrouver absorbés par leur puissant voisin, ou tenter de préserver leur indépendance et avoir la quasi-certitude de demeurer à l’écart du développement [31]. Alors que la répression de la dictature militaire contre les moines bouddhistes birmans choquait les démocraties, le New York Timesexpliquait comment la junte qui tient le Myanmar dispose d’une forte emprise sur les États de la région (Thaïlande, avant tout, mais aussi Chine,Inde, Malaisie, Singapour, Corée du Sud) : elle leur fournit du gaz, du pétrole, des bois durs, des pierres précieuses et un marché de 47 000 000 de personnes pour leurs produits [32]. Toutes les tentatives de règlement du conflit qui déchire la République démocratique du Congo échouent en partie car il ne s’agit pas d’un affrontement de nature uniquement ethnique : il revêt aussi une dimension économique. Les rebelles hutu réfugiés depuis 1994 contrôlent le tungstène, le coltane et une partie de l’étain du Kivu ; les Tutsi congolais du général Nkunda tiraient également profit de l’étain de la région jusqu’à leur neutralisation fin 2008. Un officiel congolais fit même remarquer que les rebelles « ne sont présents dans aucune zone dépourvue de minerais [33] ». Le Rwanda et l’Ouganda servent de plaque tournante aux trafics, ce qui explique les tensions entre Kinshasa et ces deux pays. Aucune sanction économique internationale ne permet d’enrayer le commerce de ces matières premières et donc, de mettre fin au financement des groupes armés. Il s’agit pourtant d’une condition nécessaire au rétablissement d’une paix durable. Mais serait-elle suffisante, il est permis d’en douter lorsque l’on sait que l’Angola et le Zimbabwe fournissent un appui militaire au gouvernement congolais en échange de concessions dans les mines de diamant et de cuivre [34]. Il semble qu’aucun voisin de la République démocratique du Congo ne trouverait son intérêt dans la paix.
Le commerce et les capitaux font partie intégrante des relations entre États. Les Phéniciens comme les Athéniens puis les Romains, dans l’Antiquité, en firent un outil essentiel de leur puissance et de leur politique extérieure. Les cités marchandes italiennes du Moyen-Âge jouèrent un rôle majeur en Méditerranée et leurs banquiers financèrent tous les souverains européens à un moment ou à un autre. Venise fonda même un empire maritime sur son commerce avec l’empire musulman. Héritière de l’association des marchands germaniques opérant dans le Gotland (1161), la Hanse naquit de l’accord conclu en 1241 entre Hambourg et Lübeck. Ces cités-État s’unirent et d’autres se joignirent à elles pour assurer la sécurité de leurs marchands et de leur commerce en mer du Nord comme dans la Baltique, leur réseau s’étendant de Novgorod à Londres. Leur poids politique et militaire en Europe du Nord fut considérable du XIIIe au XVe siècle. La Hanse affronta victorieusement le Danemark (1367-1370), elle imposa le respect de ses privilèges aux Flamands, aux Anglais et aux Russes, elle éradiqua la piraterie et elle tint tête aux maîtres du Mecklembourg, les Vitalienbrüder. Le Portugal, suivi par l’Espagne, formèrent les premiers empires marchands et coloniaux dès la fin du XVe siècle. D’autres leur emboîtèrent le pas : Flamands d’Anvers puis d’Amsterdam, Angleterre,France… Leur action et les réactions qu’elle suscita influencèrent largement les relations internationales. Citons notamment les corsaires anglais ou français s’attaquant aux navires espagnols, la rivalité franco-anglaise aux XVIIIe et XIXe siècles, les rivalités anglo-américaine et anglo-russe au XIXe siècle, la rivalité anglo-allemande à la fin du XIXe siècle, la rivalité américano-japonaise, voire américano-européenne au xxe siècle. La Syrie s’implanta au Liban, de 1976 à 2005, en partie pour bénéficier des capacités financières et commerciales considérables de ce dernier et y employer une partie de sa main-d’œuvre excédentaire. Alors que la Détente battait son plein, les Occidentaux développèrent les échanges commerciaux avec l’espace soviétique. Depuis la fin des années 1970, la Chine mène sa modernisation et réaffirme sa puissance en jouant notamment la carte du commerce [35]. Les accords postaux, commerciaux et relatifs aux transports signés le 4 novembre 2008 entre Pékin et Taipeh passent pour un signe encourageant de rapprochement entre les deux Chines. Les négociateurs s’accordent sur la nécessité de commencer le réchauffement des relations par l’économie, avant d’aborder les problèmes politiques [36]. D’ailleurs, en créant des interdépendances économiques, notamment dans le cadre de zones de libre-échange, les États membres cherchent à resserrer leurs liens et, le cas échéant, à mettre fin à des rivalités ou des affrontements. L’unification allemande, au XIXe siècle, commença aussi par une union douanière : le Zollverein, lancé en 1834. La réconciliation franco-allemande passa par la construction européenne entamée d’abord sur le terrain économique en 1951. Les États-Unis se rapprochèrent de leurs deux voisins avec la conclusion de l’Accord de libre-échange nord-américain-ALENA, en 1992. En revanche, ces associations adoptent des dispositions moins favorables pour les États tiers et de nouvelles tensions peuvent survenir, comme les litiges commerciauxtransatlantiques entre l’Union européenne et les États-Unis, par exemple. Même avec une Organisation mondiale du commerce-OMC, des problèmes existent car les États ou les groupes d’États défendent des intérêts en partie contradictoires. Il en résulte des affrontements, des compromis et des blocages, tout comme dans des négociations politiques ou militaires. D’ailleurs, l’OMC remplaça, en 1995, la négociation commerciale internationale et permanente mise en place après la Seconde Guerre mondiale par les accords de Genève (1947), le General Agreement on Tariffs and Trade-GATT. Ce dernier résultait de la leçon tirée de la crise économique des années 1930 : l’exacerbation des rivalités commerciales et les entraves au libre-échange qui en résultaient suscitèrent et/ou aggravèrent les tensions entre États. L’ouverture plus ou moins grande des marchés, l’application de taxes douanières plus ou moins élevées constituent des instruments de choix de la diplomatie. L’octroi du bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée permet aux États-Unis de “récompenser“ leurs alliés par un accès facilité à leur marché. Dès la création de la Communauté économique européenne, l’Union européenne, mit en place un système préférentiel au profit de nombreux États en développement (dits Afrique-Caraïbes-Pacifique ou ACP) avec les Conventions de Yaoundé (1963-1974), de Lomé (1975-2003) et de Cotonou (depuis 2003). La dépendance, unilatérale ou réciproque, commande parfois la diplomatie, même si les États n’aiment guère l’avouer. Ainsi, les relations entre l’Union européenne et la Russie ne peuvent ignorer que la première a besoin du gaz de la seconde, tandis que celle-ci ne peut se passer des technologies de celle-là [37].
Denrées vitales pour un pays, les produits alimentaires constituent un élément particulièrement important des relations entre États. Le commerce international des produits agricoles se montre particulièrement sensible à la politique des États et se trouve au cœur de contentieux parmi les plus lourds. Le protectionnisme des uns (Union européenne, par exemple), soucieux d’autosuffisance alimentaire et de stabilité sociale et/ou politique, se heurte au libre-échange préconisé par les autres, qu’ils dépendent largement des importations pour leur approvisionnement (Grande-Bretagne depuis la suppression des Corn Laws en 1846-1848, Japon, Suisse, notamment) ou qu’ils tirent un revenu important de leurs exportations agricoles (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, pour l’essentiel). Les ventes de blé américain à l’URSS symbolisaient la détente au même titre que les accords de maîtrise des armements nucléaires. En dépit de l’amplification du processus de mondialisation de l’économie depuis les années 1980, les échanges de comestibles progressèrent beaucoup plus lentement que le reste du commerce international. Donc, les aléas de la production et/ou l’évolution de la politique d’exportation d’un nombre restreint de pays influe(nt) grandement sur l’approvisionnement des pays importateurs. En 2007-2008, la sécheresse réduisit la production en Australie, des grèves perturbèrent celle de l’Argentine. Le monde dépendait alors de quelques dizaines d’exportateurs, essentiellement les États-Unis, le Canada, le Brésil, l’Inde et la Thaïlande. Il suffit que, avec le Vietnam et onze autres États, ces deux derniers pays décident, afin de garantir et l’approvisionnement de leurs propres marchés et des prix abordables, de restreindre leurs exportations de riz pour que la pénurie et, par voie de conséquence, la forte hausse des prix, s’installent sur le marché mondial. Il en alla de même avec le blé lorsque quinze pays exportateurs agirent également dans ce sens [38].
Les “facilités“ bancaires et fiscales offertes par certains territoires considérés, à cet égard, comme des “paradis“, jouent un rôle sans commune mesure avec la taille souvent réduite (la Suisse, avec ses 41 418 km2, faisant figure de géant dans cette catégorie), des États qui les accordent. Ils renoncent à percevoir des impôts et des taxes sur les entreprises et les personnes physiques enregistrées comme résidentes, ce qui entretient une évasion fiscale considérable au détriment des autres États. Ils n’exercent aucun contrôle sur les transactions des établissements implantés sur leur territoire, ce qui assure la possibilité de donner une existence licite à des revenus illicites comme ceux détournés par les dictateurs, ceux perçus par les dirigeants corrompus et ceux de la criminalité, ou de financer des activités terroristes. Jusqu’à la fin de la Guerre froide, la communauté internationale s’en accommodait d’autant mieux que les principales puissances en profitaient pour financer des opérations secrètes et offrir un sas au pillage exercé par les tyrans “amis“. L’amplification de la mondialisation et son cortège de nouvelles atteintes à la sécurité des États (évasion fiscale massive, spéculation financière risquée, truquage des comptes d’entreprises multinationales, terrorisme international, multiplication des sécessionnismes, crime organisé, en particulier) font que les “paradis“ de cette sorte posent aujourd’hui davantage de problèmes qu’ils ne présentent d’intérêt. Désormais, ils se trouvent pressés de renoncer à tout ou partie de leurs législations dans la mesure où celles-ci permettent de dissimuler des capitaux ainsi que l’identité de leurs détenteurs et de les soustraire aux obligations fiscales et douanières des autres États, ainsi qu’à leurs enquêtes policières ou judiciaires [39]. Les États-Unis, au nom de la lutte antiterroriste, exigent l’assouplissement du secret bancaire suisse ; l’Allemagne et la France, victimes d’une évasion fiscale considérable alors qu’elles peinent à financer leurs dépenses publiques, tancèrent sans ménagement le Liechtenstein [40] ; la crise financière de l’automne 2008 poussa le président de la République française, alors président de l’Union européenne, à s’en prendre publiquement et fermement au Luxembourg. Lors d’une visite dans la Confédération helvétique, fin novembre 2008, le Premier ministre français, François Fillon, déclara : « la Suisse n’est pas un paradis fiscal », non sans ajouter que les différences fiscales pouvaient « générer des malentendus ». Ces derniers pourraient être levés aisément à condition que Berne applique le secret bancaire « de manière raisonnable ». Cette formulation lourde de sous-entendus semble ressortir davantage du tact diplomatique que du certificat de bonne conduite. Nul doute que M. Fillon ne fera pas l’objet d’un qualificatif aussi chaleureux que son homologue luxembourgeois, Jean-Claude Juncker : « un grand ami de la Suisse ». Il est vrai que pour mériter cela, il faut partager des intérêts communs. Or, la Suisse a toujours pu compter sur le Luxembourg :
« “La Commission européenne ne doit pas traiter la Suisse comme l’Irak des Alpes“, affirmait Jean-Claude Juncker en février 2007 – il avait déjà utilisé cette expression en 2002 –, au plus fort de l’offensive de ladite Commission au sujet de la fiscalité des cantons. Le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique ont été, lors de la négociation sur la fiscalité de l’épargne […], les alliés objectifs de la Suisse, avec laquelle ils partageaient des intérêts identiques. Ce sont les exigences de la Suisse qui leur ont permis de revendiquer le même traitement et de conserver le système de retenue à la source sur les intérêts de l’épargne étrangère, en évitant de devoir passer au système d’échange d’informations. Le Luxembourg, plus particulièrement, et la Suisse ont eu des intérêts tout à fait complémentaires et se sont rendu des services mutuels. Le premier, en refusant de lâcher, à l’intérieur de l’UE, quoi que ce soit qui ne pourrait pas être exigé de la Suisse […]. La seconde parce qu’elle avait un allié dans la place lors de ses négociations avec Bruxelles. [… les deux pays partagent] une complète identité de vues sur la volonté de conserver la retenue à la source, et partager une même inquiétude sur les manœuvres britanniques menées en coulisses pour affaiblir les places financières concurrentes [41] ».
Observons que les États-Unis se montrèrent beaucoup plus persuasifs dans leur lutte contre la fraude fiscale puisque, en août 2009, Madame Calmy-Rey (Cheffe du Département fédéral des affaires étrangères) se rendit à Washington comme l’empereur Henri IV alla à Canossa en janvier 1077 [42]. Il est vrai que les poursuites engagées par le fisc américain, avec l’accord de l’administration Obama, faisaient planer une très grave menace sur l’avenir de l’Union des banques suisses-UBS, premier établissement financier helvétique. Désormais, l’Union européenne dispose d’une affaire ayant valeur de jurisprudence et pourrait, si elle estime que c’est son intérêt, lutter contre cette cause d’évasion fiscale.
Déjà, au lendemain de la visite de M. Fillon, Micheline Calmy-Rey, annonçait la volonté de son pays de lutter efficacement contre l’évasion fiscale, le blanchiment et le transfert d’avoirs illégaux [43]. Elle participait à la conférence de Doha sur le développement, et son pays se trouvait à nouveau sur la sellette dans le cadre de la moralisation des flux financiers Sud-Nord : « les pays riches ont certes doublé leurs contributions depuis 2002 – celles-ci ont atteint 160 milliards de dollars en 2007 – mais ce sont entre 400 et 500 milliards de dollars qui prennent le chemin inverse chaque année [44] ». L’opinion publique se montre, en outre, de moins en moins indifférente à cette forme indirecte de soutien à des régimes peu fréquentables, comme en témoignent les accusations de soutien à la dictature de Robert Mugabe au Zimbabwe portées, en juin 2008, à l’encontre de la Barclays Bank (britannique) [45]. Désormais, ce genre d’informations nuisent aux entreprises et poussent les États, bon gré mal gré, à intervenir.
Les communications jouent un rôle dans le destin des États. À cet égard, il faut mentionner les prémices d’un phénomène intéressant : la résurgence duchemin de fer dans les relations internationales. Réalisation emblématique de la première “révolution industrielle“, il fut un instrument géopolitique majeur et certains signes laissent supposer qu’il pourrait recouvrer un rôle important en la matière. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, voire dans l’Entre-deux-guerres, la construction d’un réseau ferroviaire revêtait une dimension économique et une dimension politique majeures. Les deux aspects se complétaient : à l’intérieur, outil de développement, le train servait également à l’unification politique, facilitée par la prospérité partagée ; à l’extérieur, source de profits, il assurait en outre une influence certaine.
Les chemins de fer contribuèrent à l’émergence d’un seul État, là où il y aurait pu en exister plusieurs, faute de lien entre les différentes composantes territoriales. Ainsi, en Amérique du Nord, les lignes transcontinentales arrimèrent au noyau initial de l’est les provinces du centre et de l’ouest des États-Unis. Il en alla de même au Canada. La confédération australienne naquit après l’édification d’un réseau ferroviaire “national“. Les multiples chantiers russes, puis soviétiques, devaient aussi contribuer à l’intégration des différentes régions de cet ensemble de 22 000 000 de km2. Les Chinois procèdent de même avec le chemin de fer qui rattache Lhassa à Pékin depuis 2006. Avant 1870, l’expansion prussienne en vue de l’unification allemande emprunta également la voie ferrée, tandis que, parmi les moyens mis en œuvre par les États du sud de l’Allemagne pour s’y opposer, figurait la création de sociétés publiques “nationales“ de chemin de fer. L’un des objectifs du Transsibérien visait la mise en valeur des richesses sises à l’est de l’Oural, à la fois pour enrichir l’empire et pour calmer la soif de terre des paysans libérés du servage par Alexandre II, en 1861.
L’investissement ferroviaire offrit de multiples possibilités d’influence. Il permit à la Belgique de capter une part du commerce entre l’Europe centrale et la mer du Nord, donc de devenir un intermédiaire indispensable. La Suisseconserva son rôle de carrefour européen en doublant ses axes routiers de lignes ferroviaires et en creusant les tunnels indispensables au raccordement avec le réseau ferré européen (Saint Gothard, Simplon, Lötschberg). Le rail ouvrit des perspectives immenses en matière de domination financière et technologique : il y avait les pays capables de financer, de concevoir, de bâtir et d’équiper un réseau et… les autres. La Grande-Bretagne et la France, principales puissances du moment, dominaient largement en ce domaine. Les Anglais se montraient particulièrement actifs en Amérique latine et dans une partie de l’Europe, les Français dans une partie de l’Europe et en Russie, les Allemands dans l’Empire ottoman, les Français, les Britanniques, les Allemands, les Russes et les Japonais en Chine. Ajoutons les réalisations dans les empires coloniaux, marché captif pour les entreprises des métropoles.
En 1904, Halford Mackinder, dissertant au sujet du “pivot géographique de l’Histoire“, évoquait le lien entre la puissance et le chemin de fer :
« N’est-elle pas la région-pivot de la politique mondiale cette vaste zone eurasiatique inaccessible aux navires, qui dans l’Antiquité était ouverte aux cavaliers nomades et qui, aujourd’hui, est en voie de se couvrir d’un réseau ferroviaire ? Là où ont été et sont les conditions d’une puissance économique et militaire mobile d’un caractère considérable bien que limité. La Russie remplace l’Empire mongol. […] Elle occupe dans l’ensemble du monde la position stratégique centrale […] Elle peut frapper dans toutes les directions et être frappée de tous les côtés, sauf du nord. Le développement complet de sa mobilité ferroviaire n’est qu’une question de temps [46] ».
Le chemin de fer pesa sur les relations internationales à plusieurs reprises. Prenons quelques exemples. Pour s’approvisionner en armes afin de se défendre contre les ambitions de l’Italie et de la Grande-Bretagne, Ménélik II, l’empereur d’Éthiopie, dut chercher un pays disposé à l’aider à rompre son enclavement. Ce fut la France, qui lui octroya un accès ferroviaire à Djibouti par l’accord de 1897. Tronçon après tronçon, l’Allemagne de Guillaume II obtint de l’empire Ottoman la concession d’un réseau qui ouvrait la perspective d’une ligne reliant Berlin à Bassorah, le Bagdadbahn. Cela signifiait la possibilité de rejoindre la colonie allemande de Tanzanie sans dépendre du canal de Suez. Mais cela revenait également à disposer d’importantes réserves de minerais, du riche gisement de pétrole de Mossoul-Kirkouk et à pouvoir approvisionner une puissante flotte de guerre menaçant la route britannique des Indes ainsi que les empires coloniaux anglais et français en Afrique. Si l’on ne peut retenir ce motif comme la cause unique de la Première Guerre mondiale, en revanche, il faut l’intégrer en bonne place parmi les facteurs déclenchants de ce conflit. Même le terrorisme utilisa le train comme vecteur de communication : les nationalistes macédoniens de l’Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne-ORIM, attaquèrent à plusieurs reprises l’Orient-Express pour internationaliser leur revendication d’indépendance. La notoriété des voyageurs de ce train de luxe leur semblait devoir assurer une résonance maximale à leur cause. La Yougoslavie dut affecter plusieurs milliers de soldats à la seule sécurisation de la ligne sur son territoire [47]. Le même train servit également au trafic de drogue entre les deux guerres et l’ORIM contrôlait une part importante des laboratoires qui fournissaient l’Europe occidentale en héroïne [48].
En outre, le train revêtit très vite une dimension militaire. En 1859, dans la guerre qui, en Italie, opposa la France à l’Autriche, la première tira avantage d’une utilisation judicieuse de ce moyen de transport de masse et rapide. L’aptitude de l’un des belligérants à acheminer ses troupes et leur matériel plus vite et en plus grand nombre sur le lieu de l’affrontement constitua un avantage initial sur l’adversaire. La Prusse retint la leçon, confirmée par la guerre de Sécession (1861-1865), et exploita le chemin de fer à son profit à deux reprises : en 1866, face à l’Autriche et, en 1870, face à la France. Donc, bien avant la Première Guerre mondiale, les états-majors avaient compris, sinon tous maîtrisé, l’importance de la logistique ferroviaire. On avait également déjà expérimenté l’utilisation du train comme plate-forme de combat dès la guerre civile américaine et à l’occasion des guerres des Boers (1880-1881 ; 1899-1902). Le train blindé utilisé par Lord Kitchener en Afrique du Sud fut célèbre bien avant celui de Léon Trotski en Russie. Les deux conflits mondiaux en firent une utilisation intensive :
« La Seconde Guerre mondiale fut, plus encore que la Première, une guerre des chemins de fer : seul ce moyen de transport permet de réaliser des transports massifs de troupes et de matériel en utilisant un minimum d’énergie ; il peut, après les destructions par l’ennemi et les attaques aériennes, être rapidement restauré ; enfin, sur les théâtres d’opérations nouveaux, la mise en place d’un réseau peut être réalisée assez rapidement et assurer un ravitaillement régulier du front. Instrument vital de la stratégie et de l’économie, le chemin de fer a constitué un objectif prioritaire des bombardements et des actions de résistance. Tous les réseaux de chemin de fer des belligérants ont dû faire face à des transports massifs d’ampleur et de direction inattendues [49] ».
Moins souvent souligné, le chemin de fer joua un rôle important dans la lutte clandestine et le renseignement en Europe occupée, particulièrement en France :
« — Prenons le train tout de suite.
Wagons bourrés, places introuvables, couloirs où l’on stationne accoudé à la barre d’appui, engorgement de malheureux endormis à même le plnacher, parmi les valises, les paquets, l’odeur de crasse, les courants d’air glacés ou brûlants. C’est la véritable maison du clandestin, pas de fiches à remplir, des contrôles faciles à esquiver. Comme on le dit des navigateurs aériens, le résistant chevronné est millionnaire en kilomètres de voie ferrée [50] ».
N’oublions pas que les totalitarismes ont ajouté un usage criminel du train, celui de moyen de déportation de masse en vue d’une extermination de masse, rapide dans le cas du nazisme, lente dans celui du communisme.
Le transport ferroviaire ne peut toutefois résoudre à lui seul tous les problèmes liés aux déplacements des hommes et des marchandises. Il peut ne pas être adapté ou s’avérer trop onéreux. L’Afghanistan offre l’exemple – unique à notre connaissance – d’un pays qui refusa de s’équiper pour ne pas faciliter une éventuelle invasion. Par ailleurs, l’utilisation militaire demeura limitée : une fois le champ de bataille atteint, ce furent les hommes qui agirent.
Ajoutons que
« la logistique antérieure au chemin de fer restait très empirique, ce qui lui donnait une grande souplesse : il était toujours possible de parquer le bétail et les bêtes de trait lorsque l’on n’en avait pas besoin, et d’acheter ou de réquisitionner du bétail pour remplacer celui qui avait été mangé ou était mort de fatigue. Rien de tout cela n’est envisageable avec le chemin de fer. On ne trouve pas de locomotives dans les cours de ferme, et la mauvaise gestion du matériel roulant pendant la guerre franco-prussienne, où des wagons vides s’empêtrent dans la zone de déchargement, bloquant l’arrivée de wagons pleins sur des kilomètres, donna aux Français une leçon qu’ils n’ont jamais oubliée. Le transport en chemin de fer doit être planifié en temps de guerre aussi rigoureusement qu’en temps de paix, plus rigoureusement même [51] ».
Durant la Guerre froide, le chemin de fer sembla passer aux oubliettes : le monde fracturé rompait certains axes transnationaux ; disposant d’autres véhicules, les opérations militaires n’y recouraient plus guère ; la croissance économique favorisait d’autres modes de transport. Et voici que la fin de laGuerre froide, l’amplification de la mondialisation ainsi que les préoccupations environnementales concourent à le remettre à l’honneur. La Suisse interdit la traversée de son territoire aux camions étrangers et développe le ferroutage, ouvrant peut-être une voie que suivront d’autres États. Les projets visant à relier l’Europe à l’Extrême-Orient se recoupent avec ceux visant à désenclaver les États d’Asie centrale et du Caucase tout en brisant le monopole des transports terrestres eurasiatiques détenu par la Russie. Ainsi de la ligne Bakou-Tbilissi-Kars, qui devrait relier l’Azerbaïdjan à la Turquie via la Géorgie [52]. En se raccordant à Almaty, la Chine facilite la réalisation d’un corridor de fret que certains voient relier le port de Lianyungang à Berlin par Moscou. Alors, l’Asie centrale (re)deviendrait le pivot central de l’Histoire, ce qui contribuerait à attiser les rivalités pour son contrôle !
Parce que la survie ou le bien-être des peuples en dépendent dans une proportion variable, les intérêts économiques poussent de bien des manières les États à agir. Souvent et abondamment évoqués, exposés, analysés, ces motifs ne doivent pas éblouir l’observateur : ils ne sont pas les seuls déterminants d’une crise ou d’un conflit. Il risque d’y avoir quelque paresse intellectuelle à tout expliquer par les seules motivations économiques : une part au moins des acteurs extérieurs peut agir indépendamment de ces dernières, ou n’être mû qu’en partie par elles.
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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES

Quel est le poids des intérêts économiques lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ?
CHAMPS DE RECHERCHE
Outils pour étudier les intérêts économiques motivant une intervention extérieure sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit :
. les ouvrages consacrés à la géographie, à l’économie, à l’histoire, aux relations internationales et au droit.
Les informations recueillies servent à repérer quel(s) intérêt(s) économique(s) peu(ven)t entraîner dans les événements des acteurs extérieurs au territoire. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :
. les ressources naturelles,
. les produits alimentaires,
. le commerce,
. les transports,
. les capitaux,
. les paradis fiscaux.
La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.
Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.
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[1. Platon, La République, Livre II, traduction de Pierre Pachet, Paris, 1993, Gallimard, pp. 115-118.
[2. Aristote, La Politique, Paris, traduction de J. Tricot, Paris, 1987, Vrin, p. 56.
[3. Platon, op. cit., pp. 122-123.
[4. Aristote, op. cit., p. 490.
[5. Bernard Philippe, « La diplomatie française en Afrique au service des intérêts économiques », Le Monde, 21 juin 2008.
[6. McFate Sean, « U.S. Africa Command : A New Strategic Paradigm ? », Military Review, January-February 2008 ; Ayad Christophe & Grangereau Philippe, « Les grandes manœuvres de George Bush en Afrique », Libération, 22 février 2008.
[7. Moran Dominic, « Unseemly Scramble for Libyan Oil », ISN-Security Watch, July 27, 2007 ; Bezat Jean-Michel, « En Libye, Areva souhaite construire un réacteur mais aussi chercher des gisements d’uranium », Le Monde, 29 juillet 2007.
[8. « La bataille de l’énergie », Questions internationales, n° 24, 2007.
[9. Pour reprendre le titre de l’éditorial paru dans Le Monde du 16 février 2007.
[10. Bezat Jean-Michel, « Avec le pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan, le pétrole de la Caspienne va échapper à l’emprise russe », Le Monde, 27 mai 2005.
[11. Ellis Athanase, « La Grèce hésite entre “le grand frère russe“ et l’oncle Sam », Kathimerini, 24 août 2008, traduit par Laurelou Piguet et mis en ligne par Le Courrier des Balkans, 24 août 2008.
[12. Baugé Florence, « Angela Merkel se rend à Alger pour desserrer l’étreinte du géant russe Gazprom », Le Monde, 18 juillet 2008.
[13. Paranagua Paulo A., « Argentins et Brésiliens inquiets pour leurs importations de gaz bolivien en raison des tensions chez leur voisin », Le Monde, 11 septembre 2008
[14. Reel Monte, « Bolivia’s Irresistible Reserves », The Washington Post, February 10, 2008.
[15. Ashraf Tariq Mahmud, « Afghanistan in Chinese Strategy Toward South and Central Asia », China Brief, May 13, 2008.
[16. Mingjiang Li, « Pan-Tonkin Gulf Cooperation », ISN-Security Watch, January 16, 2008.
[17. Bobin Frédéric, « Le soutien de Pékin, précieux atout de Colombo », Le Temps, 19 mai 2009.
[18. « Mongolie. Sous très forte influence chinoise », Wenweipo, traduit et mis en ligne par Courrier international, 4 juillet 2008.
[19. Jégo Marie, « Le président ouzbek, Islam Karymov, courtisé par Moscou pour son gaz », Le Monde, 8 février 2008.
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[21. Tuquoi Jean-Pierre, « Pékin convoite les richesses minières de la RDC, contreparties d’un prêt au développement », Le Monde, 11 octobre 2007.
[22. Daly John C. K., « Feeding the Dragon : China’s Quest for African Minerals », China Brief, January 31, 2008.
[23. Heine Jorge, « India and the New Scramble in Africa », The Hindu, July 14, 2008.
[24. Kuntz Joëlle, « Une frontière, en Afrique, au milieu des diamants », Le Temps, 24 mars 2007.
[25. Éditorial, « Cher uranium », Le Monde, 5 août 2007.
[26. McGregor Andrew, « Mining for Energy : China’s Relations with Niger », China Brief, October 3, 2007.
[27. Bezat Jean-Michel, « Areva perd son monopole sur l’uranium du Niger », Le Monde, 5 août 2007.
[28. Bezat Jean-Michel, « En rachetant le canadien UraMin, Areva réalise la plus grosse acquisition de son histoire », Le Monde, 1er août 2007.
[29. Hauter François, « Le Far East de Phnom Penh », Le Figaro, 22 août 2007.
[30. Hauter François, « Les pinces du crabe », Le Figaro, 20 août 2007 ; Xuegang Zhang, « China’s Energy Corridors in Southeast Asia », China Brief, January 31, 2008.
[31. Fuller Thomas, « In Isolated Hills of Asia, New Roads to Speed Trade », The New York Times, March 31, 2008.
[32. Fuller Thomas, « Myanmar’s Resources Provide Leverage in Region », The New York Times, October 2, 2007.
[33. Baldauf Scott, « Congo’s Riches Fuel its War », The Chrisitan Science Monitor, November 4, 2008.
[34. Faul Michelle & Pitman Todd, « Fears Rise of Wider Confict in DRC », Mail and Guardian Online, November 5, 2008.
[35. Hauter François, « Les bâtisseurs de labyrinthes », Le Figaro, 14 octobre 2007.
[36. Wong Edward, « China and Taiwan Expand Accords », The New York Times, November 5, 2008 ; Adams Jonahan, « China, Taiwan Expand Ties via Trade », The Chritian Science Monitor, November 5, 2008.
[37. Hofnung Thomas, Millot Lorraine, Semo Marc, « UE-Russie, dépendances réciproques », Libération, 1er septembre 2008.
[38. Bradsher Keith & Martin Andrew, « Hoarding Nations Drive Food Costs Ever High », The New York Times, June 30, 2008.
[39. Carasco Aude, « L’argent sale prospère dans les paradis fiscaux », La Croix, 16 mai 2008 ; consulter le site Internet de la Plate-forme contre les paradis fiscaux et judiciaires (http://www.paradisfj.info/).
[40. Vincent Élise, « Liechtenstein, la vallée des milliards cachés », Le Monde, 20 février 2008.
[41. Miéville D.S., « Un grand ami de la Suisse honoré par la Fondation Jean Monnet », Le Temps, 14 novembre 2008.
[42. Lema Luis, « UBS livrera les noms de 5 000 clients », Le Temps, 3 août 2009.
[43. Etwareea Ram, « À Doha, Micheline Calmy-Rey engage la Suisse à lutter contre l’évasion fiscale », Le Temps, 1er décembre 2008.
[44. Propos de la présidente de Transparency International, ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption, cités ibidem.
[45. Roche Marc, « La banque britannique Barclays mise en cause pour son financement du régime Mugabe », Le Monde, 21 juin 2008.
[46. Mackinder Halford J., « Le pivot géographique de l’Histoire », in Chaliand Gérard, Anthologie mondiale de la stratégie. Des origines au nucléaire, Paris, 1990, pp. 1039-1040.
[47. Lasserre Isabelle, « Macédoine », in Balancie Jean-Marc et La Grange Arnaud (de), Mondes rebelles, Paris 2001, Michalon, pp. 1565-1566.
[48. Chassagne Philippe, « Opiacées et routes des Balkans : facteurs géographiques, historiques et politiques du phénomène », Hérodote, n° 112, 2004, pp. 139-156.
[49. Caron François, « Transports », Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale, Paris, 1980, Larousse, p.1814.
[50. Fourcade Marie-Madeleine, op. cit., p. 71.
[51. Keegan John, op. cit., p. 38
[52. Socor Vladimir, « Momentous Implications of Azerbaijan-Georgia-Turkey Railroad », Eurasia Daily Monitor, November 27, 2007.

Deuil national au Niger suite à l'attaque terroriste de Tazalit