Martin Kobler: en Libye, «notre premier objectif est de créer le cadre d’un dialogue»
Cinq ans après la mort du colonel Kadhafi, la Libye va-t-elle enfin trouver le chemin de la paix ? Pas sûr, car les troupes du maréchal Haftar viennent de conquérir le croissant pétrolier et l’ONU craint une contre-attaque de la part des milices de l’ouest. Comment éviter l’escalade militaire ? Depuis un an, l’Allemand Martin Kobler est l’émissaire de l’ONU pour la Libye. En ligne de Tunis, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Après la prise du Croissant pétrolier par le maréchal Haftar, est-ce que le gouvernement de Tripoli n’est pas fragilisé ?
Martin Kobler : Je crois le contraire parce que le général Haftar a promis de se retirer des installations pétrolières et de laisser la gestion du pétrole à la compagnie nationale pétrolière [Compagnie nationale libyenne de pétrole (NOC) ; NDLR], et de transférer l’argent à la Banque centrale qui est contrôlée par le Conseil présidentiel. Et c’est pourquoi la production de pétrole dans ces quatre dernières semaines a augmenté de 200 000 jusqu’à presque 500 000 barils chaque jour.
Oui, mais c’est quand même le maréchal Haftar qui contrôle les puits de pétrole. Est-ce que vous ne craignez pas qu’il confisque les recettes de ce pétrole ?
Non, pas du tout parce qu’il a promis de transférer l’argent à Tripoli.
Il n’empêche, depuis que le maréchal Haftar a pris le contrôle militaire du Croissant pétrolier, il est plus fort face au gouvernement de Tripoli, non ?
Oui, tout à fait, c’est vrai.
Et du coup, est-ce que le gouvernement de Tripoli ne perd pas une partie de sa légitimité ?
Le gouvernement de Tripoli, il existe avec plusieurs ministres. Je l’ai vu le 2 octobre, j’étais à Tripoli encore une fois. Et les ministres sont à leur travail. Mais c’est vrai, naturellement, le général Haftar est plus fort. C’est pourquoi nous cherchons une solution politique sur la base de l’accord politique de Skhirat [au Maroc ; NDLR]. Je partage votre opinion que le gouvernement d’entente nationale [basé à Tripoli ; NDLR] n’est pas encore légitime. Pas à cause du général Haftar, mais à cause du refus du Parlement basé à Tobrouk, qui a rejeté encore une fois ce gouvernement. Maintenant le Premier ministre [Fayez] al-Sarraj, qui était en France la semaine dernière [le 27 septembre ; NDLR], essaie de former un gouvernement. J’espère que ça marche vite et que la nouvelle liste va être transférée et soumise au Parlement à Tobrouk.
Vous soutenez donc le gouvernement de Fayez al-Sarraj à Tripoli. Mais celui-ci s’appuie sur des milices, pas sur une armée nationale. Et du coup, beaucoup de Libyens vous reprochent de soutenir des milices à tendance islamiste, comme Fajr Libya (Aube de la Libye), et Al-Mokatila d’Abdelhakim Belhadj [Groupe islamique combattant] ?
Nous travaillons sur la base d’une résolution du Conseil de sécurité pour la mise en œuvre de l’accord de Skhirat. Selon cet accord, on a le Conseil présidentiel, on a le Parlement à Tobrouk, et on a le Conseil d’Etat. Ces trois institutions, c’est la base de notre travail. C’est vrai qu’on a des milices à Tripoli, on ne peut pas changer cette situation d’un jour à l’autre, mais vous voyez que la situation reste paisible. Notre premier objectif, c’est vraiment d’avoir des dialogues entre l’est et l’ouest, créer le cadre d’un dialogue et d’éviter une escalade militaire. Et la situation reste calme, mais je suis d’accord, ce n’est pas satisfaisant. Le gouvernement n’a pas assez de légitimité. Il faut travailler sur ça. Les milices à Tripoli, au final, doivent abandonner leurs armes, elles doivent être intégrées dans la vie sociale ou militaire du pays. C’est pourquoi il faut avoir un processus, nous travaillons sur ce processus afin de créer une armée libyenne où le général Haftar et les autres auront un rôle important pour offrir une alternative aux milices basées à Tripoli.
Mais quelle est la solution ? Est-ce par exemple Khalifa Haftar, ministre de la Défense ou chef d’état-major sous l’autorité du Premier ministre, Fayez al-Sarraj ?
Je crois que ce n’est pas une bonne politique par rapport aux Nations unies de dire : « Le maréchal Haftar doit avoir le poste x. » Non. Ce sont les Libyens, c’est le Conseil présidentiel, l’Est, les militaires, tout le monde, les chefs des milices aussi, c’est à eux de trouver une solution et nous sommes là pour organiser le cadre.
Quand on interviewe le Premier ministre de Tripoli, Fayez al-Sarraj, il refuse de prononcer le nom de Khalifa Haftar. Ce n’est pas très bon signe…
C’est pourquoi j’encourage tout le monde à s’asseoir ensemble. J’essaie moi-même d’aller chez le général Haftar. Je l’ai vu une fois. Je suis en contact avec le président [Aguila] Saleh [le président du Parlement de Tobrouk ; NDLR] pour discuter de toutes ces choses. Je le rencontre régulièrement pour trouver une solution. Et je crois aussi que le Premier ministre Sarraj est tout à fait prêt à dialoguer. Mais une chose qui est claire, le commandement suprême, c’est le Conseil présidentiel. Il faut trouver un compromis sur cette question.
Le maréchal Haftar est soutenu par deux voisins importants de la Libye, à savoir l’Egypte et le Tchad. Est-ce que du coup votre démarche n’est pas de plus en plus difficile ?
Oui, c’est pourquoi je suis très souvent en Egypte et j’ai des relations avec les Egyptiens parce que je sais qu’ils sont très importants. Je vais me déplacer peut-être au mois d’octobre au Tchad aussi. J’ai rencontré le ministre des Affaires étrangères du Tchad [Moussa Faki Mahamat ; NDLR], à New York [au mois de septembre]. Je voudrais bien que les pays limitrophes et les pays régionaux utilisent leurs bonnes relations avec l’est ou l’ouest, respectivement, pour trouver une solution conjointe, une solution commune.
Et le soutien militaire de la France au maréchal Haftar. Est-ce que cela ne vous pose pas un problème ?
Non. Je crois que c’est très important de soutenir les forces qui combattent le terrorisme en Libye. C’est fait par le général Haftar à Benghazi, c’est fait par les forces de Misrata à l’ouest du pays, à Syrte, et tous les pays membres des Nations unies sont encouragés à respecter l’embargo sur les armes.
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