Agadez, la contrebandière du Sahara
Au nord du Niger, Agadez, depuis toujours, est le carrefour de toutes les routes commerciales et contrebandières. A la porte du Sahara, la belle endormie accueille, depuis toujours, des caravaniers descendant du Nord avec des dattes ou du sel et des marchands venus du Sud avec de la cola, des esclaves. Aujourd'hui, les touristes fuient la ville qui n'est pas sure, mais les contrebandiers sont maitres chez eux
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Le ciel d’Agadez est plombé, poussiéreux, opaque. Et chaud bien sûr. La pluie menace mais ne vient pas. Les routes, larges, sont vides de 11h00 à 16h00. On fait la sieste à l’intérieur des bâtiments. La nuit, les discussions, la télévision et la musique font le tour de la ville, tandis que chacun profite de la fraîcheur du soir. Dormant sous les étoiles, comme il se doit en milieu nomade où la maison sert surtout de garde-meuble.
“Money, money”
En ville, en ces premiers jours du mois d’août, voici la dernière histoire qui fait peur: un jeune homme s’est fait attaquer récemment par deux hommes noirs, parlant anglais, criant « money, money ». Il a dit qu’il n’avait pas d’argent et les hommes se sont jetés sur lui, à la faveur de l’obscurité. Ils lui ont arraché ses vêtements et ont commencé … à le manger, tels des zombies, arrachant de leurs dents des pans de sa chair, à la poitrine et sur les épaules. Le jeune homme a été sauvé par l’arrivée d’un véhicule.La vérité, c’est que le jeune homme a échappé de peu à un viol. Ses agresseurs ont entrepris de lui ôter ses vêtements et il a été mordu dans le feu de la bagarre. Mais à Agadez, un viol homosexuel est chose encore plus difficile à imaginer qu’une attaque de zombies.« Tout est possible à Agadez. Il y a de tout », confie une habitante, inquiète de ces dangers étrangers…
Agadez, depuis toujours, est le carrefour de toutes les routes commerciales et contrebandières. Au tournant du dbut du XVIeme siècle, Askia Mohamed Touré, le puissant empereur de Gao, s’attarde à Agadez sur la route de la Mecque, comme le font d’autres pèlerins avant et après lui. Avec la chute de l’empire songhaï, l’axe Ouest s’éteint progressivement tandis que le commerce venu du pays haussa, plein sud, bat son plein : céréales, esclaves, artisanat, contribuant au développement de la ville au XVIe siècle. La grande mosquée de terre crue d’Agadez, typique des constructions soudanaises, s’élève au tournant des années 1510.La légende raconte que pour tenter de dépasser leurs incessantes querelles, les Touaregs décidèrent de se donner un sultan étranger, noir de teint. Mais ce dernier ne régnait que partiellement sur un vaste territoire souvent contrôlé par des chefs de tribus.
Contrebante toute
Aux XVIIIe et XIXe siècles, les batailles entre tribus font rage. Beaucoup de Touaregs fuient la région, vers l’Ouest ou vers le Sud. A la veille de la colonisation, les explorateurs qui la découvrent décrivent une ville éteinte, en partie détruite et abandonnée. Aujourd’hui, Agadez se développe, comme tout le Niger, à grande vitesse. Le désert tout autour de la ville ancienne se construit de bâtisses ocre, se confondant avec les routes et l’horizon. Parmi elles, des villas de rêve, à étage, avec colonnes et décoration improbable : les palais des trafiquants.
Car la contrebande bat toujours son plein, malgré ou à cause de la crise sécuritaire qui a, depuis longtemps, eu raison du tourisme. Les plus visibles, à part les maisons de luxe, ce sont les pick up Hilux blancs tout neufs, volés en Libye, et dotés discrètement de cartes grises nigériennes avant d’être vendus une dizaine de millions de francs CFA. Il y a quelques années, on croisait aussi pas mal de Honda venues d’Algérie, mais c’était avant la fermeture de la frontière. Il y a deux ans, les voitures sans plaques pullulaient mais elles ont disparu ces derniers mois.
Le deuxième trafic très visible, ce sont les migrants. Ces fameux zombies ghanéens ou nigérians qui font peur aux braves gens. Ils vivent dans des « ghettos » bien organisés et financent toute une économie sous-terraine. En échange d’un forfait dont le montant varie avec les contrôles, le migrant venu de la côte est nourri, logé puis transporté à la frontière libyenne. Là-bas, une autre aventure commence, plus risquée encore, pour les candidats à l’immigration clandestine exposés au racket, à l’extorsion de fonds et aux violences.D’autres choisissent l’Algérie, plus à l’Ouest. Ceux-ci partent d’Arlit, tout près. Ils empruntent les voitures et les pistes des fraudeurs.
Trafic de “moutons”
Ce business ne se paye pas d’humanité ou de droits de l’Homme. Il est fréquent que les chauffeurs abandonnent leurs passagers dans le désert, à la faveur d’une panne ou d’un contrôle. Non sans les avoir délestés préalablement de tout leur argent. Localement d’ailleurs, on surnomme les migrants des « moutons ».
92 migrants, en majorité des femmes et des enfants venus de la région de Zinder, au sud du pays, sont morts de soif début octobre dernier en se rendant à Tamanrasset pour y chercher fortune dans la mendicité. Suite à l’expression de l’émotion internationale, les autorités ont décrété trois jours de deuil national, arrêté quelques intermédiaires, fermé temporairement les ghettos et remplacé les policiers d’Agadez. Heureusement pour le commerce, tout est rentré dans l’ordre depuis. Mais, pour éviter les contrôles, les « moutons » empruntent des routes plus discrètes et, bien sûr, payent plus cher qu’avant.
La cocaïne reine
La cocaïne, à l’origine des réussites les plus spectaculaires, est plus discrète qu’avant Serval. La route du nord Mali est coupée, dit-on, par les militaires français. Désormais, elle remonte du Nigeria, tout droit, pour poursuivre ensuite son trajet vers le Nord-Est : Libye, Egypte. Depuis l’arrivée de la cocaïne d’Amérique latine, il y a six ou sept ans, certains habitants, et pas les mieux réputés, ont construit des fortunes immenses. Ils sèment la corruption, un peu partout, y compris dans les rangs des forces de sécurité et des cadres de commandement, invités à ne pas trop fouiller les véhicules.
Le haschisch, lui, c’est l’ancêtre de toutes les routes modernes, le père de la transaharienne ralliant l’Atlantique à l’Egypte. C’est au volant des camions de haschich que beaucoup de jeunes bandits ont appris à conduire et à se repérer sur les pistes des fraudeurs, bien avant l’invention du GPS et du djihadisme au Maghreb.
Lors d’une grande manifestation d’éleveurs de la région nord, la cure salée, il y a deux ans, un douanier et un trafiquant touareg se sont affrontés à coups de billets de banque devant un public amusé et séduit. Métaphore parfaite de la vie clandestine de la ville.
En ce début août, la cocaïne, le haschisch, les migrants et les voitures font pâle figure à côté du nouveau délice d’Agadez : la ruée vers l’or du Djado, à plus de 700 km au nord-est, en plein désert. Restaurateurs, anciens rebelles, élus, militaires, fils de dignitaires étrangers : l’or du Djado brille dans leurs yeux. C’est le nouveau commerce d’Agadez