-A quoi répond la création du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA)?
La création du MNLA répond à la volonté de la majorité des communautés qui vivent dans le Nord malien, une population qui est exclue des grandes décisions politiques de l’Etat malien et qui a été marginalisée des grandes actions de développement depuis l’indépendance à ce jour, de prendre son destin en main et de recouvrer ses droits légitimes. Dans le nord du Mali, la majorité des enfants ne vont pas à l’école. Pis encore, ils vivent dans des conditions indignes. La population, constituée en majorité d’éleveurs, n’a pas accès à l’eau. Les pouvoirs successifs à Bamako n’ont cessé, ces cinquante dernières années, de stigmatiser les populations du Nord et de les spolier de leurs droits les plus élémentaires. Les Touareg sont les exclus du Mali. Les portes nous sont fermées dans les administrations. Dans les forces armées maliennes, par exemple, les Touareg et les Arabes ne peuvent pas accéder à de hautes fonctions ou à des responsabilités sensibles.
-Comment jugez-vous la gouvernance au niveau local ?
Des élus locaux des régions du Nord peuvent vous dire que la décentralisation issue du Pacte national d’avril 1992 n’est pas accompagnée des ressources prévues par les codes des collectivités. Chaque ministère ne souhaite pas et ne veut pas qu’il y ait les transferts de ressources prévues en direction des collectivités locales et territoriales. Le Mali a mis en place une démocratie participative locale de façade. Nous sommes toujours dans le même Etat où tout se décide à Bamako après le départ «précipité» du général Moussa Traoré en mars 1991. Voilà certaines des raisons qui nous ont convaincus de créer le MNLA. Cette politique d’exclusion et de stigmatisation systématique des populations du Nord a créé des fractures au sein de la société malienne et nourri les ressentiments. Elle a provoqué de profonds et graves clivages entre les communautés.
Le pouvoir a instrumentalisé la question touareg pour monter le Sud contre le Nord et se donner le beau rôle pour rester aux commandes. Conséquence : à Bamako, à Sikasso et à Koulikoro, une partie de la population réagit aux événements en saccageant les biens et en lynchant des citoyens appartenant aux «communautés blanches». On constate qu’on est encore loin d’une intégration réelle. Le phénomène s’est accentué depuis janvier et février 2012. Tout cela parce que les citoyens du Sud ignorent la réalité de nos régions. Les médias n’en parlent que lorsqu’il y a des activités militaires, des combats. Ils le font, et c’est malheureux, en se contentant de reprendre la version du gouvernement et de l’armée. En faisant cela, ils alimentent un racisme extrême entre communautés blanche et noire.
-A partir de quand le MNLA a-t-il commencé à se structurer ?
Il y a eu une grande campagne de sensibilisation avant l’insurrection de janvier 2012 dans les campements nomades des régions de Kidal, Gao et Tombouctou par la nouvelle élite qui s’est constituée en novembre 2010 à Tombouctou (Touareg, Arabes et Sonrai). Cette campagne a concerné également les villes et les villages. Les responsables de cette coordination ont commencé à rencontrer sur le terrain, dès le début de l’année 2010, feu Ibrahim Ag Bahanga et d’autres cadres du Mouvement qui existe sur le terrain et aussi à l’étranger pour mûrir la réflexion et surtout mettre en place une nouvelle organisation politique capable de prendre en charge les souhaits profonds des citoyens de l’Azawad.
Ensemble, nous avons dit qu’il est grand temps de mettre sur «la table» les vrais échecs politiques de Bamako et de parler, entre autres, de la difficile cohabitation que vivent ces populations depuis les années 1960 à ce jour. Il est impératif aujourd’hui de trouver la solution à ce problème qui n’a que trop duré. C’est en octobre 2011 que tous ceux qui étaient animés de cette volonté se sont retrouvés au nord-est de Kidal pour la mise en place effective d’une nouvelle organisation politique et militaire, un mouvement qui pourrait lutter pour la dignité des populations de l’Azawad. C’est le 15 octobre 2011 qu’est né le MNLA. Ce mouvement s’est fixé, comme je l’ai dit plus haut, des objectifs, un statut et des règles de fonctionnement.
-Quelles sont les principales revendications du MNLA ?
Maintenant pour revenir aux revendications, il y a lieu de retenir que ce n’est qu’après avoir fait le point sur les expériences précédentes et l’analyse de l’environnement international que les participants à la grande assemblée générale, en octobre 2011 à Zakak (nord-est de Kidal) ont réclamé et fait savoir que l’objectif principal est une indépendance effective de l’Azawad, d’abord par des voies politiques et, si nécessaire, par tout autre moyen utile.
-Pourquoi avoir opté directement pour une rébellion armée sans avoir tenté, au préalable, d’explorer des voies politiques et pacifiques pour faire aboutir ces revendications ?
Le Mouvement a été contraint à l’action armée par le refus répété du Mali de respecter les engagements internationaux signés et d’ouvrir des vraies négociations directes. En envoyant directement à notre rencontre, en décembre et début janvier, près d’un millier de militaires, des blindés et des avions de guerre et de surveillance, le pouvoir de Bamako a déclaré sans aucun doute la guerre aux citoyens de ces régions. Depuis la reprise des hostilités, soucieux de protéger les vies humaines, le Mouvement a plusieurs fois renouvelé sa disponibilité à négocier directement avec Bamako sous les auspices d’une médiation internationale. Sans aucun doute, le pouvoir en place à Bamako porte l’entière responsabilité des combats en cours.
-Estimez-vous que ces objectifs sont réalisables sachant que de plus en plus de voix s’élèvent pour s’opposer à une partition du Mali et à la création d’un Etat touareg au Sahel ?
Nous ne pensons pas à un Etat spécifiquement touareg. Je pense que rien n’est tabou aujourd’hui quand on observe ce qui se passe un peu partout, en Afrique et ailleurs. Si la majorité des populations de l’Azawad le réclame haut et fort (les Touareg, les Arabes, les Sonrai et une partie de la communauté Peulh), je ne vois pas en quoi l’existence d’un Etat poserait problème. Les expériences espagnole, suisse et canadienne – des Etats qui sont de grandes puissances et de grandes démocraties – sont, à ce propos, à méditer et constituent des réponses à tous ceux qui veulent nous diaboliser ou remettre en cause nos revendications. Au-delà, le MNLA reste ouvert aux négociations et à l’écoute à des propositions sérieuses qui tiennent compte des souhaits des citoyens de l’Azawad. Une chose est sûre : le statu quo actuel ne peut plus durer.
-Récemment, l’Algérie a proposé sa médiation pour parvenir à une solution politique durable à la crise que vit le nord du Mali. Une délégation de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement vient d’ailleurs de participer, à Alger, à une réunion qui a regroupé un représentant de l’Etat malien et des facilitateurs algériens. Est-t-il possible de voir le MNLA se joindre, un jour, à ces discussions ?
Je pense que la rencontre d’Alger du 2 février est plutôt une concertation qui a permis de mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain et de mettre le pouvoir de Bamako devant ses responsabilités. Nous avons été d’accord pour que l’Alliance soit cosignataire de l’Accord d’Alger de juillet 2006. Cependant, cet accord a été rejeté et rendu caduc par le pouvoir malien depuis plusieurs années. Il a rendu aussi caduque l’existence de l’Alliance du 23 mai 2006. Il est bien de rappeler aussi que l’Alliance démocratique du 23 mai 2006 concernait seulement la région de Kidal. Aujourd’hui, il s’agit d’un mouvement qui regroupe la majorité des communautés de l’Azawad et des grosses forces militaires (Kidal, Gao, Tomboctou). Sur le terrain, depuis octobre 2011 à ce jour, il y a un seul mouvement : le MNLA.
Qu’il y ait des personnes de la région qui tentent d’apporter leur expérience, de mieux expliquer le contexte à certains Etats et aux responsables du Mouvement, je dirai que ce sont des contributions utiles. Il n’est pas surprenant que l’Algérie soit associée et sollicitée aussi par d’autres bonnes volontés internationales pour la stabilité de la région en faveur des populations de l’Azawad. Il y a lieu de rappeler encore qu’un grand nombre de déplacés et de réfugiés vit sur son sol depuis le début des événements. Pour dire qu’elle a un rôle-clé dans cette région. Bien entendu que le MNLA avait renouvelé sa volonté d’aller à des négociations directes avec Bamako. Par ailleurs, le MNLA est disposé à explorer toutes les pistes avec toutes les bonnes volontés qui pourraient nous amener vers une paix véritable. Nous recherchons une solution durable aux problèmes de sécurité en luttant pour assurer un développement et une stabilité dans la région.
-Que pensez-vous de la position de l’Algérie concernant la crise du nord du Mali ?
Je pense que l’Algérie a été souvent accusée à tort, par Bamako et d’autres pays, d’avoir soutenu des rébellions du Nord malien. Ce soutien n’existe pas. Les militants de l’Azawad ont toujours compté sur leurs propres moyens. Par ailleurs, Bamako soutient et appuie la promotion des terroristes sur son territoire depuis plusieurs années. Ces groupes terroristes acheminent des armes depuis le territoire malien et les font entrer discrètement en territoire algérien pour nuire au quotidien des Algériens. Ces mêmes groupes détiennent des citoyens occidentaux depuis plusieurs mois sur le territoire malien. Qu’a fait Bamako pour mettre fin à cette situation ? En bien rien. Pourtant, le pouvoir malien a été aidé dans la lutte contre le terrorisme. Il a reçu beaucoup d’armes. Des moyens de communication, des fonds de fonctionnement, des équipements ont été offerts par les pays Occidentaux et l’Algérie à l’armée malienne. Des formations ont été dispensées aux troupes. En contrepartie, quel a été l’apport du Mali dans cette lutte ? Encore rien. La position algérienne, aussi bien que celle de la communauté internationale, est claire : son but est de faire taire le bruit des armes.
-Cela fait maintenant plus d’un mois que le MNLA a déclenché les hostilités contre l’armée malienne. Quelle est actuellement la situation sur le terrain au plan militaire ?
La situation militaire est à l’avantage du MNLA. Depuis le 17 janvier 2012 à ce jour, plusieurs opérations ont été menées au nord du Mali et au sud du fleuve. Les villes de Ménaka et d’Anderboukane sont prises et occupées par des combattants armés du MNLA et des citoyens azawad. Dans cette même région, la garnison de la ville de Gao a été attaquée, sans dégâts de part et d’autre, la semaine dernière. Des combattants du MNLA surveillent les entrées et les sorties de cette ville. La ville de Léré, au sud de Tombouctou, a été reprise depuis quelques jours par le MNLA. Des affrontements violents ont lieu dans la localité de Niafounké entre des brigades MNLA et les forces maliennes. Il y a eu des dégâts importants. Des combats se poursuivent toujours dans cette localité.
Dans la région de Kidal, la ville d’Aguelhok est prise depuis janvier et la caserne de Tessalit est toujours cernée depuis le 18 janvier par des brigades MNLA. La localité de Tinzaouaten Mali, après trois jours de combats violents, est sous le contrôle du MNLA depuis quelques semaines. Les combattants du MNLA ont mis la main sur un équipement militaire important constitué, entre autres, de 10 chars de l’armée malienne. Toujours à Tessalit, les soldats maliens sont restés sans approvisionnement depuis plus d’un mois. Le dernier renfort dirigé par le colonel-major Alhaji avait tenté, avec l’appui des hélicoptères, de les approvisionner la semaine dernière. Ce dernier et ses troupes ont subi des grosses pertes et ont été poursuivis par des combattants du MNLA jusqu’à l’entrée de la région de Gao. Gao se trouve à 400 km de Tessalit. Les brigades du MNLA attendent que les militaires maliens se rendent sans effusion de sang. Il s’agit, là aussi, d’une caserne qui va tomber dans les heures qui viennent. Si ces derniers ne se rendent pas, l’assaut sera donné. La ville de Kidal est aussi dans la même situation. Actuellement, près de 31 prisonniers de l’armée malienne sont retenus par le MNLA depuis le début des opérations. Ils sont bien traités. Incontestablement, le MNLA a remporté des succès militaires très importants dans la conquête du territoire.
-Comment est la situation humanitaire des populations touareg en ce moment ?
Ces succès militaires ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel : la situation humanitaire qui est désastreuse. Plusieurs milliers de familles dans certaines régions du sud du pays se sont fait piller et chasser de chez elles pour le simple fait d’être différentes. La vie de ces familles a été brisée. Par peur de représailles, elles ont tout laissé derrière elles pour aller se réfugier dans d’autres pays. Les Nations unies parlent déjà de plus de 126 000 déplacés et réfugiés. Ce combat qui est mené aujourd’hui sur le terrain, comme à l’étranger, doit se construire. L’objectif du MNLA est de faire en sorte que de telles tragédies ne puissent plus se reproduire.