- Mercredi, 04 Janvier 2012
- Écrit Par Moussa Ag Assarid
- Catégorie: Actualite
En 1991, j'étais à Bourem en 8ème année du second cycle lorsque l'actuel ministre de l'agriculture, Aghatam Ag Alhassane, qui me logeait a rejoint la rébellion. J'ai descendu mon sac de sa voiture en lui disant que je ne souhaitais pas quitter l'école à laquelle je croyais profondément et de surcroit je n'étais vraiment pas prêt. J'avais brandit mon stylo comme étant mon arme de combat. Depuis, j'ai poursuivit mes études jusqu'à les terminer en France et me suis engagé à fonder des écoles pour permettre aux enfants nomades de pouvoir éclairer leur avenir et construire leur destin. Et avec mon stylo,j'ai écrit 3 livres et me suis également promis, en pionner de toujours que je suis resté, de ne jamais abandonner mon pays natal.
Cependant, l'analyse en toute objectivité, que je fais aujourd'hui du Mali est dramatique et teintée d'une injustice innommable. Les points suivant sont entre autres la justification de ma révolte :
1. La non prise en compte de la scolarisation des enfants nomades par les programmes éducatifs du Mali depuis 1960
Il s'agit en réalité d'une belle façon discriminatoire. Pour cause ?
Comme dit justement Victor Hugo : « tout enfant qu'on instruit est un homme qu'on libère »
A la date d'aujourd'hui il n'existe pas dans les trois régions du Nord-Mali un seul exemple d'école publique qui adapte son système de fonctionnement à la réalité des enfants de parents nomades en construisant des internats avec cantines, eau potable accessible et système sanitaire. Aller à l'école pour ces enfants exclus du système éducatif classique malien dont les parents sont nomades est un véritable casse-tête pour ces parents et leurs enfants.
Tout se passe dans une sorte de généralisation comme si le Mali est un peuple monocolore, uniforme et sédentaire. Et à la méthodologie convergente de venir ternir les maigres espoirs du peu d'enfants qui, avec tous les efforts possibles, s'aventurent sur le chemin des écoles qui leurs sont difficilement accessibles. Cette méthode les oblige à être scolariser dans une autre langue que la leur pendant plusieurs années alors que les enfants tamasheqs par exemple ont une langue parlée et écrite de surcroit (Tifinagh). Cette discrimination est aussi vécue par les arabes, certains peulhs et les bosos (semi-sédentaires).
La véritable question pour laquelle il faut une véritable réponse est : au nom de quoi on veut exterminer culturellement tout un peuple en piétinant sa langue et en le privant de l'instruction ?
Dès lors les maux issus des reformes éducatives à l'endroit des nomades s'appellent : absence de volonté politique réelle et spécifique pour rendre l'école accessible aux enfants nomades et ignorance profonde de tout un peuple.
2. La corruption omniprésente au Mali
La corruption au Mali aujourd'hui atteint un niveau des plus élevé et cela n'est un secret pour personne. Elle n'a jamais été aussi importante que sous les deux mandats du régime Amadou Toumani Touré. Et le plus inquiétant aujourd'hui c'est sa propagation rapide - telle une épidémie de méningite – à toutes les instances du pouvoir et à tous les secteurs de la vie économique du pays (secteur public et secteur privé).
Ainsi la nouvelle donne par la force de la corruption fait que : les diplômes s'achètent, l'emploi et les postes de responsabilités, les mutations, les galons se vendent aux plus offrants. C'est la peste de Jean de la Fontaine dont tous les animaux sont malades.
Question : Dans un tel système chaotique, quelle place fait-on à l'excellence et aux mérites d'un honnête citoyen qui se bat pour un Mali digne et prospère ? Rien. Aucun effort n'est fait pour le soutenir ou l'encourager. Au contraire, le pouvoir public à tous les niveaux lui crée des problèmes de tout ordre et tout le monde lui complique la vie pour le décourager voir tout simplement l'anéantir en le neutralisant.
Les exemples ne manquent pas et je défie quiconque à me contredire. Combien de jeunes diplômées sans emploi errent aujourd'hui au Nord comme au Sud du Mali sans aucune politique publique pour les prendre en charge ou simplement les conseiller en les accompagnant vers l'obtention d'un emploi qui leur permette de subvenir dignement à leurs besoins? Dès lors ils deviennent des cibles fragiles et faciles. Ils constituent aujourd'hui un terreau fertile d'AQMI et autres narcotrafiquants.
3. La militarisation générale de l'administration malienne
Aujourd'hui au lieu de trouver les militaires dans leurs casernes et voués à leur mission république qui est la protection des citoyens, ils sont omniprésents dans toute l'administration en occupant quasiment tous les postes surtout dans le Nord du pays. En ce qui concerne les régions de Tombouctou, Gao et Kidal, le constat est sans appel : d'abord tous les gouverneurs et tous les occupants des postes à responsabilité sont des militaires à quelques exceptions près. Et la construction de façon prioritaire de camps militaires en lieu et place d'écoles, de puits et de dispensaires est une preuve affichée d'une volonté au sommet de l'Etat de militariser davantage le Nord-Mali.
4. La mauvaise gestion de l'école malienne
L'école malienne, depuis l'avènement de la démocratie, a été abandonnée et bradé par les différents gouvernements qui se sont succédés. Certains enseignants sont recrutés de façon hâtive, sans formation requise adéquate et ils ne sont jamais passés par les instituts de formation de maîtres. Ceux qui ont les moyens inscrivent leurs enfants dans les écoles privés qui pullulent comme des vermines au détriment de l'école publique dont la qualité est sérieusement sabrée. Les ministres et les hauts cadres de l'Etat envoient leurs enfants dans les universités étrangères comme aux Etats Unies d'Amérique, au Canada, en France entre autres. J'ai eu à croiser certains en France comme à Montpellier où j'ai fait mes études.
5. Le non respect par le Mali des accords qu'il a signé comme le Pacte national
Les contenus de ces accords sont sans ambiguïté: le développement socioéconomique des régions nord du Mali longtemps délaissées voir exclues des stratégies de développement du Mali, intégration dans tous les secteurs étatiques des anciens rebelles. Mais malheureusement, près de 20 ans après le Pacte national, le bilan de son application a pris une allure d'une arnaque nationale et internationale sans pareil. Sur tous les points d'accords, un seul connait un semblant d'application : l'intégration des anciens rebelles.
Les régions du Nord n'ont pas connues d'évolution notoire en terme de développement et la décentration est une farce sans nom. Par exemple les communes qui ont été créé à la fin des années 90 n'ont quasiment pas de moyen de subvenir à leurs besoins de base. Et aujourd'hui avec la nouvelle reforme territoriale hâtive et non concerté, imposée par le Président Amadou Toumani Touré pour faire plaisir à certains de ses proches, nous assistons à une situation dramatique que je peux qualifier d'expropriation des terres des populations locales. Les autochtones sont ignorés et leurs droits sont bafoués. La création pour des raisons douteuses et non avouées de certaines régions sans aucune consultation préalable des populations est une preuve indéniable d'une mauvaise volonté de l'Etat malien.
6. La politique de division des communautés pour faire semblant de résoudre le problème du nord du Mali
Curieusement certains cadres (tamasheq, arabes, sonrais et peulhs) issus du Nord-Mali se sont laissés prendre par l'appât du gain. Est-ce vraiment de la facilité que de vendre ses frères? Et c'est exactement ce qu'ont fait certains émissaires commis du chef de l'Etat malien valises de billets de banque à la main. L'astuce est d'une simplicité à faire rire un bébé: au sein de chaque communauté sonraï, peulh, tamasheq et arabe, le chef de l'Etat, Amadou Toumani Touré a délégué un ou plusieurs émissaires avec pour mission de corrompre les chefs de fractions, les chefs rebelles ou toute personnalité notable ou influente. C'est la méthode cousue d'hypocrisie que pratique aujourd'hui le pouvoir actuel malien et c'est ce que l'on appelle : diviser pour mieux régner.
7. Le laxisme inqualifiable de l'Etat malien dans la lutte contre le terrorisme
Depuis de nombreuses années, une nébuleuse terroriste, l'AQMI, a trouvé refuge dans le nord du Mali avec la complicité des plus hautes autorités du pays. Les informations issues des services renseignements des Etats limitrophes comme l'Algérie, le Niger et la Mauritanie et ceux des pays occidentaux accusent le Mali, des preuves à l'appui d'Etat laxiste et de maillon faible dans la lutte contre le terrorisme.
On parle des otages occidentaux mais jamais de la population locale qui est elle aussi prise en otage car désormais coupée du monde. Il n'y a plus de tourisme qui constitue un revenu direct des populations, plus d'ONG, plus de projets de développement et il y a de moins en moins de représentants de l'Etat. Mêmes les journalistes et les documentaristes ne peuvent plus témoigner de la situation chaotique que vivent les pauvres populations.
Il y a là un bon prétexte pour le gouvernement central de Bamako de détourner les projets de développement acquis ou en cours de l'être destinés aux populations du Nord-Mali.
8. Une imposition par le chef de l'Etat malien d'un referendum constitutionnel budgétivore
Couplé au premier tour des élections présidentielles prévues le 29 avril prochain, le referendum imposé par le président Amadou Toumani Touré donnera des super pouvoirs au président même après son mandat et créera des institutions de l'Etat budgétivores. C'est un projet méconnu par le commun des maliens et une majorité d'intellectuels et syndicats qui en ont pris connaissance le rejettent des preuves à l'appui. La future constitution prévoit que tous les anciens présidents seront de droit membre de la cours constitutionnelle.
Nous sommes dans une période historique de notre existence. En 1990 un vent de démocratie avait balayé le monde et certaines dictatures sont tombées mais d'autres ont résisté. Un nouveau vent vient de souffler par la force des peuples épris de justice et de liberté. Le printemps révolutionnaire maghrébin est encore tout proche de nous et la jeunesse en est pour une bonne partie actrice du changement. C'est à notre tour, frères et sœurs du Nord-Mali, Sonraïs, Arabes, Peulhs et Kel Tamasheqs, de libérer notre peuple azawadien de l'emprise de l'ignorance et du pouvoir central de Bamako.
Qu'il soit claire pour tous les nordistes quelques soit leur ethnie : il n'y a pas de demi paix ni de demi guerre. Certains ne peuvent pas vivre en paix pendant que les autres sont en guerre et n'oublions pas que notre Histoire ainsi que notre destin sont liés par le sang, la terre et nos relations avec le reste du monde.
Au lieu de voir le MNLA comme le diable ou une organisation «mystérieuse», retrouvons-nous ensemble et construisons ensemble notre édifice comme en bonne intelligence sans négliger ou contrer aucune partie d'entre nous.
Paris, le 4 janvier 2012
Par Moussa Ag Assarid
Ecrivain et consultant